Œuvres complètes de Bernard Palissy/Recepte véritable par laquelle tous les hommes de la France pourront apprendre à multiplier leurs thrésors/À Maistre Bernard Palissy

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Texte établi par Paul-Antoine CapJ.-J. Dubochet et Cie (p. 124-126).

À MAISTRE BERNARD PALISSY,
PIERRE SANXAY DIT
Salut.



P ar tous les siècles passez,
Nature mere des choses,
De ses thresors amassez,
Les portes a tenu closes.

L’homme comme vn ieune enfant
Sans grace et intelligence,
N’a fait geste triomphant,
N’œuure beau par excellence.

Hercules, ou comme on dit,
Les neueux du premier homme,
De dresser ont eu credit
Vne, et vne autre colomne.

La Grece a receu l’honneur
De quelques Cariatides :
L’Egypte, pour la grandeur
De ses hautes Pyramides.

Du sepulchre Carien,
N’est esteinte la memoire :
L’amphitheatre ancien
Couronne Cesar de gloire.

Mais cela n’approche point
Des rustiques Figulines,
Que tant et tant bien à poinct,
Et dextrement imagines.

À chacun œuure il faloit
Mille milliers de personnes :
Mais le plus beau n’esgaloit
Celuy que seul tu façonnes.

Le plus beau a bien esté
Enrichi par eloquence :
Le tien a plus de beauté,
Que la langue d’elegance.

Les anciens, qui nombroyent
Sept merueilles en ce monde,
La tiene veuë, ils diroyent
Que nulle ne la seconde.

Appelles a eu le pris
En bien peindant sur Parrhase,
Parrhase sur Xeuzis :
Ton pinceau le leur surpasse.

Le rocher haut et espais
Ne distille l’eau tant claire,
Que celuy là que tu fais,
Iettra l’eau de sa riuiere.

Un Architas Tarentin
Fit la colombe volante :
Tu fais en cours argentin
Troupe de poissons nageante.

Les ranes (grenouilles) en vn estang,
Ne sont point plus infinies :
Mais leur coax on n’entend,
Car elles sont seriphies.

Megere au chef tant hydeux
Portoit les serpens nuisantes :
Mais toy non moins hazardeux,
Les fais par tout reluisantes.

Le lizard sur le buisson
N’a point vn plus nayf lustre,

Que les tiens en ta maison
D’œuure nouueau tout illustre.

Les herbes ne sont point mieux
Par les champs et verdes prees,
D’vn esmail plus precieux,
Que les tienes diaprees.

Le froid, l’humide, le chaud.
Fait flestrir tout autre herbage :
Tout ce qui tombe d’en haut,
Le tien de rien n’endommage.

Je me tairay donc, disant,
Que ta meilleure nature,
D’vn thresor riche à présent
Nous donne en toy ouuerture.

À Dieu.