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Études védiques/01

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INTRODUCTION


Mon but, en écrivant ces études védiques, n’est pas de venir après Rosen et Wilson, après MM. Nève et Benfey, jeter quelque lumière sur certains passages difficiles du livre des hymnes (Rig-Vêda, ou plus correctement, RgVêda). Non, j’ai voulu faire une œuvre de propagande scientifique ; j’ai voulu essayer de montrer à tous les humanistes comment, à l’aide des procédés historico-comparatifs de la science nouvelle, il leur faudra peu de temps et de labeur pour comprendre le plus ancien livre du monde, dans sa forme originale et vénérable à tant de titres. J’ai voulu, en traduisant et en analysant les principaux chants du premier des Védas, initier les penseurs à la philosophie et à l’histoire religieuse des plus antiques tribus de notre race.

La méthode suivie dans ce travail est la méthode moderne, la seule possible, la seule vraie, la seule certaine pour l’investigation scientifique, la méthode expérimentale appliquée à la linguistique. Avec son aide, la science des langues n’est plus un composé de jeux de mots, d’hypothèses plus ou moins justes et très souvent plus ou moins absurdes.

C’est maintenant une science naturelle armée de lois fournies par l’observation, contrôlées par l’expérience et qui frappent avec l’implacable rigueur de la vérité. En linguistique, les systèmes préconçus ne sont désormais plus admissibles. Devant les faits de l’histoire du langage dans les diverses races humaines, les conjectures ethnologiques et philosophiques, faites si souvent à priori, tombent frappées par l’évidence, poursuivies qu’elles sont jusqu’aux dernières limites de la réalité ; car où les textes manquent, l’histoire naturelle des mots vient continuer son carnage des hypothèses dans ces temps immémoriaux où les premiers hommes de chaque race balbutiaient leurs impressions et leurs sensations, qu’on retrouve aujourd’hui dans la dissection des vocables.

De quel puissant secours est aujourd’hui cette méthode naturelle, cette science positive du langage, dans l’interprétation des textes les plus anciens et partant les plus intéressants ! Les expressions les plus obscures sont éclairées d’un jour nouveau. Le sens exact du mot est précisé d’une façon rigoureuse, l’équivoque ne peut plus exister, et si, dans les langues plus raffinées, un mot se prête à plusieurs interprétations, on se rend compte à présent de la cause de cette diversité, on suit le progrès de la pensée dans le mot lui-même, et l’on arrive à en fixer le vrai sens avec certitude.

Ne croyez pas cependant que ce travail soit un labeur écrasant et terrible. La linguistique n’est pas si effrayante, si ardue qu’on pourrait le croire. Pour la savoir, et s’en servir utilement, il faut surtout et avant tout être dégagé de tout préjugé scientifique ; il faut, comme dans toutes les sciences possibles, répudier la méthode à priori. Alors, l’esprit libre et sain, on apprend les lois plus simples et moins nombreuses qu’on ne pense de la philologie comparée ; on les étudie, on les expérimente, on les applique, et l’on est convaincu de la certitude, de l’intérêt et de l’utilité de la science du langage.

Dans ce travail de critique historique et de philologie, il n’y a pas lieu d’insister sur l’excellence de la méthode naturelle dans l’étude des langues classiques et des langues vivantes, mais il est nécessaire de constater les résultats admirables de cette méthode dans les études védiques qui m’occupent particulièrement ici. On sait que les Védas sont écrits en sanskrit ; ce qui est moins connu, c’est que le sanskrit védique n’est ni le sanskrit littéraire des Épopées, ni le sanskrit des lois de Manou. L’idiome védique est rempli d’archaïsmes, a des formes plus antiques, plus complètes, a des tournures grammaticales plus nombreuses et qui lui sont propres ; il a même des expressions dont le sens est lettre close pour les plus érudits Pandits de l’Inde, ou qu’ils comprennent de travers. Or, c’est à la philologie comparée qu’on est redevable de la traduction exacte et certaine de ces mots inconnus ou mal compris.

La philologie comparée est également d’un secours tout puissant dans une science nouvelle et bien intéressante, je veux parler de la mythologie comparée. En donnant le sens antique et primordial des noms des divinités, elle a donné en même temps l’histoire des mythes à leur naissance, cachée ou obscurcie par les systèmes théologiques des époques plus récentes. L’étude des Védas, surtout du Rig-Véda, a été d’une utilité incomparable pour la mythologie de la race indo-européenne. Avant qu’on le connût, la science des mythes de l’Inde et de l’Europe se débattait entre des symboliques de convention et des traditions de seconde et même de troisième main.

