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Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Joseph Autran

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Anthologie des poètes français du XIXème siècle, Texte établi par (Alphonse Lemerre), Alphonse Lemerre, éditeurtome 1, (1762 à 1817) (p. 351-356).



JOSEPH AUTRAN


1813 – 1877




Joseph Autran a publié, comme poète lyrique : La Mer (1835), Ludibria ventis, (1838), Milianah (1842), Laboureurs et Soldats (1854), la Vie rurale (1856), Épitres rustiques (1861), le Poème des beaux jours (1862).

M. Autran, né à Marseille, a pu être surnommé le poète de la mer ; mais, ainsi que l’a dit finement son successeur à l’Académie française, M. Victorien Sardou, la mer, pour le Provençal lettré, toute la mer « c’est le lac classique, où s’est mirée toute l’antiquité grecque et latine, et qui n’a jamais connu, en fait de monstres, que celui d’Hippolyte. »

M. Sardou ajoute avec beaucoup de sens : « La mer ne l’intéresse que dans ses rapports avec l’homme ; ce qu’il décrit surtout, c’est le travail, les souffrances des pauvres gens, marins ou pêcheurs, toujours en lutte avec les flots. Cette préoccupation des petits, des humbles, domine toute son œuvre… Son hexamètre est sonore et bien rythmé ; sa phrase, toujours musicale, se déroule largement avec une noblesse de contours qui fait penser aux volutes antiques. »

Ses œuvres se trouvent chez M. Calmann Lévy.

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POÈMES DE LA MER

FRAGMENT




Nous sommes les vagues profondes
Où les yeux plongent vainement ;
Nous sommes les flots et les ondes
Qui déroulent autour des mondes
Leur manteau d’azur écumant !

Une âme immense en nous respire,
Elle soulève notre sein ;
Sous l’aquilon, sous le zéphire,
Nous sommes la plus vaste lyre
Qui chante un hymne au trois fois Saint.

Amoncelés par les orages,
Rendus au calme, tour à tour,
Nous exhalons des cris sauvages,
Qui vont bientôt sur les rivages
S’achever en soupirs d’amour.

C’est nous qui portons sur nos cimes
Les messagers des nations,
Vaisseaux de bronze aux mâts sublimes,
Aussi légers pour nos abîmes
Que l’humble nid des alcyons.

Sur ces vaisseaux si Dieu nous lance,
Terribles nous fondons sur eux ;
Puis nous promenons en silence
La barque frêle qui balance
Un couple d’enfants amoureux !


C’est nous qui d’une rive à l’autre
Emportons les audacieux ;
Le marchand, le guerrier, l’apôtre,
N’ont qu’une route, c’est la nôtre,
Pour changer de terre et de cieux.

Nos profondeurs, Dieu les consacre
À son mystérieux travail ;
Dans nos limons pleins d’un sel âcre,
Il répand à deux mains la nacre,
L’ambre, la perle et le corail.

Pelouses, réseaux de feuillages,
Arbres géants d’hôtes remplis,
Monstres hideux, beaux coquillages,
La vie est partout sur nos plages,
La vie est partout dans nos lits.

Nous vous aimons, bois et charmilles,
Qui sur nous versez vos parfums !
Nous vous aimons, humbles familles,
Dont sur nos bords les chastes filles
Attendent leurs fiancés bruns !

Vaisseaux couverts de blanches toiles,
Reflets des villes et des monts,
Jours de printemps purs et sans voiles,
Nuits de l’été, riches d’étoiles,
Nous vous aimons ! nous vous aimons !

Mais nos amours sont inquiètes,
Et nous vous préférons souvent
Le ciel noir, le vol des tempêtes,
Et le chant des pâles mouettes
Que berce et qu’emporte le vent.


Nous aimons voir l’éclair dans l’ombre
Que déchirent ses javelots,
Et l’effroi du vaisseau qui sombre
En jetant à la grève sombre
Le dernier cri des matelots !

Nous sommes les vagues profondes
Où les yeux plongent vainement ;
Nous sommes les flots et les ondes
Qui déroulent autour des mondes
Leur manteau d’azur écumant.

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À UNE BAIGNEUSE

FRAGMENT




Qui donc es-tu, folle étrangère,
Qui sur nos plages viens le soir,
Et dans la mer, au clair miroir,
Cours te plonger, blanche et légère ?

L’écho demande d’où tu sors,
L’écho l’ignore ; — le rivage
Ne sait de toi que ton courage
Et que les grâces de ton corps.

De qui tiens-tu cette âpre flamme ?
De qui tiens-tu ce bras viril
Qui te fait braver le péril
Du vent qui souffle et de la lame ?


La côte, l’autre soir, grondait ;
L’onde accourait sous la tourmente,
Et sur la grève, au loin fumante,
Énorme, elle se répandait.

Les hommes sentaient en silence
Trembler le môle et le rocher :
Ils contemplaient, sans approcher,
L’irrésistible violence.....

Tu vins ; tu vis cette fureur,
Tu dénouas soudain ta robe,
Et dans le flot, qui te dérobe,
Tu plongeas du front sans terreur.

Scène d’effroi ! spectacle étrange !
Tu triomphais des flots amers.
Étais-tu la reine des mers ?
De la tempête étais-tu l’ange ?

La plage admirait. — Le soleil,
Retournant à son lit de gloire,
Sur tes bras, sur tes pieds d’ivoire,
Imprimait un baiser vermeil.

Toi, tu jouais dans sa lumière ;
Dressant ta tête aux blonds cheveux,
Tu repoussais d’un bras nerveux
Les flots mêlés à ta crinière.

Dans l’écume et dans le rayon
Tu flottais, ô nageuse insigne,
Déployant des blancheurs de cygne
Et des souplesses d’alcyon.


Et nous pensions : Qui donc est-elle ?
Quel est cet être audacieux,
Dont la grâce, au siècle des dieux,
Eût fait jadis une immortelle ?

Un souffle de rébellion
A-t-il émancipé cette âme ?
Qui sait s’il reste un cœur de femme
Sous cette force de lion ?…

Est-ce l’amour qui pourra dire
Ce qu’elle attend pour s’émouvoir,
Ce qu’il faudrait à cet œil noir
Pour se noyer dans un sourire ?

Prodigue, vient-elle à ces bords,
Les soirs où trop de vie abonde,
Jeter au vent, jeter à l’onde,
Le superflu de ses trésors ?

Ou bien, est-ce un cœur en démence,
De ses blessures ulcéré,
Qui revient, en désespéré,
Lutter avec la mer immense ?

Serait-ce enfin qu’ayant goûté
À mille coupes décevantes,
Elle demande aux épouvantes
Une suprême volupté ?

Que savons-nous ? Passons ; toute âme
A des replis fermés au jour…
Laissons ses secrets à l’amour
Et ses mystères à la femme !


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