Évangéline/Introduction

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Traduction par Léon Pamphile LeMay.
P.-G. Delisle (p. 13-15).


ÉVANGÉLINE


Salut, vieille forêt ! Noyés dans la pénombre
Et drapés fièrement dans leur feuillage sombre,
Tes sapins résineux et tes cèdres altiers
Qui se bercent au vent sur le bord des sentiers,
Jetant, à chaque brise, une plainte sauvage,
Ressemblent aux chanteurs qu’entendit un autre âge,
Aux Druides anciens dont la lugubre voix
S’élevait prophétique au fond d’immenses bois !

Et l’océan plaintif vers ses rives brumeuses
S’avance en agitant ses vagues écumeuses.
Et de profonds soupirs s’élèvent de ses flots
Pour répondre, ô forêt, à tes tristes sanglots !

Vieille forêt, salut ! Mais tous ces cœurs candides
Qu’on voyait tressaillir comme les daims timides
Que le cor du chasseur a réveillés soudain.
Que sont-ils devenus ? Je les appelle en vain !…
Et le joli village avec ses toits de chaume ?
Et la petite église avec son léger dôme ?
Et l’heureux Acadien qui voyait ses beaux jours
Couler comme un ruisseau dont le paisible cours
Traverse des forêts qui le voilent d’ombrage,
Mais réfléchit aussi du ciel la pure image ?
Partout la solitude, aux foyers comme aux champs !
Plus de gais laboureurs ! la haine des méchants,

Un jour, les a chassés comme au bord d’une grève
Le sable frémissant que la brise soulève
Roule en noirs tourbillons jusqu’au plus haut de l’air
Et sème sur les flots de la bruyante mer !
Le hameau de Grand Pré n’est qu’une souvenance ;
Le saule y croit, le merle y siffle sa romance.

Ô vous tous qui croyez à cette affection
Qui s’enflamme et grandit avec l’affliction ;
Ô vous tous qui croyez au bon cœur de la femme,
À la force, au courage, à la foi de son âme,
Écoutez, un récit que les bois d’alentour
Et l’océan plaintif redisent tour à tour ;
Écoutez une histoire aussi belle qu’ancienne,
Une histoire d’amour de la terre Acadienne !