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Correspondance de Victor Hugo/1836

La bibliothèque libre.
(tome 1p. 548-551).
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1836.
À Madame Victor Hugo[1],
Fourqueux, près de Saint-Germain-en-Laye, Maison Marette.


Paris, au moment de partir [juin 1836].

Merci, merci cent fois de ta douce lettre, mon Adèle vraiment bien-aimée. Elle arrive bien. Elle arrive dans un moment où j’étais bien triste. Je pensais à ce qu’il y avait eu d’un peu froid pour moi dans ton adieu. Ta lettre répare tout.

Oh oui, garde-moi ton amour au fond de ton cœur. Je te jure que tu as raison. Je ne veux pas que tu sois jamais et en rien malheureuse. Je t’aime par toutes les racines qu’il y a dans mon cœur. Je t’aime par nos quatre enfants. Écoute bien ceci, c’est la vérité devant Dieu, mon Adèle. Tu as été la première et tu seras la dernière affection de ma vie.

Pense à moi comme je penserai à toi, avec douceur, avec charme, avec cette idée que nos plus fraîches années ont été étroitement mêlées et que nous serons toujours heureux en nous aimant.

Ne te prive de rien non plus, toi, et que ton économie n’aille jamais jusqu’à l’économie d’un plaisir. Tu sais bien que l’argent ne me coûte qu’un peu de travail, et que je travaillerai toujours bien pour vous tous. C’est mon devoir et c’est ma joie.

Je voudrais que cette lettre te donnât un peu du bonheur que m’a donné la tienne. Va, tout ce que je te dis ici sort bien profondément de mon cœur. Tu es ma femme bien-aimée, la mère de mes enfants bien-aimés.

Embrasse cette nuit ma Didine et ma Dédé pour moi comme je vais embrasser ton Charlot et ton Toto pour toi[2].

Ne sois pas triste et aime-moi.

Ton Victor.

Dis à ton bon père mille amitiés de moi. — Je vous reverrai tous avec bien de la joie. — Je t’écrirai de Chartres[3]


À Mademoiselle Louise Bertin, aux Roches.


Mont-Saint-Michel, 27 juin 1836.

Je vous écris, mademoiselle, du Mont-Saint-Michel qui est vraiment le plus beau lieu du monde, après Bièvre, bien entendu. Les Roches sont belles et elles sont bonnes ; immense avantage qu’elles ont sur ce sinistre amas de cachots, de tours et de rochers qu’on appelle le Mont-Saint-Michel. Il serait difficile d’écrire d’un lieu plus terrible à un lieu plus charmant que d’où je suis où vous êtes. En ce moment, je suis bloqué par la mer qui entoure le mont. En hiver, avec les ouragans, les tempêtes et les naufrages, ce doit être horrible. Du reste, c’est admirable.

Un lieu bien étrange que ce Mont-Saint-Michel ! Autour de nous, partout à perte de vue, l’espace infini, l’horizon bleu de la mer, l’horizon vert de la terre, les nuages, l’air, la liberté, les oiseaux envolés à toutes ailes, les vaisseaux à toutes voiles ; et puis, tout à coup, là, dans une crête de vieux mur, au-dessus de nos têtes, à travers une fenêtre grillée, la pâle figure d’un prisonnier. Jamais je n’ai senti plus vivement qu’ici les cruelles antithèses que l’homme fait quelquefois avec la nature. Vous, mademoiselle, vous n’avez pas de ces tristes pensées. Vous êtes heureuse là-bas, heureuse avec votre excellent père, votre bonne famille, heureuse avec votre beau vallon à votre fenêtre, heureuse avec votre beau succès devant les yeux.

Je serai à Paris du 10 au 15 juillet et tout à vous, et tout à Notre-Dame dont je vois, de ma croisée d’auberge, une mauvaise statue de plâtre juchée dans une charmante niche à trèfles du quinzième siècle.

Excepté mon pauvre cher petit Toto, dont les oreilles m’inquiètent[4], j’ai quitté toute ma famille en bonne santé et en bonne joie à Fourqueux. Mes petits m’ont écrit qu’ils allaient vous écrire. Moi, je mets à vos pieds ma vive et respectueuse amitié.

Victor.

Dites à notre excellent Édouard que je lui serre la main ex imo corde. Tous mes souvenirs les plus affectueux à toute votre famille, je vous prie.


Pour ma Didine[5].


Barneville, 1er juillet [1836]. Vendredi.

Je t’écris, ma Didine, sur une bien vilaine table d’auberge et avec de bien vilain papier de garçon d’écurie, mais qu’importe, n’est-ce pas, pourvu que ce soit une bonne lettre qui t’aime bien et qui t’embrasse bien de ma part. J’ai fait aujourd’hui cinq lieues à pied, dans des routes de sable et de pierres, bordées çà et là par la mer, fort laides pour les pieds, fort belles pour les yeux. Je suis arrivé à neuf heures du soir à une bourgade presque sauvage où je n’ai trouvé qu’une tasse de lait et la mer, si je veux la boire. Je me dépêche de vous écrire à tous pour faire un bon dessert à mon mauvais souper.

