Aller au contenu

À propos d’un théâtre antique

La bibliothèque libre.
À propos d’un théâtre antique
Revue des Deux Mondes4e période, tome 152 (p. 303-332).


À PROPOS
D’UN
THÉÂTRE ANTIQUE


J’ai revu, il y a quelque temps, le théâtre d’Orange. C’est un des plus beaux que nous ayons de l’époque romaine, et, par un hasard heureux, ce qui en reste est précisément ce qui manque surtout aux autres. D’ordinaire les gradins, taillés dans le roc ou adossés à des murailles puissantes, ont en partie survécu ; c’est la scène, avec ses constructions plus légères et plus compliquées, qui a le plus souffert. Ici, au contraire, la scène a résisté. Et d’abord nous voyons que la façade extérieure de l’édifice, qui presque partout ailleurs a péri, est d’une conservation merveilleuse. On ne peut se défendre d’une vive émotion quand, après avoir suivi quelque temps les rues étroites de la petite ville, on se trouve en face de ce grand mur presque nu, sans autre décoration que quelques colonnes doriques qui encadrent les portes, et, au-dessus d’un rang de fenêtres fermées, des pierres saillantes où s’enfonçaient les pieux qui soutenaient le velarium. Certes les Romains ont réuni dans leur architecture des qualités très diverses, et, quand on a pu voir le pont du Gard, par un beau jour d’été, détachant ses arcades élégantes dans un fond de soleil éclatant, on est bien forcé de reconnaître qu’ils ont su quelquefois trouver la grâce dans la grandeur. Ici, c’est la grandeur qui l’emporte et même qui règne seule : le monument produit tout son effet par sa masse et sa simplicité. Et l’effet devait être bien plus grand lorsque à côté s’élevait le cirque, bâti le long du théâtre, et qu’un portique, dont on voit encore quelques débris, reliait entre eux ces édifices et entourait toute la place.

À l’intérieur, le spectacle n’est pas moins saisissant. Le grand mur du fond de la scène, qui s’appuie sur la façade extérieure, est bien conservé, et l’on y voit partout la trace des ornemens dont il était couvert. Quant à la scène elle-même, grâce à ce qui en reste, on peut la recomposer presque dans ses moindres détails. On a vu que c’était la partie la plus intéressante du théâtre d’Orange. Je crois inutile de la décrire de nouveau ; ce que j’en dirais n’ajouterait rien aux belles planches de Garistie, dont l’ouvrage est devenu partout classique[1]. J’aime mieux tourner ailleurs mes observations.

Pendant que je regarde de tous les côtés, que je compare ce bel édifice à ceux du même genre que j’ai vus en France, en Italie, en Afrique, et que, les complétant les uns par les autres, j’essaie de me remettre devant les yeux un théâtre antique dans son intégrité, je me persuade de plus en plus que ce travail auquel je me livre n’est pas une simple et vaine curiosité. À mesure que je me rends mieux compte de toutes les parties de ces vastes constructions et que je m’en fais une idée plus nette, il me semble que je comprends mieux les pièces qu’on y représentait. Sans doute le théâtre a été fait pour elles, mais elles aussi sont faites pour le théâtre ; elles se sont instinctivement accommodées et appropriées aux lieux où elles devaient paraître. Les conditions mêmes de leur représentation leur ont imposé certaines nécessités, qu’elles ont subies, et dont plus tard on a fait des règles. On peut prouver que beaucoup de leurs qualités et de leurs défauts, auxquels on cherche des raisons subtiles, n’ont pas d’autre origine. Si je voulais le montrer d’une manière générale, le sujet serait trop étendu ; il faut se borner. Je laisse donc entièrement de côté la Grèce ; pour Rome, je m’en tiens à la comédie, et même, dans la comédie romaine, je ne m’occuperai guère que des débuts, c’est-à-dire des pièces de Plaute, qui, avec celles de Térence, sont les seules que nous possédions aujourd’hui.

Je sais bien qu’à l’époque de Plaute et de Térence, les théâtres comme celui d’Orange n’existaient pas : c’est Pompée qui a bâti le premier qu’on ait construit en pierre. Les théâtres en bois avaient précédé, et, auparavant, il y en avait de plus élémentaires et de plus simples encore. Mais de tout temps, même aux époques les plus reculées, un théâtre s’est composé, chez les Romains, des mêmes parties essentielles ; il y a toujours eu, sur un terrain en pente, et qui formait généralement un demi-cercle, des places pour les spectateurs assis ou debout ; au centre, un espace vide, qui est devenu l’orchestre ; en face, fermant le cercle et disposée pour être vue de tous les côtés, la scène, qui s’élevait à une certaine hauteur au-dessus de l’orchestre. On voit que nous pouvons, sans trop de témérité, appliquer les réflexions que nous suggère un théâtre définitif, comme celui d’Orange, aux théâtres provisoires des premières années.

Essayons donc de ranimer pour un temps cette comédie naissante ; il est toujours intéressant de l’étudier, car elle a servi de modèle à celle de tous les autres pays. Cherchons les conditions qui lui ont été imposées à ses débuts, et de quelle manière elle les a d’abord acceptées. Ce sera pour nous une façon de mieux comprendre les motifs de ses premiers succès.

I

Ce qui frappe d’abord dans le théâtre d’Orange, comme dans les autres[2], c’est qu’il n’était pas couvert ; on a bien pu étendre sur les sommets, aux heures chaudes de la journée, quelques bandes de toile plus ou moins larges pour abriter les spectateurs du soleil, mais ces vela[3] n’interceptaient tout à fait ni l’air ni le jour. On sentait toujours sur sa tête la voûte immense du ciel ; une lumière également vive éclairait le public ; rien n’attirait directement les yeux vers la scène. Ils pouvaient errer à loisir sur toutes les parties de l’édifice et y trouvaient mille occasions de se dissiper ; sans compter que la situation même de quelques-uns de ces théâtres, la beauté du lieu où ils étaient placés, pouvaient fournir aussi beaucoup de sujets de distraction. Je suppose que les gens qui étaient assis sur les gradins les plus élevés de celui de Taormina ont dû se retourner plus d’une fois pour voir l’Etna en flammes, ou contempler en face d’eux l’admirable panorama de la mer de Sicile, avec les côtes de la Calabre à l’horizon, et j’avoue que, même si l’on jouait en ce moment quelque pièce d’Euripide ou de Ménandre, je ne me sens pas trop disposé à leur en vouloir de l’avoir mal écoutée.

Quelle différence avec nos salles de spectacle d’aujourd’hui, si étroitement fermées, éclairées d’une lumière artificielle, dont l’intensité peut être accrue ou diminuée, qu’au besoin on plonge dans les ténèbres, de sorte que, la scène étant seule visible, tous les regards sont bien forcés de se concentrer sur elle, et qu’ainsi rien de ce qu’on y dit ou de ce qu’on y fait n’est perdu pour le spectateur ! Le recueillement où cette obscurité le plonge, l’isolement qu’elle crée autour de lui, la force d’attention qu’elle lui communique, lui permettent de suivre les intrigues les plus compliquées. Au contraire, dans ces théâtres découverts que baigne la lumière, où chacun est à ses voisins un spectacle qui le détourne de celui que lui offre la scène, on ne peut développer devant un public distrait qu’une action simple, claire, qui ne lui demande aucune contention d’esprit, aucun effort d’intelligence, qui ne le dépayse pas trop de ses habitudes et contienne le moins possible de délicatesses trop subtiles, de nouveautés déconcertantes. Et voilà comment un premier aspect de l’édifice peut nous indiquer déjà ce que seront probablement les pièces qu’on y pourra représenter.

Poussons plus loin cette étude. Tournons-nous vers les gradins sur lesquels les spectateurs prenaient place. Le temps les a fort maltraités à Orange, et on a été obligé d’en refaire une partie pour les représentations qu’on y a données dans ces dernières années; mais ils sont mieux conservés ailleurs. À Dougga, par exemple, dans la Tunisie, c’est une merveille de voir ces belles assises de pierre qui montent sans interruption jusqu’au sommet avec leurs précinctions intactes[4] et ces escaliers qui permettaient de circuler partout sans déranger personne ; il n’y manque plus que le portique du haut, qui couronnait l’édifice. La première idée qui vienne à l’esprit quand l’œil se promène du haut en bas de ce qu’on appelait la cavea, c’est qu’il devait être bien difficile à la voix d’un acteur de remplir cette énorme enceinte[5] et de pénétrer jusqu’au fond du portique supérieur où s’entassaient les petites gens. N’oublions pas que, dans nos théâtres si bien clos et beaucoup moins vastes, bien des choses nous échappent de ce qui se dit sur la scène ; ne semble-t-il pas naturel de croire qu’on devait en perdre davantage dans ceux des anciens ?

