Coups de clairon/Mon petit Moko
MON PETIT MOKO
Lorsque, larguant ma Bretagne,
Je mis l’cap sur Toulon,
Avant d’partir en campagne
J’fus à la Division
Où j’vis, subito,
Le cœur tout en rage
Que j’avais pour matelot
Un drôl’ de personnage
Un sacré p’tit Moko.
Oh ! Oh !
Que sacré p’tit Moko !
Dès que j’avais le cœur morose
Il s’mettait à chanter ;
Lorsque j’voyais tout en rose
Il s’mettait à groumer ;
Je pensais : C’qui m’faut,
Je l’savais d’avance,
C’est un gâs de Saint-Malo
Et non un gâs d’Provence,
Un sacré p’tit Moko…
Oh ! Oh !
Que sacré p’tit Moko !
Enfin, v’là qu’on nous embarque,
Qu’on bourlingue un bon mois ;
Et pis v’là qu’on nous débarque
Dans l’pays des Chinois ;
Mais, sur le bateau,
Puis, là-bas, en Chine,
Tout comme jadis au Dépôt,
J’ons toujours sur l’échine
Mon sacré p’tit Moko
Oh ! Oh !
Que sacré p’tit Moko !
Un soir, au bout d’une perche
J’avise un pavillon ;
Je rampe à plat-ventre et cherche
À doubler le bastion ;
J’arrivis bientôt
Sur la p’tit’ colline ;
Je vas pour crocher l’drapeau…
Un’ main l’chope en sourdine :
C’est mon sacré p’tit Moko !
Oh ! Oh !
Qué sacré p’tit Moko !
Furieux, je m’écri’ : « Tonnerre !
J’en aurai ben un bout !
« — Eh, zou ! qu’il me dit, péchère !
T’auras l’manche en bambou ! »
Comme il dit ces mots,
La troupe maudite
S’éveille et nous tomb’ sur l’dos ;
Numa s’trotte… et j’imite,
Pour un’ fois, mon Moko !
Oh ! Oh !
Que sacré p’tit Moko !
Mais v’ià qu’par tribord arrière
Je r’çois un coup d’flingot…
L’moko, me voyant par terre,
Vir’ de bord aussitôt ;
J’y dis : « Leur drapeau
Faut pas leur-z-y rendre :
Adieu ! cavale au galop !
J’te défends de m’défendre !
Entends-tu, cré Moko !
Oh ! Oh !
Que sacré p’tit Moko !
« — Tais-toi, car tu n’es pas drôle,
Qui m’dit Laisse arriver ! »
Et, v’lan, dessus son épaule
Je me sens enlever…
Puis, au petit trot
Nous battons en r’traite,
Numa vif comme un biquot…
Moi, pleurant comme une bête…
Sur le dos d’mon Moko ;
Oh ! Oh !
Que sacré p’tit Moko !
Blessés tous deux, — fiers quand même —
Nous rallions le camp,
Ayant reçu le Baptême
De la poudre et du sang !
C’qui prouv’, matelots
D’Bretagne et d’Provence,
Que le Breton et l’Moko
N’ont qu’un cœur pour la France :
Un cœur sous deux tricots…
Oh ! Oh !
C’est kif-kif bourriquot !
Aussi, p’tit mousse et novice
Qui s’rez marins bientôt,
Je vous souhaite, au service,
Un Moko pour mat’lot :
C’est gai sur l’bateau,
C’est brave en campagne,
Pour vous ça risque sa peau !
Viv’nt les marins d’Bretagne
Et vivent les Mokos ;
Oh ! Oh !
Vivent les bons Mokos !