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La Main gauche (Conard, 1910)/L’Endormeuse

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La Main gaucheLouis Conard, libraire-éditeur (p. 233-250).
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L’ENDORMEUSE.


La Seine s’étalait devant ma maison, sans une ride, et vernie par le soleil du matin. C’était une belle, large, lente, longue coulée d’argent, empourprée par places ; et de l’autre côté du fleuve, de grands arbres alignés étendaient sur toute la berge une immense muraille de verdure.

La sensation de la vie qui recommence chaque jour, de la vie fraîche, gaie, amoureuse, frémissait dans les feuilles, palpitait dans l’air, miroitait sur l’eau.

On me remit les journaux que le facteur venait d’apporter et je m’en allai sur la rive, a pas tranquilles, pour les lire.

Dans le premier que j’ouvris, j’aperçus ces mots : « Statistique des suicides » et j’appris que, cette année, plus de huit mille cinq cents être humains se sont tués.

Instantanément, je les vis ! Je vis ce massacre, hideux et volontaire des désespérés las de vivre. Je vis des gens qui saignaient, la mâchoire brisée, le crâne crevé, la poitrine trouée par une balle, agonisant lentement, seuls dans une petite chambre d’hôtel, et sans penser à leur blessure, pensant toujours à leur malheur.

J’en vis d’autres, la gorge ouverte ou le ventre fendu, tendant encore dans leur main le couteau de cuisine ou le rasoir.

J’en vis d’autres, assis tantôt devant un verre où trempaient des allumettes, tantôt devant une petite bouteille qui portait une étiquette rouge.

Ils regardaient cela avec des yeux fixes, sans bouger ; puis ils buvaient, puis ils attendaient ; puis une grimace passait sur leurs joues, crispait leurs lèvres ; une épouvante égarait leurs yeux, car ils ne savaient pas qu’on souffrait tant avant la fin.

Ils se levaient, s’arrêtaient, tombaient et, les deux mains sur le ventre, ils sentaient leurs organes brûlés, leurs entrailles rongées par le feu du liquide, avant que leur pensée fût seulement obscurcie.

J’en vis d’autres pendus au clou du mur, à l’espagnolette de la fenêtre, au crochet du plafond, à la poutre du grenier, à la branche d’arbre, sous la pluie du soir. Et je devinais tout ce qu’ils avaient fait avant de rester là, la langue tirée, immobiles. Je devinais l’angoisse de leur cœur, leurs hésitations dernières, leurs mouvements pour attacher la corde, constater qu’elle tenait bien, se la passer au cou et se laisser tomber.

J’en vis d’autres couchés sur des lits misérables, des mères avec leurs petits enfants, des vieillards crevant la faim, des jeunes filles déchirées par des angoisses d’amour, tous rigides, étouffés, asphyxiés, tandis qu’au milieu de la chambre fumait encore le réchaud de charbon.

Et j’en aperçus qui se promenaient dans la nuit sur les ponts déserts. C’étaient les plus sinistres. L’eau coulait sous les arches avec un bruit mou. Ils ne la voyaient pas…, ils la devinaient en aspirant son odeur froide ! lis en avaient envie et ils en avaient peur. Ils n’osaient point ! Pourtant, il le fallait. L’heure sonnait au loin à quelque clocher, et soudain, dans le large silence des ténèbres, passaient, vite étouffes, le claquement d’un corps tombant dans la rivière, quelques cris, un clapotement d’eau battue avec des mains. Ce n’était parfois aussi que le clouf de leur chute, quand ils s’étaient lié les bras ou attaché une pierre aux pieds.

Oh ! les pauvres gens, les pauvres gens, les pauvres gens, comme j’ai senti leurs angoisses, comme je suis mort de leur mort ! J’ai passé par toutes leurs misères ; j’ai subi, en une heure, toutes leurs tortures. J’ai su tous les chagrins qui les ont conduits là ; car je sens l’infamie trompeuse de la vie, comme personne, plus que moi, ne l’a sentie.

