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Architecture rurale, second cahier, 1791/Des liaisons à employer à la construction des bâtimens de pisé

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Des liaisons à employer à la construction des bâtimens de pisé.

Il ne ſuffit pas de bien battre la terre pour faire de bons murs de piſé, il faut encore ſavoir les bien lier. Aux maiſons que l’on fait en maçonnerie, on ſe ſert pour les conſolider d’angles & de liaiſons en pierres de taille, de tirans, d’ancres & d’harpons en fer, qui ſont comme l’on ſait d’une grande cherté : mais ici on n’emploie que des liaiſons d’un prix médiocre ; elles conſiſtent ſimplement dans des bois minces, quelques hapes & des cloux, & ces moyens qui ſont tout ſimples, ſuffiſent pour donner la plus grande ſolidité aux bâtimens de piſé.

Le premier cahier depuis la pag. 24 jusques à la pag. 32, enſeigne la méthode de faire les cours d’aſſiſe, celle de faire chevaucher les pans de mur les uns ſur les autres, ſoit pour faire les angles du bâtiment, ſoit pour entretenir les murs de face avec ceux de refend. Voyons à préſent le procédé des liaiſons.

Lorſqu’on commence un bâtiment de piſé, il faut avoir une proviſion de quelques douzaines de planches minces, avec une ſcie, une hache, un marteau & des cloux ; & il eſt convenable d’avoir auſſi dans le nombre des ouvriers, un homme au fait de manier ces outils ; car les maçons, à ſon défaut, ont bientôt gâté la ſcie & la hache.

Le premier cours d’aſſiſe de piſé A, (voy. les planches IV, V & VI du premier cachier) étant fait ſur tous les murs de face & de refend d’une maiſon, on recommence le ſecond B : & ſi on a placé le moule pour l’aſſiſe inférieure dans la direction de A à E, on le poſera pour la ſeconde de A à F, (voy. la même planche IV). Il réſulte de cette tranſpoſition que cette fois le moule croiſera en B ſur le pan A (voyez les planches V & VI). Cela bien entendu, je dirai qu’avant de piſer aucune terre, on placera dans le moule une planche de 5 à 6 pieds de longueur qui viendra repoſer ſur l’angle du pan A, & s’étendre ſur celui qui le joint dans la première aſſiſe ; cette planche eſt brute, telle qu’elle eſt ſortie des mains des ſcieurs, & moins d’un pouce d’épaiſſeur lui ſuffit dans cette occaſion ; pour ſa largeur, elle ne doit être que d’environ 8, 9 à 10 pouces, afin qu’il reſte à chacun de ſes côtés environ 4 à 5 pouces de terre, ſi le mur a 18 pouces d’épaiſſeur ; par ce moyen cette planche ſe trouve entièrement cachée dans le corps du mur. Enfin je remarquerai que dans cette poſition, étant totalement privée d’air & de toute humidité, elle ne peut ni ſe fuſer, ni ſe pourrir : j’en ai eu mille fois la preuve, pour en avoir trouvé de très-ſaines, même qui n’avoient pas perdu la couleur des bois neufs dans les démolitions des vieilles maiſons de piſé que j’ai faites.

On voit donc que cette planche embraſſe l’angle A & le pan de mur qui le joint par derrière ou en retour d’équerre, & qu’en piſant ſur cette planche, on lie par ce grand fardeau, les deux pans inférieurs, c’eſt-à-dire, qu’on lie très-bien cet angle : on ne ſe contente pas de ce moyen, ſur-tout lorſque la terre n’eſt pas de bien bonne qualité ; on met encore des bouts de planches dans le piſé, lorſqu’on a comprimé la moitié de la hauteur du moule : ces bouts de planches ſont coupés ſeulement de 10 à 11 pouces de longueur pour laiſſer auſſi quelques pouces de terre de chaque côté du mur, s’il a 18 pouces d’épaiſſeur ; ainſi on met dans le corps de ce pan de mur ces bouts de planches en travers, tandis que la planche inférieure qui ſert de tiran eſt poſée en longueur. Ces bouts de planches, poſés en travers du mur & à diſtance d’environ deux pieds les uns des autres, ſervent à entretenir le poids ſupérieur qu’on va mettre, & à faire porter le fardeau des autres cours de piſé qui vont monter juſqu’à la cime de la maiſon avec toute l’égalité poſſible ſur la première aſſiſe qui ſe trouve ſur les fondations.