Maintenant quelques mots de critique et d’histoire sur l’ensemble du Rig-Véda.

Ce recueil d’hymnes d’une antiquité des plus reculées, contient les chants des Aryas qui, abandonnant la vallée de l’Oxus et du Yaxartes, traversèrent l’Hindou-Koh et vinrent faire paître leurs troupeaux dans la vallée de l’Indus. Ces chants sont de diverses époques et contiennent les impressions d’un peuple entier pendant plusieurs siècles. Par les images dont ils sont pleins, par les détails sur la vie sociale, sur la nature, qui y abondent, on suit l’émigration aryaque depuis une contrée boisée de l’Asie centrale jusqu’à la région gangétique. On assiste aux scènes de la vie pastorale un peu agricole d’une fraction de nos ancêtres. Dans ce monument, le plus antique que nous possédions, on retrouve les pensées, les désirs, les rêves des Aryas, frères des autres Aryas qui colonisèrent l’Europe, on y retrouve surtout les germes des mythes religieux des divers peuples aryens de l’Occident, mythes qui, d’une façon ou d’une autre, influent encore aujourd’hui sur notre civilisation moderne. Mais ce n’est pas ici le lieu, pour l’instant du moins, de rechercher la marche de ces mythes dans les divers rameaux de la race aryaque ou indo-européenne ; je n’ai à m’occuper que du Rig-Véda, dont les hymnes aux divers dieux de la nature remontent en moyenne à vingt mille ans. Cette date peut paraître bien exagérée, surtout eu égard à l’habitude qu’ont prise les indianistes de répéter l’opinion de Colebrooke qui, pour complaire et satisfaire à des préjugés religieux, ne fait remonter les hymnes védiques qu’à 12 ou 1400 ans avant Jésus-Christ ; mais un travail chronologique sérieux sur l’histoire de l’Inde ne permet pas à cette hypothèse biblique, si j’ose m’exprimer ainsi, de subsister devant des faits indéniables. On reviendra, du reste, un jour dans cette Revue, sur cette question d’une importance considérable à tous les points de vue.

Avec tous leurs détails tirés de la vie pratique, les chants du Rig-Véda sont néanmoins principalement religieux, et s’adressent tous à une ou plusieurs divinités. Mais le panthéon védique n’est point le panthéon brahmanique, dont il est cependant le père. De même que dans les Védas, il n’est point question de castes, de même il n’est pas question de la trinité indienne : Brahma, Vishnou et Çiva ; ces noms ne sont même que peu ou point mentionnés. On y remarque pourtant une espèce de division ternaire en dieux supérieurs, en dieux du milieu et en dieux inférieurs, comme chez les anciens Grecs et les anciens Romains ; de la sorte on peut arriver à avoir une trinité en prenant le dieu principal de chaque division, par exemple Varouna pour le dieu du ciel ou supérieur, Indra pour le dieu de l’athmosphère ou du milieu, et Agni pour le dieu de la terre ou inférieur. La place d’Agni et d’Indra est marquée d’avance dans la trinité védique par le grand nombre et l’importance des hymnes qui leur sont adressés, et j’ai choisi Varouna pour chef et représentant des dieux célestes à cause de la mention qui est faite de lui plusieurs fois dans le Rig-Véda, comme chef des Adityas, ou dieux solaires ; cela contrairement à l’opinion de Wilson qui le remplace par Sourya, le soleil, d’après le Yaska. Il est à remarquer que ce commentateur dit clairement que ces trois dieux sont adorés sous différents noms, mais n’en restent pas moins trois divinités qui ne sont que les personnifications d’un Dieu unique, l’âme de l’Univers, mahâ atma, le svayambhou des lois de Manou. Cette idée monothéiste, et mieux panthéiste, existe dans quelquesunes des hymnes de la dernière époque védique.

Je vais donc prendre les principaux chants adressés aux trois dieux, et, en les analysant et les traduisant, faire une étude complète sur les mythes qu’ils contiennent et sur la langue dans laquelle ils sont écrits ; tant dans le travail historico-philosophique, que dans le travail philologique, je me reporterai vers la Grèce et vers Rome comme plus connues des lettrés français. Je dirai le nom de l’auteur de l’hymne, tel que la tradition l’a apporté jusqu’à nos jours, et le rhythme dans lequel il a composé ces vers religieux.

