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Correspondance 1812-1876, 6/1874/CMIX

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Texte établi par Calmann-Lévy,  (Correspondance Tome 6 : 1870-1876p. 307-308).


CMIX

À M. EDMOND PLAUCHUT, À PARIS


Nohant, 8 avril 1874.


Lina t’a écrit que les œufs de Pâques étaient arrivés au jour dit et que nos filles étaient enchantées. On te remercie et on t’embrasse ; on voudrait te voir, on trouve que tu oublies trop Nohant. Tu gâtes toujours, mais de trop loin.

La campagne n’est pas encore bien belle, mais le jardin se remplit de fleurs. Moi, je pioche ferme ; ma comédie m’amuse. Je suis triste pour mon gros Flaubert : il s’est trompé sur ce qui convient au théâtre.

Quand à la Tentation de Saint Antoine, succès ou non, c’est superbe ; mais, dame, ça ne peut pas être populaire. Les lettres s’en vont !

J’ai retrouvé un ami que je n’ai pas vu depuis trente-cinq ans. Il était professeur de musique et haut enseignement, avec une bonne place du gouvernement en Russie. Il avait fait une petite fortune, une faillite la lui enlève ; il lui reste le nécessaire pour vivre et il est en Italie. Il sait le russe comme Tourguenef et fait de très belles traductions. J’ai demandé à Buloz de l’employer. Buloz m’a répondu qu’il lui ferait une très bonne place à la Revue et qu’il pourrait gagner cinq mille francs. Donc, cet ami va quitter le lac de Côme et se rendre à Paris ; je te demanderai de le bien accueillir et de lui témoigner de l’amitié, il le mérite. C’est le frère de mon pauvre vieux Rollinat que j’appelais jadis Bengali. Il chantait comme on ne chante plus, excepté Pauline !

Il est vieux, il ne chante plus ; mais c’est un vieux garçon de mérite, très littéraire, et qui a beaucoup vu. J’ai toujours eu sur son compte, pendant qu’il habitait la Russie, non seulement les meilleurs renseignements, mais l’éloge le plus complet pour l’honorabilité de son caractère. Je le recommanderai à Pauline, pour qu’elle l’admette à ses soirées, elle aura un auditeur passionné, l’ex-amoureux fou de la Malibran ; je le recommanderai aussi à Tourguenef pour qu’il lui donne un roman à traduire.

Préviens-les pour que je n’aie pas à les ennuyer d’une histoire dans une lettre.

Sur ce, je te bige bien fort et toute la maison avec moi. Ces demoiselles ont plaint le trépas du pauvre Tom et tes regrets paternels.

Elles ont fait un poisson d’avril à Fadet. Elles ont mis un chat empaillé sur un arbre et elles l’ont mis après. Il a fait semblant d’être attrapé.

Il fallait voir comme elles étaient contentes !