Comme je les ai compris, ceux qui, faibles, harcelés par la malechance, ayant perdu les êtres aimés, réveillés du rêve d’une récompense tardive, de l’illusion d’une autre existence où Dieu serait juste enfin, après avoir été féroce, et désabusés des mirages du bonheur, en ont assez et veulent finir ce drame sans trêve ou cette honteuse comédie.

Le suicide ! mais c’est la force de ceux qui n’en ont plus, c’est l’espoir de ceux qui ne croient plus, c’est le sublime courage des vaincus ! Oui, il y a au moins une porte à cette vie, nous pouvons toujours l’ouvrir et passer de l’autre côté. La nature a eu un mouvement de pitié ; elle ne nous a pas emprisonnés. Merci pour les désespérés !

Quant aux simples désabusés, qu’ils marchent devant eux l’âme libre et le cœur tranquille. Ils n’ont rien à craindre, puisqu’ils peuvent s’en aller ; puisque derrière eux est toujours cette porte que les dieux rêvés ne peuvent même fermer.

Je songeais à cette foule de morts volontaires : plus de huit mille cinq cents en une année. Et il me semblait qu’ils s’étaient réunis pour jeter au monde une prière, pour crier un vœu, pour demander quelque chose, réalisable plus tard, quand on comprendra mieux. Il me semblait que tous ces suppliciés, ces égorgés, ces empoisonnés, ces pendus, ces asphyxiés, ces noyés, s’en venaient, horde effroyable, comme des citoyens qui votent, dire à la société : « Accordez-nous au moins une mort douce ! Aidez-nous à mourir, vous qui ne nous avez pas aidés à vivre ! Voyez, nous sommes nombreux, nous avons le droit de parler, en ces jours de liberté, d’indépendance philosophique et de suffrage populaire. Faites à ceux qui renoncent à vivre l’aumône d’une mort qui ne soit point répugnante ni effroyable. »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je me mis à rêvasser, laissant ma pensée vagabonder sur ce sujet en des songeries bizarres et mystérieuses.

Je me crus, à un moment, dans une belle ville. C’était Paris ; mais à quelle époque ? J’allais par les rues, regardant les maisons, les théâtres, les établissements publics, et voilà que, sur une place, j’aperçus un grand bâtiment, fort élégant, coquet et joli.

Je fus surpris, car on lisait sur la façade, en lettres d’or : « Œuvre de la mort volontaire ».

Oh ! étrangeté des rêves éveillés où l’esprit s’envole dans un monde irréel et possible ! Rien n’y étonne ; rien n’y choque ; et la fantaisie débridée ne distingue plus le comique et le lugubre.

Je m’approchai de cet édifice, où des valets en culotte courte étaient assis dans un vestibule, devant un vestiaire, comme à l’entrée d’un cercle.

J’entrai pour voir. Un d’eux, se levant, me dit :

— Monsieur désire ?

— Je désire savoir ce que c’est que cet endroit.

— Pas autre chose ?

— Mais non.

— Alors, monsieur veut-il que je le conduise chez le secrétaire de l’œuvre ?

J’hésitais. J’interrogeai encore :

— Mais, cela ne le dérangera pas ?

— Oh non, monsieur, il est ici pour recevoir les personnes qui désirent des renseignements.

— Allons, je vous suis.

Il me fit traverser des couloirs où quelques vieux messieurs causaient ; puis je fus introduit dans un beau cabinet, un peu sombre, tout meublé de bois noir. Un jeune homme, gras, ventru, écrivait une lettre en fumant un cigare dont le parfum me révéla la qualité supérieure.

Il se leva. Nous nous saluâmes, et quand le valet fut parti, il demanda :

— Que puis-je pour votre service ?

— Monsieur, lui répondis-je, pardonnezmoi mon indiscrétion. Je n’avais jamais vu cet établissement. Les quelques mots inscrits sur la façade m’ont fortement étonné ; et je désirerais savoir ce qu’on y fait.