Avant de commencer l’étude du premier hymne du Rig-Véda, je veux conseiller à nos lecteurs qui voudraient connaître rapidement l’époque védique, la lecture des Études sur le Véda, de M. Émile Burnouf ; c’est un excellent compendium des résultats historiques des études védiques, malgré la condescendance de l’auteur envers l’erreur chronologique de Colebrooke.

ṚG-VEDA-SAMHITA
Premier Maṇḍala
Hymne I, à Agni, dieu du feu, envisagé comme pontife, composé sur le rhythme Gâyatrî, par Maduc’handa, fils de Viçvâmitra.

1. — Agnim îḷe purohitam yajñàsya devam ṛtvijam | hotâram ratnadhâ­tamam.[1]

1. Agnim celebro antiquum-pontificem, sacrificii divum ritus-agentem, | invocatorem, thesauris-ditissimum. — Analyse philologique et linguistique des mots importants contenus dans cette stance :

Agnim, accusatif singulier de agni (je mets l’article grec pour indiquer le genre du nom sanskrit), le feu d’abord, et le plus souvent le dieu du feu. Agni, le même mot que le latin ignis, vient d’une racine AG, altérée de Ṛg, briller, brûler.

Iḷe, 1re pers. sing. de l’indicatif présent atmanépadam pour îḍe, je chante, je célèbre, j’illustre, d’une racine Idh ou Id, briller, qui a donné le lat. idus, le moment du mois où brille la pleine lune, et où l’on célébrait à Rome le dieu de la lumière, Jupiter Lucetius, ou Dies piter. L’identification de l’idée de chant ou de parole avec l’idée de lumière se retrouve dans les dérivés du verbe primitif aryaque BHA, briller, parmi lesquels on rencontre le grec φαω, je brille, à côté de φημι, je parle. Quant au signe au lieu de , c’est un changement assez fréquent en sanskrit ; exemples : puroḷasa au lieu de puroḍasa, çoḷasa au lieu de çoḍasa, etc.

Purohitam, accus. sing. de purohita, composé de puras, autrefois, vieux, avant, que j’aurai à expliquer plus loin, et de hita pour {{lang|sa-Latn|dhita, participe passé d’un verbe DHA, poser, et qui signifie « préposé (au sacrifice.) » Rosen, en traduisant par {{lang|la|antistitem, a voulu donner un équivalent linguistique de purohita. Wilson, rattachant ce substantif au génitif yajn’asya, du sacrifice, qui suit me semble à côté de la véritable interprétation du texte.

Yajn’asya, gén. sing. de yajn’a, le sacrifice, substantif formé avec un participe parfait passif du verbe yaj, vénérer, sacrifier.

Devam, accus. sing. de deva, divin, lat. divus, qui a aussi le sens de magnifique, resplendissant ; d’un verbe DIW, briller, resplendir.

ṛtvijam, acc. sing. de ṛtvij, le prêtre, composé de ṛtu, marche, ordre, rit, et de ij pour AG, conduire. ṛtvij est donc le directeur de la cérémonie religieuse, le prêtre. Le substantif Rtu est le même que le lat. Ritus, et vient d’un verbe primitif Ṛ aller, mouvoir, par la forme renforcée Ṛt, tandis qu’une autre forme Ṛg transformée en AG a donné Ajati, il meut, en latin Agit ou en composition — Igit.

Hotâram, acc. sing. de hôtṛ, l’invocateur, de hu ou hve, chanter, invoquer.

Ratnadhâtamam, acc. sing. d’un composé de ratna, perle, trésor, richesse, et du superlatif dhâtama, surchargé de, du verbe DHA, tenir, posséder. Il est bon de remarquer qu’ici la forme du superlatif -ma est la même que le superlatif latin, — mus.

2. — Agnih pûrvebhir ṛṣibhir îḍyo nûtanair uta | sa devân eha vakṣati[2].

Analyse, etc.