On répondra sans doute que, sur ce point, l’expérience est faite et la question résolue ; on rappellera que précisément, dans ce même théâtre d’Orange, où nous sommes, on a représenté plusieurs fois des pièces modernes ou antiques, et que la foule entassée sur ces gradins n’en a pas perdu un mot. Tous les journaux en ont fait des comptes rendus enthousiastes, et l’on n’a pas hésité à conclure qu’il était hors de contestation que, dans les théâtres antiques, malgré tant de conditions défavorables, les acteurs se faisaient facilement entendre de tout le monde. C’est aller bien loin, et je ne vois pas que les anciens en aient été aussi sûrs que nous ; il faut bien qu’ils se soient méfiés de l’acoustique de leurs théâtres, puisqu’ils ont essayé de l’améliorer. On ne peut guère expliquer autrement ces porte-voix dont ils avaient soin de garnir la bouche des masques comiques ou tragiques, et ces échos dont parle Vitruve, sortes de niches placées un peu partout pour recevoir les sons qui venaient de la scène et les renvoyer en les renforçant. Ce qui le montre encore mieux, ce sont les inquiétudes qu’expriment les acteurs, qui ont toujours peur de n’être pas entendus. Plaute s’adresse au public, dans ses prologues, pour lui dire : « Vous avez saisi ? Vous comprenez ? C’est à merveille. » Et si quelque spectateur des derniers rangs, qui n’est pas parvenu à se caser, lui fait signe que non : « Eh bien, lui crie-t-il, va-t’en ; si tu n’as pas de place ici pour t’asseoir, tu en trouveras ailleurs pour te promener. Est-il juste que tu réduises les pauvres comédiens à la mendicité ? Sois sûr que je ne m’exposerai pas à me crever pour te faire plaisir. »

On voit par là que le témoignage des anciens ne paraît pas tout à fait d’accord avec les expériences que nous avons faites de nos jours ; je crois pourtant qu’on peut les concilier et que la contradiction n’est qu’apparente. Il faut bien que les anciens n’aient pas regardé comme impossible qu’on pût se faire entendre dans leurs théâtres, puisqu’ils ont continué, jusqu’à la fin, à en construire et que les auteurs n’ont pas cessé d’y faire jouer leurs pièces. Ils pensaient seulement qu’on n’y pouvait réussir qu’à de certaines conditions ; et ces conditions, je remarque qu’elles se sont trouvées réunies dans nos représentations modernes. Rappelons-nous que ces fêtes, annoncées longtemps à l’avance, données à de longs intervalles, excitaient partout une grande curiosité, qu’on venait de loin pour voir jouer des pièces célèbres et des acteurs en renom, et qu’on était disposé à les écouter avec une religieuse attention. Aussi nous dit-on que le silence y était profond et qu’il régnait une sorte de recueillement dans l’assistance. Voilà précisément ce que les auteurs anciens demandaient à leur public et ce qu’ils n’obtenaient guère.

Le public de Plaute, nous le connaissons ; nous savons, grâce à ses prologues[6], ce qu’étaient les gens qui remplissaient la cavea de son théâtre improvisé, les jours où l’on jouait ses pièces. À l’exception des sénateurs, auxquels, depuis quelques années, on réservait des places particulières dans l’orchestre, tout le monde était mêlé et confondu sur les gradins. Il y avait d’abord ces paysans robustes et grossiers, qui, après avoir peiné toute l’année dans leurs fermes de l’ager romanus, à labourer ce sol ingrat et fiévreux, arrivaient à Rome les jours de fête avec l’idée de se bien divertir, et pour qui le divertissement n’était complet qu’avec beaucoup de mouvement et de bruit ; à côté d’eux, les petits bourgeois de la ville, « ceux qui achètent et qui vendent, » les boulangers, les bouchers, les marchands d’huile du Vélabre, à qui Mercure[7], pour obtenir un peu de silence, promet qu’ils feront toujours de bonnes affaires. Il y avait aussi des femmes, et en grande abondance. À l’époque d’Auguste, un règlement sévère leur interdit d’assister à certains spectacles, et, dans d’autres, leur assigna des places particulières ; ce n’était qu’aux jeux du cirque qu’elles étaient libres d’aller où elles voulaient. Du temps de Plaute, ces défenses n’existaient pas ; elles se mêlaient aux autres spectateurs, et, selon le mot de Nævius, bavardaient comme des cigales. Les nourrices mêmes apportaient dans leurs bras leurs nourrissons. Les courtisanes avaient soin de se placer au premier rang, tout près de la scène, pour se faire bien voir. Les femmes n’étaient pas seulement un élément de désordre, le plus bruyant de tous ; elles jouaient un rôle dans ces cabales qui décidaient du sort des pièces. Térence attribue en partie à leurs cris (clamor mulierum) la chute de l’Hécyre. Enfin, il se trouvait dans l’assistance jusqu’à des esclaves, qui réussissaient à s’y glisser grâce à la confusion des rangs et à la licence de la fête, et qui, malgré les objurgations de l’acteur, qui, pour les engager à s’en aller, leur vantait les charmes du cabaret, ne semblaient pas décidés à céder la place aux hommes libres. Figurons-nous tout ce monde qui crie à la fois, qui trépigne, qui se dispute les bonnes places, tandis que les agens de police (dissignatores, conquisitores), qui veulent les mettre d’accord, ne font qu’augmenter le tapage. Voilà le public auquel s’adresse l’auteur dramatique et qu’il lui faut, à tout prix, amuser pour qu’il se tienne tranquille.

II

C’est la grande préoccupation de Plaute ; il cherche avant tout à se faire écouter des spectateurs pour les retenir sur ces bancs qu’ils sont toujours prêts à quitter dès qu’ils s’ennuient. Il faut d’abord qu’il rende sa pièce aussi claire que possible et que tout le monde puisse sans effort la comprendre. Aussi commence-t-il par la leur raconter en détail dans le prologue. C’est peut-être leur ôter le plaisir de la surprise, mais c’est leur rendre l’intelligence du sujet plus facile, c’est leur mettre d’avance un fil dans les mains qui leur permettra de se conduire à travers toutes les péripéties de l’intrigue. Si, malgré tout, il y reste quelque obscurité, il n’hésitera pas à recourir aux procédés les plus naïfs pour la dissiper. Les personnages, de peur qu’on n’en ignore, s’annoncent eux-mêmes ou annoncent les autres : « C’est moi qui suis le parasite. » — « Vous voyez cette femme qui marche la première, c’est celle dont mon maître est amoureux. « Ils ont soin de se tenir en communication constante avec le public ; à tout propos, ils lui parlent, l’interrogent. Un esclave qui a trompé son maître pendant son absence et qui apprend qu’il est de retour, un mari qui a fait des infidélités à sa femme et qui redoute la scène qu’elle va lui faire, se tournent piteusement vers l’assistance et demandent s’il ne s’y trouve pas quelque bonne âme qui consentirait à prendre leur place pour un moment. Voilà le public devenu lui-même une sorte de personnage comme les autres, et l’on peut être sûr qu’il s’intéressera davantage à la comédie dans laquelle on lui fait jouer un rôle.

Plante ira plus loin, s’il le faut ; il est résigné à satisfaire tous les caprices du public, même les moins raisonnables. S’il craint que la pièce ne lui semble trop longue, il s’empressera de l’abréger ; elle n’est pas encore finie, il reste quelques scènes à jouer pour que l’action soit terminée ; mais, si l’on ne tient pas à les entendre il les passera ; un des acteurs s’avancera devant les spectateurs et viendra leur raconter le dénoûment en quelques mots[8]. Voilà un procédé très primitif ; mais que voulez-vous ? ils s’impatientent ; comme il leur a fallu se lever de bonne heure, quelques-uns n’ont pas pris la précaution de déjeuner, ils ont faim, ils ont soif ; il faut leur permettre de rentrer chez eux au plus vite. Sans doute la belle ordonnance des pièces grecques qui servent de modèle au théâtre latin risque d’être compromise ; on dira que les règles sont violées : qu’importe ? Y a-t-il d’autre règle que de contenter les spectateurs ? C’est pour eux que la comédie est faite :


Horum causa hæc agitur spectatorum fabula.


Il faut donc avant tout qu’ils soient servis à leur gré : Plaute ne connaît pas d’autre poétique.

On lui a très durement reproché ce soin qu’il avait de plaire au public. Horace a dit de lui « qu’il ne cherche qu’à mettre un écu dans sa bourse et que le reste lui est indifférent. » Ce mot cruel est injuste s’il signifie que Plaute était un de ces hommes avides qui ne se sont préoccupés que de faire fortune. Le pauvre homme n’avait pas de visées si hautes, il voulait seulement se procurer de quoi vivre. Il avait connu la misère, et de toutes les misères la plus pénible, celle qui vient après l’aisance : Varron raconte, — et nous n’avons aucune raison qui nous empêche de le croire, — qu’il s’était ruiné dans des entreprises commerciales ; il fut forcé, pour ne pas mourir de faim, de louer ses bras à un boulanger et de tourner la meule. On comprend qu’il ait conservé un souvenir amer de cette mésaventure, et qu’il soit heureux démettre dans sa bourse cet écu qui le sauve de la meule et du boulanger. Mais, pour le gagner, il faut réussir, car les auteurs ne sont payés qu’en raison du succès qu’ils obtiennent. Ces applaudissemens que Plaute mendie à la fin de ses pièces ne sont pas seulement pour lui une satisfaction d’amour-propre, ils sont une impérieuse nécessité. Faut-il s’étonner qu’il ait tout fait pour les mériter ?

Mais voici ce qu’il importe de remarquer : ces sacrifices qu’il faisait pour être applaudi ne lui ont au fond rien coûté ; les goûts du. public étaient les siens, il se contentait en le contentant ; c’est ce qui s’explique, je crois, par le milieu d’où il est sorti et la façon dont il a vécu. Sa jeunesse est parfaitement ignorée, mais il est très vraisemblable que son éducation ne s’est pas faite dans une école. Nous savons que, de bonne heure, il a fait partie du personnel d’un théâtre. Je ne crois pas que ce soit en qualité d’acteur[9] ; il devait être chargé de quelque entreprise accessoire, ou la fourniture des costumes et des objets nécessaires à la représentation, ou l’organisation de la claque, qui prit très vite une grande importance. Il s’était donc engagé dans quelqu’une de ces troupes errantes qui jouaient à Rome et dans les principales villes de l’Italie; il l’avait suivie dans ses pérégrinations, et s’était ainsi familiarisé avec le théâtre. Il avait connu de près les auteurs qui la fournissaient de pièces traduites du grec[10] et les acteurs qui les représentaient ; il s’était instruit par les succès et par les chutes. On comprend que, plus tard, quand des spéculations commerciales l’eurent réduit à la misère, l’idée dut lui venir naturellement d’imiter ce qu’il avait vu faire et de composer à son tour des comédies.