À bientôt, ma Dinette. J’espère que ta mère et ton grand-père, si excellents tous deux, sont toujours contents de toi. J’ai annoncé à mademoiselle Louise que tu allais lui écrire ainsi que les autres petits. Ne l’oublie pas. Ne m’oublie pas non plus, moi le pauvre père absent. J’ai fait aujourd’hui l’aumône à une petite fille bien malheureuse en pensant à toi, ma Didine bien-aimée.

Ton papa,
V.

Maman, vous donnerez vingt sous à ma Poupée[6].


Monsieur Auguste Vacquerie[7],
Pension Favart,
212, rue Saint-Antoine.


Paris, 2 août [1836].

J’arrive, monsieur, et je trouve vos vers, vos charmants vers. Je vous l’ai déjà dit, il y a en vous un poëte, un poëte plein de fraîcheur, de jeunesse et de gravité. Vous êtes penseur et vous êtes écrivain. Marchez devant vous. J’arrive de cette belle Normandie dont vous me parlez. Elle est assez belle pour que j’y retourne deux fois, et j’y retournerais trois fois pour la voir avec vous. Croyez, monsieur, que ce serait un vrai bonheur pour moi s’il m’était jamais loisible de me rendre à votre gracieuse invitation.

Toute ma famille est encore à la campagne, ce qui fait que je ne suis ici qu’en passant. J’espère cependant vous voir prochainement. Si le hasard vous amène devant ma porte, montez, monsieur. Vous serez le bienvenu.

Je vous félicite pour votre talent et je vous aime pour vous.

Victor Hugo[8].


À Léopoldine.

Bonjour, ma Didine. Bonjour, ma Poupée. Je t’écris de Rennes. Il est cinq heures du matin. C’est jeudi, un jour de congé. Voilà deux nuits que je roule, secoué comme une bouteille qu’on rince. Aujourd’hui, je verrai la mer.

Je t’embrasse, et mes trois autres bons petits bijoux.

À bientôt.

Ton petit papa,
V.[9]
7 août [1836].


À Ulric Güttinguer.
Fourqueux, 15 août [1836].

Il ne faut pourtant pas que l’envie de vous aller voir m’empêche de vous répondre, mon cher et bon ami. J’irai vous chercher un de ces jours, mais en attendant je veux vous dire que votre lettre m’a fait grand plaisir et grand bien. C’est une si bonne chose, et si rare, qu’un ancien et constant ami. — Et quand cet ami est vous !

Il y a bien longtemps que nous ne vous avons vu, mais vous n’avez jamais été absent de nos causeries, de nos pensées, de nos affections. Aujourd’hui je vous retrouve dans votre gracieuse lettre tel que vous avez toujours été, tel que vous serez toujours, bon et charmant poëte.

J’ai su tous vos chagrins avec votre pauvre enfant malade. J’ai compris, je dirais presque j’ai senti tout ce que vous avez souffert.

J’irai vous voir. Je vous traînerai ici, où vous trouverez toute une famille, grandie par un bout et vieillie par l’autre, qui vous aime bien. Ma femme a grand désir de vous revoir et moi aussi[10].

  1. Inédite.
  2. Charles et François-Victor étaient internes à l’Institution Jauffret.
  3. Bibliothèque Nationale.
  4. François-Victor était souffrant et par moment atteint de surdité.
  5. Inédite.
  6. Collection M. le Baron de Villiers.
  7. Inédite. Poète, auteur dramatique, critique, journaliste, Auguste Vacquerie fut, en 1843, apparenté à Victor Hugo par le mariage de son frère, Charles Vacquerie, avec Léopoldine. Auguste Vacquerie fut, en 1848, l’un des fondateurs de l’Événement. Ce journal, poursuivi à maintes reprises, vit, en 1851, quatre de ses fondateurs (les deux fils de Victor Hugo, Paul Meurice et Vacquerie) successivement condamnés ; Vacquerie eut pour sa part six mois de prison. Quand il en sortit, il rejoignit Victor Hugo à Jersey, puis il le suivit à Guernesey et vécut là en famille jusqu’en 1869, ne faisant à Paris et à Villequier que de courts séjours. La première comédie d’Auguste Vacquerie, Tragaldabas, eut une chute retentissante en juillet 1848, ce qui n’empêcha pas l’auteur sifflé d’écrire plusieurs pièces dont deux sont restées au répertoire du Théâtre-Français : Jean Baudry et Souvent Homme varie. En 1856, il donna dans Profils et grimaces une critique variée, tant des drames et des auteurs de son époque que des écrivains des XVIIe et XVIIIe siècles. En 1869, il reprit son rôle de polémiste en fondant, avec ses collaborateurs de 1848, le Rappel et continua la publication de ce journal après la mort de Victor Hugo et de ses fils. A. Vacquerie avait voué au Maître un culte que la mort même ne put diminuer.
  8. Bibliothèque Nationale.
  9. Archives de la famille de Victor Hugo.
  10. Archives Spoelberch de Lovenjoul.