Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier/1/35
Amis, on va fermer le temple de Janus,
Et Mars, dans les bras de Vénus,
Va signaler bientôt son amoureuse audace.
Il vend chevaux, sabre, cuirasse,
Lance, cuissards, et javelots ;
De sa visière il fait un masque,
À Jélyotte abandonne son casque.
Et des écharpes du héros
La duchesse fera des dominos.
Mais vous, dont tout le bien n’est qu’un vieil uniforme,
Qu’allez-vous devenir, infortunés Grassins ?
Vous ferez-vous, à la réforme,
Rats de cave ou bien capucins ?
Ah ! qu’il ferait beau voir les enfants de Bellone
Nu-pieds, barbus, pouilleux, escamoter l’aumône ;
Ou bien de voir de généreux guerriers
De la Maltôte être croupiers.
Et moi, braves enfants, qui suis sans bénéfice,
Moi, capeliau Languedocien,
Dirai-je gratis un office
Où, sur ma foi, je n’entends rien ?
Pour vivre, me joindrai-je à cette crasse bande ?
Cervaux fêlés, ferrailleurs d’arguments,
Vivant d’obits, d’enterrements.
Qu’on nomme des prêtres d’Irlande ?
Non ferai-je, corbleu ! j’ai de l’ambition.
Ayez-en comme moi, qu’elle soit noble et grande ;
Des braves gens elle est la passion.
Si comme moi la gloire vous gourmande,
Suivons-en la vocation.
Marche à moi, grenadier ; feu, frappe :
Foi d’aumônier, je fais ou chanoine ou satrape
Ouiconque me veut suivre en cette occasion.
Or sus, buvons trois coups de ce jus de la grappe,
Et vous goûterez mieux ma proposition.
J’avais, je l’avouerai, le dessein d’être pape ;
Le poste est bon, ma foi, mais diable, on ne l’attrape
Que quand nature est aux abois.
J’aimerais mieux donner mes lois,
Le sceptre en main, comme Priape,
À tous ces tendrons de Chio.
Ah ! que ma majesté régnerait à gogo !
De vin, d’amour, je tiendrais une étape,
Et qui largement y boirait,
Péniblement y baiserait.
Sacredié, mes amis, faisons-en la conquête,
Croisons-nous tous, sabrons tous ces turbans,
Du beau sexe infâmes tyrans.
Ivrognes et ribauds, je suis à votre tête.
Frères très-chers, marchons, embarquons-nous,
Allons, frapper de rudes coups
Sur cette canaille hérétique.
Qui profanant maint bachique coteau,
Le tient en friche et ne boit que de l’eau.
Ne souffrons plus que ce fourbe extatique.
Ce vilain Mahomet tienne la Grèce aux fers.
Que cette idole de la Mecque,
Ce fier faquin rentre aux enfers.
Vin de Chio, fringante Grecque,
Seront pour nous, braves soldats ;
Vins veloutés, charmants ébats,
Seront les fruits de la victoire.
Jarni, quel vin ! morbleu, quels yeux !
Boit-on en ce pays ? l’amour en a la gloire.
Dans ce climat délicieux
Buveur d’eau sans crainte se livre,
Et l’amour seul est capiteux.
Mais dès qu’en ses transports l’amour voluptueux
En ce penchant se dissout et s’enivre,
Qu’il expire, n’est plus, un verre de bon vin
Le rend au jour et l’arrache du sein
De celle qui bientôt va le faire revivre.
Ainsi, sept fois par jour on se meurt, on revit ;
Ainsi sept fois à l’amant qui languit
Bacchus remet du cœur au ventre.
Boit-on un coup ? Soudain on rentre
Dans la carrière d’où l’on sort ;
Après un coup on mouille au port,
Un coup fournit un coup ; un coup ôte la force ;
Un coup la rend, un coup l’abat.
Ainsi de coups en coups, amour, vin délicat,
De leurs plaisirs se fournissent l’amorce.
De ce climat charmant, amis, que pensez-vous ?
Hé bien, ce beau pays, cadédis, est à vous,
Une campagne en fait l’affaire.
Et vous, mes officiers, eh donc ! qu’allez-vous faire ?
Irez-vous tonner sur vos choux.
Battre manants, pisser au cimetière,
Et vous amouracher, gentillàtres hiboux,
D’une chouette dindonnière ?
Sandis, voudriez-vous, ainsi que hobereau
Traîner une antique rapière,
Courir trois jours pour tuer un perdreau.
Et pour mieux illustrer votre noble misère
Monter un rossinante, entonner un cornet,
Pour forcer un vieux lièvre et le mettre en civet ?
Que la gloire et l’amour et Bacchus nous rassemblent.
Et que, peint sur nos étendards.
On voie Amour trempant ses dards
Dans le jus du vainqueur de l’Inde ;
Voilà notre oriflamme ! Allons en paladins,
Le sabre au poing, pourfendre Sarrasins
Et retirer des fers et Cythère et le Pinde.
La Grèce est le berceau des amours et des arts ;
Laïs y vit le jour aussi bien que Sophocle.
On y vit des buveurs, des favoris de Mars,
Et le même climat où naquit Thémistocle
Vit boire et soupirer le tendre Anacréon.
Marchons, qu’hésitons-nous, ribauds, mes camarades ?
Courons planter la vigne au pied de l’Hélicon,
Nous verrons accourir les Grâces, les Ménades.