Ainsi il possédait, quand il commença, ce qui vaut mieux souvent que les leçons des professeurs, l’expérience ; il n’avait guère de souci de la perfection littéraire, n’écrivant pas pour des lecteurs. Il ne songeait qu’à ces gens qui, aux jours de fête, s’entassaient dans un théâtre pour entendre une pièce nouvelle, et ceux-là, il savait, pour l’avoir vu de ses yeux, comment on arrive à leur plaire. Le public fut son premier maître, et je crois bien que, dans la suite, il n’en a jamais eu d’autre. Il ne paraît pas avoir été, comme la plupart de ses confrères, le protégé d’un grand personnage ; personne ne nous dit qu’il ait vécu dans la clientèle d’un Scipion ou d’un Fulvius Nobilior, et peut-être ne se serait-il pas senti à l’aise en leur compagnie. Malgré sa réserve ordinaire, il s’est un peu moqué de leur air de grandeur et de gravité ; il aime à nous montrer les esclaves, quand ils ont fait un bon tour à leur maître, triomphans comme des généraux victorieux ; il leur met alors dans la bouche des phrases interminables, avec des entassemens de mots pompeux qui parodient les formules solennelles des harangues patriciennes. Évidemment il a dû fréquenter un monde assez bas. Il nous a laissé une topographie de Rome où les divers quartiers sont distingués d’après les malhonnêtes gens qui les habitent[11], et l’on voit bien que cette populace lui est parfaitement connue. Il en parle la langue avec une aisance merveilleuse ; lorsqu’il s’agit de mettre aux prises entre eux des esclaves, des parasites, de petits marchands, il possède une variété et une richesse d’injures inépuisable, qu’il avait sans doute acquise dans leur compagnie. Tous ces gens-là, qui formaient la majorité des spectateurs, devaient être enchantés de se reconnaître, de retrouver sur le théâtre les personnages qu’ils fréquentaient d’ordinaire, les scènes auxquelles ils assistaient tous les jours. Il me semble que cette communication entre l’auteur et son public anime encore aujourd’hui ses pièces, et que c’est ce qui les rend vivantes pour nous. Quand je le lis, à de certains passages étincelans de franche gaieté, d’irrésistible bouffonnerie, je crois entendre, du haut en bas des gradins, éclater le rire de la foule.

III

Nous nous sommes un peu attardés à regarder la cavea, à essayer de remettre sur ces bancs de pierre, aujourd’hui déserts, les gens qui venaient s’y asseoir. Pour comprendre quelque chose aux pièces de Plaute, il fallait d’abord faire connaissance avec son public. Maintenant que nous en avons une idée, nous pouvons nous retourner vers la scène.

Le spectacle va commencer ; la toile descend et se perd sous le théâtre. Nous avons sous les yeux un petit mur d’un mètre et demi de haut qui supporte la scène. C’est là que les acteurs vont se placer, en face du public, pour jouer la pièce. Cette petite élévation ne leur permet pas seulement d’être mieux vus de tout le monde ; elle a d’autres avantages, qui en font une sorte de nécessité pour tous les théâtres[12]. En séparant la scène du public, en la plaçant de quelques pieds au-dessus du sol où nous marchons, elle suggère instinctivement la pensée que l’action qu’on y représente se passe dans un monde un peu différent et supérieur ; elle nous fait attendre un tableau de la vie ordinaire, mais d’une vie légèrement idéalisée et grandie ; elle nous dispose à accepter plus docilement les conventions, qui nous choqueraient davantage si l’on ne nous transportait du premier coup un peu en dehors et au-dessus de la réalité pure ; elle est, en un mot, une des conditions de l’illusion dramatique.

Nous savons par Vitruve que la scène, dans les théâtres romains, était beaucoup plus profonde que chez les Grecs. À Épidaure, par exemple, elle n’a guère que trois mètres de profondeur ; elle en a tout au plus cinq ou six ailleurs. C’est vraiment bien peu, et l’on a eu raison de dire que, s’ils jouaient sur cette bande étroite, les acteurs, presque appliqués au mur du fond, devaient faire l’effet d’un bas-relief en mouvement. Il n’en est pas de même à Orange. La scène, depuis le petit mur qui la sépare de l’orchestre jusqu’à la partie la plus reculée de la porte du fond, mesure dix-huit mètres. C’est à peu près la profondeur du Théâtre-Français de Paris, en y comprenant l’avant-scène. Mais il faut se souvenir, pour rétablir les proportions véritables, qu’au Théâtre-Français, l’ouverture du cadre de la scène n’est que de 12m,40, tandis qu’elle devait être à Orange de plus de cinquante mètres, ce qui fait que la largeur n’y est plus en rapport avec la longueur ; ajoutons que les acteurs romains, encore plus que les nôtres, se tiennent aussi près que possible des spectateurs, de peur de n’être pas entendus ; ils évoluent donc en général sur un espace très étroit et fort long, qui semble avoir reçu plus particulièrement le nom de pulpitum, et qui devait être en général couvert d’un plancher de bois[13]. C’est ce qui permet de se rendre compte de certains jeux de scène qui reviennent sans cesse chez Plaute, et qu’on a d’abord quelque peine à comprendre. Les personnages étant presque toujours sur la même ligne et souvent fort éloignés les uns des autres, on peut aisément supposer qu’ils ne s’aperçoivent pas et admettre qu’ils parlent sans savoir qu’ils sont entendus. Le père de famille sort de sa maison, fort irrité d’un tour que son fils et son esclave lui ont joué et ruminant sa vengeance, et pendant ce temps, réfugiés à l’une des extrémités du pulpitum, l’esclave et le fils, qui ne perdent pas un mot de ses menaces, s’amusent de sa colère bavarde et prennent leurs précautions pour y échapper.

Comment les décors étaient-ils disposés sur la scène, et même y avait-il des décors ? À Orange, la grande muraille du fond, merveilleusement ornée de colonnes et de statues, semble bien avoir été une sorte de décor permanent qui servait pour toutes les pièces. Mais elle est d’un temps où les tragédies et les comédies ne paraissaient plus que par exception au théâtre ; on n’y représentait guère que le mime et la pantomime. À une autre époque, Vitruve distinguait trois sortes de décorations différentes, selon le caractère des pièces : des palais pour la tragédie ; pour la comédie, des maisons particulières avec des terrasses et des fenêtres qui laissent entrevoir ces fausses perspectives dont l’Italie n’a pas perdu le goût ; des sites rustiques, des arbres et des grottes pour le drame satyrique. Du temps de Plaute, la mise en scène devait être plus simple. La seule indication certaine que nous donnent ses pièces, c’est que, vers le fond du théâtre, contre la coulisse, il devait se trouver une maison ou deux, contiguës ou séparées, dont les portes s’ouvraient pour laisser sortir certains personnages, tandis que d’autres étaient censés venir du dehors par les portes du fond.

La maison donnait sur une place publique ou sur une rue, mais une rue d’une espèce particulière, où personne ne passera pendant toute la durée de la comédie. Les personnages y sont tout à fait à leur aise ; ils y parlent et y agissent comme s’ils étaient chez eux, tant ils paraissent sûrs qu’il ne surviendra pas d’importun. Les esclaves viennent y machiner leurs complots, les maris y caressent leurs maîtresses, sans aucune crainte d’être surpris. Dans la Mostellaria, une jeune fille, qui sort du bain, achève de faire sa toilette devant sa porte. Dans l’Asinaria, un vieillard qui veut s’amuser fait dresser une table en plein air, devant sa maison, et s’y place entre son fils et une courtisane, qu’il embrasse de temps en temps, à la grande joie des spectateurs. C’est dans la rue aussi que les deux esclaves du Stichus mangent, boivent et dansent, sans s’occuper des passans que pour dire que, s’il s’en présente quelqu’un, on l’invitera à prendre part au festin ; mais ils savent bien qu’ils ne risquent pas d’être dérangés.

IV

Malgré ces libertés que Plaute se donnait et que son public lui permettait de prendre, il n’en restait pas moins que la scène représentait une rue, et qu’il ne lui était possible d’y mettre que des actions qui pouvaient se passer en plein air. Cette nécessité limitait singulièrement le nombre des sujets qu’on pouvait traiter. C’est une des raisons qui ont condamné la comédie antique à une certaine uniformité. Dans le théâtre de Plaute, quelles que soient la richesse et la nouveauté des détails, le fond est toujours im peu semblable. Nous aurons à revenir sur cette monotonie ; quoiqu’elle ait d’autres motifs, on peut aussi l’attribuer en partie à la disposition de la scène.