Pûrvebhir, instrumental pluriel de l’adjectif pûrva mfn. signifiant antérieur dans l’espace et dans le temps, formé à l’aide du suffixe va (cfr. ûrdh-va-s, en lat. ardvus, aç-va-s, eq-vu-s), et de la préposition para (grec παρα ; lat. per ; goth. fro, -fair ; all. ver ; angl. for- ; lithuanien, par, per ; russe, pro, pere), plus avant, plus loin, au delà, à travers, pour APARA, forme comparative en RA de APA, loin de (grec, απο ; lat. ab, a ; goth. af ; all. ab ; angl. of ; lith. ap ; russe, ab, o). À côté de parva, il faut placer son frère puras, adv. de lieu et de temps, avant, en avant, que j’ai déjà signalé dans la précédente strophe dans puro-hita. Le lat. pristinus, dont je me suis servi plus haut, appartient également à la famille de PARA pour APARA.

ṛṣibhir, instrumental pluriel de ṛṣi, connu en France sous la forme déplorable, comme prononciation, de Richi !! ṛṣi, le voyant, le prophète, formé par le verbe ṛṣ, de ṛkṣ, voir, vient d’un RG, forme secondaire de R, briller, luire, brûler.

Iḍyo, euphoniquement, pour îḍyas, -yâ -yam, part. pass. fut. du verbe îḍ chanter, cfr. îḷe dans la première strophe.

Nûtanair, instrum. plur. de nûtana, pour anûtana, de ANU, après, d’après, suivant. En grec, ανα. ANU a donné anava, postérieur, nouveau ; en grec νέϝος ; en lat. novus ; en all. neu ; en russe, novo.

Sa, pronom de la 3e personne.

Eha, composé de â+iha pour ad+idha.

Vakṣati, 3e pers. sing. subjonctif aoriste du verbe vah, conduire, et, avec â, amener, cfr. le lat. vehere, Rosen identifie vakṣati à un futur, vakṣyati, ce qui n’est pas possible. Le scholiaste hindou suppose que c’est un ancien optatif vakṣat ; cette opinion, fort douteuse du reste, a sa raison d’être dans le sens gens général du texte.

3. — Agninâ rayim açnavat poṣam eva divé-dive | yaçasam vîravattamam[3].

Analyse, etc.

Rayim, acc. sing. de rayi, le bien, la richesse, d’un verbe RA, forme secondaire de R, tenir, posséder. Le latin possède dans res le mot frère de rayi.

Açnavat, 3e pers. sing. du subj. de l’aoriste du thème açnu du verbe , obtenir. Le scholiaste considère açnavat comme optatif, et Rosen comme une sorte de prétérit imparfait.

Poṣam, acc. sing. d’un adjectif issu de puṣ nourrir, se nourrir, et croître, du verbe radical aryaque PU nourrir.

Dive-dive, cette répétition de deux locatifs de diva, le jour prend une signification adverbiale : de jour en jour. Cfr. avec le même sens dyavi-dyavi, ahani-ahani, ahar-ahar, et mâsi-mâsi, de mois en mois.

Pour l’analyse linguistique, voir plus haut deva, à la 1re strophe. Diva se retrouve en grec dans le composé ενδιϝος ; au milieu du jour, et en latin dans dies, et divâ dans diu, et dans les composés biduum, triduum, etc.

Yaçasam, acc. sing. de l’adject. yaçasa, glorieux, de το yaças, la gloire, pour dyaças, de daças, du verbe DA, DAÇ, tenir, faire tenir, montrer, et plus tard faire admirer, célébrer ; la forme latine de daças est decus.

Vîravattamam, acc. sing. du superlatif de vîravat, plein de virilité, abondant en mâles, de vîra ; cfr. le lat. vir. L’état pastoral et agricole, en même temps que les luttes continuelles des Aryas avec les Mlèćhas et les Dasyous, expliquent le désir des chantres du Rig-Véda de voir s’accroître les mâles, tant dans la famille que dans les troupeaux.

4. — Agne, yàm, yajn’àm adhvaràm viçvàtah paribhûr àsi |sa id devèṣu gaćhati[4].

Analyse, etc.

Adhvaram, acc. sing. de l’adj. adhvara, composé de a privatif, et de dhvara, du verbe DHWṚ, contourner, cacher, dissimuler ; adhvara signifie ce qui n’est pas dissimulé, sincère, bon.

Viçvtas, adv. de lieu, issu de viçva, tout, complet, dérivé de viç, race, et signifiant ainsi tout ce qui a la même forme, la même espèce, puis l’ensemble des individus, tout, entier.