Au fond du verre et du flacon
Piquant propos, tendre chanson,
Gaze voilant la moitié d’un téton,
Feront naître désir de goûter accolades ;
Amour sera notre Apollon ;
Il chantera nos baisers, nos rasades ;
Sur ses ailes la gloire ira porter le nom
De la plus belle des croisades.
— L’Académie des sciences a tenu son assemblée publique le 15 de ce mois. Le secrétaire perpétuel, M. de Fouchy, y lut l’éloge du fameux bernouilli, géomètre de Bâle. C’eût été un riche fonds en de meilleures mains ; M. de Fouchy ne nous donna que des réflexions triviales, une érudition puérile, des applications ridicules ; il répondit parfaitement à l’idée du public. M. de Mairan, le premier de nos physiciens, annonça une nouvelle édition de son Traité sur la glace ; il saisit cette occasion pour combattre le dégoût injuste qu’on a aujourd’hui pour les systèmes. Il avoua que le goût du système entraînait bien souvent dans des erreurs, mais il prouva fort bien que l’envie d’en soutenir rendait l’esprit capable de beaucoup d’efforts qu’il ne saurait faire sans cela. Cet illustre académicien fut fort applaudi du public, et très-peu de sa compagnie qui est toute newtonnienne. M. de Mairan et M. de Fontenelle sont les seuls de cette Académie qui n’aient pas abandonné les intérêts de Descartes. M. de Cassini rendit compte des peines qu’il s’est données, par ordre du roi, pour perfectionner la carte de Flandre. Il dit sans esprit beaucoup de choses communes sur le besoin qu’ont les généraux de cartes exactes où se trouvent marqués avec précision les ruisseaux, les ravins, les bois.
M. Le Monnier détailla ses dernières observations sur la dernière éclipse de la lune ; il a fait le voyage d’Écosse parce que l’éclipse devait y être tout entière. Ce jeune homme porte dans ses études une sorte d’enthousiasme qui fait espérer qu’il réussira. M. le marquis de Courtivron parla de la maladie qui a fait périr plus de la moitié de nos bêtes à cornes. Nos troupes, à leur retour en Bavière, portèrent ce fléau qui nous afflige encore aujourd’hui, mais moins vivement qu’il n’a fait. Nos médecins sont partagés sur la nature de cette maladie ; les uns prétendent que c’est une espèce de petite vérole, les autres que c’est un mal contagieux. Les expériences qu’a faites M. de Courtivron appuient la dernière opinion.
— L’Académie des inscriptions et belles-lettres fit sa rentrée le 12 du mois ; elle ne fut pas brillante. L’abbé Sallier, bibliothécaire du roi, y annonça le manuscrit original de la vie de saint Louis, par Joinville, qu’on vient de déterrer. Joinville était un homme de qualité qui accompagna le saint roi dans toutes ses expéditions d’outre-mer et qui n’a écrit que ce qu’il a vu. Son ouvrage est écrit avec une naïveté et un bon sens que nous ne trouvons dans aucun de nos anciens historiens. Ce monument, si précieux à la nation, avait été extrêmement altéré par l’ignorance et les malheurs du temps. Le nouveau manuscrit qu’on va publier nous donnera saint Louis et Joinville tels qu’ils ont été[2]. Le plus savant homme de l’Europe, M. Fréret, continua la séance par la lecture d’une dissertation très-sèche sur les Amazones. Son but était de prouver que ce peuple guerrier de femmes n’a jamais existé, mais qu’on peut conjecturer avec vraisemblance que ce qui a donné lieu à cette fable est que les Sauromates menaient avec eux leurs femmes à la guerre, et qu’elles se défendaient avec autant de courage et de vigueur que leurs maris, qu’elles étaient élevées à manier et à porter les armes comme les hommes, et que les peuples contre lesquels les Sauromates se battirent d’abord, étonnés de voir des femmes faire la guerre, s’imaginèrent qu’elles étaient seules comme soldats, ou répandirent peut-être ce bruit pour donner à la chose plus de merveilleux. De là sont nées, selon M. Fréret, toutes les fables qu’on a débitées sur les Amazones. M. de Sainte‑Palaye termina la séance par une dissertation sur les mœurs, les usages, les devoirs de l’ancienne chevalerie. Comme ce n’est qu’un détail, il est impossible de le rendre. Cet académicien avait rassemblé avec beaucoup d’esprit et de goût des traits charmants de la simplicité, de la valeur, de la probité et de la galanterie de ces chevaliers.
Depuis quelque temps nous ne voyons plus de tragédies à l’Opéra. Le public paraît avoir un goût décidé pour les ballets où il y a moins d’intérêt et plus d’agrément. On en donne actuellement un dont les paroles sont de Cahusac et la musique de Rameau, qui réussit très-bien. Il est intitulé les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour[3]. On le donna une fois à la cour au temps du mariage de Mgr le Dauphin. La ville, qui se connaît
- ↑ On appelait Grassin, du nom de son colonel, un régiment composé de trois cents cavaliers et de neuf cents fantassins qui, durant la campagne des Flandres, en 1745, se distingua à la prise d’Oudenarde.
- ↑ L’abbé Sallier, Melot et Capperonnier, ont donné, en 1761, une édition de Joinville. Paris, Imp. royale, in-folio.
- ↑ Représenté pour la première fois à Versailles, le 15 mars 1747, et à Paris le 25 novembre 1748.