Catherine de Médicis présente à Charles IX son royaume/Préface
SOURCES
e récit est né d’une nomenclature assez sèche : Recueil et discours
du voyage du roy Charles IX…, par Abel Jouan, l’un
des serviteurs de Sa Majesté. Paris, J. Bonfons, 1566[1].
Il s’agit d’un mince livret de propagande que Catherine de Médicis fit publier en faveur de Charles IX, à qui elle en donnait l’honneur, afin de rappeler le voyage qu’elle accomplit, en compagnie de ses enfants, du 24 janvier 1564 au 1er mai 1566. Le nom de Jouan se retrouve parmi d’autres petits serviteurs de bouche de la maison royale[2].
Pour contrôler ces renseignements officiels, j’en ai réuni d’autres, et d’abord certains récits d’entrées dans diverses villes de France. Nous les citerons dans l’ordre alphabétique :
Les archives communales (séries B et C), là où elles existent, et, quelques histoires locales nous ont permis de compléter cette documentation officielle.
À ces indications il convient d’ajouter celles des comptes de la bouche entre 1563 et 1566 (Bibl. Nat., ms. fr. 25755 et 25756) de la maison de Charles IX et de Henri duc d’Orléans, le futur Henri III ; les comptes de l’écurie de Catherine de Médicis (Arch. Nat., KK 120, 122), ceux de l’argenterie en 1565 (Arch. Nat., KK 130).
Ni le livret d’Abel Jouan, ni les entrées, ni même les documents municipaux et les comptes, ni les Lettres de Catherine de Médicis (t. II et supplément) ne nous auraient cependant jamais donné l’idée de récit. Il est sorti, tout entier, des relations des ambassadeurs espagnols, d’abord de celles d’Antoine Perrenot, sieur de Chantonnay, et surtout de celles de don Francès de Alava, entre 1564 et 1566[4].
Avec ces informateurs, on peut dire que nous possédons vraiment le secret des événements.
Mon mérite fut faible à le découvrir, puisqu’il reposait dans les cartons des Archives Nationales, K 1501-1506, formant une partie du fonds célèbre de Simancas, ramené à Paris à la suite des guerres de Napoléon Ier en Espagne.
Mais ce secret eût été indéchiffrable s’il n’avait pas été transcrit, pour en permettre la lecture à Philippe II lui-même, qui a annoté parfois ces documents et les lisait régulièrement avec les gens de ses bureaux.
Ces lettres forment, en effet, le plus souvent, une suite de chiffres remplissant des pages, suivant les conventions diplomatiques. Il n’aurait été possible de les lire qu’à l’aide d’une clé, et avec une peine matérielle infinie. Mais le travail était fait, le plus souvent dans les marges du document pour l’usage de Philippe II. Il m’est particulièrement agréable de remercier ici Mlle Xenia Pamfilova, qui m’a beaucoup aidé à transcrire et à traduire ces documents.
Le génie espagnol est ce qu’il est dans son outrance, dans sa foi, dans son éthique : mais il demeure toujours net, plein de relief, et d’un détail réaliste surprenant.
Cette information des ambassadeurs répondait exactement aux renseignements demandés par Philippe II, destinés à être utilisés par ses bureaux, ses ministres, et ses juges d’Église. Car on peut dire que depuis les dernières années de Henri II, en ce qui concernait la France, une politique d’une rare constance a été suivie par le Roi Catholique, pour la protection de la religion, qui devait sauvegarder l’Espagne, les États de la maison de Bourgogne incorporés aux Pays-Bas, la foi et la civilisation tout ensemble.
Rien de plus passionnant, et de plus passionné, que ces relations espagnoles.
Il existe naturellement, pour ces années 1564-1566, d’autres diplomates informateurs. Parmi les Anglais, Smith et Throckmorton[5], qui n’aimèrent guère la France ; et, parmi les Italiens, les Vénitiens, qui l’aimèrent beaucoup[6].
Les Vénitiens demeurent les maîtres du portrait, du rapport. Leur raccourci présente souvent un chef-d’œuvre saisissant, intelligent, humain. C’est d’après Giovanni Soranzo e Badoero que j’ai dessiné Philippe II.
Et d’autres, comme les Florentins, amis de la reine-mère, brillent de la lucidité d’une intelligence accordée à la lumière de leur pays, et furent des artistes et des observateurs philosophes, tel le médecin Cavriana qui est admirable.
