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Élémens de chimie/Partie 1/1

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Imprimerie de Jean-François Picot (p. 19-37).
SECTION PREMIÈRE.


De la loi générale qui tend à rapprocher et à maintenir dans un état de mélange ou de combinaison les molécules des corps.


Il a suffi à l’Être suprême de donner aux molécules de la matière une force d’attraction réciproque pour nécessiter l’arrangement que nous présentent les corps de cet univers : par une suite très-naturelle de cette loi primordiale, les élémens des corps ont dû se presser sur eux-mêmes, il a dû se former des masses par leur réunion, et insensiblement se sont établis des corps solides et compactes vers lesquels, comme vers un centre, ont dû peser les corps plus foibles et plus légers.

Cette loi d’attraction que les Chimistes appellent affinité, tend sans cesse à rapprocher les principes qui sont désunis, retient avec plus ou moins d’énergie ceux qui sont déjà combinés ; et on ne peut opérer aucun changement dans la nature sans rompre ou modifier cette puissance attractive.

Il est donc naturel, il est même nécessaire de parler de la loi des affinités, avant de s’occuper des moyens d’analyse.

L’affinité s’exerce, ou bien entre des principes de même nature, ou bien entre des principes de nature différente.

D’après cela, nous pouvons distinguer deux espèces d’affinité par rapport à la nature des corps, 1°. l’affinité d’aggrégation, ou celle qui existe entre deux principes de même nature ; 2°. l’affinité de composition, ou celle qui retient dans un état de combinaison deux ou plusieurs principes de nature différente.

AFFINITÉ D’AGGRÉGATION.

Deux gouttes d’eau qui se réunissent en une seule forment un aggrégé dont chaque goutte est connue sous le nom de partie intégrante.

L’aggrégé diffère de l’amas en ce que les parties intégrantes de celui-ci n’ont aucune adhésion sensible entr’elles, comme dans des tas de bled, de sable, etc.

L’aggrégé et l’amas différent du mélange en ce que dans ce dernier les parties constituantes sont de nature différente, comme dans la poudre à canon.

L’affinité d’aggrégation est d’autant plus forte, que les parties intégrantes sont plus rapprochées : ainsi tout ce qui tend à éloigner et à séparer ces parties intégrantes diminue leur affinité et affoiblit leur force de cohésion.

La chaleur produit cet effet sur la plupart des corps connus, de là vient que les métaux fondus n’ont plus de consistance : le calorique en se combinant avec les corps produit presque toujours un effet opposé à la force d’attraction, et l’on seroit autorisé à le regarder comme un principe de répulsion, si la saine chimie ne nous avoit prouvé qu’il ne produit cet effet qu’en cherchant à se combiner avec les corps et diminuant nécessairement par là leur rapport d’aggrégation, comme font tous les agens chimiques. En outre, l’extrême légèreté du calorique fait que, lorsqu’il est combiné avec un corps quelconque, il tend sans cesse à l’élever et à vaincre cette force qui le retient et le précipite vers la terre.

Les opérations mécaniques du pilon, du marteau, du ciseau diminuent pareillement l’affinité d’aggrégation : elles éloignent les parties intégrantes les unes des autres ; et cette nouvelle disposition, en présentant moins d’adhésion et plus de surface, facilite l’abord des agens chimiques et en augmente l’énergie : c’est à ce dessein, qu’on divise les corps quand on veut les analyser, et qu’on facilite l’effet des réactifs par le secours de la chaleur.

La division mécanique des corps est d’autant plus difficile que leur aggrégation est plus forte.

Les aggrégés se présentent sous plusieurs états : ils sont solides, liquides, aériformes, etc. Voyez M. de Fourcroy.


AFFINITÉ DE COMPOSITION.


Les corps de diverse nature exercent les uns sur les autres une tendance ou une attraction plus ou moins forte, et c’est en vertu de cette force que s’opèrent tous les changemens de composition ou de décomposition qu’on observe entr’eux.

L’affinité de composition nous offre dans tous ses phénomènes des loix invariables, dont nous pouvons faire des principes auxquels nous rapporterons tous les effets que nous présentent le jeu et l’action des corps les uns sur les autres.