Mais voici une conséquence beaucoup plus grave de la même cause. Du moment que la comédie ne quitte plus la place publique, la vie de famille lui échappe ; elle n’en peut plus montrer que ce qui se voit dans la rue, et ce n’est guère. Pour nous mettre sous les yeux ce qu’elle a de plus curieux, de plus attachant, il aurait fallu ouvrir cette maison si bien fermée et nous y introduire ; Plaute ne va jamais plus loin que la porte. Il ne semble pas du reste le regretter. Le monde qui habitait derrière ces murailles n’était pas le sien ; il devait l’avoir peu fréquenté, et ce qu’il en savait ne lui donnait pas le désir de pousser plus loin la connaissance. S’il ne jugeait les matronæ que par ce qu’en disent les maris, il ne devait pas avoir d’elles une opinion bien favorable. Le portrait qu’il en trace n’est pas flatté. Ce n’est pas qu’il les accuse de se mal conduire ; les grands scandales devaient être rares à cette époque, et, dans tous les cas, on n’aurait pas permis à un auteur comique de les porter sur la scène et d’en amuser le public. Mais, si celles que Plaute a représentées n’ont pas de faute grave à se reprocher, qu’elles sont insupportables ! il les montre si fières de la dot qu’elles ont apportée, si maussades, si exigeantes, si querelleuses, qu’on voit bien qu’il approuve ceux qui s’en tiennent loin et qui n’ont pas voulu s’embarrasser d’un ménage. Dans une des scènes les plus piquantes du Miles gloriosus, Périplécomène, à qui l’on demande pourquoi il ne s’est pas marié, répond qu’une femme coûte beaucoup trop cher, et il énumère avec une complaisance bouffonne tout l’argent quïl faut dépenser pour sa toilette ou ses plaisirs. Remarquons que Périplécomène est le sage de la pièce, que les autres personnages ont une grande considération pour lui et approuvent fort ses paroles. Le public aussi prenait grand plaisir à les entendre ; ce qui semble au moins l’indiquer, c’est que, pour le contenter, les acteurs y ajoutaient sans cesse quelques traits nouveaux[14].

Périplécomène ne s’en tient pas là, et, comme on lui dit « que c’est pourtant un honneur pour un homme riche et bien né d’élever des fils qui conservent son souvenir parmi les hommes et propagent sa race, » ce sentiment romain le touche peu, et il répond gaillardement : « Des fils ! qu’en ai-je besoin ? n’ai-je pas d’autres parens qui prennent soin de moi, et grâce auxquels je vis à ma fantaisie ? Le matin, avant que le jour ne brille, ils sont chez moi, pour savoir si j’ai bien dormi. Ils m’apportent des présens. S’ils offrent un sacrifice, ils me réservent le meilleur des viandes, ils m’en donnent plus qu’ils n’en gardent pour eux-mêmes ; ils m’invitent à les venir manger avec eux, ils me prient à déjeuner et à dîner ; ils sont au désespoir s’ils s’aperçoivent qu’ils ont moins donné que les autres. Sans doute, en les voyant lutter entre eux de libéralités, je me dis qu’ils en veulent à mon héritage. Mais, en attendant, je vis à leurs dépens et de leurs cadeaux. » Voilà ce qu’un siècle et demi plus tard, on appellera les avantages du célibat præmia orbitatis, dont tant de gens voulaient jouir. Ce mal, qui a rongé jusqu’à sa fin la société romaine, dont on se plaignait déjà du temps des Gracques, contre lequel Auguste a lutté toute sa vie, sans relâche et sans succès, il est plus ancien que nous ne pensons, il existait déjà, au moins en germe, à l’âge d’or de la république. Plaute, qui l’aperçoit, en plaisante et l’encourage. La scène du Miles gloriosus fait comprendre la colère de Mommsen contre la comédie romaine, qu’il accuse d’être immorale, ennemie de la famille et de la patrie, et justifie les reproches qu’il adresse aux magistrats de ne l’avoir pas interdite. Mais comment les magistrats se seraient-ils élevés contre elle ? Ils avaient dans le cœur les sentimens que les acteurs exprimaient sur la scène. Caton, le grand citoyen, le censeur rigoureux, pense et parle comme Plaute. Il n’a jamais manqué une occasion de dire des sottises aux femmes ; il ne se tient pas d’aise quand il rappelle avec quelle dureté la loi romaine les traite, et comme elle leur fait un sort différent de celui des hommes. « Si tu saisis ta femme en adultère, disait-il, tu peux la tuer sans jugement : c’est ton droit. « Et il ajoutait d’un air de triomphe : « Mais elle, si elle te surprenait, ne pourrait pas te toucher du bout du doigt : la loi le défend. » Plaute a mis la scène en action dans une de ses comédies. La femme de Ménechme, trompée par son mari qui lui prend ses plus beaux vêtemens pour les donner à sa maîtresse, envoie chercher son père, comme la femme de Georges Dandin, dans Molière ; mais les choses tournent autrement. Le père, dès le début, prend les intérêts du mari. Il blâme sa fille de le surveiller, et proclame comme un principe qu’elle doit lui laisser faire ce qu’il voudra ; et, quand elle lui dit qu’il est l’amant d’une courtisane qui habite à côté, il répond qu’il a bien raison :


At enim ille hinc amat meretricem ex proxumo. — Sane sapit.


Plaute ne s’est départi qu’assez rarement de sa sévérité envers les femmes de naissance libre. Trois ou quatre fois, dans tout son théâtre, il a consenti à les traiter avec un peu plus de bienveillance. Les deux sœurs du Stichus, que le père veut persuader de quitter leurs maris parce qu’ils sont pauvres, et qui refusent, la jeune fille du Persa, à qui le parasite, son père, demande d’entrer un moment dans un mauvais lieu pour jouer un méchant tour au maître de la maison, et qui a tant de peine à s’y résigner, sont de fort honnêtes personnes, mais qui manquent entièrement de charme. Placées dans des situations où leur âme devrait être profondément troublée, elles restent maîtresses d’elles-mêmes ; au lieu de gémir et de pleurer, elles raisonnent et discutent. C’est bien là, peut-être, le caractère d’une Romaine, et Plaute les a représentées avec les qualités qu’elles possédaient réellement ou qu’elles affectaient d’avoir, et dont elles étaient fières. Mais ces qualités ne paraissent pas l’avoir beaucoup séduit. Il est clair qu’il préférait à cette raideur le naturel, les caprices piquans, l’abandon aimable de ces jeunes courtisanes qu’il a dépeintes avec tant de grâce et quelquefois avec tant d’amour. On voit bien que c’était son monde ordinaire et qu’il ne s’en éloigne pas volontiers.

Une fois pourtant, une seule fois, Plaute semble avoir éprouvé pour une femme honnête, de naissance libre, qu’il a mise dans une de ses pièces, une complète sympathie. Il s’agit d’Alcmène, dans ce drame étrange d’Amphitryon, où tout est surprise pour nous, où les dieux, après s’être oubliés dans toute sorte d’équipées comiques, retrouvent à la fin la majesté de leur attitude. Alcmène aussi traverse des situations très risquées sans compromettre sa dignité de matrone. Elle aime son mari avec une tendresse inquiète, et en même temps elle a un grand souci de sa gloire ; elle aime son pays jusqu’à lui faire, sans se plaindre, le sacrifice de ses joies conjugales ; elle est douce, caressante, soumise, disposée à pardonner quelques rudesses d’Amphitryon ; mais, quand elle se juge gravement outragée elle se relève, elle se raidit, et, au lieu de se lamenter, elle demande bravement le divorce, avec les formules mêmes des jurisconsultes. L’Alcmène de Molière est loin d’avoir, dans les mêmes circonstances, autant de décision et de gravité. Après avoir paru plus coquette que tendre, quand vient l’orage, elle est plus violente que ferme. Mais, après tout, les deux poètes ont dépeint les femmes de leur pays et de leur temps. On voit bien que celle que Plaute a représentée n’est pas une de ces Grecques insignifiantes, dont Périclès disait : « que leur gloire consiste à ne faire jamais parler d’elles ni en mal ni en bien ; « c’est une matrone romaine, « unie indissolublement à son mari pour la bonne et pour la mauvaise fortune, » et qui sait qu’elle a droit à être respectée. Plaute, qui sans doute n’avait fait que l’entrevoir, l’a peinte ici avec tant de grandeur et de charme que nous ne pouvons nous empêcher de regretter qu’il n’ait pas franchi plus souvent le seuil de cette maison, devant laquelle il s’est trop respectueusement arrêté.

V

J’allais oublier un personnage qui, sans se mêler aux autres, sans prendre une part directe à l’action, y tient cependant une grande place : je veux parler du joueur de flûte. Il est là, dans un coin, à l’extrémité du pulpitum, près de la coulisse, et ne se repose que bien rarement jusqu’à la fin de la comédie. Non seulement il amuse les spectateurs pendant l’entr’acte, en leur jouant un petit air, et les empêche de s’en aller; mais, tant que dure la pièce, il est obligé, à chaque instant, de reprendre sa double flûte et « d’enfler ses joues. » C’est qu’il accompagne le canticum, et que les pièces anciennes, surtout celles de Plaute, se composent principalement de cantica.

Que voulait-on dire par ce mot ? Essayons d’en donner une idée, autant qu’on peut le faire quand on veut ménager le lecteur et lui épargner des explications trop scientifiques.

Le drame romain comprenait une partie parlée et une partie chantée. On voit donc que ce mélange des paroles et du chant, dont quelques critiques se moquent dans notre opéra-comique, remonte loin. Il est vrai que, chez les anciens, la différence entre le chant et les paroles était moins marquée qu’aujourd’hui. Le chant n’était guère alors qu’une sorte de mélopée qui faisait mieux sentir le rythme des vers, la suite des longues et des brèves, l’alternance du temps fort et du temps faible ; par conséquent, la parole chantée était, en somme, assez voisine de la parole parlée, et l’on devait passer de l’une à l’autre aussi facilement qu’on passe, dans l’opéra italien, du récitatif à la cavaiine. La différence entre les deux, chez les Romains, tenait surtout à la nature des vers qu’employait le poète ; les uns étaient faits pour être chantés et les autres simplement récités.

