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Agafia

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E. T. A. HoffmannLes Frères Sérapion

Agafia
1819




AGAFIA


Lorsqu’on venait à parler du dernier siége de Dresde1, la figure d’Anselme, ordinairement pâle, devenait plus pâle encore. Il joignait les mains ; ses genoux s’entre-choquaient ; ses regards fixes indiquaient l’agitation de son âme et le trouble de ses pensées.

— Bon Dieu ! disait-il en grommelant, comme je fourrai mes deux jambes dans mes bottes à l’écuyère ! Je ne fis attention ni à la mitraille ni aux grenades qui éclataient ; mais j’entrai dans la ville neuve par le nouveau pont. Et cet homme de haute taille que je rencontrai ! Qu’il est triste d’être enfermé dans cette maudite enceinte de remparts, de bastions, de parapets, de forts, de passages couverts ! Que de peines et de misères je fus obligé de supporter ! on n’avait rien à mettre sous la dent. Si en feuilletant le dictionnaire pour passer le temps l’on tombait sur le mot manger, on s’écriait avec étonnement : Manger ! qu’est-ce que cela ?… Des gens, qui avaient eu autrefois de l’embonpoint, boutonnaient leur propre peau comme une large camisole, comme un spencer naturel. Ô Dieu ! si l’archiviste Lindhorst avait encore vécu ! Popowicz voulait m’assommer, mais la nymphe argentée des eaux me sauva la vie… Ô Agafia !

À ce nom, Anselme avait coutume de s’élancer de sa chaise, de courir et de sautiller deux ou trois fois, et de se rasseoir ensuite. Il était parfaitement inutile de demander à Anselme ce que signifiaient ces simagrées et ces bizarres discours ; il se contentait de répondre :

— M’est-il possible de vous raconter tout ce qui m’arriva avec Popowicz et Agafia sans me faire passer pour un fou ?


Alors sur tous les visges se montrait un sourire équivoque, qui voulait dire : — Eh ! mon cher, nous n’avons pas besoin de cela pour croire que vous avez perdu l’esprit.

Par une sombre et silencieuse soirée d’octobre, Anselme, que l’on croyait loin, entra à l’improviste chez un de ses amis. Il était profondément attendri, plus tendre et plus affectueux qu’à l’ordinaire, presque triste. Son humeur turbulente et quelquefais sauvage était adoucie et domptée par la puissance mystérieuse qui s’était emparée il son esprit.

Il était tout à fait. nuit, et l’ami d’Anselme voulait demander de la lumière. Anselme le prit par les deux bras.

— Veux-tu une fois au moins, dit-il, agir à ma fantaisie ? N’allume pas de flambeau ; contentons-nous de la faible lueur de cette lampe, qui de ce cabinet nous envoie ses pâles rayons. Tu peux faire tout ce que tu voudras, boire du thé, fumer, pourvu que tu ne brises pas de tasse et que tu ne jettes pas d’amadou allumé sur ma veste neuve. Cela non seulement me fâcherait, mais encore troublerait le calme et le silence de ce jardin enchanté dans lequel je suis entré aujourd’hui, et où je jouis de mille délices. Je vais m’asseoir sur ce sofa.

Il s’assit, et après une longue pause commença en ces termes :

— Demain matin, à huit heures, il y a justement deux ans que le comte de Lobau sortit de Dresde avec douze mille hommes et vingt-quatre pièces de canon pour se frayer un passage vers les montagnes de Misnie.

— Parbleu, dit l’ami d’Anselme en riant aux éclats, il faut en convenir, en t’entendant parler de jardin enchanté je m’attendais dévotement à en voir s’échapper une apparition céleste. Que me fait ton comte de Lobau et sa sortie ? Comment as-tu retenu le compte exact des douze mille hommes et des vingt-quatre pièces de canon ? Depuis quand les faits militaires sont-ils si bien gravés dans ton cerveau ?