I. L’affinité de composition n’agit qu’entre les parties constituantes des corps.

La loi générale de l’attraction s’exerce sur les masses, et en cela elle diffère de la loi des affinités qui n’agit sensiblement que sur les molécules élémentaires des corps : deux corps mis à côté l’un de l’autre ne se confondent point, mais si on les divise et qu’on les mêle il peut en résulter une combinaison, on en voit des exemples lorsqu’on triture le muriate de soude avec la litarge, le muriate d’ammoniaque avec la chaux, etc. et on peut avancer que l’énergie de l’affinité de composition est presque toujours proportionnée au degré de division des corps.

II. L’affinité de composition est en raison inverse de l’affinité d’aggrégation.

Il est d’autant plus difficile de décomposer un corps que les principes constituans en sont unis et retenus par une force plus grande : les gaz et surtout les vapeurs tendent sans cesse à la combinaison parce que leur aggrégation est foible, et la nature qui renouvelle à chaque instant les productions de cet univers ne combine jamais solide à solide, mais elle réduit tout en gaz, rompt par ce moyen les entraves de l’aggrégation, et ces gaz en s’unissant entr’eux forment à leur tour des solides.

De là vient sans-doute que l’affinité de composition est d’autant plus forte, que les corps approchent plus de l’état élémentaire ; et nous observerons, à ce sujet, que c’est même une loi très-sage de la nature, car si la force ou affinité de composition n’augmentoit pas à mesure que les corps sont ramenés à ce degré de nudité, si les corps ne prenoient pas une tendance décidée à s’unir et à se combiner à proportion qu’ils avoisinent leur état primitif ou élémentaire, la masse des élémens iroit toujours croissant par les décompositions successives et non interrompues, et nous retomberions insensiblement dans ce cahos ou cette confusion de principes qu’on suppose avoir été le premier état de ce globe.

C’est la nécessité de cet état de division si propre à augmenter l’énergie de l’affinité qui a fait recevoir, comme un principe incontestable, que pour que l’affinité de composition ait lieu, il faut que l’un des corps soit fluide, corpora non agunt nisi sint fluida ; mais il me paroît qu’une division extrême peut remplacer une dissolution, car l’une et l’autre de ces opérations ne tendent qu’à diviser et à atténuer les corps qu’on veut combiner sans en altérer la nature ; c’est en raison de cette division qui équivaut à une dissolution, que s’opèrent la décomposition du muriate de soude par la trituration avec le minium, l’union à froid et à sec de l’alkali à l’antimoine, le dégagement de l’ammoniaque par le simple mélange du muriate d’ammoniaque avec la chaux.

III. Lorsque deux ou plusieurs corps s’unissent par affinité de composition leur température change.

On ne peut rendre raison de ce phénomène, qu’en regardant le fluide de la chaleur comme un principe constituant des corps réparti inégalement entr’eux : de sorte que lorsqu’il survient quelque changement dans les corps ce fluide est déplacé à son tour, ce qui emmène nécessairement un changement de température. Nous reviendrons sur ces principes en parlant de la chaleur.

IV. Le composé qui résulte de la combinaison de deux corps a des propriétés tout-à-fait différentes de celles des principes constituans.

Quelques Chimistes ont avancé que les propriétés du composé étoient moyennes entre celles des principes constituans : mais ce terme moyen n’a aucun sens dans le cas présent ; car, entre l’aigre et le doux, l’eau et le feu, peut-il y avoir des qualités moyennes ?

Pour peu qu’on réfléchisse sur les phénomènes que nous présentent les corps dans les compositions, on verra que la forme, la saveur, la consistance, se dénaturent dans les combinaisons ; et nous ne pouvons établir aucun principe qui nous indique à priori tous les changemens qui peuvent survenir et la nature et les propriétés du corps qu’on forme.

V. Chaque corps a ses affinités marquées avec les diverses substances qu’on lui présente.

Si tous les corps avoient entr’eux le même degré d’affinité, il n’y auroit aucun changement : en présentant les corps l’un à l’autre, nous n’opérerions le déplacement d’aucun principe ; la nature a donc fait sagement de varier les affinités et de marquer à chaque corps le degré de rapport qu’il a avec tous ceux qu’on peut lui présenter.

C’est à raison de cette différence dans les affinités qu’on opère toutes les décompositions en chimie ; c’est sur elle que sont fondées toutes les opérations de la nature et des arts ; il importe donc de bien connoître tous les phénomènes et toutes les circonstances que peut nous présenter cette loi de décomposition.

L’affinité de composition a reçu différens noms d’après ses effets ; et on la divise en affinité simple, affinité double, affinité d’intermède, affinité réciproque, etc.