La poésie française est pauvre ; elle a surtout cet inconvénient que les poètes y sont réduits à se servir, dans des genres tout à fait différens, l’épopée, la satire, le drame, du majestueux et monotone alexandrin, qui ne peut pas pourtant suffire à tout. Les anciens, plus heureux que nous, possédaient un vers particulier, qu’ils réservaient au dialogue dans leurs pièces de théâtre. Ils l’avaient choisi, nous dit Aristote, par la raison qu’il était celui qui semblait revenir le plus souvent dans les conversations ordinaires, où l’on fait quelquefois des vers sans le vouloir. C’était, pour lui donner son nom savant, le trimètre iambique. Les Latins, qui le leur avaient emprunté, l’appelaient senariiis, parce qu’en réalité, il avait six pieds[15]. Ce vers, un peu moins long et plus familier que l’hexamètre dactylique, que l’épopée s’était approprié, plus alerte aussi et plus souple, semblait, par son rythme marqué, fait pour l’action[16] et convenait parfaitement au drame.

Ce qui distingue surtout le senarius, c’est qu’il n’est pas accompagné par la flûte[17], c’est-à-dire qu’il est récité et non chanté. Au contraire, les autres vers, de quelque nature qu’ils soient, font partie de ce qui se chante, ce qui revient à dire que tout ce qui n’est pas composé de senarii doit être rangé parmi les cantica[18]. Or, le nombre des morceaux de ce genre, dans le drame romain, est très considérable ; ils occupent en moyenne les deux tiers, quelquefois les trois quarts des pièces de Plaute. Le canticum était donc, dans ces pièces, la partie de beaucoup la plus importante. On en est fort étonné, surtout quand on se souvient que le chant avait presque disparu des comédies deMénandre, de Diphile, de Philémon, que Plaute imite d’ordinaire. Comme elles étaient devenues une sorte de drame bourgeois, avec des sujets tirés de la vie commune, il était naturel de mettre dans la bouche des personnages le langage de tous les jours. Aussi se servent-ils presque partout du vers de la conversation familière, du trimètre iambique. Pourquoi donc Plaute, qui s’était mis à leur école, ne les a-t-il pas suivis en cela, comme en d’autres choses ? Quelle raison avait-il de multiplier, autant qu’il l’a fait, les parties chantées ? Quand on le connaît, la réponse est facile : il a voulu plaire à son public. Il faut donc admettre ou bien que la rfice italienne avait déjà pour la musique le goût prononcé qu’elle n’a pas perdu, ou, ce qui est plus vraisemblable, que le développement régulier d’une intrigue, le charme des vers, la peinture des passions, l’expression des sentimens délicats et des idées élevées, dont les Grecs se contentaient, n’avaient pas un attrait suffisant pour les spectateurs romains, qu’ils exigeaient qu’on en relevât l’intérêt par la danse et le chant, c’est-à-dire qu’ils étaient plus sensibles à un plaisir plus matériel, qui s’impose surtout aux sens et qui n’a besoin, pour être saisi, d’aucun effort d’intelligence. Quoi qu’il en soit, c’était une très grave altération de la comédie grecque.

Dans cette partie chantée, qui tient tant de place chez Plaute, il y a des différences à faire, qui viennent de la nature des mètres dont il s’est servi. On s’accorde à distinguer deux genres de cantica, qui n’ont pas tout à fait le même caractère, quoiqu’on leur donne le même nom. Il arrive très souvent au poète de se servir de vers iambiques ou trochaïques de sept ou de huit pieds (septenarii, octonarii) qui étaient très populaires à Rome. Ces vers, un peu plus longs que le senarius, lui ressemblent beaucoup en réalité ; ils sont de même nature que lui, employés aux mêmes usages, par exemple à la conversation ordinaire, et il est souvent difficile de voir pourquoi, au beau milieu d’un entretien, le poète passe du vers plus court aux vers plus longs, et le motif qui fait qu’un peu plus loin, il revient au vers plus court. Ces changemens n’avaient probablement pas d’autre raison que le caprice de l’auteur et le goût du public. Au fond, ce sont des vers que rien ne paraît distinguer entre eux, si ce n’est que les plus longs sont accompagnés par la flûte, c’est à dire qu’ils sont chantés. De quelle façon l’étaient-ils ? Nous l’ignorons ; mais on peut soupçonner, avec quelque vraisemblance, qu’ils l’étaient d’une manière très simple, et que l’accompagnement et le chant y devaient être aussi peu accusés que possible.

L’autre genre de cantica a plus d’importance, ou plutôt c’est le canticumvéritable, Ce qui le caractérise, c’est qu’il se compose de vers très variés, de mesure diverse, d’inégale étendue, et qui sont véritablement des vers lyriques. Tel est, pour n’en citer qu’un exemple, celui domine le mètre qu’on appelle crétique (une brève entre deux longues), et dont il me semble que l’oreille la moins exercée saisit du premier coup le rythme vif et sautillant. Dans la Casina, une femme se précipite sur la scène et exprime par ces mots son épouvante :


Nulla sum, nulla sum, tota, tota occidi.


Ailleurs, un jeune amoureux, très pressé de revoir celle qu’il aime, s’adresse à la porte de sa maîtresse, et lui demande de s’ouvrir pour le laisser entrer :


Pessuli, heus, pessuli, vos saluto lubens,
Vos amo, vos volo, vos peto atque obsecro.


Le crétique et d’autres pieds de même nature, en général vifs et alertes comme lui, forment, en se combinant ensemble, des vers qu’il ne nous est pas toujours facile de scander. Dans la manière dont ils se suivent ou se mêlent entre eux, on ne retrouve plus la strophe et l’antistrophe, qui se répondent si harmonieusement dans les chœurs de Sophocle et d’Aristophane. S’il y a une loi qui préside à la façon dont ils sont distribués, ce qui est assez vraisemblable, on ne l’a pas découverte. Mais leur caractère lyrique et musical ne peut pas être méconnu. Il ne se manifeste pas par la pompe des expressions, l’éclat des images, le mouvement de la pensée et une sorte de feu intérieur, comme dans les odes de Pindare ou chez les modernes. Les signes en sont plus matériels : c’est une certaine ampleur dans le développement, l’accumulation des mots, le retour des assonances. Les vers de ce genre remplissent quelquefois des scènes entières, dans lesquelles les poètes mettent aux prises des personnages qui s’attaquent et se répondent[19] ; mais, plus souvent, ils sont réservés à des monologues et à des tirades où l’un des acteurs garde tout le temps la parole. Ces monodies ont pris dans le drame romain de plus en plus d’importance, et c’est à elles que le nom de canticum a fini par être uniquement réservé[20]. Le public témoignait pour elles le goût le plus vif ; il les applaudissait avec furie, il les faisait répéter jusqu’à fatiguer l’acteur qui était chargé de les dire. La musique en était composée par un artiste spécial, dont le nom se lisait sans doute sur l’affiche, puisqu’il a été conservé dans les didascalies de Térence, et l’on raconte que les airs qu’il mettait sur les paroles du poète obtenaient assez de popularité pour qu’en les entendant, on reconnût la pièce à laquelle ils appartenaient, et que, « dès les premiers sons de la flûte, on dît : C’est l’Andromaque ; ou : C’est l’Antiope. » Malheureusement, rien ne s’est conservé de cette musique, et nous avons perdu avec elle un élément essentiel du théâtre ancien. N’oublions pas, quand nous relisons les comédies de Plaute, que nous n’avons plus pour les juger qu’une partie de ce qui en faisait le charme. Si l’on veut être équitable, il faut tenir compte de ce qu’y ajoutait d’agrément le joueur de flûte ; et voilà pourquoi j’ai cru devoir l’aller chercher dans ce coin de coulisse où il se dissimule, pour le présenter aux lecteurs.

VI

Nous venons d’étudier, un peu sommairement peut-être, les dispositions essentielles d’un théâtre antique ; nous savons à peu près ce que c’est que le pulpitum ; il est temps d’y introduire les acteurs qui vont représenter la pièce et de faire quelque connaissance avec eux. La connaissance sera bientôt faite, car leur nombre n’est pas considérable. Apulée, dans une de ces phrases maniérées et balancées, dont il a l’habitude, en nomme douze[21] ; mais il est facile de voir que le goût qu’il a pour les assonances et la symétrie l’a entraîné trop loin, il y a plus d’un double emploi dans sa liste , en réalité, ils ne sont guère que huit ou neuf. Ce personnel réduit suffit aux pièces anciennes. Naturellement le public, qui les voyait reparaître sans cesse devant lui, était devenu très familier avec eux ; ajoutons que, pour qu’il ne pût pas s’y tromper, on leur avait arrangé un costume qui du premier coup les faisait reconnaître. L’usage des masques ne devint général à Rome qu’un peu plus tard, et les acteurs tragiques ou comiques, qui cherchaient avant tout à se grandir, en étaient réduits à se coiffer de vastes perruques, qui différaient d’après l’âge et la condition des personnages : les vieillards la portaient blanche, les jeunes gens blonde, les esclaves rousse. C’était une première indication, et qui s’aperçoit de loin ; en voici d’autres, encore plus significatives. L’esclave est vêtu d’une tunique courte et d’un petit manteau qu’il rejette sur l’épaule pour courir plus vite quand il est pressé ou qu’il fait semblant de l’être (servus currens). Le manteau du parasite est plus étoffé, pour qu’il puisse s’en draper à l’occasion et paraître un homme grave ; il a quelquefois un bandeau sur l’œil, ou même il est tout à fait borgne : c’est le triste résultat d’une de ces batailles qui se livrent à la fin des repas, où on lui jette des bouteilles à la tête sans pouvoir lui faire quitter la place. Le capitan (Miles gloriosus) est couvert d’une chlamyde rouge et porte une sorte de toque crânement posée sur sa tête. Quant au souteneur (leno)[22], « l’exécration des dieux et des hommes, » son extérieur doit faire deviner le métier qu’il fait et justifier la haine qu’on lui porte ; il est chauve, camus, avec un front ridé, des sourcils en broussailles ; surtout il est affublé d’un ventre énorme (ventriosus, cim ventre collatitio), qui le désigne aux huées de l’assistance. On ne nous dit rien de précis du costume des femmes, mais il est vraisemblable que les adolescens qui en remplissaient le rôle devaient être fort bien vêtus et porter d’élégantes tuniques grecques. Le seul renseignement qu’on nous donne, c’est qu’ils sont mis « avec goût et à la dernière mode, concinne et nove. » Il fallait que la jeune courtisane, quand elle apparaît sur le seuil de sa porte, pût faire à l’amoureux, qui l’attend et l’appelle, l’effet d’un printemps en fleur :


                                              Ver vide ;
Ut tota floret ! ut olet ! ut nitide nitet !


