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Œuvres complètes de Tertullien/Genoud, 1852/De la Monogamie

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De la Monogamie
Traduction par Antoine-Eugène Genoud.
Œuvres complètes de TertullienLouis VivèsTome 3 (p. 409-442).

De la monogamie[1]

I. Les hérétiques suppriment les noces ; les Psychiques les multiplient. Les premiers ne se marient pas même une fois ; les seconds se marient plusieurs fois. Que deviens-tu, ô loi du Créateur ? Entre les eunuques du dehors et tes voluptueux serviteurs, tu gémis autant de la soumission des tiens que du mépris des étrangers ; conséquernment même offense de la part de ceux qui abusent et de ceux qui n’usent pas. Mais la continence de cette nature n’est pas louable, parce qu’elle est hérétique ; l’usage est illégitime, parce qu’il est psychique. Ici, blasphème ; là, luxure : d’un côté destruction, de l’autre déshonneur pour le Dieu qui institua le mariage. Chez nous, au contraire, qui justifions notre nom de spirituels par la connaissance des dons spirituels, la continence est aussi religieuse que l’usage est pudique, puisque l’un et l’autre sont avec le Créateur. La continence rend gloire à la loi du mariage, l’usage la tempère. La première n’est point contrainte, le second est. soumis à des règles. L’une est le choix de la volonté, l’autre a des mesures. Nous ne connaissons qu’un seul mariage, de même qu’un seul Dieu. La loi des noces est plus honorable là où elle a sa pudeur. Mais, comme les Psychiques ne reçoivent pas l’Esprit, les choses de l’Esprit ne leur plaisent pas. Aussi, tandis que les choses de l’Esprit leur déplaisent, ils aiment celles qui apparliennent à la chair, parce qu’elles sont opposées a l’Esprit. « La chair, » dit l’Apôtre, « s’élève contre l’Esprit et l’Esprit contre la chair. » Or, que désirera la chair, sinon ce qui est de la chair ? Voilà pourquoi, dès l’origine, elle est devenue étrangère jà l’Esprit : « Mon esprit ne demeurera » plus à jamais dans l’homme, parce qu’il n’est que chair. »

II. Nos adversaires nous reprochent donc comme une hérésie la discipline de la monogamie. Leur grand motif pour nier le Paraclet, c’est qu’ils le regardent comme le fondateur d’une doctrine nouvelle, et surtout de la plus dure des doctrinés pour eux. Il faut donc commencer par examiner avec détail, s’il est vrai que le Paraclet ait enseigné quelque chose que l’on soit en droit de prendre ou pour une nouveauté, par rapport, à la tradition catholique, ou pour un fandeau, par rapport au joug léger du Seigneur ? Le Seigneur lui-même s’est prononcé sur ces deux points, quand il a dit : « J’ai encore beaucoup de choses à vous apprendre, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Lorsque l’Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité. » C’était déclarer assez manifestement qu’il ferait des choses qui pourraient passer pour une nouveauté, puisqu’elles n’auraient jamais été publiées, et pour un fardeau de, plus, par la raison même qu’elles n’auraient pas encore été publiées. En vertu de ce raisonnement, réponds-tu, on pourra mettre sur le compte du Paraclet toute espèce de nouveauté ou d’obli gation quand même elles viendraient de l’Esprit contraire. Point du tout. L’Esprit contraire se trahirait à la diversité de sa prédication, d’abord en altérant la règle de la foi, puis en altérant l’ordre de la discipline, pavée qu’il commenée par corrompre ce qui vient en première ligne, c’est-à-dire la foi qui est antérieure à la discipline. L’hérétique s’attaque nécessairement à Dieu, avant de s’attaquer à son institution. Mais le Paraclet, qui avait à enseigner beaucoup de choses que le Seigneur avait ; réserves pour son avènement, ainsi qu’il l’avait déclaré d’avance, rendra d’abord témoignage au Christ lui-même, tel que nous le connaissons, avec toutes les dispositions du Créateur ; il le glorifiera, il aurait toujours son nom sur les lèvres. Se faisant ainsi reconnaître à ce caractère principal, il révèlera les nombreuses prescriptions des disciplines, qui, toutes nouvelles qu’elles sont, puisqu’elles viennent d’être révétées, toutes lourdes qu’elles sont, puisqu’on ne peut les supporter encore, seront accréditées par l’infégrité de sa prédication, disciplines néanmoins de ce même Christ, qui a dit : « J’ai encore beaucoup de choses que vous enseignera le Paraclet, » et non moins lourdes pour les Psychiques d’aujourd’hui, qu’elles ne l’étaient alors pour ceux qui étaient incapables de les porter.

III. Que la monogamie soit un fardeau, à l’impudente infirmité de la chair de le savoir. Est-elle quelque chose de nouveau ? Le contraire va être constaté. En effet, nous affirmons de plus que quand même le Paraclet eût ordonné une virginité ou une continence absolue, sans permettre aux bouillonnements de la chair de s’apaiser dans un mariage unique, il n’aurait introduit aucune nouveauté, puisque le Seigneur lui-même, en sa qualité de vierge, ouvre le royaume aux vierges. L’Apôtre aussi, les yeux fixés sur son modèle, n’embrasse-t-il pas la continence en son honneur, et ne déclare-t-il pas, qu’il la préfère ? -Tout en maintenant les droits du mariage, réponds-tu.-D’accord, et nous verrons jusqu’où ; il le détruit néanmoins en partie, puisqu’il lui préfère la continence. « Il est avantageux à l’homme, dit-il, de ne s’approcher d’aucune femme. » Donc, c’est un mal de s’en approcher. Car il n’y a d’opposé au bien que le mal. « Voici donc ce qui me reste à vous dire : Il faut que ceux qui ont des femmes soient commes s’ls n’en avaient point. » Raison de plus pour que ceux qui en ont ne doivent point en avoir. Il explique ensuite pourquoi il donne ce conseil ; parce que ceux qui ne sont point mariés s’occupent des choses de Dieu, tandis que ceux qui le sont cherchent comment ils plairont chacun dans leur mariage.

Et ici, je puis le déclarer, ce que l’or permet n’est pas un bien véritable. Car le bien véritable, au lieu de se permettre, est un droit acquis. La permission repose sur quelque motif, parfois sur celui de la nécessité. Enfin ; celui qui permet le mariage dans celle circonstance, le permet contre sa volonté ; car il veut tout autre chose. « Je veux, dit-il, qu’ils demeurent dans cet état comme j’y demeure moi-même. » Et lorsqu’il prouve que la continence est meilleure, que veut-il donc, sinon ce qu’il a déclaré préférable tout à l’heure ? Conséquemment, s’il permet tout autre chose que ce qu’il veut, en le permettant non par volonté, mais par nécessité, il montre qu’une condescendance qui lui est arrachée malgré lui n’est pas un bien véritable. En un mot, quand il dit encore : « Il vaut mieux se marier que de brûler ; » singulier bien en vérité, qu’un bien meilleur qu’un châtiment, et qui ne peut paraître meilleur que par comparaison avec quelque chose de très-mauvais. J’appelle bien ce qui mérite ce nom par soi-même, sans comparaison, je ne dis point avec le mal, mais avec un autre bien ; de sorte que si dans sa comparaison avec un autre bien il s’éclipse un peu, il garde néanmoins son nom de bien. D’ailleurs, si ce n’est que par comparaison avec le rnal que tu le nommes un bien, dès lors c’est moins un bien qu’une espèce de mal inférieur qui, surpassé par un mal plus considérable, entre malgré lui dans la classe du bien. Retranche la condition, et ne dis plus : « Il vaut mieux se marier que de brûler ; » je te le demande, oseras-tu dire encore : « Il vaut mieux se marier, » sans ajouter pourquoi il est meilleur de se marier ? Le mariage cesse alors d’être quelque chose de meilleur, et en cessant d’être quelque chose de meilleur, il ne reste pas même un bien, dès que l’on retranche la condition qui, en le rendant quelque chose de meilleur, nous force de le regarder comme un bien. Il vaut mieux perdre un œil que deux. Toutefois, si tu cesses de comparer ces deux maux l’un avec l’autre, n’avoir qu’un œil ne sera pas meilleur, parce que ce ne sera pas. même un bien. Mais que penser maintenant si c’est de sa propre autorité, c’est-à-dire d’après l’opinion de l’homme, que l’apôtre permet le mariage par condescendance, et à cause de la nécessité que nous signalions tout à l’heure, « parce qu’il vaut mieux se marier que de brûler ? » Car, lorsque passant à un autre ordre d’idées, il dit : « Pour ceux qui sont dans le mariage, ce n’est pas moi, mais le Seigneur qui leur fait ce commandement, » il montre par là que ce qu’il avait dit plus haut, au lieu d’avoir pour soi l’autorité du Seigneur, n’est qu’une conjecture de l’homme. Au contraire, reporte-t-il les esprits vers la continence : « Je veux, dit-il, que vous soyez tous en l’étal où je suis moi-même. Or, je crois que j’ai aussi l’Esprit de Dieu ; » afin de révêquer par l’autorité de l’Esprit saint ce qu’il avait accordé à la nécessité.