— Eh quoi ! reprit Anselme, ce temps si plein d’événements accumulés t’est-il déjà devenu étranger ? Ne sais-tu plus que nous fûmes tous saisis d’une velléité belliqueuse ? Le noli turbare ne nous en sauva pas, et nous ne voulions pas en être sauvés. Je ne sais quel démon nous déchirait la poitrine, nous éperonnait, nous excitait à combattre. Chacun se saisit pour la première fois d’une arme, non point pour se défendre, mais pour se consoler, pour chercher dans la mort le châtiment d’une honteuse faiblesse. Eh bien ! ce fut cette ardeur étrange qui m’entraîna, loin des arts et des sciences, au milieu de la sauvage et sanglante mêlée ; cette ardeur qui m’enflammait aux jours sombres de cette époque, je l’ai précisément ressentie cette nuit.

M’était-il possible de rester assis devant un bureau ? Je me traînait dans les rues, je suivais aussi loin que je le pouvais les troupes qui faisaient des sorties, uniquement pour voir par moi-même et pour puiser l’espérance dans ce que je voyais, car je n’avais pas égard aux vaines affiches et aux proclamations ampoulées. Lorsque enfin se donna la bataille de Leipzig, toute l’Allemagne poussa des cris de joie, fière et heureuse d’avoir reconquis son indépendance ; et nous, nous étions encore dans les chaînes de l’esclavage ! Il me semblait que je devais, par une action extraordinaire, chercher à procurer de l’air et de la liberté à moi et à tous ceux qui étaient comme moi captifs. Cela peut te paraître plaisant, d’après le caractère que tu me supposes ; niais j’eus la folle idée d’incendier et de faire sauter un fort où je savais que les Français avaient mis une forte provision de poudre.

L’ami d’Anselme ne put s’empêcher de sourire de l’héroisme subit du pacifique Anselme ; mais celui-ci ne put le remarquer à cause d l’obscurité, et poursuivit après un moment de silence :

— Vous m’avez tous dit très fréquemment qu’une disposition particulière de mon esprit me fait mêler aux événements qui me frappent des circonstances fabuleuses auxquelles personne ne crèit. Ces circonstances me semblent d’abord à moi-même le fruit de mon imagination ; mais elles prennent bientôt une forme en dehors de mon être, comme symbole mystique du merveilleux, que dans la vie nous rencontrons à chaque pas. C’est ce qui m’arriva à Dresde il y a aujourd’hui deux ans.

Tout le jour se passa dans un silence triste et plein de pressentiments ; tout demeura tranquille aux portes ; on ne tira pas un seul coup de fusil. Le soir, vers les dix heures, je m’acheminai vers un café du vieux marché. Là, au fond d’un cabinet retiré et caché, dans lequel ne pouvait entrer aucun étranger, des amis de même opinion s’encourageaient, se consolaient entre eux et s’entretenaient de leurs espérances. Ce fut là que, malgré tous les mensonges officieux, nous furent communiqués les véritables rapports des batailles de la Katzbach et de Culm, et que notre ami R*** nous annonça la victoire de Leipzig, qu’il avait apprise de je ne sais quelle manière mystérieuse.

En passant devant le palais de Bruhl, où demeurait le maréchal, j’avais remarqué une clarté extraordinaire dans les salons, et un grand tumulte dans le vestibule. Je le dis aux amis, en observant que sans doute les Français devaient machiner quelque chose. En ce moment, R*** entra avec précipitation tout essoufflé et tout échauffé.

— Écoutez les nouvelles les plus récentes, nous cria-t-il en arrivant ; on tient en ce moment même grand conseil de guerre chez le maréchal. Le général Mouton, comte de Lobau, va se retirer vers Meissen avec douze mille hommes et vingt-quatre pièces de canon. La sortie aura lieu demain matin.

On discuta beaucoup, et d’après l’avis de R*** on pensa que, grâce à la vigilance active des Russes, ce projet pouvait devenir funeste aux Français, forcer plus tôt le maréchal à une capitulation, et mettre ainsi un terme à nos maux.

En retournant chez moi vers minuit, je me mis à réfléchir :

— Comment, me dis-je, R*** peut-il avoir appris pendant la tenue même du conseil ce qu’on y avait décidé ?

Bientôt, au milieu du funèbre silence de la nuit, j’entendis un sourd retentissement. Artillerie et caissons surchargés de fourrage passaient lentement devant moi en se dirigeant du côté du pont de l’Elbe.