1°. Deux principes unis entr’eux, et séparés par le moyen d’un troisième, donnent un exemple de l’affinité simple : c’est le déplacement d’un principe par l’addition d’un troisième. Bergmann lui a donné le nom d’attraction élective.

Le corps chassé ou déplacé est connu sous le nom de précipité : l’alkali précipite les métaux de leurs dissolutions, l’acide sulfurique précipite le muriatique, le nitrique, etc.

Le précipité n’est pas toujours formé par le corps déplacé : quelquefois c’est le nouveau composé qui se précipite, comme, par exemple, lorsque je verse de l’acide sulfurique sur une dissolution de muriate de chaux ; d’autrefois le corps déplacé et le nouveau composé se précipitent, c’est ce qui arrive lorsqu’on décompose le sulfate de magnésie dissous dans l’eau par le moyen de l’eau de chaux.

2°. Il arrive souvent que le composé de deux principes ne peut être détruit, ni par un troisième, ni par un quatrième corps qui lui sont appliqués séparément ; mais, si on unit ces deux corps et qu’on les mette en contact et en action avec ce même composé, il y a alors décomposition ou échange de principes, c’est ce phénomène qui constitue l’affinité double.

Un exemple nous rendra cette proposition plus claire et plus précise : le sulfate de potasse n’est complètement décomposé ni par l’acide nitrique ni par la chaux, quand on les lui présente séparément ; mais si on combine l’acide nitrique avec la chaux, ce nitrate de chaux décompose le sulfate de potasse : dans ce dernier cas, l’affinité de l’acide sulfurique avec l’alkali est affoiblie par son affinité avec la chaux ; cet acide exerce donc deux attractions, l’une qui le retient à l’alkali, l’autre qui l’attire vers la chaux. M. Kirwann a appellé la première affinité quiescente, et la seconde affinité divellente. Ce que nous disons des affinités de l’acide est applicable aux affinités de l’alkali, il est retenu à l’acide sulfurique par une force supérieure et néanmoins attiré par l’acide nitrique ; supposons maintenant, que l’acide sulfurique adhère à la potasse avec une force comme 8 et à la chaux avec une force égale à 6, que l’acide nitrique adhère à la chaux par une force comme 4 et tende à s’unir à l’alkali avec une force comme 7 ; on voit déjà que l’acide nitrique et la chaux appliqués séparément au sulfate de potasse ne produiront aucun changement ; mais si on les présente dans un état de combinaison, alors l’acide sulfurique est attiré d’une part par 6 et retenu par 8, il a donc une adhésion effective à l’alkali comme 2 ; d’un autre côté l’acide nitrique est attiré par une force comme 7 et retenu par une comme 4, reste une tendance à s’unir à l’alkali comme 3 ; il doit donc déplacer l’acide sulfurique qui n’est retenu que par une force comme 2.

3°. Il est des cas, où deux corps n’ayant aucune affinité sensible entr’eux reçoivent la disposition à s’unir par l’intermède d’un troisième, c’est ce qu’on appelle affinité d’intermède : l’alkali est l’intermède de l’union de l’huile avec l’eau ; de-là, la théorie des lessives, des décreusages, etc.

Si les affinités des corps étoient bien connues, on pourroit prédire les résultats de toutes les opérations ; mais on sent combien il est difficile d’acquérir cette étendue de connoissances, surtout depuis les découvertes modernes qui nous ont fait connoître des modifications infinies dans les opérations, et nous ont appris que les résultats pouvoient varier avec tant de facilité que l’absence ou la présence de la lumière en déterminent de très-différens.

Lorsque la chimie étoit bornée à la connoissance de quelques substances et qu’elle n’étoit occupée que de quelques faits, il étoit possible alors de dresser des tables d’affinité, et de présenter dans le même tableau le résultat de nos connoissances ; mais tous les principes sur lesquels on avoit construit ces échelles ont reçu des modifications, le nombre des principes s’est accru, et nous sommes obligés de travailler sur de nouvelles bases. On peut voir une esquisse de ce grand ouvrage dans le traité des affinités du cél. Bergmann, et à l’article affinité de l’Encyclopédie méthodique.

VI. Les molécules que leur affinité rapproche et réunit, qu’elles soient de même nature ou de nature différente, tendent sans cesse à former des corps qui présentent une forme polièdre, constante et déterminée.