Jean d’ailleurs, en nous avertissant de marcher dans les voies où a marché le Seigneur, nous a également avertis de marcher dans la sainteté de la chair ; il n’en faut point douter : « Quiconque, dit-il, a cette espérance en lui, se sanctifie comme il est saint lui-même. » Car il est dit ailleurs : « Soyez purs comme il a été pur lui-même, » c’est-à-dire du côté de la chair. En effet, il n’aurait point parlé ainsi de l’Esprit, parce que l’Esprit saint se reconnaît de soi-même, sans avoir besoin qu’on lui rappelle la sainteté, qui esl le fond de sa nature. Mais c’est à la chair qu’il faut enseigner la sainteté, parce qu’elle a été sanctifiée dans le Christ. Si donc la faculté de se marier se trouve infirmée, soit par l’examen des conditions dans lesquelles elle est accordée, soit par la déclaration que la continence lui est préférable, pourquoi ce même « Esprit qui vient enseigner toute discipline et toute vérité, » n’aurait-il pas pu après les Apôtres et avec le progrès des temps, suivant que le dit l’Ecclésiaste : « Chaque chose a son temps, » imposer à la chair son dernier frein, en ne nous detournant plus du mariage non pas obliquement, mais à découvert, doutant plus que « le temps déjà court » l’est devenu encore davantage, puisqu’il s’est écoulé cent-soixante-ans environ depuis l’apôtre ? Ne seras-tu donc pas forcé de te dire à toi-même : Cette discipline est ancienne, quand tu la retrouveras dans la chair et la volonté de Jésus-Christ d’abord, puis dans les conseils et dans les exemples des Apôtres ? Oui, il’y a-long-temps que nous étions destinés à cette sainteté. Le Paraclet n’introduit rien de nouveau. Ce qu’il a prédit d’avance, il l’exécute ; ce qu’il a longtemps attendu, il le réclame. Et maintenant, tu te persuaderas facilement par ces réflexions qu’il convenait beaucoup plus au Paraclet de prêcher un mariage unique, puisqu’il pouvait l’interdire complètement, et qu’il a usé d’indulgence là où il aurait fallu supprimer, si tu sais comprendre quelle est la volonté du Christ. A ce caractère encore, tu dois reconnaître dans le Paraclet un avocat : il a dispensé ta faiblesse de la virginité absolue.

IV. Loin d’ici maintenant la mention du Paraclet comme d’un auteur qui nous soit personnel ! Parcourons les Ecritures anciennes qui nous sont communes. Il nous sera facile de démontrer que la discipline de la monogamie, au lieu d’être nouvelle et étrangère, est ancienne ; et particulière aux chrétiens ; de sorte que le Paraclet y tu pourras t’en convaincre, la rétablie plutôt qu’il ne l’a étàblie.

Quant à ce qui concerne l’antiquité, quel exemple peut-on alléguer de plus ancien que l’origine du genre humain lui-même ? Dieu donne à l’homme une seule femme qu’il lire d’une seule côte, et cela entre plusieurs. Il y a mieux. Lorsqu’il prélude à son œuvre : « Il n’est pas bon, dit-il que l’homme soit seul : faisons-lui une aide. » Il aurait dit des aidès, s’il lui avait destiné plusieurs épouses. Il établit aussi la loi pour l’avenir. En effet, il a étédit prophétiquement : « Et ils seront deux dans une même chair ; » deux, mais non trois ni davantage. D’ailleurs, ils ne sont plus deux, s’ils sont davantage. La loi demeura inviolable. Les pères du genre humain vécurent jusqu’à la fin dans un mariage unique, non point parce que les femmes manquaient, mais parce qu’elles manquaient, de peur que les prémices de la race humaine ne fussent souillées par un double mariage. D’ailleurs, Dieu n’avait qu’à vouloir pour qu’il existât d’autres femmes. Adam aurait choisi parmi la multitude de ses filles, avant encore une Eve formée de sa chair et de ses os, si la piété l’eût permis.

Mais depuis que le premier crime, l’homicide, eut été inauguré dans le fratricide ; il n’y eut pas de forfait plus digne du second rang que la réitération du mariage. Peu importe, en effet, que l’un des anciens ait eu deux épouses l’une après l’autre, ou habitant à la fois dans la même maison. Unis ou séparés, le nombre des époux resté toujours le même. Cependant, l’institution divine, violée une fois par Lamech, se maintint dans sa vigueur jusqu’à la destruction de cette race. Il n’y eut pas dans la suite de second Lamech ainsi marié à deux épouses. L’Ecriture nie ce qu’elle ne déclare pas. Ce furent d’autres iniquités qui provoquèrent le déluge ; des iniquités qui ne furent châtiées qu’une seule fois, mais non pas « soixante-dix fois sept fois, » ainsi que le méritent les doublés mariages.

Mais le genre humain, réparé de ses ruines ; renaît avec la monogamie, sa mère. Deux recommencent crôître et à multiplier dans une seule chair. Noé et son épouse, ainsi que leurs fils, ne reconnaissent qu’un seul mariage. Je rétrouve la monogamie jusque dans les animaux, afin que lés bêtes elles-mêmes ne naquissent point de l’adultère. « De tous les animaux, est-il dit, et de toute chair, tu prendras deux de chaque espèce, mâle et femelle, afin qu’ils vivent avec toi dans l’arche. Des oiseaux du ciel selon leur espèce, et de ceux qui rampent sur la térre selon leur espèce, deux entrereront avec toi, mâle et femelle. » C’est ainsi que Dieu ordonna encore au patriarche d’en choisir sept pour les unir un à un, selon qu’ils sont mâles et femelles. Enfin, que dirai-je de plus ? Il n’est pas même permis aux oiseaux impurs d’entrer dans l’arche avec deux femelles.

V. Voilà ce que j’avais à dire sur ce témoignage qui, emprunté au berceau du monde, sert comme de patronage en faveur de notre origine, et de là vient la présomption qu’elle est d’institution divine. Il s’agit ici d’une loi et non d’un simple conseil. Si cette coutume a été suivie dès le début, nous remarquons que le Christ nous gouverne d’après les lois primordiales ; ainsi encore, dans la question du divorce, quand il dit : « Moïse le leur avait permis à cause de la dureté de leur cœur ; mais au commencement il n’en était pas ainsi, » il rappelle à sa règle primitive ! l’indivisibilité du mariage. Voilà pourquoi il ajoute : « Que l’homme ne sépare donc pas aujourd’hui ce que Dieu a joint dès le commencement. » L’Apôtre, dans son épître aux Ephésiens, dit encore : « Dieu s’est proposé en lui-même, après que les temps marqués par sa providence seraient accomplis, de réunir tout en Jésus-Christ, comme dans un seul chef, tant ce qui est dans le ciel depuis le commencement que ce qui est sur la terre. »

De là vient que le Seigneur s’applique à lui-même la première et la dernière lettre de l’alphabet grec, comme symboles du commencement et de la fin qui se concentrent dans sa personne, pour attester qu’à l’exemple de l’α, qui descend jusqu’à l’ω, et de l’ω, qui remonte jusqu’à l’α, le commencement descend en lui vers la fin, de même que la fin remonte au commencement, pour que toute disposition, en s’achevant dans celui par qui elle a commencé, c’est-à-dire par le Verbe de Dieu « qui s’est fait chair, » s’achève comme elle avait commencé. Il est si vrai que tout est rappelé dans le Christ au commencement, que la foi retourne de la circoncision à l’intégrité de la chair, telle qu’elle exista d’abord. J’en dis autant du libre usage des aliments, à l’exception du sang lui seul, tel qu’il exista d’abord ; de l’indivisibilite du mariage, telle qu elle exista d’abord ; de la défense du divorce, qui n’exista point d’abord ; en un mot, l’homme tout entier est remis en possession du paradis, où il fut placé d’abord. Pourquoi donc n’y devrait-il pas réintégrer, ne fût-ce que par la monogamie, cet Adam qui ne peut y rapporter une chair aussi pure qu’avant d’en avoir été banni ?

Quant à ce qui touche le rétablissement de la loi primordiale, la raison de ta destination première et de ton espérance te redemande ce qui exista dès le commencement, conformément à ton origine qui commence dans Adam et recommence dans Noé. Choisis qui des deux tu voudras pour origine, il n’importe. La discipline de la monogamie te réclame dans l’un et dans l’autre.