Chez les Anglais, on trouve un détail personnel, irritant à la longue ; chez les Italiens s’affirment la sérénité et la bienveillance. Cependant les Espagnols me semblent uniques pour cette époque. Ils sont les maîtres de l’observation réaliste, comme leurs peintres et leurs artistes, avec ce goût sobre de l’introspection psychologique qui est peut-être le prolongement de la confession catholique.
Don Francès, j’ai essayé à mon tour de le surprendre par des recoupements. L’épreuve fut en sa faveur. Il est simplement véridique, et seulement passionné.
Aux Espagnols, mon récit doit à peu près tout, et je m’excuse d’être entré si avant dans la familiarité de don Francès de Alava, qu’il m’est arrivé de le nommer don Francès, comme ses contemporains (Francisque, disait Catherine).
Ajoutons que l’ambassadeur d’Espagne, en ces jours, à cause des intérêts des maisons unies de France et d’Espagne, de l’importance de l’enjeu (la foi catholique, l’équilibre des forces en Europe, la sauvegarde du grand empire colonial sur lequel ne se couchait pas le soleil), à la suite des entrevues de Bayonne, est entré dans le secret des gens et des choses ; qu’il a joué un rôle surprenant, qu’il a montré aussi une attitude intolérable, usé d’une manière de parler, chez nous et au roi, scandaleuse[7].
La question du triomphe de l’unité de la foi et de la tradition littérale, qui pratiquement ne présente plus beaucoup d’intérêt, prend de nos jours un tout autre attrait, sous l’aspect de l’unité d’une doctrine politique triomphant dans une nation qui cherche à l’imposer aux autres.
Nos cités et notre pays, toujours déchirés par les luttes partisanes individuelles, il semble parfois que nous les ayons ici sous les yeux. L’autorité du magistrat, la liberté de la conscience des croyants, la compréhension réciproque, sont toujours les conflits actuels s’imposant à l’intelligence et au cœur. Car ce vieux désordre, avec le timon monarchique il est vrai, où le pays se perd, se cherche, se combat, et se retrouve toujours sur le chemin des solutions moyennes, répond bien à notre individualisme, au morcellement de notre pays, au goût de la terre, à ce besoin des hommes de se grouper autour d’autres hommes, et non pas derrière des idées, des plans, et surtout des utopies.
Ni la Réforme protestante, s’adressant à la conscience et à l’intelligence, ni la Ligue catholique à forme démagogique, s’adressant à la tradition et aux passions partisanes, ne l’emportèrent cependant chez nous.
On ne fit pas la République à la mort de Henri III ; Henri IV, le huguenot, devint catholique.
Tout est ici un compromis, tendant à cet équilibre que notre pays a toujours recherché. Ce moyen terme est sa raison raisonnable, celle du peuple paysan que nous sommes en partie restés.
Bornons-nous, à propos d’un exposé rétrospectif dont nous ne voudrions pas exagérer l’importance.
Des horizons de France que nous allons parcourir, nous ne voudrions pas déduire l’horizon habituel et le climat définitif de notre pays, qui sont peut-être aussi, comme le reste, changeants.
Mais ce livre est un livre de bonne foi, écrit sur la table même des Archives, devant les documents. C’est l’ouvrage d’un ouvrier passionné de la vérité, qui peine chaque jour devant son établi.
On nous fera le crédit de croire que nous n’avons pas changé un mot aux conversations que nous transcrivons, et qui ont pris tout naturellement la forme d’un dialogue[8].
La figure de Catherine de Médicis pourra surprendre. C’est parce que nous pensons toujours à la Saint-Barthélemy (1572). Les paroles, les actes de la reine-mère ont eu la souplesse et la direction que nous indiquons jusqu’en 1567, c’est-à-dire jusqu’à la disgrâce de Michel de L’Hospital et à la deuxième guerre civile[9]. Cette guerre, les réformés l’avaient sans doute précipitée dans l’espérance d’une victoire rapide, reprenant pour leur compte le vieux plan des triumvirs catholiques qui eût consisté à mettre la main sur le roi et le gouvernement.