— R*** a raison, ma foi ! fus-je obligé de dire en moi-même.

Je suivis le convoi, et j’arrivai au milieu du pont, à l’arche qu’on avait fait sauter, et qui était remplacée par un échafaudage en bois. De chaque côté du plancher s’élevaient des fortifications solides avec de hautes palissades et des remparts de terre.

Je m’étais tapi auprès du parapet du pont pour ne pas être remarqué. Tout à coup il me sembla qu’une des hautes palissades se détachait de sa place, se remuait en divers sens, et se penchait vers moi en murmurant à voix basse des mots incompréhensibles. Le ciel était couvert de nuages, et l’épaisse obscurité de la nuit m’empêchait de rien distinguer. Mais lorsque l’artillerie fut passée et qu’un silence de mort régna sur le pont, j’entendis soudain les hoquets d’une respiration pénible et de sourds gémissements ; le sombre morceau de bois se dressa et grandit, et une horreur glaciale pénétra tous mes sens. Épouvanté de ce cauchemar, il me fut impossible de me mouvoir, comme si j’avais été retenu par une masse de plomb.

Le vent de la nuit s’éleva, et chassa le brouillard derrière la montagne, et la lune jeta de faibles rayons à travers les nuages déchirés. J’aperçus alors à peu de distance la figure d’un grand vieillard, avec une longue barbe et des cheveux d’un blanc argenté. Il portait un manteau qui atteignait à peine le milieu de ses reins et faisait des plis nombreux et épais sur ses épaules et sur sa poitrine. Il tenait à la main un long bâton blanc que son bras nu étendait au-dessus du fleuve.

C’était lui qui murmurait et gémissait ainsi.

En ce moment, je vis des fusils briller du côté de la ville, et j’entendis un bruit de pas. Un bataillon français passa sur le pont dans un profond silence. Le vieillard s’accroupit et se mit à se lamenter d’une voix plaintive, et tendant son bonnet aux passants comme pour demander l’aumône :

Voilà saint Pierre qui veut pêcher2, dit en riant un officier.

Celui qui le suivait s’arrêta, jeta de l’argent dans le bonnet du vieillard, et dit d’un ton très sérieux :

Eh bien ! moi, pécheur, je lui aiderai à pêcher.

Plusieurs officiers et soldats sortirent des rangs, et jetèrent en silence de l’argent au vieillard : seulement la préoccupation d’une mort prochaine les faisait parfois soupirer tout bas. À chaque aumône, le vieillard inclinait la tête d’une façon singulière en poussant de sourds sanglots.

Enfin un officier général, que je reconnus pour le général Mouton, accourut si près du vieillard, que je craignis de voir celui-ci écrasé par le cheval écumant. Le général se retourna brusquement vers un adjudant en affermissant son chapeau sur sa tête :

Qui est cet homme ? demanda-t-il d’une voix forte.

Les cavaliers qui le suivaient demeurèrent tout silencieux ; mais un vieux sapeur barbu, qui marchait hors des rangs, avec sa hache sur l’épaule, répondit tranquillement :

C’est un pauvre maniaque bien connu ici. On l’appelle Saint-Pierre pêcheur.

Le convoi continua à passer. Mais cette marche n’était plus, comme celles d’autrefois, égayée par d’impertinentes plaisanteries. Elle était triste et taciturne. Dès que le dernier son se fut éteint, dès que la dernière lueur de l’armée eut disparu dans les ténèbres

lointaines, le vieillard se leva lentement, et demeura debout la tête levée. Tenant son bâton en l’air avec une imposante majesté, il semblait vouloir commander aux flots orageux, comme un saint doué du don des miracles. L’Elbe écumait et bouillonnait avec une fureur toujours croissante, et paraissait troublé jusqu’au fond de ses abîmes.

Au milieu du bourdonnement des eaux, je crus entendre une voix sourde, qui partait du sein du fleuve et montait vers moi.

— Michaël Popowicz, Michaël Popowicz ! ne vois-tu pas l’homme de feu ? disait-on en lange russe.