Mais si le commencement se transmet jusqu’à la fin, de même que l’α à l’ω, ainsi que la fin remonte jusqu’au commencement, de même que l’ω à l’α, et que par conséquent notre origine soit transférée en Jésus-Christ, l’homme animal en l’homme spirituel, parce que « ce n’est pas le corps spirituel qui a été formé le premier, mais le corps animal et ensuite le spirituel, » examinons maintenant ce que tu dois à cette seconde origine, c’est-à-dire s’il convient que tu sois dans le même étal que le second Adam, qui fut lui-même dans le même état que le premier, puisque le second Adam, ou, en d’autres termes, Jésus-Christ, fut entièrement vierge, comme le fut Adam avant son exil. Mais après avoir donné à la faiblesse l’exemple de sa chair, l’Adam le plus parfait, c’est-à-dire Jésus-Christ, par là même d’autant plus parfait qu’il est plus pur, se présente à toi dans une chair virginale, si tu le veux. Mais si tu te sens trop faible, il se présente à loi monogame en esprit, n’ayant qu’une seule épouse, l’Église que figuraient Adam et Eve. L’Apôtre, en interprétant « ce sacrement auguste comme le symbole de Jésus-Christ et de l’Église, » nous atteste qu’à la monogamie charnelle correspond la monogamie spirituelle. Tu le vois donc ; renouvelé dans Jésus-Christ, tu ne peux porter les marques de ton origine, sans la profession de monogamie, et à moins d’être dans la chair ce qu’il est en esprit, quoique ce qu’il a été dans sa chair tu doives l’être également.

VI. Mais cherchons-nous encore quelques auteurs de notre origine. Car des pères monogames, tels qu’Adam, Noé, et peut-être Jésus-Christ lui-même, ne sont pas du goût de quelques-uns. En un mot, ils en appellent à Abraham, quoiqu’il leur soit interdit de reconnaître pour père tout autre que Dieu. Eh bien ! qu’Ahraham soit notre père ; que Paul soit notre père, d’accord ! « Je vous ai engendrés à l’Evangile, » dit l’Apôtre[2]. Montre-toi donc fils d’Abraham. Tu n’as point en lui une origine indéterminée. C’est à un moment fixe et marqué qu’il est ton. père, « Si, en effet, c’est par la foi que nous sommes les enfants d’Abraham, » comme l’enseigne l’Apôtre quand il dit aux Galates : « Sachez donc que ceux qui s’appuient sur la loi sont les enfants d’Abraham, puisqu’Abraham crut à la parole de Dieu, et que sa foi lui fut imputée à justice, » il était alors dans la monogamie, si je ne me trompe, puisque la circoncision n’existait pas encore. Si par la suite il changea sur chacun de ces points pour adopter d’une part la digamie en épousant sa servante de l’autre la circoncision comme un signe d’aillance, tu ne peux le reconnaître pour père qu’au moment où il crut à Dieu, puisque tu es son fils selon la foi et non selon la chair. Ou bien, si tu adoptes pour père le second Abraham, c’est-à-dire le digame, adopte également le circoncis. Si tu rejettes le circoncis, répudie donc pareillement le digame. Tu ne peux mêler ensemble deux dispositions qui diffèrent entre elles si complètement. Le digame commence à la circoncision ; le monogame avec l’incirconcision. Tu admets la digamie ; admets donc aussi la circoncision. Tu défends l’incirconcision, te voilà enchaîne à la monogamie. Il est si vrai que tu es le fils d’Abraham, monogame et incirconcis, que si tu te circoncis, tu cesseras dès lors d’être son fils, parce que tu ne le seras plus en vertu de la foi, mais en vertu du signe de la foi qui a été justifiée dans l’intégrité de la chair. Tu as l’Apôtre ; instruis-toi avec les Galates.

Conséquemment, tu as beau te permettre la digainie, tu n’es pas le fils de cet Abraham dont la foi se manifesta lorsqu’il appartenait encore à la monogamie. Quoique dans la suite il soit appelé le père de nations nombreuses, il ne l’est que de celles qui devaient être réputées enfants d’Abraham, en vertu de la foi qui avait précédé sa digamie.

Mais pourquoi tous ces détails ? Autres sont les figures, autres les réalités. Autres sont les images, autres les préceptes. Les images passent une fois accomplies ; les préceptes demeurent toujours pour avoir leur accomplissement. Les images prophétisent, les préceptes gouvernent. Que présageait la double union d’Abraham ? Nous l’apprenons de la bouche de l’Apôtre, qui l’explique comme la figure des deux alliances, de même qu’il rattache à Isaac l’origine de notre peuple. Si tu es né de la femme libre, si tu appartiens à Isaac, il est certain que ce patriarche ne porta le joug que d’un seul mariage. Voilà mes pères, si je ne me trompe. Quant aux autres, je ne les connais pas. Si tu eh cherches autour de toi des exemples, tu rencontres un David qui réitère les noces jusqu’à travers le sang, et un Salomon riche en épouses. Mais veux-tu des modèles préférables ? tu as Joseph, qui ne connaît qu’un seul mariage, et à ce titre, j’ose le dire, meilleur qu’un père ; tu as Moïse, qui vit Dieu tace à face ; tu as Aaron, le grand pontife. Le second Moïse du second peuple, qui introduisit notre image dans les promesses de Dieu, et dans lequel fut consacré pour la première fois le nom du Seigneur, ne contracta point non plus un double mariage.

VII. Après ces antiques exemples de personnages qui tiennent aux origines du monde, passons aux textes antiques des Ecritures de la loi, afin de traiter dans un plan méthodique toute cette question. Puisque les uns soutiennent qu’ils n’ont rien de commun avec la loi quel Jésus-Christ est venu non pas détruire, mais accomplir, puisque les autres ne gardent de la loi que ce qui leur convient, nous affirmons, nous, que la loi a été abrogée en ce sens que les fardeaux intolérables à nos pères eux-même, ont disparu, tandis que les devoirs do la justice demeurent toujours, non-seulement réservés, mais encore augmentés, afin « que notre justice soit plus abondante que la justice » des Scribes et des Pharisiens. » S’il en est ainsi de la justice, il en va de même de la pudicité. Si donc, de ce que la loi ordonne au frère qui survit d’épouser la femme de son frère, mort sans enfants, afin de susciter au défunt une postérité ; si même de ce que cela peut arriver plusieurs fois dans une seule et morne personne, suivant la subtile question des Sadducéens, ils concluent que la réitération des noces est permise, qu’ils commencent par comprendre la raison du précepte, et ils reconnaîtront ensuite que cette raison, venant à cesser, est du nombre de celles qui devaient être abrogées dans la loi. Il fallait nécessairement remplacer dans le mariage son frère qui était mort sans enfants. Pourquoi ? D’abord cette bénédiction : « Croissez » et multipliez, » devait avoir son accomplissement. En second lieu, les enfants portaient les péchés de leurs pères. Enfin, la virginité et la stérilité étaient regardées comme un opprobre. Ainsi, pour que ceux qui mouraient sans enfants, ou condamnés par la nature, ou prévenus par une mort prématurée, ne fussent pas chargés de malédictions, la loi voulait qu’il leur fût suscité de leur sang une postérité de substitution, j’allais presque dire posthume.

Mais depuis que la fin des temps a rendu inutile ce précepte : « Croissez et multipliez ; » depuis que l’Apôtre a dit : « Que vous reste-t-il à faire, sinon que ceux qui ont des épouses soient comme s’ils n’en avaient pas, parce que le temps est court ? depuis que le raisin vert, mangé par les pères, a cessé d’agacer les dents des enfants, parce que chacun mourra dans son péché, » dès lors les eunuques non-seulement n’ont plus été soumis à l’opprobre, mais ils ont mérité la grâce et ont été conviés au royaume des deux. La loi, qui ordonnait de succéder au mariage de son frère, étant ensevelie, le principe opposé, qui défendait de succéder au mariage de son frère, prévalut. Par conséquent, ce qui a cessé d’être en vigueur parce que la raison n’en subsiste plus, ainsi que nous l’avons dit tout à l’heure, ne peut fournir un argument à un autre. La femme qui a perdu son époux n’en épousera donc point un second, puisqu’on se remariant elle épouserait son frère ; car nous sommes tous frères. Et cependant, cette femme, « à laquelle il est prescrit de se marier dans le Seigneur, » épousera non pas un païen, mais son frère, l’ancienne loi elle-même défendant de s’unir à des étrangers. Or, puisqu’il a été dit dans le Lévitique : « Celui qui épousera la femme de son frère fait une chose illicite ; il a découvert la turpitude de son frère ; ils mourront sans enfants, » il n’y a point de doute que la défense de se remarier, imposée à celui-ci, ne soit de même imposée à celle-là, qui ne peut épouser que son frère.