En réalité, ces personnages, toujours vêtus du même costume, qui se présentent avec la même attitude, qui expriment les mêmes sentimens, et répètent à peu près les mêmes paroles, sont moins des individus que des types. Cela est si vrai que souvent, sur les manuscrits, on ne les désigne pas par un nom propre, on les appelle simplement : le vieillard, le jeune homme, le parasite, etc. Par là, cette comédie touche à l’Atellane ; la seule différence, c’est qu’elle présente au public des types généraux, la courtisane, le soldat, le souteneur, etc., au lieu de quelques individualités grotesques, Pappus, Bucco, Maccus, c’est-à-dire quelque chose comme Arlequin et Polichinelle. L’emploi d’un petit nombre d’acteurs, toujours les mêmes, présentait sans doute beaucoup d’inconvéniens ; il nuisait surtout à la variété des pièces et rendait plus difficile d’inventer des sujets nouveaux. Mais les anciens y trouvaient aussi quelques avantages, notamment celui de simplifier l’exposition. Il faut bien qu’un auteur fasse connaître, au début de sa comédie, les gens qui vont agir et parler, surtout si leur caractère présente quelques singularités piquantes, s’il est plein de ces nuances compliquées auxquelles nous nous plaisons aujourd’hui. Ces explications, pour être claires, lui prendront quelque temps, et il sait bien qu’il n’a pas de temps à perdre. Les poètes anciens, comiques ou tragiques, qui ne se servaient que de personnages connus, étaient en grande partie délivrés de ce souci. Un mot suffisait pour mettre le spectateur au courant ; et même ce mot, il était presque inutile de le dire, on n’avait besoin que d’ouvrir les yeux pour savoir à qui l’on avait affaire. Dès qu’on apercevait le ventre du souteneur ou la chlamyde rouge du capitan, le rire s’éveillait de lui-même. C’étaient de vieilles connaissances, qu’on avait plaisir à revoir. On se souvenait des sottises qu’auparavant on leur avait dites, des bons tours qu’on leur avait joués, des heures de plaisir qui s’étaient passées si vite à les voir et à les entendre, et la pièce nouvelle profitait du succès de celles qui l’avaient précédée.

Ce genre de mérite devait être encore plus apprécié à Rome qu’ailleurs. On a vu que le public y était d’ordinaire assez mal disposé à écouter, et qu’il ne voulait pas se donner beaucoup de peine pour comprendre. C’était le servir à souhait que de faire paraître devant lui des gens avec lesquels il était familier de longue date et qui n’avaient pas besoin de se nommer pour qu’on les reconnût. En les voyant, on savait ce qu’ils avaient déjà fait et l’on soupçonnait ce qu’ils allaient faire ; sans presque les écouter, on devinait ce qu’ils devaient dire. Il importait peu qu’on se laissât distraire un moment par quelque incident inattendu, qu’on fût dérangé par son voisin ou assourdi par sa voisine ; dès qu’on rejetait les yeux sur la scène et qu’on y voyait les personnages qui l’occupaient, on se remettait vite au courant de l’action. Voilà, je crois, une raison de plus qui explique qu’avec une acoustique si imparfaite et un public si désordonné, on ait pu suivre une pièce jusqu’au bout sans un grand effort d’attention, et comment on parvenait à s’y intéresser et à la comprendre, même quand on n’en entendait qu’une partie.

Tout n’est pas encore fini. Nous avons amené les acteurs du fond du théâtre sur le devant de la scène. Ils ont fait leur entrée, ceux-ci par la porte qui conduit à la place publique, ceux-là par celle qui mène à la campagne, de façon qu’en les voyant arriver, nous savons d’où ils viennent ; et comme, en même temps, nous devinons à leur costume ce qu’ils doivent être, nous sommes parfaitement renseignés sur eux avant qu’ils n’aient ouvert la bouche. Les voilà enfin sur le pulpitum, en face du public. Ils vont représenter devant lui la pièce qu’il est venu entendre.

Ici, nous sommes bien forcés de nous arrêter, et pourtant notre curiosité n’est pas encore tout à fait satisfaite. Ne pouvant pas, comme le public romain, assister à la représentation elle-même, nous voudrions au moins qu’il nous fût possible de nous la figurer ; c’est précisément ce qui est assez malaisé. Les quelques peintures de vases où ce sujet est esquissé sont tout à fait insuffisantes ; pour en avoir une idée un peu plus nette, il faut s’adresser ailleurs, et voici, je crois, où nous devons aller nous renseigner.

Les anciens ont connu, comme nous, l’industrie des livres illustrés ; on dit que c’est Varron qui, à Rome, la mit à la mode. Nous en avons heureusement conservé quelques échantillons, et, dans le nombre, des manuscrits de Térence, qui sont couverts de dessins très curieux[23]. On ne peut douter que ces dessins ne reproduisent un original très ancien : au xe siècle, quand le manuscrit où ils se trouvent fut copié, personne ne connaissait plus le costume des acteurs antiques et n’était capable de le dessiner avec cette exactitude. C’est donc plusieurs siècles auparavant que ces figures ont été tracées, et probablement à une époque où les pièces de Térence n’étaient pas encore exilées des théâtres. Certains détails qu’on y remarque n’ont pas été suggérés par la lecture et semblent venir directement de la scène. On peut donc soupçonner que ces dessins nous conservent quelque chose du spectacle que la comédie romaine offrait au public, et que, jusqu’à an certain point, ils nous la remettent sous les yeux. Tous les personnages y sont, et les masques qu’ils portent nous les font d’abord reconnaître. Voilà bien l’esclave, le souteneur, le parasite, avec leur grosse face grotesque, leurs rides profondes, leur bouche énorme. Les autres sont mieux traités ; les masques des jeunes gens et des femmes ont un peu plus d’élégance, des traits plus réguliers, des lèvres à peine entr’ouvertes. Ce ne sont pas seulement des figures isolées, mais des scènes qui sont reproduites. On y voit se succéder de page en page les incidens ordinaires de la comédie romaine : on se dispute, on s’accorde; les fils s’irritent ou se lamentent ; les pères grondent ; les amoureux se querellent ou s’embrassent. Mais c’est l’esclave qui partout tient le premier rôle, et l’on voit bien qu’il est l’âme de la comédie antique ; tantôt on nous le montre, la main sous le menton, qui médite une fourberie profonde ; tantôt il se glisse derrière son jeune maître pour l’encourager à soutenir les reproches de son père ou lui souffler à l’oreille quelque adroit mensonge : il trompe le vieillard, il joue le souteneur, il dupe le capitan. Pas un moment il ne reste en repos; il se livre aux contorsions les plus comiques, et il y a tant de mouvement, tant de vie, dans ce corps agile et souple, que quelquefois, par une sorte d’illusion, le masque lui-même, ce masque grimaçant et immobile, semble prendre, suivant les situations, des expressions différentes. En somme, l’idée que ces dessins nous donnent des acteurs de ce temps, c’est que leur jeu devait être singulièrement vif et animé. On se remuait beaucoup sur les théâtres romains ; on y faisait volontiers de grands gestes, ce qui n’est pas pour déplaire à des spectateurs méridionaux. Ces bras, qu’on voit toujours dressés et tendus, ces mains ouvertes, « des mains qui parlent, manus argutae » comme on disait, annoncent que la pantomime va naître, et font prévoir l’accueil qu’elle recevra du public.

Il y avait alors, nous le savons, deux sortes de comédies, celles qui devaient être jouées avec plus de calme, et celles qui comportaient plus d’agitation, ou, pour les appeler par leur nom, les statariæ et les motoriæ. Si les pièces de Térence, qu’on rangeait parmi les statariæ, exigeaient des acteurs un jeu si désordonné, qu’on juge ce que devaient être celles de Plaute !

VII

J’ai essayé de montrer comment Plaute avait résolu le problème de se faire entendre, dans un vaste espace découvert, de spectateurs distraits et bruyans, qui, au fond, avaient peu de goût pour le spectacle qu’on leur offrait, et par quels moyens il était parvenu à s’imposer à leur attention. Il y a des critiques qui ont été fort étonnés qu’il y eût si pleinement réussi : et il faut bien avouer que la lecture de ses ouvrages, quand on les étudie avec soin, paraît quelquefois justifier leur surprise. On y voit assurément quelles sont les raisons qui l’ont rendu si populaire, mais il y en a d’autres aussi, qui, à ce qu’il semble, auraient dû l’empêcher de l’être. Il faut, avant de finir, se demander comment il se fait qu’elles n’aient pas nui davantage à ses succès.