En ces jours les Guises avaient grandi et étaient sortis d’enfance. La vieille vendetta de leur famille allait revivre. Mais Catherine de Médicis avait fait, durant près de dix ans, l’essai d’une politique libérale, avant d’en constater l’échec, et de tenter l’autre essai, celui qui consistait à refouler la religion prétendue réformée, ce qui ne paraît pas avoir amélioré grandement les choses. Cette politique devait échouer à son tour, plus rapidement encore.
Tel est le jeu de bascule qui, plus que de la pensée de Catherine de Médicis, était sorti de la nature des choses, de leur réalité, puisqu’il remplira encore le règne de Henri III, et en partie celui de Henri IV.
Et sur un autre plan, il dure toujours chez nous.
Je dois enfin signaler qu’un certain nombre de documents auxquels je me réfère ont été vus avant moi par M. Francis Decrue, qui les a utilisés dans les quelques pages consacrées au voyage que conduisit Anne de Montmorency (Anne de Montmorency, connétable et pair de France sous les rois Henri II, François et Charles IX, Paris, 1889), d’autres par H. Forneron (Histoire de Philippe II, Paris, 1887, 2 vol.) ; E. Marcks, Die Zuzammenkunft von Bayonne, Strasbourg, 1889.
Pour les renseignements donnés sur les réformés, j’ai surtout utilisé l’Histoire ecclésiastique de Théodore de Bèze, dans l’excellente édition, avec une table précieuse, due à G. Baum et Ed. Cunitz, Paris, 1883-1889, 3 vol. Nous avons là un nombre prodigieux d’informations fournies à Théodore de Bèze par les premières Églises, d’un caractère confessionnel sans doute, mais exactes. L’Histoire du Languedoc, de dom Vaissète, dont la deuxième édition a été donnée à Toulouse, chez Privat, par les soins d’Auguste Molinier, est un spicilège admirable preuves pour les années que nous allons tenter de faire revivre. Et pour parler de Coligny, je me suis servi du livre rempli de documents de Jules Delaborde (Paris, 1879-1881, 3 vol.).
J’ai parlé du prince de Condé et de Mlle de Limeuil d’après le dossier recueilli par Monseigneur le duc d’Aumale, H. d’Orléans : Information contre Isabelle de Limeuil (mai-août, 1564), s. l. n. d., complété par d’autres lettres, et son Histoire des princes de Condé, t. I (1863).
Sur la Floride, dont il est si souvent question, j’ai beaucoup utilisé le fac-similé de la relation de Dominique de Gourgues, avec les commentaires donnés par M. Charles de La Roncière, La Floride française, Paris, 1928.
- ↑ Bibl. Nat., 80 Lb33 156. Réédition dans les Pièces fugitives pour servir à l’histoire de France par le marquis d’Aubais, Paris, 1748 ; et par Cimber et Danjou, Archives curieuses, t. V-VI.
- ↑ Arch. Nat., KK. 133 bis, fol. 31 Vo : Julien Jouan, garde de la vaisselle de la cuisine du roi.
- ↑ Une copie de ce ms. dans le ms. de Colbert, fr. 23.419.
- ↑ Sur ce personnage, voir la notice accompagnant l’inventaire des Archives de Simancas, par Paz.
- ↑ Calendar of state papers (foreign series) of the reign of Elizabeth, t. VII et VIII.
- ↑ Voir Tomasseo, Relazioni… et surtout les lettres journalières dont la copie est à la Bibl. Nat., ms. Ital., 1724 et 1725, d’Antonio Barbaro au doge.
- ↑ C’est sous Henri III, qui fut comme roi si bon et humain cependant, que le ton changea ; alors les Espagnols n’usèrent plus d’intimidation, ni de la violence dans le langage.
- ↑ Ces dialogues ne sont pas des arrangements de notre part. Les phrases recueillies par don Francès le furent à la lettre. Nous les avons parfois abrégées. Au lieu d’user du —, le déchiffreur sépare les phrases par une barre / ou par une virgule. Les jeux de physionomie, les gestes, sont observés par don Francès et marqués expressément : dixome, Jesus… La reyna le dixo / Es menester ya quitarnos las mascaras… Luego dizque dixo el canciller, Madama la justicia ha de ser con piedad… Dixo la reyna / yo os prometo, etc…. Dixe / dixo /. Il semble que l’ambassadeur se soit proposé de faire assister Philippe II aux audiences elles-mêmes.
- ↑ Et même jusqu’en 1569 où il fut question du retour du chancelier.