Comment donc mettre d’accord la loi et l’Apôtre, qui ne renverse pas complètement la loi ? nous le montrerons quand nous serons arrivés à son Epître. En attendant, pour ce qui concerne la loi, ses raisonnements nous conviennent mieux. Elle interdit encore aux prêtres de se remarier. Elle ordonne à la fille du prêtre, veuve ou répudiée, de retourner dans la maison de son père si elle n’a pas d’enfants, et de se nourrir de son pain. Pourquoi, si elle n’a pas d’enfants ? Ce n’est pas dans l’intention qu’elle se remarie, dans le cas où elle en aurait ; — car quelle raison plus impérieuse pour ne pas se remarier si elle en a ? — mais afin que si elle en a, elle soit nourrie par son fils plutôt que par son père, et mette le fils à même d’accomplir ce commandement de Dieu : « Honore ton père et ta mère. » Mais nous, Jésus, qui est le pontife suprême du Père, nous revêtant de ce qui est à lui, parce qu’en effet les hommes ; baptisés en Jésus-Christ ont revêtu Jésus-Christ, « nous a établis prêtres de Dieu son père, » suivant le témoignage de Jean. S’il relient auprès de lui le jeune homme qui se hâtait d’aller ensevelir son père, c’était pour nous montrer que nous sommes marqués par lui de la même onction sacerdotale que ces prêtres auxquels la loi ancienne défendait d’assister aux funérailles de leurs pères : « Le prêtre n’entrera point au lieu où il y a un mort ; et il ne se souillera point par les funérailles de son père ni de sa mère. » Devons-nous donc aussi nous conformer à cette fense ? Non, sans doute ; Dieu qui est notre père unique, et l’Église qui est notre mère, ne connaissent pas la mort. Nous-mêmes, nous ne mourons pas, puisque nous vivons en Dieu, et nous n’ensevelissons pas de morts, puisqu’ils vivent en Jésus-Christ. Appelés du nom de prêtres par Jésus-Christ, nous sommes les débiteurs de la monogamie, en vertu de la loi ancienne de Dieu, qui nous prophétisait dans ses prêtres.

VIII. Maintenant si nous nous tournons vers la loi qui nous est propre, c’est-à-dire vers l’Evangile, quels exemples y trouvons-nous ? Pendant que je l’interroge, voilà que deux prêtresses de la sainteté chrétienne, la Monogamie et la Continence, se présentent aussitôt à moi sur le seuil de la loi nouvelle, l’une pudique dans le prêtre Zacharie, l’autre intacte dans Jean le précurseur ; l’une apaisant Dieu, l’autre prêchant le Christ ; l’une annonçant le prêtre tout entier, l’autre montrant du doigt plus qu’un prophète, c’est-à-dire un homme qui non-seulement prêcha le Christ ou le montra en face, mais eut l’insigne honneur de le baptiser. Qui, en effet, était plus digne de consacrer le corps du Seigneur, qu’une chair semblable à celle qui conçut cl enfanta ce corps ? C’est une vierge qui enfanta le Christ, une vierge qui devait se marier une seule fois après cet enfantement, afin que les deux titres de la sainteté eussent leur consommation dans la naissance de Jésus-Christ, par une mère à la fois vierge et attachée à un seul époux. L’enfant est présenté au temple. Qui le reçoit dans ses mains ? qui le reconnaît le premier en esprit ? C’est un homme juste, un homme éclairé, un homme qui n’avait été marié qu’une fois ; quand même il n’y aurait eu que cette raison qu’il ne fallait pas que le Christ fût annoncé plus dignement par une femme âgée, veuve d’un seul époux, et qui, passant sa vie dans le temple, figurait dans sa personne la pureté que l’on doit apporter dans le temple spirituel de l’Église.

Voilà quels témoins rencontre l’Enfant-Dieu ; il n’en aura pas d’autres dans un âge plus avancé. Pierre lui seul sera marié ; sa belle-mère me l’indique ; qu’il ait été monogame, je le conjecture par l’Église qui, fondée sur lui, devait composer de monogames l’ordre hiérarchique de ses rangs. Quant aux autres, dès que je ne trouve pas qu’ils aient été mariés, il faut nécessairement que je les suppose vierges et continents. En effet, de ce que chez les Grecs l’entraînement de la coutume désigne, par un nom générique la femme et l’épouse, quoiqu’ils aient un terme particulier pour cette dernière[3], ce n’est pas une raison pour conclure des paroles de Paul que les apôtres aient eu des épouses. Si, en effet, il eût traité la question du mariage comme il le fait dans ce qui suit, où l’Apôtre aurait pu citer quelque exemple plus approprié, ce serait à bon droit qu’il paraîtrait dire : « N’avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous des épouses, comme font les autres apôtres et Céphas ? » Mais puisqu’il ajoute aussitôt des choses qui prouvent son désintéressement dans les aliments qu’il pouvait exiger des fidèles : « N’avons-nous pas le droit d’être nourris à vos dépens ? » c’était démontrer que les apôtres ne menaient point partout avec eux des épouses, — ceux qui n’en ont pas ne laissent pas d’avoir le droit d’être nourris, — mais simplement des femmes qui les servaient, au même titre que celles qui accompagnaient le Seigneur.

D’ailleurs, si Jésus-Christ « reproche aux Scribes et aux Pharisiens de s’asseoir dans la chaire de Moïse, sans pratiquer ce qu’ils enseignaient, » comment supposer qu’il établissait dans sa propre chaire des hommes qui ne savaient pas prescrire, encore moins pratiquer la sainteté de la chair qu’il leur avait appris de toute manière à enseigner et à. pratiquer, d’abord par son exemple, ensuite par le raisonnement ? Témoin « le royaume du ciel qui appartient aux enfants, — les enfants ’qu’il compare au royaume des cieux après avoir parlé du mariage ; » et ce précepte : « Soyez simples comme la colombe, oiseau non-seulement incapable de nuire, mais plein de pudeur et qui ne connaît qu’un seul mâle ; » témoin encore lorsqu’il dit à la Samaritaine « qu’elle n’a point de mari, » pour lui montrer que la réitération du mariage équivaut à l’adultère ; témoin lorsque dans la manifestation de sa gloire, parmi tant de saints et de prophètes, il choisit de préférence pour compagnons Moïse et Elie, l’un monogame, l’autre vierge ; car Elie ne fut pas autre que « Jean qui est venu dans la vertu et l’esprit d’Elie ; » témoin enfin « lorsque cet homme insatiable, adonné au vin, qui fréquentait les tables des publicains et des pécheurs, » n’assiste qu’une seule fois à des noces, quoique l’on ne manquât point de se marier autour de lui. Il ne permettait de les célébrer qu’autant de fois qu’il voulut y paraître.

IX. Mais ces raisonnements couraient grand risque de ressembler à des conjectures forcées, s’ils ne se corroboraient par les sentences que rendit le Seigneur au sujet de la répudiation qu’il défend aujourd’hui après l’avoir permise autrefois ; d’abord, dit-il, « parce qu’il n’en était pas ainsi dès Je commencement, » de même que de la réitération du mariage ; ensuite, « parce que l’homme ne doit pas séparer ceux que Dieu a unis, » c’est-à-dire pour ne pas se révolter contre le Seigneur. A celui-là seul de séparer qui a uni. Or, il séparera, non par la dureté de la répudiation, qu’il reproche et supprime, mais par la dette de la mort. En effet, « de deux passereaux, l’un ou l’autre ne tombe pas à terre sans la volonté du Père céleste. » Si donc ce l’homme ne doit point séparer par le divorce ceux que Dieu a unis, » il s’ensuit également « que l’homme ne devra point unir par le mariage ceux que Dieu a séparés par la mort, » aussi rebelle à la volonté de Dieu, dans l’acte qui unirait ce qui est séparé, que dans l’acte qui séparerait ce qui est uni. En voilà suffisamment sur le respect pour la volonté de Dieu, et le rétablissement de la loi primitive.

Mais une autre raison conspire à ce dessein ; je me trompe, non pas une autre raison, mais la même qui a établi la loi primitive et détermine aujourd’hui la volonté du Seigneur à interdire le divorce. La voici : « Quiconque renvoie sa femme, dit-il, si ce n’est pour cause de fornication, et en épouse une autre, est adultère ; et celui qui épouse la femme renvoyée est adultère. »

La femme répudiée peut-elle se marier légitimement, me dira-t-on ? Et si elle vient à pécher en dehors du mariage, a-t-elle mérité la flétrissure de l’adultère, puisque l’adultère est le crime dans le mariage ?