Il sourit avant de répondre, puis, à mi-voix, avec un air de satisfaction :

— Mon Dieu, monsieur, on tue proprement et doucement, je n’ose pas dire agréablement, les gens qui désirent mourir.

Je ne me sentis pas très ému, car cela me parut en somme naturel et juste. J’étais surtout étonné qu’on eût pu, sur cette planète à idées basses, utilitaires, humanitaires, égoïstes et coercitives de toute liberté réelle, oser une pareille entreprise, digne d’une humanité émancipée.

Je repris :

— Comment en êtes-vous arrivé là ?

Il répondit :

— Monsieur, le chiffre des suicides s’est tellement accru pendant les cinq années qui ont suivi l’Exposition universelle de 1889 que des mesures sont devenues urgentes. On se tuait dans les rues, dans les fêtes, dans les restaurants, au théâtre, dans les wagons, dans les réceptions du président de la République, partout. C’était non seulement un vilain spectacle pour ceux qui aiment bien vivre comme moi, mais aussi un mauvais exemple pour les enfants. Alors il a fallu centraliser les suicides.

— D’où venait cette recrudescence ?

— Je n’en sais rien. Au fond, je crois que le monde vieillit. On commence à y voir clair, et on en prend mal son parti. Il en est aujourd’hui de la destinée comme du gouvernement, on sait ce que c’est ; on constate qu’on est floué partout, et on s’en va. Quand on a reconnu que la providence ment, triche, vole, trompe les humains comme un simple député ses électeurs, on se fâche, et comme on ne peut en nommer une autre tous les trois mois, ainsi que nous faisons pour nos représentants concessionnaires, on quitte la place, qui est décidément mauvaise.

— Vraiment !

— Oh ! moi, je ne me plains pas.

— Voulez-vous me dire comment fonctionne votre œuvre ?

— Très volontiers. Vous pourrez d’ailleurs en faire partie quand il vous plaira. C’est un cercle.

— Un cercle !!…

— Oui, monsieur, fondé par les hommes les plus éminents du pays, par les plus grands esprits et les plus claires intelligences.

Il ajouta, en riant de tout son cœur :

— Et je vous jure qu’on s’y plaît beaucoup.

— Ici ?

— Oui ici.

— Vous m’étonnez.

— Mon Dieu ! on s’y plaît parce que les membres du cercle n’ont pas cette peur de la mort qui est la grande gâcheuse des joies sur la terre.

— Mais alors, pourquoi sont-ils membres de ce cercle, s’ils ne se tuent pas ?

— On peut être membre du cercle sans se mettre pour cela dans l’obligation de se tuer.

— Mais alors ?

— Je m’explique. Devant le nombre démesurément croissant des suicides, devant les spectacles hideux qu’ils nous donnaient, s’est formée une société de pure bienfaisance, protectrice des désespérés, qui a mis à leur disposition une mort calme et insensible, sinon imprévue.

— Qui donc a pu autoriser une pareille œuvre ?

— Le général Boulanger, pendant son court passage au pouvoir. Il ne savait rien refuser. Il n’a fait que cela de bon, d’ailleurs. Donc, une société s’est formée d’hommes clairvoyants, désabusés, sceptiques, qui ont voulu élever en plein Paris une sorte de temple du mépris de la mort. Elle fut d’abord, cette maison, un endroit redouté, dont personne n’approchait. Alors, les fondateurs, qui s’y réunissaient, y ont donné une grande soirée d’inauguration avec Mme Sarah Bernhardt, Judic, Théo, Granier et vingt autres, MM. de Reszké, Coquelin, Mounet-Sully, Paulus, etc. ; puis des concerts, des comédies de Dumas, de Meilhac, d’Halévy, de Sardou. Nous n’avons qu’un four, une pièce de M. Becque, qui a semblé triste, mais qui a eu ensuite un très grand succès à la Comédie-Française. Enfin tout Paris est venu. L’affaire était lancée.