Cette belle loi de la nature, par laquelle elle imprime à toutes ses productions une figure constante et régulière, paroît avoir été ignorée des anciens ; et lorsque les Chimistes ont commencé à reconnoître que presque tous les corps du règne minéral affectoient des formes régulières, ils les ont d’abord désignées d’après la grossière ressemblance qu’on a cru appercevoir entr’elles et des corps connus : de-là les dénominations des crystaux, en tombeaux, en aiguilles, en pointes de diamans, en croix, en lames de couteau, etc.

C’est sur-tout au cél. Linné qu’on doit les premières idées précises sur ces figures géométriques : il a reconnu la constance et l’uniformité de ce caractère ; et ce cél. naturaliste a cru pouvoir en faire la base de sa méthode de classification dans le règne minéral.

M. de Romé de Lisle a été encore plus loin : il a soumis à un examen rigoureux toutes les formes, il les a décomposées, pour ainsi dire, et a cru reconnoître dans tous les crystaux des corps analogues ou identiques de simples modifications et les nuances d’une forme primitive : par ce moyen, il a ramené à quelques formes premières toutes les formes confuses et bizarres, et a attribué à la nature un plan ou un dessein primitif qu’elle varie et modifie de mille manières selon les circonstances qui influent sur son travail. Cette marche vraiment grande et philosophique a jeté le plus grand intérêt sur cette partie de la minéralogie ; et, en convenant que M. de Lisle a peut-être poussé trop loin ces rapprochemens, nous ne pouvons pas disconvenir qu’il ne mérite une place distinguée parmi les auteurs qui ont contribué aux progrès de la science : on peut lire avec avantage la crystallographie de ce célèbre naturaliste.

M. l’Abbé Hauy a ensuite appliqué le calcul aux observations : il a prétendu prouver qu’il y avoir un noyau ou forme primitive à chaque crystal, et a fait connoître les loix de décroissement auxquelles sont assujetties les lames composantes des crystaux considérés dans le passage de la forme primitive aux formes secondaires : on peut voir le développement de ces beaux principes et leur application aux crystaux les plus connus dans sa théorie sur la structure des cristaux, etc., et dans plusieurs de ses mémoires imprimés dans les volumes de l’Académie des Sciences.

Les travaux réunis de ces cél. naturalistes ont porté la crystallographie à un degré de perfection dont elle ne paroissoit pas susceptible : mais nous ne nous occuperons en ce moment que des principes d’après lesquels s’opère la crystallisation.

Pour disposer un corps à la crystallisation, il faut préalablement en opérer une division aussi complète qu’il est possible.

Cette division peut s’effectuer par dissolution ou par une opération purement mécanique.

La dissolution peut s’opérer par le moyen de l’eau, ou par le moyen du feu ; celle des sels se fait en général dans le premier liquide, celle des métaux s’exécute à l’aide du second, et leur dissolution n’est complète que lorsqu’on leur applique une chaleur assez forte pour les porter à l’état de gaz.

Lorsqu’on évapore l’eau qui tient un sel en dissolution, on rapproche insensiblement les principes du corps dissous, et on l’obtient sous forme régulière ; il en est à peu près de même de la dissolution par le feu, dès qu’un métal est imprégné de ce fluide il ne crystallise qu’autant que cet excédent de fluide lui est soustrait.

Pour que la forme du crystal soit régulière, il faut la réunion de trois circonstances, le temps, l’espace et le repos. V. Linné, Daubenton, etc.

A. Le temps fait dissiper lentement le liquide surabondant, et rappoche insensiblement et sans secousses les molécules intégrantes qui s’unissent alors selon des loix constantes, et forment par conséquent un crystal régulier. C’est pour cette raison que l’évaporation lente est recommandée par tous les bons Chimistes. V. Stahl, traité des sels, cap. 29.

À proportion que l’évaporation du dissolvant s’effectue, les principes du corps dissous se rapprochent et leur affinité augmente à chaque instant tandis que celle du dissolvant reste la même : de-là vient, sans doute, que les dernières portions du dissolvant sont plus difficilement volatilisées, et que les sels en retiennent plus ou moins, ce qui forme l’eau de crystallisation. Non-seulement la proportion de l’eau de crystallisation varie beaucoup dans les divers sels, mais elle y adhère plus ou moins ; il y en a quelques-uns qui la laissent dissiper dès qu’ils sont exposés à l’air, tels que la soude, le sulfate de soude, etc. et alors ces sels perdent leurs transparence, tombent en poussière, et on les appelle sels effleuris : il en est d’autres qui retiennent obstinément l’eau de crystallisation, tels que le muriate de potasse, le nitrate de potasse, etc.