— Dieu, qui juge autrement que les hommes, a déclaré que pour elle tout commerce de ce genre, qu’il ait lieu par les noces ou par la prostitution, est un véritable adultère. Examinons en effet ce qu’est le mariage devant Dieu, et nous reconnaîtrons également ce qu’est l’adultère. Il y a mariage, lorsque Dieu unit deux époux dans une seule chair, ou lorsque les trouvant unis dans une même chair, il a scellé leur union. Il y a adultère, lorsque les deux époux étant séparés pour une raison ou pour une autre, il vient se mêler une autre chair ; c’est trop peu, une chair étrangère, dont il ne peut pas être dit : « Voilà la chair de ma chair, et l’os de mes os. » Car ce qui a été fait une fois et prononcé comme dès le commencement, ne peut convenir aujourd’hui à une autre chair. Vainement donc tu me dis : Dieu ne veut pas que la femme répudiée se remarie tant que son époux est vivant, comme s’il le lui permettait après qu’il est mort, puisque si elle n’est pas liée envers le mort, elle ne l’est pas davantage envers le vivant. Comme la répudiation brise le lien du mariage[4] aussi bien que la mort, dès lors elle ne sera plus enchaînée à son époux, puisque le lien qui l’enchaînait est rompu, tant il est vrai que peu importe qu’elle se remarie du vivant ou après la mort de son époux. Car ce n’est pas contre mi qu’elle pèche, c’est contre elle-même. « Tout autre péché commis par l’homme est hors du corps ; mais celui qui commet la fornication pèche contre son propre corps. » Or, il est coupable d’adultère, lorsqu’on outre de celle première chair que Dieu avait unie en deux, ou qu’il avait trouvée unie, il mêle à sa chair tout autre chair. Voilà pourquoi le Seigneur, supprima le divorce qui « n’exista point dès le commencement, afin de rétablir ce qui exista dès le commencement, », c’est-à-dire l’union de deux époux vivant jusqu’à la fin dans une même chair ; et de peur que la nécessité ou l’occasion d’une troisième chair s’unissant à une autre ne franchisse la barrière, il permet la répudiation dans un seul cas, celui ou interviendrait l’adultère qu’il cherche à prévenir.

Il est si vrai que le divorce n’exista point dès le commencement, que chez les Romains on ne trouve cette dureté de cœur[5] que six cents ans après la fondation de leur ville. Mais les Romains se souillent par l’adultère sans même répudier leurs épouses. Pour nous, quand même nous répudierions les nôtres. il ne nous est pas permis de nous marier.

X. J’entends nos adversaires en appeler au témoignage de l’Apôtre. Pour saisir plus facilement le sens de ces paroles, il faut établir d’avance solidement que la femme n’en est que plus enchaînée à son mari quand, il est mort, loin de pouvoir prendre un autre époux. Rappelons-nous, en effet, que le divorce a lieu par la discorde ou établit la discorde, tandis que la mort arrive par une, loi de Dieu, non par les ressentiments de l’homme ; qu’elle est une dette qu’il nous faut tous payer, les maris comme les autres. Si donc la femme répudiée qui a été séparée de corps,et d’âme par la discorde, la colère, la haine, ou ce qui les motive, c’est-à-dire par les outrages, les mauvais traitements, ou toute espèce de sujet de plaintes, est enchaînée à son ennemi ; car je ne veux pas l’appeler son époux ; à plus forte raison la femme, qui a été moins séparée du lien conjugal qu’abandonnée par lui, sans qu’il y ail de sa faute, sans qu’il y ait de la faute de son mari, seulement par une conséquence de la loi divine, demeurera-t-elle l’épouse du défunt auquel elle doit la concorde, tout mort qu’il est. Elle n’a entendu de sa bouche aucune parole de répudiation, donc-elle ne l’a point quitté ; elle ne lui a signé aucun acte de divorce, donc elle demeure avec lui ; elle n’aurait pas voulu le perdre, donc elle le garde. Elle a pour elle la latitude du souvenir : tout ce qui lui manque de son époux, elle le rend présent à l’œil de l’imagination.

Enfin, j’interroge la femme elle-même. Dites-moi, ma sœur, avez-vous envoyé en paix votre mari devant vous ? Que répondra-t-elle ? Au milieu des dissentiments de la discorde ? Mais la voilà plus étroitement enchaînée : encore à celui avec qui il lui faudra plaider sa cause devant Dieu. Point de séparation là ou les liens subsistent. Nous nous sommes quittés dans la paix, dira-t-elle. Eh bien ! qu’ elle continue à garder la paix avec celui qu’elle ne pourra plus répudier, n’ayant pas même la permission de se remarier, quand elle pourrait le répudier. En effet, elle prie pour le repos de son âme ; elle demande pour lui le rafraîchissement ; elle conjure Dieu de la réunir à lui au jour de la résurrection, et chaque année elle célèbre l’anniversaire de sa mort par l’oblation du sacrifice. Si elle manque à ces pieux devoirs, elle a véritablement répudié son époux, autant qu’il est en elle, et cela avec d’autant plus d’injustice que, ne pouvant pas le répudier, elle l’a fait de la seule manière qu’elle a pu ; et cela avec d’autant plus d’indignité, que son époux ne le méritait pas. Ou bien, soutiendra-t-on que nous ne sommes rien après la mort ? Mais c’est là une maxime de quelque Epi-cure, et non de Jésus-Christ. Que si nous croyons à la résurrection des morts, nous continuons donc d’être liés à ceux avec lesquels nous ressusciterons, puisque nous rendrons compte de notre administration commune.

On me dira peut-être que, « dans le siècle à venir, les hommes n’épouseront pas de femmes, ni les femmes de maris, mais qu’ils seront comme les anges. » D’accord ; mais de ce que le mariage ne sera point rétabli, il ne s’ensuit pas que nous ne soyons pas liés à nos époux qui ne sont plus. Loin de là, nous leur demeurons liés d’autant plus étroitement que, destinés à un état meilleur, nous ressusciterons pour former une alliance spirituelle, et nous reconnaître nous aussi bien que les nôtres.

D’ailleurs, comment chanterions-nous dans l’éternité l’hymne de la reconnaissance envers Dieu, si nous ne gardions en nous-mêmes le sentiment et le souvenir de ce devoir ; si nous ne reprenions, en ressuscitant, que la substance sans la conscience ? Conséquemment, nous qui serons avec Dieu, nous serons ensemble, parce que, « malgré la différence des récompenses, malgré le grand nombre des tabernacles qui sont dans le royaume du Père, nous avons tous travaillé devant le même Dieu pour le denier du même salaire, » c’est-à-dire pour le denier de la vie étemelle dans laquelle Dieu ne séparera pas plus ceux qu’il a unis, que dans cette vie d’un jour où il interdit la séparation. Puisqu’il en est ainsi, comment une femme appartiendra-t-elle à un autre époux, elle qui appartient déjà au sien pour toute l’éternité ? Nous nous adressons ici aux deux sexes, quoique nous ne parlions qu’à un seul, puisque la discipline est la même pour tous les deux. Aura-t-elle un époux selon l’esprit et un époux selon la chair ? Mais la conscience d’une seule femme partagée entre deux hommes constituera un véritable adultère. Le premier, pour être éloigné de la chair, n’en réside pas moins dans le cœur, là même où la pensée, sans avoir besoin du ministère de la chair, consomme l’adultère par la concupiscence, et le mariage par la volonté. Il est mari jusqu’à ce jour, tant qu’il possède ce par quoi il l’est devenu, c’est-à-dire la volonté, dans laquelle un autre ne peut habiter sans crime. D’ailleurs, il n’est pas banni parce qu’il a quitté les viles relations de la chair. Loin de là ! en devenant plus pur, il est devenu un mari plus digne de respect.

XI. Ainsi donc, toi qui dois « te marier en notre Seigneur, » ainsi que le prescrivent la loi et l’Apôtre, si toutefois tu en as quelque souci, qui es-tu, lorsque tu viens demander un pareil mariage à des hommes auxquels il n’est pas permis de l’avoir, à l’évêque qui doit n’avoir été marié qu’une fois ; à des prêtres et à des diacres soumis à la même obligation ; à des veuves dont tu as répudié la discipline dans ta personne ? Mais, en vérité, c’est livrer les maris aux épouses, et les épouses aux maris, autant de fois que le pain eucharistique. Voilà comme ils entendent chez eux cette recommandation : « Donne à quiconque te demande. » Et ils vous uniront tous les deux dans l’Église qui est vierge, qui est l’unique épouse d’un seul Jésus-Christ. Et tu prieras pour tes maris, l’ancien et le nouveau. Choisis envers lequel des deux tu veux être adultère. Envers l’un et l’autre, j’imagine. Si tu es sage, ne prononce pas le nom de ton époux : que ton silence, écrit dans un contrat étranger, lui serve d’acte de répudiation. Tu mériteras mieux les attentions de ton nouveau mari en oubliant l’ancien. Tu dois n’en plaire que davantage à celui pour lequel tu n’as pas voulu plaire à Dieu. Voilà ce quel’Apôtre approuva, ou ce qu’il avait complètement oublié, selon les Psychiques, lorsqu’il écrivait : « La femme est liée à la loi du mariage tant que son mari est vivant ; mais si son mari meurt, elle est libre, qu’elle se marie. à qui elle voudra, pourvu que ce soit selon le Seigneur. ». En effet, ils s’appuient sur ce passage pour justifier le second mariage, et même tous ceux qui pourraient suivre le second ; car tout ce qui dépasse l’unité peut se répéter indéfiniment.