Paribhûs, composé de pari, pour apari, gr. περι, autour, et de bhûs, participe présent d’un verbe BHU, être, qu’on retrouve en lat. dans fui, futurus etc.

Asi, pour assi, 2e pers. sing. ind. prés. du verbe asmi, je suis, du verbe primitif AS, souffler, respirer, être. Asi est le même que le gr. εισι, le lat. es.

Gaćhati, 3e pers. sing. ind. prés. pour gaććhati, lequel est lui-même pour l’inchoatif gashati, il va, de la racine GAM, aller, qui a donné en grec, avec le changement si fréquent du Γ en Β, βαινωp, pour βανιω, et en latin venire, pour genire, pour gvenire ; cfr vadere, pour gvadere.

5. — Agnir hotâ kavikratuh satyàç ćitraçravastamah | devo devebhir â gamat[5].

Analyse, etc.

Kavikratus, composé de kavi, le poète, de KU pour SKU, voir, contempler, et de kratus, gr. κρατος, d’un verbe primitif KṚ, serrer, durcir, être fort.

Satyas, de sat bon, beau, vrai, existant réellement, du verbe AS, respirer, exister.

Çravastamas, superlatif de çravasta, adj. de το çravas, la gloire, grec το κλεϝος du verbe radical KRU, çru, crier, célébrer, qui a donné aussi le lat. laus pour claus.

Gamat, aoriste au subjonctif de gaććhâmi. Voir plus haut (4e strophe).

6. — Yad añga dâcuṣe tvam, agne bhadram, kariṣyasi | tavet tat satyam angirah[6].

Analyse, etc.

Añga, du verbe ANG ou AG (voir plus haut Agni, 1re strophe), brûler, briller, luire.

Dâçuṣe (cfr. yaçasa, 3e strophe). Au lieu de son sens admiratif, la racine daç a conservé ici sa signification de faire tenir, offrir.

Tvam, pronom de la 2e personne, en lat. tu.

Bhadram, lumineux ; heureux, gai, gr. φαιδρος, de bhad, racine secondaire de BHA, briller.

Kariṣiyasi, 2e p. sing. de kariṣyâmi, fut. du verbe primitif KR, faire, en grec, on trouve κρεω, et en lat. creo.

Tavet, composé de tava, gén. du pronom de la 2e per. et de la conjonction it, seulement, du pron. it ou id, cela, un.

Tat pour tad, pronom démonstratif, relatif à yad.

Angiras, cfr. anga, et agni. Je reviendrai plus bas sur la signification mythologique de cette épithète.

7. — Upa tvâgne divé-dive doṣâvastar dhiyâ vayàm namo bharanta emasi[7].

Analyse, etc.

Upa, auprès, en gr. υπο, lat. sub, goth. uf, all. auf, lith. et russe po, a aussi le sens de vers, comme dans le cas qui se présente.

Doṣâvastar, composé : 1o de doṣâ, la nuit, la malfaisante de duṣ, mal, en grec, en composition δυς…, de DWI, DU, fendre, diviser, détruire ; 2° et de vastar, du verbe WAS, d’où US, allumer, brûler, briller, en lat. ur-ere (pour us-ere), us-tum.

Dhiyâ, instrumentat. de dhî la méditation, la prière, est composé du préfixe adhi, sur, dont l’a est tombé, et du verbe I, aller ; c’est, comme image, la pensée qui se porte et se reporte sur un objet.

Vayam, nom. plur. du pronom de la 1re pers. cfr. l’all. wir, et l’angl. we ; το namas, du verbe sanskrit nam, en grec νεμω, s’incliner, vénérer ; aryaque primitif GHNAM, courber, fléchir.

Bharantas, part. prés. plur. de bharâmi, je porte ; gr. φερω, lat. fero, goth. baira, all. baere, angl. bear, russe beru, gael. beir, d’un radical BHṚ, porter.

Emasi, 1re pers. plur. ind. du verbe I, aller ; Emasi est identique à imus, lat. de ire. On trouve aussi en grec ειμι, guné de Ιμι, et le moyen ιεμαι ; de même eimi en lith.

8. — Râjantam adhvarânâm gopâm ṛtasya dîdivim vardhamânam sve dame[8].

Analyse, etc.

Râjantam, acc. sing. de râjant, part. prés. de râjâmi, verbe védique, le même que le lat. regere, le goth. rikan et l’all. regen, du verbe aryaque Ṛ et ṚG, aller, mouvoir, diriger.