Les phénomènes que nous présentent les divers sels, lorsqu’on les prive forcément de leur eau de crystallisation, offrent encore des variétés : les uns pétillent sur le feu, et se dispersent en éclats lorsque l’eau se dissipe, c’est ce qu’on appelle décrépitation ; d’autres exhalent en fumée cette même eau, ce se liquéfient en diminuant de volume ; quelques-uns se boursoufflent et se tuméfient.

Nous devons à M. Kirwann une table précise sur la quantité d’eau de crytallisation que contient chaque sel ; on peut la consulter dans sa minéralogie.

Le simple refroidissement du liquide qui tient un sel en dissolution peut le précipiter en grande partie : le calorique et l’eau dissolvent une plus grande quantité de sel lorsque leur action est réunie, et l’on conçoit aisément que la soustraction d’un des dissolvans doit entraîner la précipitation de la portion qu’il tenoit dissoute ; ainsi l’eau chaude saturée de sel doit en laisser précipiter une partie par le refroidissement : c’est pour cette raison que la crystallisation commence toujours à la surface de la liqueur et sur les parois du vase, parce que ces parties sont les premières à éprouver le refroidissement.

C’est l’alternative du froid et du chaud qui fait que l’air atmosphérique dissout tantôt plus, tantôt moins, ce qui constitue les brouillards, le serein, la rosée, etc.

On peut encore hâter le rapprochement des parties constituantes d’un corps dissous, en présentant à l’eau qui les tient en dissolution un corps avec lequel elle ait plus d’affinité qu’elle n’en a avec elles ; c’est d’après ce principe que l’alkool précipite plusieurs sels.

B. L’espace est encore une condition nécessaire pour obtenir une crystallisation régulière : si la nature est gênée dans ses opérations, son travail se ressentira de cet état de détresse ; et l’on diroit qu’elle moule ses productions sur toutes les circonstances qui peuvent influer sur ses opérations.

C. Le repos du liquide est encore nécessaire pour obtenir des formes bien régulières : une agitation non interrompue s’oppose à tout arrangement simétrique, et l’on n’obtient dans ce cas qu’une crystallisation confuse et peu prononcée.

Je suis persuadé que pour obtenir les corps sous forme de crystaux, il n’est point nécessaire d’une dissolution préalable, mais qu’il suffit d’une simple division mécanique : pour se convaincre de cette vérité il nous suffira d’observer que la dissolution ne dénature point les corps et qu’elle n’en procure qu’une division extrême, de sorte que les principes désunis, rapprochés peu à peu et sans secousses s’adaptent l’un à l’autre en suivant les loix invariables de leur pesanteur et de leur affinité, or une division purement méchanique produit le même effet et met les principes dans la même disposition ; ne soyons donc pas surpris si la plupart des sels, tels que le gypse, dispersés dans la terre, prennent des formes régulières sans une dissolution préalable ; ne soyons pas surpris si les fragmens imperceptibles de quartz, de spath, etc., entraînés et prodigieusement divisés par les eaux, se déposent et forment des crystaux bien prononcés.

On peut distinguer dans les sels une propriété très-singulière qu’on pourroit rapporter à la crystallisation, mais qui s’en éloigne parce qu’elle ne dépend pas des mêmes causes ; c’est la vertu qu’ils ont de grimper sur les parois des vases qui en contiennent la dissolution, et c’est ce qu’on appelle végétation saline.

J’ai démontré le premier que ce phénomène dépendoit du concours de l’air et de la lumière, et qu’on pouvoit déterminer à volonté cet effet sur tel ou tel point des vaisseaux, en maîtrisant et dirigeant l’action de ces deux agens.

J’ai fait connoître les principales formes qu’affectoit cette singulière végétation ; et on peut voir les détails de mes expériences dans le 3e. vol. de l’Académie de Toulouse.

M. Dorthes a confirmé mes résultats, et a observé de plus que le camphre, l’esprit de vin, l’eau, etc. qui s’élèvent par évaporation insensible des flacons à moitié pleins, alloient se fixer constamment sur les points les plus éclairés des vases.

MM. Petit et Rouelle avoient parlé de la végétation des sels ; mais il nous manquoit une suite d’expériences à ce sujet, et nous avons eu pour but de remplir cette tâche.