Mais dans quel sens l’Apôtre a-t-il écrit ces mots ? Cela deviendra clair, aussitôt qu’il sera prouvé qu’il ne les a point écrits dans le sens dont abusent les Psychiques. Or, les doutes seront dissipés, si l’on réfléchit à tout ce qui est ici en désaccord dans la doctrine, dans la volonté et dans la discipline personnelle de Paul lui-même. Si, en effet, il permet les secondes noces, qui n’existèrent pas dès le commencement, comment affirme-t-il que « toutes choses sont rappelées à l’état originaire dans Jésus-Christ ? » S’il veut que nous réitérions les mariages, comment nous fait-il descendre d’Isaac qui n’a été marié qu’une fois ? Comment établit-il tous les degrés de l’Église sur la monogamie, si cette discipline ne commence pas par les laïques dont s’enrichissent les rangs de l’Église ? Comment détourne-t-il des fruits du mariage ceux qui sont encore engagés dans le mariage, en les avertissant « que le temps est court, » s’il rappelle dans les liens du mariage ceux dont le mariage est brisé par la mort ? Si toutes ces propositions se combattent dans le chapitre dont il s’agit, il sera constaté, comme nous l’avons dit, que l’Apôtre n’a point écrit dans le sens dont abusent les Psychiques. N’ est-il pas plus raisonnable de dire que ce passage unique a quelque motif en harmonie avec l’ensemble, que de s’imaginer que l’Apôtre ait pu enseigner une doctrine si contradictoire ? Ce but, nous pourrons le découvrir dans la circonstance elle-même. A quelle occasion l’Apôtre écrivait-il ce passage ? Il s’adressait à une Église novice encore, ou, pour mieux dire, qui ne faisait que de naître, et qu’il nourrissait de lait, parce qu’elle ne pouvait supporter un aliment plus vigoureux. Cela est si vrai que, grâce à leur enfance dans la foi, ils ignoraient encore quelle règle ils devaient suivre dans les nécessités de la chair et du sexe. Nous pouvons nous en convaincre par la réponse qu’il leur donne : « Quant aux choses que vous m’avez écrites, je vous dirai qu’il est avantageux à l’homme de ne s’approcher d’aucune femme ; mais, pour éviter la fornication, que chaque homme vive avec sa femme. »

Il nous montre par là qu’il s’en trouvait qui, surpris dans le mariage par la foi chrétienne, craignaient qu’il ne leur fût plus permis désormais d’user de leur mariage, depuis qu’ils avaient cru en la chair sans tache de Jésus-Christ. Au reste, « ce qu’il leur dit, c’est par condescendance, et non par commandement ; » c’est-à-dire qu’il donne un conseil et non un ordre, car « il aurait voulu que tous fussent dans l’état ou il était lui-même. »

Lorsqu’il répond sur l’article du divorce, il nous montre que telle était l’opinion de quelques-uns, surtout de ceux qui, après avoir embrassé la foi, ne croyaient pas devoir continuer de vivre dans des mariages païens. Ils le consultaient encore sur la virginité. Ici l’Apôtre n’avait point reçu de commandement du Seigneur. « Il est bon à l’homme’, répondait-il, de persévérer dans cet état, » c’est-à-dire dans l’état où la foi l’aura trouvé. « Etes-vous lié avec une femme ? ne cherchez point à vous délier. N’avez-vous point de femme ? ne cherchez point a’vous marier. Au reste, si vous épousez une femme, vous ne péchez pas. » Non, parce que, pour celui qui est délié de son mariage avant la foi, sa seconde épouse, la première depuis la foi, ne lui sera pas comptée, puisque notre vie elle-même ne commence qu’à la foi.

Mais ici « il voudrait les épargner, dit-il. Ces personnes là souffriront dans leur chair des afflictions et des peines, à cause de la dureté des temps, » qui rejettent les fardeaux du mariage ; ou plutôt, pour les avertir qu’il valait mieux s’occuper de plaire à Dieu qu’à un mari ; c’était reprendre ce qu’il avait permis.

Ainsi encore, dans ce même chapitre où « il déclare à chacun qu’il doit demeurer dans la vocation où il élait lorsque Dieu l’a appelé, » ajouter ces mots : « La femme est liée à la loi du mariage tant que son mari est vivant ; mais si son mari meurt, elle est libre ; qu’elle se marie à qui elle voudra, pourvu que ce soit selon le Seigneur ; » c’était nous démontrer qu’il entend parler de celle qui a été trouvée déliée d’avec son époux, de même que tout à l’heure de l’époux délié d’avec son épouse, pourvu toutefois que le nœud ait été brisé par la mort, et non par le divorce, parce qu’il ne permettrait pas à une femme répudiée de se remarier contrairement au précepte ancien. Voilà pourquoi, « si la femme se remarie, elle ne pèche point, parce que ce second mari, qui est le premier depuis qu’elle a embrassé la foi, ne lui sera pas compté. » De là vient que l’Apôtre ajouta, « pourvu que ce soit dans le Seigneur. » Il s’agissait d’une femme qui avait eu un mari païen, et avait embrassé la loi, après l’avoir perdu : il l’avertit, de peur qu’elle ne se crût autorisée à épouser encore un païen, même après être devenue Chrétienne, quoique les Psychiques s’inquiètent peu de ce point.

Sachons-le toutefois, l’original grec diffère d’avec les éditions ordinaires par deux syllabes, soit qu’elles aient été altérées à dessein, soit qu’elles l’aient été dans la simplicité du cœur. Si son époux vient à mourir, indique un futur. Dans ce cas, la permission, en s’étendant à l’infini, eût donné un mari autant de fois qu’on en eût perdu, sans garder dans le mariage Ja réserve qui convient même à des païens. Mais quand même le texte « celle dont le mari viendrait à mourir » désignerait le futur, ce futur ne s’appliquerait qu’à celle dont le mari cesse de vivre avant qu’elle ait embrassé la foi. En un mot, adopte le sens que tu voudras, pourvu que tu ne détruises pas tout le reste. Car, puisque cette parole anéantit celles-ci : « Avez-vous été appelé à la foi étant esclave ? que cela ne vous trouble pas.-Un homme est-il appelé à la foi étant circoncis ? qu’il n’affecte point de paraître incirconcis ; » auxquelles correspondent les suivantes : « Etes-vous lié avec une femme ? ne cherchez point à vous délier. — N’avez-vous point de femme ? ne cherchez point à vous marier ; » il est assez manifeste que toutes ces propositions ne s’adressent qu’à des hommes qui, engagés dans une vocation nouvelle, et d’hier pour ainsi dire, consultaient l’Apôtre sur l’état où les avait surpris la foi chrétienne.

Telle sera l’explication de ce chapitre, qu’il faut interroger sous le rapport du temps, du motif, des exemples et des arguments qui précèdent, aussi bien que des déclarations et des sens qui suivent. Mais il faut chercher avant tout s’il se rapporte au but et au dessein que se propose l’Apôtre ; car il ne faut rien garder de ce qui met un homme en contradiction avec lui-même.

XII. Ecoute maintenant une ingénieuse objection de nos adversaires.

— Il est si vrai, disent-ils, que l’Apôtre a permis la réitération du mariage, qu’il n’a soumis au joug de la monogamie que les membres du clergé. En effet, ce qu’il prescrit à quelques-uns, il ne le prescrit point à tous.

— Quoi donc ! ce qu’il prescrit à tous, n’y a-t-il que les évêques auxquels il ne le prescrive pas, si ce qu’il prescrit aux évêques il le prescrit à tous ? Le prescrit-il à tous, parce qu’il le prescrit aussi aux évêques, ou le prescrit-il aux évêques, parce qu’il le prescrit, à tons ? D’où viennent l’évêque et le clerc ? Ne sortent-ils pas du peuple ? Si tout le peuple n’est pas assujetti à la loi de la monogamie, où prendre les monogames du clergé ? Faudra-t-il instituer quelque ordre particulier de monogames pour en recruter les membres du sacerdoce ? S’agit-il de nous enfler d’orgueil et de nous élever au préjudice du clergé ? alors nous sommes tous une même chose ; alors nous sommes tous prêtres, « parce que Jésus-Christ nous a faits prêtres de » Dieu et de son Père. » S’agit-il, au contraire, d’embrasser la discipline sacerdotale ? alors nous déposons les insignes du sacerdoce et nous nous déclarons inférieurs. Il fallait donc que toutes les règles de la discipline commune à tous fussent présentées dès le début, comme pour servir un jour de principe à tous ceux qui gouverneraient l’Église, afin que le peuple sût qu’il devait observer la discipline qui fait les préposés, et que l’autorité elle-même ne s’autorisât point des prérogatives de son rang pour descendre jusqu’à la licence.