Adhvarânâm, gén. plur. de adhvara, le sacrifice (cfr. plus haut de l’adj. adhvara, 4e strophe). Ici, l’idée de vérité, de non-dissimulation, est remplacée par l’idée de non-détournement des prémices dues aux divinités.

Gopâm, acc. sing. de gopâ, le berger, le vacher ; car c’est un composé de gos, le bœuf, la vache ; en grec βους, en lat. bos, en all. kuh, et angl. cow, d’un verbe GU, crier, mugir, et de PA, courber, entourer, garder.

Rtasya, gén. sing. de ṛta, la vérité, de Ṛ, serrer, tenir, ce qui tient ferme, ce qui est bien, antithèse du faux, ce qui tombe, cfr. falsus, de fallere, tomber, all. fallen.

Dîdivim, acc. sing. de dîdiv formé de di ou racine Ire de div, briller, et de div lui-même, resplendissant, riche (cfr. devas, dieu, et dive-dive, dans les précédents alinéas).

Vardhamânam, acc. sing. d’un participe prés. atman, de WṚDH, croître, grandir.

Sve, locatif sing. de sva, pronom possessif, lat. suus, a, um.

Dame, loc. sing. de dama, maison, en lat. domus, en esclavon domü, d’une racine verbale DAM, serrer, joindre, bâtir.

9. — Sa nah pitéva sûnavé’ gne sûpâyano bhava saćasvâ nah svastaye[9].

Analyse, etc.

Sa, pronom de la 3e personne ; en grec . Ici, sa est prise comme marque de précision, d’affirmation.

Nas, dat. acc. et gén. plur. du pro. de la 1re personne.

Piteva, composé de pitâ et de iva, comme Pitâ, nom. sing. de pitṛ, le père, grec πατηρ, lat. pater, got. fadar, all. vater, angl. father, de PA, sustenter, nourrir.

Sûnave, dat. sing. de sûnu, lith. sunus, russe syn, got. sunus, all. sohn, angl. son, d’une racine verbale SU, féconder, engendrer, qui a donné, par le verbe sûte et sûyate, le nom grec ὑιος pour συιος.

Sûpâyanas, composé 1o de su, pour wasu, grec ϝευ et ευ, bien ; 2o de upa (voir plus haut 7e strophe) ; 3o et de το âyana, l’abord, de âyâmi de I, aller, par composition. Sûpâyanas veut donc dire : d’un abord facile.

Bhava, impératif du verbe BHU, être (cfr. plus haut paribhús, 4e strophe).

Saćasva, impér. atmanep. de saćâmi, zend hac’, grec ἑπομαι, pour σεκομαι, lat. sequor, d’une racine SA, SAC’, joindre, adhérer, suivre, accompagner. Ici, le sens d’accompagner a fait place à celui d’aider, de secourir, comme le ferait un associé pour son compagnon (socius).

Svastaye, forme de datif verbal, particulière au langage védique. Svasti est composé de su, bien, et de asti, existence de AS, être, et signifie « état de bien être. »

traduction française.

1. Je célèbre Agni le pontife antique, le directeur divin du sacrifice, l’invocateur, le possesseur de nombreux trésors.

2. Agni, célébré par les anciens Richis comme par les nouveaux, qu’il amène ici lui-même les dieux.

3. Que, par l’entremise d’Agni, l’homme pieux obtienne une opulence qui s’accroisse de jour en jour, qui lui procure de la gloire, et qui abonde en progéniture mâle.

4. Agni, le sacrifice, que tu embrasses de toutes parts, celui-là seul parvient jusqu’aux dieux.

5. Agni, invocateur, toi qui as la force créatrice comme un poète, toi qui es vrai, toi qui es plein de gloire, ô dieu, viens ici avec les dieux !

6. Le bien que tu feras, ô Agni, à ton adorateur, te sera aussi très propice, ô Angiras !

7. À toi, ô Agni, dissipateur des ténèbres, nous apportons chaque jour nos hommages et nos prières !

8. À toi, directeur des sacrifices, pasteur de la vérité, à toi qui es plein de splendeur, à toi qui t’accrois dans ta propre demeure (le bûcher) !

9. Sois-nous d’un abord facile, ô Agni ! comme un père l’est pour son fils, et viens-nous en aide pour faire le bonheur de notre vie.