— Au milieu des fêtes ! Quelle macabre plaisanterie !

— Pas du tout. Il ne faut pas que la mort soit triste, il faut qu’elle soit indifférente. Nous avons égayé la mort, nous l’avons fleurie, nous l’avons parfumée, nous l’avons faite facile. On apprend à secourir par l’exemple ; on peut voir, ça n’est rien.

— Je comprends fort bien qu’on soit venu pour les fêtes ; mais est-on venu pour… Elle ?

— Pas tout de suite, on se méfiait.

— Et plus tard ?

— On est venu.

— Beaucoup ?

— En masse. Nous en avons plus de quarante par jour. On ne trouve presque plus de noyés dans la Seine.

— Qui est-ce qui a commencé ?

— Un membre du cercle.

— Un dévoué ?

— Je ne crois pas. Un embêté, un décavé, qui avait eu des différences énormes au baccarat, pendant trois mois.

— Vraiment ?

— Le second a été un Anglais, un excentrique. Alors, nous avons fait de la réclame dans les journaux, nous avons raconté notre procédé, nous avons inventé des morts capables d’attirer. Mais le grand mouvement a été donné par les pauvres gens.

— Comment procédez-vous ?

— Voulez-vous visiter ? je vous expliquerai en même temps.

— Certainement.

Il prit son chapeau, ouvrit la porte, me fit passer puis entrer dans une salle de jeu où des hommes jouaient comme on joue dans tous les tripots. Il traversait ensuite divers salons. On y causait vivement, gaiement.

J’avais rarement vu un cercle aussi vivant, aussi animé, aussi rieur.

Comme je m’en étonnais :

— Oh ! reprit le secrétaire, l’œuvre a une vogue inouïe. Tout le monde chic de l’univers entier en fait partie pour avoir l’air de mépriser la mort. Puis, une fois qu’ils sont ici, ils se croient obligés d’être gais afin de ne pas paraître effrayés. Alors, on plaisante, on rit, on blague, on a de l’esprit et on apprend à en avoir. C’est certainement aujourd’hui l’endroit le mieux fréquenté et le plus amusant de Paris. Les femmes mêmes s’occupent en ce moment de créer une annexe pour elles.

— Et malgré cela, vous avez beaucoup de suicides dans la maison ?

— Comme je vous l’ai dit, environ quarante ou cinquante par jour. Les gens du monde sont rares ; mais les pauvres diables abondent. La classe moyenne aussi donne beaucoup.

— Et comment… fait-on ?

— On asphyxie,… très doucement.

— Par quel procédé ?

— Un gaz de notre invention. Nous avons un brevet. De l’autre côté de l’édifice, il y a les portes du public. Trois petites portes donnant sur de petites rues. Quand un homme ou une femme se présente, on commence à l’interroger ; puis on lui offre un secours, de l’aide, des protections. Si le client accepte, on fait une enquête et souvent nous en avons sauvé.

— Où trouvez-vous l’argent ?

— Nous en avons beaucoup. La cotisation des membres est fort élevée. Puis il est de bon ton de donner à l’œuvre. Les noms de tous les donateurs sont imprimés dans le Figaro. Or tout suicide d’homme riche coûte mille francs. Et ils meurent à la pose. Ceux des pauvres sont gratuits.

— Comment reconnaissez-vous les pauvres ?

