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Chansons posthumes de Pierre-Jean de Béranger/Dix-neuf août

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DIX-NEUF AOÛT


À MES AMIS



Dix-neuf août ! Dieu ! quelle date !
Mes chers amis, à jour pareil,
Je vins sur notre terre ingrate
Traîner cinq pieds d’ombre au soleil.
Voyant, à l’heure d’apparaître,
Mon bon ange saisi d’effroi,
Je fis bien des façons pour naître.
Mes amis, pardonnez-le-moi. (Bis.)

Mon ange me prête main-forte ;
Mais un docteur aux bras de fer[1]
De mon gîte forçant la porte,
Je sors comme on entre en enfer.
Pour moi quels tourments vont donc suivre
L’épreuve où je viens d’être mis ?
Je crains déjà de longtemps vivre.
Pardonnez-le-moi, mes amis.

Mon bon ange alors me révèle
L’avenir qui m’est réservé :
Comme un pauvre joueur de vielle,
Je chante en battant le pavé.
Mon indigence est poursuivie,
On m’emprisonne au nom du roi.
J’hésite à mener cette vie.
Mes amis, pardonnez-le-moi.

Mon bon ange m’annonce encore
Pour mon pays de longs combats,
Une liberté dont l’aurore
Se fond en brumes et frimas.
Un siècle naît, qui rien ne fonde,
La gloire y tombe en désarroi.
Oh ! que j’ai regret d’être au monde !
Mes amis, pardonnez-le-moi.

Mais en riant j’aurais dû naître,
Si mon bon ange eût dit d’abord :
L’amitié viendra sur ton être
Verser l’oubli des maux du sort.
Moi dont elle a séché les larmes,
Moi qu’à son culte elle a commis,
J’aurais dû pressentir ses charmes.
Pardonnez-le-moi, mes amis.

  1. Ma mère souffrit pendant plusieurs jours avant de me mettre au monde, et ne put être délivrée que par le forceps, qu’on n’employait alors que dans les cas extrêmes.