L’Esprit saint prévoyait que plusieurs diraient : Tout est permis aux évêques, ainsi que votre évêque d’Uthina[6], qui ne craignit pas la loi Scantinia[7]. En effet, combien de digames qui président parmi vous et qui insultent à l’Apôtre, ou du moins qui ne rougissent pas quand on lit ces passages en leur présence. Poursuis donc, toi qui penses que la monogamie n’est faite que pour les évêques ; efface de la même main les autres articles de la discipline, qui sont exigés des évêques en même temps que la monogamie : « Ne sois ni adonné au vin, ni violent, ni prompt à frapper, ni querelleur, ni avide d’argent, ni inhabile à gouverner la maison ou à maintenir tes enfants dans l’obéissance, ni cherchant ta bonne renommée auprès des étrangers. » Si, en effet, la monogamie est obligatoire pour les évêques seuls, tout ce qui doit accompagner la monogamie n’aura été imposé qu’aux évêques. Quant aux laïques, qui n’ont rien à démêler avec la monogamie, tout le reste leur est étranger. Tu as un bon moyen, ô Psychique, d’échapper aux liens de toute la discipline. Affirme résolument que ce qui est imposé à quelques-uns n’est pas imposé à tous ; ou bien, si toutes les autres obligations sont communes, tandis que la monogamie n’atteint que les évêques, ne faut-il pas dès-lors réserver pour eux seuls le titre de Chrétiens, puisqu’ils observent la discipline dans sa plénitude ?

XIII. — Mais, dis-tu, l’Apôtre écrivant à Timothée, aime « mieux que les jeunes veuves se marient, qu’elles aient des enfants et qu’elles soient mères de famille. »

— Ces mots s’adressent aux jeunes veuves qui, surprises par la foi dans le veuvage, l’ont suivie quelque temps, « mais qui, après avoir vécu avec mollesse, secouent le joug de Jésus-Christ et veulent se remarier, encourant ainsi la condamnation et rendant vaine leur première foi, » cette foi apparemment qui les surprit dans le veuvage, et qu’elles ont abandonnée après l’avoir professée un moment. Voilà pourquoi il veut qu’elles se marient, de peur qu’elles ne violent ensuite les engagements du veuvage auquel elles se sont consacrées, mais non pas qu’elles se marient autant de fois qu’elles ne voudront pas persévérer dans un veuvage éprouvé par la tentation, ou pour mieux dire, voué à la mollesse. Nous lisons dans son épître aux Romains : « Une femme mariée est liée par la loi du mariage à son mari tant qu’il est vivant ; mais s’il vient à mourir, elle est dégagée de la loi du mari. Si donc elle va avec un autre homme pendant la vie de son mari, elle sera appelée adultère ; mais quand son mari est mort, elle est affranchie de la loi du mariage, parce qu’elle peut aller à un autre sans être adultère. » Mais connais par ce qui suit quel est le sens de ce passage qui semble te donner gain de cause. « C’est pourquoi, mes frères, vous êtes vous-mêmes morts à la loi par le corps de Jésus-Christ pour être à un autre qui est ressuscité d’entre les morts, afin que nous portions des fruits pour Dieu ; car lorsque nous étions assujettis à la chair, les passions criminelles, étant excitées par la loi, agissaient dans les membres de notre corps et leur faisaient produire des fruits par la mort. Mais maintenant nous sommes affranchis de la loi de la mort dans laquelle nous étions retenus ; de sorte que nous servons Dieu dans la nouveauté de l’esprit, et non dans l’ancienneté de la lettre. » Si donc l’Apôtre nous ordonne de mourir à la loi par le corps de Jésus-Christ, c’est-à-dire par l’Église qui réside dans la nouveauté de l’Esprit, et non par l’ancienneté de la lettre, c’est-à-dire de la loi, en l’affranchissant de la loi qui ne lie pas la femme à l’époux qu’elle a perdu et ne l’empêche pas S’appartenir à un autre homme, il l’assujettit à la condition opposée et le défend de le remarier après la perle de ton premier mari. Autant tu serais loin de l’adultère, en le donnant à un autre époux après la perle du premier, si tu devais vivre encore sous le régime de la loi, autant, par la différence de l’institution nouvelle, l’Apôtre t’accuse d’adultère, si, après la mort de ton premier mari, tu en épouses un autre Déjà morte à la loi, tu ne peux plus profiter de ces condescendances depuis que tu as quitte la loi qui les autorisait.

XIV. Maintenant, quand bien même l’Apôtre eût permis absolument un second mariage à ceux qui étaient devenus veufs depuis qu’ils avaient embrassé la foi, il eût agi dans cette circonstance comme dans beaucoup d’autres où il s’écarte de sa propre règle, à cause de la nécessité des temps, comme, par exemple, lorsqu’il circoncit Timothée, à cause des faux frères qui étaient en ces lieux-là ; lorsque, contrairement à l’observance des Juifs, il introduit dans le temple des hommes rasés, lui qui réprimande les Galates, quand ils veulent garder les prescriptions de la loi. Mais les circonstances exigeaient « qu’il se fît tout à tous, pour les gagner tous, éprouvant pour eux les douleurs de l’enfantement, jusqu’à ce que Jésus-Christ fût formé en eux, » et réchauffant ces nouveaux-nés de la foi comme le fait une nourrice attentive, en les instruisant plutôt par condescendance que par commandement, -car autre chose est user d’indulgence, autre chose ordonner ; — conséquemment, leur accordant la faculté temporaire de se remarier, pour compatir à la faiblesse de la chair, de même que Moïse avait permis la répudiation, à cause de la dureté du cœur.

Ici, par conséquent, nous devons compléter ce sens. S’il est vrai que Jésus-Christ ait supprimé ce qu’avait ordonné Moïse, parce que cette institution « n’existait pas au commencement, » et que ce ne soit pas là une raison pour dire que le Christ est venu au nom d’une autre puissance, pourquoi le Paraclet n’aurait-il pas également supprimé ce que Paul a permis, puisque le second mariage n’exista point au commencement, et que le Paraclet ne peut exciter les soupçons ni passer pour un Esprit étranger, la doctrine nouvelle qu’il apporte étant digne de Dieu et de Jésus-Christ ? S’il a été digne de Dieu et de Jésus-Christ de donner un frein à la dureté du cœur, lorsque les temps furent consommés, pourquoi ne serait-il pas plus digne de Dieu et de Jésus-Christ-de secouer enfin l’infirmité de la, chair, lorsque les temps sont devenus plus courts ? S’il est juste de ne pas séparer le mariage, il est également honorable de ne pas le réitérer. Que dirai-je enfin ? Dans le siècle lui-même, on regarde comme une vertueuse discipline, ces deux choses, consacrées, la première sous le nom de concorde, la seconde sous le nom do pudicilé. La dureté du cœur régna jusqu’au Christ ; l’infirmité de la chair n’aura régné que jusqu’au Paraclet. La loi nouvelle supprima le divorce ; c’était assez faire. La prophétie nouvelle supprima le second mariage, et aussi le divorce du premier[8]. Mais la dureté du cœur céda plus volontiers au Christ que l’infirmité de la chair. Celle-ci revendique Paul plus que celle-là Moïse, si toutefois c’est le revendiquer que de l’adopter quand il accorde, que de le répudier quand il ordonne, elle qui cherche à échapper à ce qu’il préfère et à sa volonté de tous les instants ; elle qui ne nous permet pas de nous conformer à ce que l’Apôtre aime le mieux. Jusques à quand donc cette impudente infirmité de la chair continuera-t-elle de lutter contre les disciplines les plus glorieuses ? Son empire a duré jusqu’à l’avènement du Paraclet, époque à laquelle le Seigneur avait ajourné l’accomplissement des choses que l’on ne pouvait porter alors, mais que personne aujourd’hui ne peut plus repousser, parce que celui par lequel il est donné de les porter ne manque plus. Combien de temps encore alléguerons-nous le prétexte de la chair, parce que le Seigneur a dit : « La chair est faible ? » N’a-t-il pas déclaré auparavant « que l’Esprit est prompt, » afin que l’Esprit triomphe de la chair, et que la faiblesse cède à la force ? En effet, « que celui qui peut comprendre comprenne, » dit-il ; en d’autres termes, que celui qui se sent trop faible, se retire. Il se retira aussi ce riche, qui, pour n’avoir pas embrassé le précepte de partager ses biens avec l’indigent, fut abandonné par le Seigneur au libre arbitre de sa volonté. Il est impossible de rejeter ici sur la dureté de Jésus-Christ ce qui ne provient que de la dépravation de notre libre arbitre. « Voilà, dit le Seigneur, que j’ai placé devant toi le bien et le mal ; choisis ce qui est bien. » Si tu ne peux pas obéir, parce que tu ne le veux pas, car il montre que tu le peux, si tu le veux, puisqu’il a proposé l’un et l’autre à ton choix, éloignetoi de celui dont tu n’accomplis pas la volonté.