Parmi les défauts de ses pièces, il y en a un que j’ai déjà signalé ; le sujet en est très peu varié et il semble qu’on aurait dû finir par se lasser de voir toujours reparaître sur la scène les mêmes personnages et les mêmes aventures. Mais c’est une erreur de croire que le gros public soit très friand de nouveautés ; elles le déconcertent plus qu’elles ne l’amusent. Il ressemble aux enfans qui veulent qu’on leur raconte toujours la même histoire et qui se fâchent quand on y change quelque chose. Il est remarquable qu’à Rome, la comédie imitée du grec cessa de plaire aux spectateurs le jour où, écoutant quelques lettrés délicats, elle essaya de se rajeunir ; le peuple lui préféra le mime, qui n’avait pas ces scrupules, et lui servait à peu près toujours le même spectacle. Nous avons la preuve qu’un mime célèbre, le Laureolus, qui représentait le sujet éternellement populaire de la lutte d’un voleur avec la police, fut joué pendant plus d’un siècle. En réalité, le peuple ne tenait pas à l’intrigue, et, comme Plaute avait tous les goûts du peuple, il n’y tenait pas plus que lui. Elle est pour lui uniquement un cadre commode, dans lequel il place les scènes qui lui plaisent, et qui sont aussi celles qui plaisent le plus au public. Quand il faut mettre aux prises des esclaves qui se querellent entre eux, ou qui injurient le souteneur et le capitan, il ne s’arrête plus. Ces sortes de disputes devaient avoir pour les spectateurs de Rome un ragoût particulier ; elles leur rappelaient les origines mêmes de leur théâtre. Du temps qu’on vivait aux champs, la vendange ou la moisson finies, quand on avait offert un sacrifice aux dieux de la campagne, on s’asseyait en cercle sur le gazon, « en face du zéphyr, » et l’on écoutait deux gaillards, qui sans colère, sans passion véritable, pour le seul plaisir d’exercer leur verve et d’égayer l’assistance, faisaient assaut de sottises. Plaute rendait aux Romains quelque chose de leurs anciens divertissemens,et nous pouvons être sûrs qu’ils prenaient plus de plaisir à ces querelles d’esclaves, qui leur rappelaient les opprobria rustica de l’ancien temps, que si l’on s’était donné la peine de composer pour eux une pièce bien faite, avec un dénoûment nouveau et des personnages qu’ils n’avaient jamais vus.

Ce qui paraît au premier abord plus grave, c’est que les pièces de Plaute sont traduites des comédies grecques, et l’on suppose que les Romains ont dû être mal disposés pour un théâtre étranger ; mais ici encore on se trompe. Les Romains de ce temps n’aspiraient pas à la gloire des lettres ; rien n’était plus loin de leurs idées que d’envier à la Grèce ses artistes et ses poètes. Ce qu’ils voulaient, c’est qu’il ne manquât rien à l’éclat des jeux qu’on leur donnait, et qu’on allât chercher partout, pour les amuser, ce qu’il y avait de plus curieux. Ils avaient entendu dire que les meilleures comédies venaient d’Athènes, comme le bon vin venait de Chio ; il fallait donc qu’on se fournît de comédies en Grèce. Aussi Plaute ne fait-il pas comme les imitateurs ordinaires qui dissimulent leurs emprunts ; lui, au contraire, proclame hautement l’origine de ses pièces, convaincu que ce sera une recommandation pour elles.

Il y avait pourtant, à imiter trop exactement un théâtre étranger, un péril qu’il n’était pas toujours possible d’éviter. Le sujet d’une pièce faite pour un certain pays peut ne pas convenir à un autre. Il arrive, par exemple, que, dans beaucoup de comédies grecques, on suppose qu’une jeune fille a été violée la nuit par un inconnu, dans la confusion d’une fête religieuse ; un grand nombre d’autres se dénouent par des reconnaissances tout à fait imprévues : un père retrouvant, dans un jeune esclave ou une courtisane du voisinage, des enfans qui lui ont été volés autrefois par des pirates ; comment faire accepter des fables de ce genre à Rome, où la police des temples était bien faite, et dans un pays comme l’Italie, moins exposé aux rapines des pirates que les côtes accidentées de la Grèce ou des îles de l’Archipel ? On ne peut comprendre la complaisance que mettait le public romain à les supporter, qu’en songeant qu’il s’agissait de l’intrigue, et que l’intrigue lui était, comme on vient de le voir, parfaitement indifférente. Du reste, le public français du xviie siècle ne s’est pas montré plus sévère pour certains dénoûmens de Molière, qui reproduisent fidèlement ceux des pièces latines, et qui pour cela n’en sont pas plus raisonnables.

L’inconvénient est plus grand pour les caractères. Nous ne reconnaissons les personnages au théâtre que si nous les avons connus dans la vie réelle, et, quand ils ne sont pas de notre pays et de notre temps, quand ils diffèrent avec nous d’humeur et d’idées, on ne s’applique pas les leçons qu’ils nous donnent, et l’on risque de ne pas s’intéresser à leurs aventures. Mais il faut remarquer ici que la comédie de Ménandre, qui a servi de modèle aux Romains, a ses racines dans la philosophie socratique, et que l’école de Socrate, ayant pour maxime la connaissance de soi-même, plonge jusqu’au fond de l’âme et va chercher les passions à leur source, c’est-à-dire avant que le commerce de la vie, les intérêts, les relations, les aient revêtues d’apparences diverses, en un mot qu’elle étudie l’homme en soi, et cherche surtout à découvrir ses qualités essentielles et universelles. Les poètes élevés dans ces principes, quand ils travaillent pour le théâtre, ont dû donner à leurs personnages de ces traits simples et généraux qui conviennent à tous les pays et leur permettent de n’être tout à fait étrangers nulle part. À Rome, comme ailleurs, ce fond d’humanité les faisait du premier coup reconnaître, et l’on passait facilement sur les différences. Assurément les fils de famille y étaient tenus plus sévèrement qu’en Grèce, et respectaient davantage la patria potestas. Cependant il devait bien s’en trouver quelques-uns qui entretenaient des maîtresses, faisaient des dettes et trompaient leurs parens ; c’était bien assez pour que le public pût comprendre les jeunes débauchés d’Athènes. Sans doute aussi les Romains n’étaient pas tendres à leurs esclaves, et il y avait de quoi les surprendre, de voir que les Grecs leur témoignaient parfois tant d’égards. Cependant tous n’étaient pas aussi durs que Caton, et l’on citait des maisons où c’était vraiment l’esclave qui était le maître. D’ailleurs, quand Plante craint qu’on ne soit trop scandalisé des libertés qu’il leur laisse prendre, il en est quitte pour leur faire dire : « Songez que nous sommes à Athènes, et que ces choses-là nous y sont permises ; » ce qui prouve que le public avait oublié qu’on n’était plus à Rome. Je ne vois qu’un seul de ces personnages dont il était difficile de trouver l’analogue chez les Romains ; c’est le capitan, c’est-à-dire l’officier de fortune, qui levait une compagnie parmi les gens sans aveu, Fallait mettre à la solde de quelque roitelet d’Asie, puis revenait dépenser à Athènes, dans la société des parasites et des courtisanes, ce qu’il avait gagné. Rome ne connaissait pas ces sortes de soldats mercenaires, et c’est peut-être parce que les poètes, qui les mettaient sur la scène, n’avaient pas l’original sous les yeux, et qu’ils travaillaient de fantaisie, qu’ils sont allés à l’extrême, et qu’au lieu d’un portrait, ils font si souvent une caricature. Mais même ici je vais trop loin, quand je dis qu’il n’y avait rien, chez les Romains, qui pût leur faire comprendre les Thrason et les Pyrgopolinice. N’y pouvait-on pas trouver, en cherchant bien, quelques centurions vantards, qui, au retour d’une campagne d’Afrique, faisaient sonner leurs exploits et les racontaient volontiers devant un auditoire de dames ? C’étaient sans doute de légers travers, mais qui rendaient moins invraisemblables les ridicules énormes des autres.

Ainsi, il y avait dans les personnages de la comédie grecque assez de vérité générale et humaine pour qu’ils ne parussent pas tout à fait étrangers sur la scène de Rome, et, même si Plaute s’était contenté de les reproduire exactement, on les aurait reconnus et l’on se serait amusé de leurs aventures.

