Œuvres complètes de Bernard Palissy/Discours admirables de la Nature des eaux et fontaines, etc./Au lecteur

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Texte établi par Paul-Antoine CapJ.-J. Dubochet et Cie (p. 188-189).

AV LECTEVR.




A mi lecteur, le grand nombre de mes iours et la diuersité des hommes m’a fait connoistre les diuerses affections et opinions indicibles qui sont en l’vniuers : entre lesquelles i’ay trouué l’opinion de la multiplication, generation et augmentation des metaux, plus inueteree en la ceruelle de plusieurs hommes que nulle des autres opinions. Et par ce que ie sçay que plusieurs cherchent ladite sçience sans penser en fraude ny malice, ains pour vne asseurance qu’ils ont que la chose est possible : cela m’a causé protester par cest escrit que ie n’entens aucunement blasmer trois manieres de personnes. Sçauoir est les seigneurs, qui pour occuper leurs esprits et par maniere de recreation, sans estre menez d’affection de gaing illegitime. Les seconds sont toutes especes de physiciens, ausquels est requis de connoistre les natures. Les troisiemes sont ceux qui ont le pouuoir, et qui croyent la chose estre possible, et qui pour rien ne voudroyent en abuser. Et parce que, i’ay entrepris de parler contre vn milier d’autres qui sont indignes d’vne telle science, et totalement incapables, à cause de leur ignorance et peu d’experience. Aussi parce qu’ils n’ont le pouuoir de supporter les pertes des fautes qui suruiennent, ils sont contraincts abuser de teintures exterieures et sophistications de metaux. Pour ces causes ay-ie entrepris de parler viuement, auec preuues inuincibles, ie dis inuincibles à ceux desquels ie parle, et s’il y a quelqu’vn qui aye tant fait par son labeur qu’il ait esmeu la charité de Dieu à luy reueler un tel secret, ie n’entend parler de tels personnages : Mais au contraire, d’autant que la capacité de mon esprit ne peut s’accommoder à croire que telle chose se puisse faire, lors que ie verray le contraire, et que la verité me redarguera, ie confesseray qu’il n’y a rien plus ennemy de science que les ignorans, entre lesquels ie n’auray point de honte de me mettre au premier rang, en ce qui consiste la generation des metaux. Et s’il y a quelqu’vn à qui Dieu aye distribué ce don, qu’il excuse mon ignorance : car suyuant ce que i’en croy ie m’en vay mettre la main à la plume, pour poursuyure ce que i’en pense, ou pour mieux dire, ce que i’en ay apris auec vn bien grand labeur, et non pas en peu de iours, ny en la lecture de diuers liures : Ains en anatomizant la matrice de la terre, comme l’on pourra voir par mon discours cy apres.