Cet hymne, bien que le premier du recueil, n’est pas un des plus anciens. On a vu qu’au deuxième çloka, il est fait mention d’autres chants plus anciens, composés par de plus anciens poètes. En outre, l’auteur Madućanda, est fils d’un sage ou Richi[10], nommé Viçvamitra. Or ce dernier, d’après la tradition brahmanique, était un roi qui, par la force de ses méditations, s’éleva a la dignité de brahmane. Il est vrai de dire que le Rig-Véda, qui contient nombre de poésies de Viçvamitra, ne fait jamais allusion à cet incident. Néanmoins, la tradition, malgré ces détails d’une époque postérieure, est une preuve de l’existence réelle et quasi-historique de Viçvamitra, tandis que s’il eut été un des chantres de l’émigration de la vallée de l’Oxus à la vallée de l’Indus, il eût été confondu dans des récits mythiques avec des personnages fabuleux. Ainsi d’Angiras, qui fut sans doute un des premiers poètes aryas, qui donna son nom à une famille sacerdotale, les Angirasas, et qui est confondu avec le dieu Agni, comme on a pu le voir dans le 6e çloka. Confusion aisée à faire, car ce nom est parent d’Angara, le charbon, comme le fait remarquer le Yakṣa, qui cite un passage de l’Aitareya.

Dans l’hymne que j’ai traduit et analysé, le lecteur a dû remarquer qu’Agni est surtout envisagé comme intermédiaire entre les dieux et les hommes, et comme sacrificateur, quoique bien des allusions soient faites à d’autres qualités qu’il possède. Je citerai la protection qu’il est censé accorder à la génération, ce qui est la cause de la demande qui lui est faite d’une nombreuse progéniture mâle. Mais son principal office est ici d’embraser les offrandes, de les consumer, et d’en porter l’essence dans ses flammes et sa fumée aux dieux qui descendent aussi pour goûter les dons des pieux humains. À côté de cet attribut, on a pu voir qu’il était aussi bienfaisant et amateur de la vérité ; le principe de ces qualités est contenu dans ces mots : « Dissipateur des ténèbres. » En effet, pour un peuple enfant tel que les Aryas de l’époque védique, rien d’effrayant, d’épouvantable, de malfaisant comme la nuit froide, pleine d’embûches, résonnant des cris des bêtes fauves, et si propice aux assassinats et aux larcins ; on comprend sans peine alors l’adoration de ces hommes pour le feu, qui remplace le soleil, qui réchauffe, qui déjoue les entreprises criminelles et nocturnes ; et, en se mettant à la place de ces tribus primitives, on partage aisément les sentiments qui faisaient appeler Agni, le feu divinisé, du nom de père, de pasteur de la vérité.

Ainsi donc, on a vu dans cet hymne Agni pontife et être bienfaisant. On le verra plus tard dans la suite de ces Études védiques chanté comme messager, comme dieu de la génération, envisagé enfin sous des formes variées et bizarres peut-être, et pourtant empreintes d’un profond sentiment de la Nature et du Réel.

Girard de Rialle.
  1. Je donne d’abord le texte védique, strophe par strophe, puis une traduction latine aussi mot à mot que possible, et, à la fin de ce travail, une traduction française.
  2. Agnis a pristinis videntibus canendus recentibusque quoque (canendus), ipse deos ad— huc —vehat.
  3. Per agnim rem obtineat (homo) crescentem revera de die in diem, decoris-plenam, viris-abundantem.
  4. O Agnis, quod sacrificium sincerum undique circumdans es, istud solummodo ad-deos vadit.
  5. Agnis, invocator, ut-poeta-potens, verax, valde-gloriosus, deus cum-diis ad-veniat.
  6. Quod vero offerenti tu, ô Agnis, magnificum fececeris, tui ergo certe illud bonum (erit), ô-tu-qui-angiras-es.
  7. Ad te, ô Agnis, quotidie, o noctis-expulsor, cum devotione nos venerationem ferentes imus.
  8. (Imus ad te). Rectorem sacrificiorum pastorera veri, splendorum divitem, crescentem in-propria domo.
  9. Ipse nobis, pater veluti filio, o Agnis, propitius esto ; adjuva nos ad-bene-vivendum.
  10. L’orthographe correcte est Rṣi, mais l’usage à consacré Richi