On recule le moule, lorſque le premier pan de la deuxième aſſiſe eſt parachevé, & on travaille au ſecond & à tous les autres qui le ſuivent ; mais dans ceux-ci, on ne place point de planches en longueur qu’on ne ſoit arrivé vis-à-vis de la croiſée d’un mur de refend : on ſe contente donc dans tous ces pans de murs courans de poſer des bouts de planches en travers, tels que nous venons de les indiquer : mais lorſqu’enſin on croiſe un mur de refend avec un mur de face, on y emploie une planche pour les lier enſemble & leur ſervir de tiran comme il a été dit. J’obſerve qu’on en fait autant à tous les angles & à tous les murs qui aboutiſſent ſur les murs de face, & à tous les murs de refend qui viennent s’adoſſer les uns contre les autres ; ce qui arrive fréquemment dans les grandes diſtributions d’appartemens, où les murs intérieurs ſont multipliés ; il eſt inutile de dire qu’à chaque cours d’aſſiſe juſqu’au haut de la maiſon, on fait cette manœuvre que je viens de décrire.

Le lecteur apperçoit une multiplicité de petits tirans ou de liaiſons qui prennent tantôt à droite, tantôt à gauche les angles, & qui entretiennent ſingulièrement les murs de face avec ceux de refend, & encore qui tient reſpectivement ces murs de refend dans toutes les rencontres en croix & en demi-croix, de manière que le tout ſe trouve buté, contre-buté, entretenu & lié : c’eſt ce qui fait que ces maiſons, quoique faites avec la terre ſeule, ne craignent pas les ébranlemens des grands coups de vent, des orages ou tempêtes ; ainſi ceux qui ont penſé que ces conſtructions étoient ſuſceptibles d’en être endommagées, ſe ſont grandement trompés.

Sachant la hauteur qu’on veut donner aux planchers, on place d’avance dans le piſé des planches de 3 à 4 pieds de longueur à l’endroit où doivent porter les poutres, & lorſque le moule n’occupe plus leur place, on poſe tout de ſuite leſdites poutres quoique le piſé ſoit tout frais ; pour le poſer de niveau, on gliſe deſſous des cales ou bouts de planche.

Les poutres ainſi poſées à chaque étage, on continue d’élever les murs de terre, juſqu’à l’élévation où l’on veut placer le toit. Je m’arrêterai ici pour faire remarquer, que l’on peut éviter les fermes de charpente qui ſont diſpendieuſes & qui embarraſſent les galetas, chambres, jacobines ou les greniers ; il s’agit de faire les pignons en piſé tels que ceux repréſentés ſur la planche VI du premier cahier, & lorſqu’ils ſont parachevés, on procède à la confection du toit.

D’abord on poſe les pannes & le faîte ſur ces murs en pente ; enſuite on y eſpace les chevrons, ſur leſquels on cloue les lattes, & ſur ces derniers on y accroche les tuiles à crochet, ſi ce ne ſont pas des tuiles en goutière, dites, tuiles creuses dans pluſieurs parties de la France.

Finalement je ferai obſerver que l’on peut ſe diſpenſer, pour les petites bâtiſſes, de mettre aucune ſablière ou autre pièce de bois ſur les murs de face pour porter la charpente de leur couverture ; j’oſe dire plus, qu’en les épargnant on gagne de la ſolidité, parce que ſi on a eu ſoin d’élever les murs de quelques pouces plus haut qu’on ne le doit, on aura l’avantage de faire des tranchées dans le piſé pour y placer chaque chevron : ces chevrons ainſi enfouis dans les murs ainſi que les pannes & le faîte, & bien garnis & maçonnés, font que toute cette ſimple charpente ne forme plus qu’un tout dont toutes les parties ſont bien arrêtées entre elles & ſont bien entretenues, étant liées avec le piſé.

Ainſi la cabane du pauvre doit ſe faire pour l’y loger ſainement, chaudement & ſuivant ſes foibles facultés. Il eſt donc bien intéreſſant de lui en montrer la pratique ; à cet effet, j’invite mes chers lecteurs de faire mettre la main à l’œuvre ; ils y trouveront d’ailleurs leur avantage pour ſe faire bâtir par la ſuite les logemens dont ils auront beſoin pour l’exploitation de leurs fermes ou domaines. Mais je voudrois qu’incontinent de riches propriétaires, pour montrer l’exemple dans les villages, fiſſent conſtruire avec l’art du piſé divers objets, & il y en a tant, par exemple, un cabinet dans un jardin, un bûcher dans une cour, un pavillon à l’extrémité d’une allée, une chaumière dans un jardin anglois (qui alors ſeroit bien naturelle) une ſerre, un magaſin, une écurie ou un cellier.

C’eſt en faiſant ces petites bâtiſſes que l’on reconnoîtra la grande utilité de ce genre de conſtruction, & qu’on le rendra familier aux ouvriers.

C’eſt auſſi par cette pratique que l’on ſentira tout le prix de ce nouveau traité, & combien il eſt urgent que l’on m’aide à le continuer.