— Oh ! oh ! monsieur, on les devine ! Et puis ils doivent apporter un certificat d’indigents du commissaire de police de leur quartier. Si vous saviez comme c’est sinistre, leur entrée ! J’ai visité une fois seulement cette partie de notre établissement, je n’y retournerai jamais. Comme local, c’est aussi bien qu’ici, presque aussi riche et confortable ; mais eux… Eux !!! Si vous les voyiez arriver, les vieux en guenilles qui viennent mourir ; des gens qui crèvent de misère depuis des mois, nourris au coin des bornes comme les chiens des rues ; des femmes en haillons, décharnées, qui sont malades, paralysées, incapables de trouver leur vie et qui nous disent, après avoir raconté leur cas : « Vous voyez bien que ça ne peut pas continuer, puisque je ne peux plus rien faire et rien gagner, moi ». J’en ai vu venir une de quatre-vingt-sept ans, qui avait perdu tous ses enfants et petits-enfants, et qui, depuis six semaines, couchait dehors. J’en ai été malade d’émotion. Puis, nous avons tant de cas différents, sans compter les gens qui ne disent rien et qui demandent simplement : « Où est-ce ? » Ceux-là, on les fait entrer, et c’est fini tout de suite.

Je répétai, le cœur crispé :

— Et… où est-ce ?

— Ici.

Il ouvrit une porte en ajoutant :

— Entrez, c’est la partie spécialement réservée aux membres du cercle, et celle qui fonctionne le moins. Nous n’y avons eu encore que onze anéantissements.

— Ah ! vous appelez cela un… anéantissement.

— Oui, monsieur. Entrez donc.

J’hésitais. Enfin j’entrai. C’était une délicieuse galerie, une sorte de serre, que des vitraux d’un bleu pâle, d’un rose tendre, d’un vert léger, entouraient poétiquement de paysages de tapisseries. Il y avait dans ce joli salon des divans, de superbes palmiers, des fleurs, des roses surtout, embaumantes, des livres sur des tables, la Revue des Deux-Mondes, des cigares en des boîtes de la régie, et, ce qui me surprit, des pastilles de Vichy dans une bonbonnière.

Comme je m’en étonnais :

— Oh ! on vient souvent causer ici, dit mon guide.

Il reprit :

— Les salles du public sont pareilles, mais plus simplement meublées.

Je demandai :

Il désigna du doigt une chaise longue, couverte de crêpe de Chine crémeux, à broderies blanches, sous un grand arbuste inconnu, au pied duquel s’arrondissait une plate-bande de réséda.

Le secrétaire ajouta d’une voix plus basse :

— On change à volonté la fleur et le parfum, car notre gaz, tout à fait imperceptible, donne à la mort l’odeur de la fleur qu’on aima. On le volatilise avec des essences.

Voulez-vous que je vous le fasse aspirer une seconde ?

— Merci, lui dis-je vivement, pas encore…

Il se mit à rire.

— Oh ! monsieur, il n’y a aucun danger. Je l’ai moi-même constaté plusieurs fois.

J’eus peur de lui paraître lâche. Je repris ;

— Je veux bien.

— Étendez-vous sur l’Endormeuse.

Un peu inquiet, je m’assis sur la chaise basse en crêpe de Chine, puis je m’allongeai, et presque aussitôt je fus enveloppé par une odeur délicieuse de réséda. J’ouvris la bouche pour la mieux boire, car mon âme déjà s’était engourdie, oubliait, savourait, dans le premier trouble de l’asphyxie, l’ensorcelante ivresse d’un opium enchanteur et foudroyant.

Je fus secoué par le bras.

— Oh ! oh ! monsieur, disait en riant le secrétaire, il me semble que vous vous y laissez prendre.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mais une voix, une vraie voix, et non plus celle des songeries, me saluait avec un timbre paysan :

— Bonjour, m’sieu. Ça va-t-il ?

Mon rêve s’envola. Je vis la Seine claire

Sous le soleil, et, arrivant par un sentier, le garde champêtre du pays, qui touchait de sa main droite son képi noir galonné d’argent. Je répondis :

— Bonjour, Marinel. Où allez-vous donc ?

— Je vais constater un noyé qu’on a repêché près des Morillons. Encore un qui s’a jeté dans le bouillon. Même qu’il avait retiré sa culotte pour s’attacher les jambes avec.


L’Endormeuse a paru dans l’Écho de Paris du 16 septembre 1889.