Mais il a fait davantage : tout en conservant le fond du caractère, par une foule de modifications de détail, il les a rendus plus qu’à moitié romains. Ce n’est pas qu’il ait cherché de parti pris à le faire : il croyait sincèrement n’y avoir rien changé ; mais, quoiqu’il prétende quelque part « qu’il a transporté Athènes au milieu de Rome, sans avoir besoin d’architecte, » et qu’il dise aileurs : « Nous sommes en Étolie, » on s’aperçoit bien qu’on n’est pas en Grèce, quand on l’entend parler du Forum et de la contio, des édiles et des préteurs, de la porte Trigémine et des marchands du Vélabre. Ce ne sont là que des vétilles, mais il y a aussi des altérations plus profondes. Plante n’était pas un critique assez expérimenté, il ne savait pas assez se détacher de lui-même, pour voir les auteurs qu’il imitait comme ils sont ; les personnages que ces auteurs font agir et parler lui apparaissent tels qu’il les a vus autour de lui et qu’il les a fréquentés, et, sans le vouloir faire, il les peint comme il les connaît. De cette façon, il devient original à son insu, ce qui est la meilleure façon de l’être. Certes, dans les changemens qu’il leur fait subir, tout n’est pas profit pour eux. Il commence en général par leur appliquer une couche de grossièreté. Les connaisseurs, les délicats, épris de l’art grec, en seront plus tard indignés, et regretteront de ne plus reconnaître ces personnages distingués, ces jeunes élégans, ces sages diseurs de belles maximes que représentait Ménandre ; mais le public de Plante trouvait un grand plaisir à les voir sous la forme nouvelle qu’il leur avait donnée. Quelques-uns d’entre eux prennent, dans ses pièces, un merveilleux relief : le souteneur, par exemple, — est-il possible d’oublier cette étonnante création de Ballio, si brutal, si franchement cynique, et les recommandations impudentes qu’il adresse, dans le Pseudolus, à son troupeau de femmes, quand il les quitte[24] ? — et, à côté du souteneur, un autre personnage, qui paraît appartenir à une époque plus récente, et qu’on ne s’attendait pas à trouver du temps des guerres puniques, le banquier. Nous sommes beaucoup trop tentés de croire que nous avons inventé la question d’argent ; elle a tourmenté les Romains presque autant que nous, et de très bonne heure. Dans Plante, un personnage affirme qu’une jeune fille, quelle que soit sa réputation, trouve toujours à se marier, pourvu qu’elle ait une dot ; et un autre, à qui l’on tournait le dos quand il était pauvre, et qui voit tout le monde lui tendre la main depuis qu’il est riche, s’écrie :


Videte, quæso, quid possit pecunia !


Si l’argent a tant de puissance, il est naturel que les banquiers aient quelque crédit. Plaute, qui devait avoir eu des démêlés avec eux du temps qu’il était dans les affaires, les traite fort mal. Il les représente comme des voleurs ; il nous dit qu’ils ont un moyen très simple de s’enrichir, c’est de prendre l’argent et de ne pas le rendre. Quand on vient le réclamer, ou bien ils se sauvent « plus vite que le lièvre à qui l’on a ouvert la porte, » ou, s’ils se sentent plus d’audace, ils s’acquittent à grands coups de poing. Ces personnages étaient, pour les spectateurs, de vieilles connaissances. Qui d’entre eux n’avait rencontré Ballio, dans la rue des Toscans, « où l’on trouvait plus de courtisanes qu’il n’y a de mouches quand il fait très chaud ? » Quant au banquier Lyco (le Loup), on pouvait le voir tous les jours, au Forum, dans ces petits passages, qu’on appelait des Janus, derrière sa table, fort occupé à peser les écus dans sa petite balance, et à tenir ses comptes.

Rien n’empêchait donc, quoi qu’on ait dit, le public romain de se plaire aux comédies de Plaute. Il savait bien qu’elles étaient traduites du grec, mais cette provenance lui était fort indifférente, du moment que, sous le pallium, il reconnaissait des gens qu’il voyait autour de lui porter la toge ; et, comme on a vu plus haut que ces pièces répondaient tout à fait aux exigences des théâtres antiques et au goût des spectateurs, il est naturel qu’elles aient obtenu un grand succès. Non seulement elles furent très applaudies lorsqu’on les joua pour la première fois, mais, longtemps après, quoiqu’on eût alors Cæcilius et Térence, le peuple les regrettait et voulait les revoir ; et lorsqu’on les reprit, un demi-siècle après la mort de Plaute, l’entrepreneur qui les rendit à la scène pouvait dire « qu’elles étaient comme le bon vin, qui de vient meilleur en vieillissant. »


Gaston Boissier.
  1. Monumens antiques à Orange, arc de triomphe, théâtre, par Caristie. Paris, Didot, 1856.
  2. Je laisse de côté les théâtres couverts, appelés quelquefois des Odéons, beaucoup plus petits que les autres, qui devaient servir à des concerts de musique, peut-être aux lectures publiques. On en a trouvé un à Pompéi, à côté du grand Théâtre.
  3. L’ensemble de ces toiles, ou vela, formait ce qu’on appelait le velarium. Dans les affiches de spectacle qu’on a trouvées à Pompéi, on annonce, pour attirer les spectateurs, qu’ils seront abrités du soleil : vela erunt.
  4. Les précinctions étaient des paliers qui séparaient les divers étages.
  5. À propos du nombre des spectateurs que contenaient les théâtres anciens, on s’est longtemps contenté de reproduire un document qui remonte à l’époque de Constantin et dans lequel on avait une pleine confiance. Caristie fut le premier, dans son ouvrage sur les Monumens d’Orange, qui fixa des chiffres très inférieurs. Dans ces dernières années, la question a été reprise par M. Hülsen, qui a donné raison à Caristie, et qui a essayé d’expliquer d’où viennent les exagérations des Régionnaires romains. Selon lui, le théâtre de Pompée ne pouvait contenir que 9 000 ou 10 000 spectateurs, au lieu de 18 000 que donnent les Régionnaires ; le Colisée, 45 000, au lieu de 87 000 (Bollettino della commissione dell’ Archivio comunale di Roma, 1894). D’après Caristie, le théâtre d’Orange contenait de 6000 à 7 000 places. C’est encore beaucoup, quand on songe que l’Opéra, à Paris, n’en a que 2 150 et le Théâtre-Français 1 400.
  6. On croit que plusieurs de ces prologues ne sont pas authentiques, mais ils sont tous fort anciens et des années qui ont suivi de près la mort de Plaute.
  7. Dans le prologue de l’Amphitryon.
  8. Dénoûment de Casina.
  9. C’est l’opinion de Ritschl. Récemment M. Léo l’a combattue dans ses Plautinischen Forschungen, et soutient que Plaute avait dû commencer par être acteur. Mais les expressions dont se sert Varron, le seul qui ait raconté ces événemens, ne me semblent pas favorables à cette supposition. Sans doute Livius Andronicus jouait lui-même ses pièces ; mais depuis cette époque il s’était formé des troupes de comédiens où les rôles étaient tenus, en général, par des esclaves. Plaute parle ordinairement des acteurs avec un certain mépris. Cette question a été très bien débattue par M. Marx dans la Zeitschrift für die Œsterreichischen Gymnasien, 1898.
  10. Il est question dans le prologue de la Casina de « cette fleur de poètes qui vivaient alors » ; nous ne connaissons plus aujourd’hui que Plaute et Nævius.
  11. À l’acte IV du Curculio.
  12. Exceptons le théâtre grec à ses origines, s’il est vrai, comme le suppose M. Dörpfeld, que les pièces des premiers tragiques étaient jouées dans l’orchestre.
  13. Cependant, à Dougga, les dernières fouilles du docteur Carton ont prouvé que toute la scène était revêtue d’une mosaïque assez grossière. C’est tout au plus si, vers le milieu, un espace carré pouvait être couvert d’un plancher de bois et servir de trappe pour les besoins de la représentation.
  14. Certaines interpolations, qu’on a notées dans les manuscrits de Plaute qui nous ont conservé cette scène, provenaient sans doute de ces ajoutés que les acteurs y faisaient pour amuser les spectateurs. C’est ce qui arrive aussi dans la scène de l’Avare de Molière où Harpagon commande le dîner à maître Jacques.
  15. Les Grecs appellent ce vers trimètre parce qu’en le scandant, ils réunissent deux pieds en un. Il était un peu moins long que l’hexamètre dactylique, quoiqu’il eût six pieds comme lui, parce que les pieds qui le composent essentiellement sont plus courts que le dactyle.
  16. Natum rebus agendis, dit Horace.
  17. Nous en avons une preuve très curieuse dans le Stichus de Plaute. À la fin de la pièce, les esclaves, qui font bombance, invitent le joueur de flûte à boire un coup avec eux ; comme il ne peut pas jouer pendant qu’il boit, les senarii reprennent jusqu’à ce qu’il ait fini.
  18. C’est Ritschl qui l’a pleinement démontré.
  19. Toutes ces questions ont été récemment étudiées avec beaucoup de sagacité par M. Frédéric Léo, dans un travail intitulé : Die Plautinischen cantica und die hellenistische Lyrik. Il cite, entre autres, comme exemple de ces scènes lyriques celle qui se trouve dans le premier acte du Curculio. Elle débute par la monodie d’une vieille femme chargée de garder la porte d’une maison de courtisanes et qui est attirée par l’odeur du bon vin qu’on a répandu sur le seuil. Elle s’entretient ensuite avec l’amoureux d’une des femmes dont elle a la garde et son esclave, qui la plaisantent et essayent de la gagner, et le tout se termine par la monodie charmante du jeune homme dont je viens de citer les deux premiers vers. C’est une fort agréable scène d’opéra-comique.
  20. Pour les grammairiens latins, le canticum est toujours un « morceau où un acteur parle seul. »
  21. Voici la curieuse phrase d’Apulée : Leno perjurus, et amator fervidus, et servus callidus ; et amica illudens, et uxor inhibens, et mater indulgens ; et patruus objurgator, et sodalis opitulator, et miles præliator ; sed et parasiti edaces, et parentes tenaces, et meretrices procaces.
  22. Je ne trouve pas d’autre expression pour désigner le leno, qui tient tant de place dans les comédies antiques ; je serais plus à mon aise, si l’on pouvait parler aujourd’hui la langue du xvie siècle.
  23. Je ne puis parler ici que de celui qui se trouve à Paris, à la Bibliothèque nationale. Il y en a d’autres à Milan et à Rome.
  24. Je me souviens d’avoir vu représenter à Rome, il y a quelque vingt ans, sur le théâtre Argentina, une traduction du Pseudolus. Ballio criait, s’agitait, faisait des gestes, comme un acteur antique, et les rires des Romains me prouvaient que cette façon de jouer n’avait pas cessé de leur plaire.