XV. Ici donc quel est notre orgueil, en renonçant à des hommes qui n’accomplissent pas la volonté de Dieu ? Quelle est notre hérésie, en condamnant les secondes noces comme illicites et entachées d’adultères ? Qu’est-ce en effet que l’adultère, sinon un mariage illégitime ? L’Apôtre censure ceux qui condamnaient absolument le mariage, et interdisaient les aliments créés par Dieu. Pour nous, tout en répudiant les secondes noces, nous ne supprimons pas plus le mariage, que nous ne réprouvons les aliments en jeûnant plus souvent. Autre chose est détruire, autre chose restreindre, autre chose est défendre le mariage, autre chose imposer un frein au mariage. D’ailleurs, pourquoi ceux qui nous accusent d’orgueil ou d’hérésie en cette matière, s’ils plaident si fort en faveur de l’infirmité de la chair, qu’il faille, selon eux, lui venir en aide par la pluralité des mariages, n’ont-ils pas pitié d’elle, et, n’embrassent-ils pas ses intérêts, lorsque les tortures lui ont arraché des paroles d’apostasie ? Celle qui a fléchi sur le champ de bataille ne mérite-t-elle pas plus d’excuse que celle qui a fléchi dans un appartement ? celle qui a succombé sur le chevalet plus que celle qui a succombé sur un lit ? celle qui a cédé à la cruauté plus que celle qui a cédé à la volupté ? celle qui a été vaincue au milieu des gémissements, plus que celle qui a été vaincue au milieu des transports de la luxure ? Que font-ils cependant ? Ils retranchent de leur communion celle-ci, qui n’a point persévéré jusqu’à la fin ; ils accueillent celle-là, comme si elle avait persévéré jusqu’à la fin. Examine pourquoi l’une et l’autre n’ont pas persévéré jusqu’à la fin. Tu trouveras que les motifs de celle qui n’a pu résister à la cruauté sont plus honorables que les motifs de celle qui n’a pu supporter la pudicité. Néanmoins, si l’infirmité de la chair n’est point une excuse pour la défection sanglante, à plus forte raison pour la défection impudique.

XVI. En vérité, je ris d’entendre nos antagonistes nous opposer l’infirmité de la chair, quand ils devraient bien plutôt en proclamer la vigueur. Se marier une seconde fois est une œuvre de force, il faut des reins pour passer du repos de la continence aux actes de la chair. Une pareille faiblesse suffit à un troisième, à un quatrième et jusqu’à un septième mariage ; de sorte que plus elle se proclame débile, plus elle se montre forte, décidée à prendre pour défenseur, non plus l’Apôtre, mais quelque Hermogène, qui épousa plus de femmes qu’il ne lui fut possible d’en peindre[9]. En effet, la matière abonde dans Hermogène. De là vient que, la prenant pour l’âme ce l’univers, il n’en est que plus éloigné d’avoir l’Esprit de Dieu, puisqu’il ne mérite pas même le nom de Psychique, quoique le Psychique n’ait pas reçu le souffle de Dieu.

Prétextez-vous l’indigence, déclarant ainsi que vous n’avez prostitué publiquement votre chair que pour trouver dans le mariage un moyen de subsistance, et oubliant que vous ne devez vous mettre en peine ni de votre nourriture, ni de votre vêtement ? Vous avez Dieu qui donne aux corbeaux leur nourriture, aux fleurs leur parure. Mettez-vous en avant la solitude de votre maison ? comme si une seule femme pouvait fournir une société nombreuse à un homme, toujours prêt à fuir[10] ! D’ailleurs, il y a des veuves, vous pouvez en prendre une. Des épouses de cette nature, il vous est libre d’en choisir, non pas une, mais plusieurs. Direz-vous que, regardant une postérité des mêmes yeux qu’autrefois la femme de Loth, vous ne revenez au mariage que parce que le premier a été stérile ? Quoi donc ! Le Chrétien, ce déshérité du siècle tout entier, cherchera des hérétiers ! D’ailleurs, n’avez-vous pas des frères ? N’avez-vous pas une mère, qui est l’Église ? Si vous croyez que les lois Juliennes[11] sont encore en vigueur sous l’empire du Christ, et que les vierges ou les hommes sans enfants ne sont aptes à rien recueillir de son testament, à la bonne heure. Mariez-vous donc éternellement, afin que le dernier jour vous surprenne dans ce continuel mélange de la chair, comme autrefois Sodome et Gomorrhe,ou les contemporains du déluge. A ces deux mots, « mangeons et buvons, » ajoutez-en un troisième, « marions-nous ; car nous mourrons demain ; » sans vous rappeler que cet anathème : « Malheur aux femmes enceintes ou nourrices, » sera bien plus amer et plus terrible, dans la destruction du monde tout entier, qu’il ne l’a été dans la dévastation de la Judée, qui n’est qu’une si faible partie du monde. Rassemblez donc par la réitération des mariages des fruits aussi bien appropriés aux derniers temps, que des mamelles gonflées de lait, et des flancs chargés de dégoût ou poussant des cris. Préparez à l’antechrist, je le veux bien, une plus riche matière à ses cruautés. Il vous amènera pour accoucheuses des bourreaux.

XVII. « La faiblesse de la chair, » répétez-vous ! En vérité, vous aurez là une merveilleuse prérogative à présenter au tribunal du Seigneur ! Mais alors elle n’aura plus pour juge un Isaac, notre père, qui ne connut qu’un seul mariage, un Jean, dont la virginité faisait les délices de Jésus-Christ ; une Judith, fille de Mérare, ni tant d’autres illustres saints. Il ne faudra que des juges païens. Une reine de Carthage se lèvera pour prononcer contre des Chrétiennes, elle qui, fugitive sur un sol étranger, au moment où elle aurait dû aspirer d’elle-même aux noces d’un roi, refuse d’en célébrer de secondes, et, par un exemple contraire, aime mieux brûler que de se marier. Auprès d’elle siégera cette dame romaine qui, outragée dans un attentat nocturne, mais n’en ayant pas moins subi les violences d’un étranger, lava dans son sang la souillure de sa chair, afin de venger sur elle-même les droits de la monogamie. Il s’en est rencontré qui aimèrent mieux mourir pour leurs époux que de se remarier après les avoir perdus.

Mais voilà que la monogamie et la viduité ont le privilège de servir les idoles. Il n’est permis de placer la couronne sur la tête de la Fortune féminine qu’à celle qui n’a eu qu’un époux. Il en est de même pour la déesse Matuta. Le grand pontife et l’épouse du flamme ne peuvent avoir été mariés qu’une fois. Les prêtresses de Cérés restent veuves du vivant et du consentement de leurs époux, séparés, quoique toujours unis. Il en est d’autres qui nous jugeront sur la continence absolue ; ce sont les vierges de Vesta, de Junon Achéenne, de Diane Scythique et d’Apollon Pythien. Mais, que dis-je ? Les prêtres du bœuf qu’adoré l’Égypte jugeront eux-mêmes la faiblesse des Chrétiens par rapport à la continence. Rougis, ô chair qui as revêtu Jésus-Christ ! Qu’il te suffise d’un mariage unique pour lequel tu as été faite des le commencement, et auquel tu es rappelée à la fin des siècles. Retourne à Adam, ne fût-ce qu’au premier, si tu n’as pas le courage d’aller jusqu’au second. Le premier Adam n’a goûté qu’une fois du fruit de l’arbre, n’a cédé qu’une ibis à la concupiscence, n’a couvert qu’une fois sa nudité, n’a rougi qu’une fois devant Dieu, et dès ce moment ne s’est marié qu’une fois. Si tu as existé dans lui, le voilà rendu à ton état ; si tu as passé dans Jésus-Christ, tu dois n’en être que meilleur. Montre-nous un troisième Adam, un Adam qui ait été marié deux fois, et alors tu pourras être ce que tu ne peux être entre ces deux Adam.


  1. Nom grec qui signifie mariage unique.
  2. Allusion à ces paroles de Jésus-Christ : Nolite vobis patrem vocare super terram ; unus enim est Pater vester qui in cœlis est.
  3. γαμεθη_.
  4. Ici Tertullien se trompe. La répudiation ne détruit pas le mariage ; elle ne fait que rompre la cohabitation, tandisque la mort brise le lien tout entier,
  5. Allusion à ces paroles de notre Seigneur : Moyses ad duritiam cordis vestri permisit vobis dimittere uxores vestras.
  6. Ville d’Afrique. C’était une colonie fondée par les Romains.
  7. La loi Scantinia portait les peines les plus sévères contre les corrupteurs de la jeunesse des deux sexes.
  8. L’Omniloquium de Moreau donne un autre sens à ce membre de phrase. Il veut que Montan ait supprimé non-seulement le second mariage, mais le premier. Nous n’avons pas été de cet avis, d’autant plus que Tertullien va démentir ce sens dans le chapitre qui suit, où il expose la doctrine des Montanistes.
  9. Hermogène avait été peintre avant d’embrasser le Christianisme et de tomber dans l’hérésie.
  10. La persécution. C’était encore un des reproches de Tertullien aux catholiques.
  11. Elles ordonnaient la paternité sous les peines les plus sévères.