Le vieillard marmottait je ne sais quoi qui ressemblait à une prière.

— Agafia ! s’écria-t-il soudain.

En ce moment, son visage fut éclairé d’une lueur d’un rouge de sang que l’EIbe reflétait vers lui. Des tourbillons de flammes, qui s’élevaient dans les airs, brillaient sur les montagnes de Misnie, et leurs clartés, réfléchies par le miroir du fleuve, revenaient luire sur le visage du vieillard.

Enfin, tout près de moi, sous les madriers du pont, se fit entendre un clapotement semblable à celui que produit un nageur, et j’aperçus une sombre figure, qui grimpa péniblement le long d’un poteau et s’élança avec une étonnante agilité par-dessus le parapet.

— Agafia ! répéta le vieillard, ma fille ! c’est par la volonté du ciel !

— Comment, Dorothée ici ! m’écriai-je.

J’allais continuer ; mais je me sentis étreindre et entraîner avec force.

— Oh ! par Jésus, suis-moi, mon cher Anselme ! car sans cela tu es mort ! murmura la jeune fille, qui venait de sortir des flots. Elle était devant moi, tremblant et presque morte de froid. Ses longs cheveux noirs pendaient sur ses épaules ; ses habits mouillés étaient collés à son corps svelte et dégagé. Elle tomba de fatigue, et dit doucement :

— Il fait si froid là-dessous ! Prends garde de ne plus rien dire, mon cher Anselme ; autrement nous péririons !

La lueur du feu illuminait son visage. C’était bien Dorothée, la jolie paysanne, qui, lorsque son village avait été pillé et son père égorgé, s’était réfugiée chez le maître de l’hôtel où je logeais.

— Ce serait une bonne personne, disait ordinairement mon aubergiste : mais malheureusement le malheur l’a rendue stupide.


Il avait raison. Car outre qu’elle ne disait presque toujours que des choses confuses, un sourire insignifiant et désagréable altérait ses traits, qui avaient dû être charmants. Tous les matins elle m’apportait le café dans ma chambre, et je remarquai comme un fait positif que sa tournure, sa carnation, son teint, n’avaient aucun rapport avec ceux d’une paysanne.

— Eh ! monsieur Anselme, disait encore mon hôte, c’est la fille d’un fermier, et elle est de Saxe, qui plus est.

En voyant la jeune fille trempée jusqu’aux os, tremblante, respirant à peine, et à demi couchée à mes pieds, j’ôtai promptement mon manteau, et je l’en enveloppai.

— Réchauffe-toi, lui dis-je tout bas ; réchauffe-toi donc, chère Dorothée ! Sans cela tu succomberais. Mais que faisais-tu donc dans ce fleuve glacé ?

— Tais-toi donc, répondit la petite tout en ôtant le collet de manteau qui lui était tombé sur le visage, et en rejetant en atrière ses cheveux d’où l’eau ruisselait, tais-toi donc. Viens là-bas sur ce banc de pierre. Mon père ne nous entend pas : il parle en ce moment avec saint André3.

Nous nous glissâmes doucement jusque-là. J’étais en proie aux émotions les plus bizarres. Transporté d’horreur et de ravissement, je pris la petite dans mes bras. Elle s’assit sans difficulté sur mes genoux ; elle passa son bras autour de mon cou ; je sentis l’eau froide couler de ses cheveux sur mes reins ; mais les gouttes d’eau qui tombent sur un brasier ne font qu’en augmenter la flamme ; à chaque instant les feux de l’amour et du désir prenaient en moi de nouvelles forces.

— Anselme, balbutia la jeune fille, tu es un bien brave jeune homme. Quand tu chantes, le son de ta voix me va au cœur ; et puis tu es bien poli. Tu ne me trahiras point, n’est-ce pas ? Qui donc ferait ton café ? Écoute, quand vous souffrirez tous de la famine, quand personne ne te donnera à manger, je viendrai chez toi la nuit, toute seule, à l’insu de tout le monde, et je te cuirai dans la poêle des mets délicieux. J’ai de la farine, de la fine fleur de farine, cachée dans ma petite chambre ; nous mangerons tous deux de beaux gâteaux de noces bien blancs.

La jeune fille riait ; mais, en prononçant es mots, elle se mit à sangloter.

— Ah ! reprit-elle ce sera comme à Moscou ! Ô mon Alexis, mon Alexis ! mon beau fiancé ! Nage, nage, sors des flots ! Ta fidèle fiancée ne t’attend-elle pas ?

Elle baissa la tête ; sa voix s’affaiblit par degrés ; sa respiration s’entrecoupa de soupirs ; et elle parut s’endormir. Je regardai le vieillard. Il était toujours là, les bras croisés, et disait d’un ton lugubre :

— L’homme de feu vous fait signe, mes braves frères ! Regardez-le : voyez avec quelle force il secoue les mèches éclatantes de sa barbe de flammes ; avec quelle activité il allonge sur le sol ses colonnes de fumée ! N’entendez-vous pas ses pas retentissants ? Son souffle ne vous anime-t-il pas ? Ne marchez-vous pas vers le point où brillent ses étincelles ? Mes braves frères, courez !

Les accents de Popowicz ressemblaient aux sifflements des vents aux approches d’un ouragan. Pendant qu’il parlait, les signaux allumés sur les montagnes de Misnie continuaient à flamboyer.

— À mon aide, saint André, à mon aide ! balbutia la jeune fille en dormant.

Puis elle se leva comme saisie d’une frayeur soudaine, m’entoura fortement de son bras gauche, et me murmura à l’oreille :

— Anselme, j’aime mieux te tuer.

Je vis briller un couteau dans sa main droite. Je la repoussai épouvanté, et je jetai un grand cri.

— Insensée, que fais-tu ?

— Non, continua-t-elle, cela m’est impossible ; mais à présent tu es perdu.

Aussitôt le vieillard s’écria :

— Agafia ! avec qui parles-tu ? Et sans me donner le temps de la réflexion, il fut près de moi en une seconde, brandit son bâton, et en assena un coup si terrible qu’il m’aurait fracassé la tête si Agafia ne m’avait pris par derrière et entraîné violemment. Le bâton se brisa en mille morceaux sur le pavé ; Popowicz tomba sur les genoux.

Allons ! allons ! cria-t-on de toutes part. Je fus obligé de me lever, et de me ranger promptement, pour ne pas être écrasé par l’artillerie et les wagons qui passaient de nouveau. Le matin suivant, les Russes repoussèrent le malheureux général des montagnes dans l’intérieur de la place.

— C’est étrange, se disait-on ; les Russes connaissaient le projet de l’ennemi. Les feux allumés sur les montagnes de Misnie attiraient leurs troupes aux endroits où les Français pensaient les surprendre, pour leur résister et les vaincre.

Plusieurs jours se passèrent, et Dorothée ne m’apportait plus mon café. L’aubergiste, pâle de frayeur, me raconta qu’il avait vu conduire Dorothée et le fou mendiant du pont de l’Elbe avec une forte garde, de la maison du maréchal dans la ville neuve. — Ô Dieu ! dit ici l’ami d’Anselme, ils furent découverts et exécutés ?

Mais Anselme sourit singulièrement, et répondit :

— Non ; Agafia fut sauvée, et, après la capitulation, je reçus de ses mains un joli pain de noces bien blanc qu’elle avait cuit elle-mème.

Voilà tout ce que raconta Anselme de cette merveilleuse aventure. On n’en put jamais savoir davantage.



NOTES DU TRADUCTEUR

1. Hoffmann fut témoin oculaire du siège de Dresde. Cette ville, où s’était retiré le détachement du comte de Lobau, le 9 octobre 1813, avait une garnison française de vingt-cinq mille hommes, que commandait le maréchal Gouvion-Saint-Cyr. Un corps d’armée russe, aux ordres du comte de Tolstoy, la bloqua jusqu’au 44 novembre, époque à laquelle une horrible famine et le manque de secours forcèrent nos troupes à capituler.

2. Ces mots sont en français dans l’original, ainsi que tous ceux qui sont indiqué plus loin en italique.

3. L’ un des patrons de la Russie.