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De la fluxion périodique des yeux et de l’immobilité/Texte entier

La bibliothèque libre.
École nationale Vétérinaire de Toulouse.


DE LA

FLUXION PÉRIODIQUE DES YEUX

ET DE

L’IMMOBILITÉ

Au point de vue de la Jurisprudence vétérinaire commerciale,


PAR D. BOSC

Né à Grenade (Haute-Garonne).



THÈSE
pour le Diplôme de Médecin-Vétérinaire

Présentée le 1er juillet 1876.



TOULOUSE
IMPRIMERIE L. HÉBRAIL, DURAND & DELPUECH
5, Rue de la Pomme, 5


1876

JURY D’EXAMEN.


MM. BOULEY O. ❄, Inspecteur-général.
LAVOCAT ❄, Directeur.
LAFOSSE ❄, Professeurs.
LARROQUE,
GOURDON,
SERRES,
ARLOING,
MAURI, Chefs de Service.
BIDAUD,
LAULAUNIÉ,
LAUGERON,


Séparateur


PROGRAMME D’EXAMEN

Instruction ministérielle du 12 octobre 1866.


THÉORIE Épreuves
écrites
1o Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ;
2o Dissertation sur une question complexe d’Anatomie, de Physiologie et d’Histologie.
Épreuves
orales
1o Pathologie médicale spéciale ;
2o Pathologie générale ;
3o Manuel opératoire et Maréchalerie ;
4o Thérapeutique générale ; Posologie et Toxicologie ;
5o Police sanitaire et Jurisprudence ;
6o Hygiène, Zootechnie, Extérieur.
PRATIQUE Épreuves
pratiques
1o Opérations chirurgicales et Ferrure ;
2o Examen clinique d’un animal malade ;
3o Examen extérieur de l’animal en vente ;
4o Analyses des sels ;
5o Pharmacie pratique ;
6o Examen pratique de Botanique médicale et fourragère.


À LA MÉMOIRE DE MON PÈRE


REGRETS ÉTERNELS




À MA MÈRE


Gage de reconnaissance et d’amour filial.




À MON GRAND-PÈRE


Gage de respect et d’attachement.




À MES PARENTS

À MES PROFESSEURS




À MES AMIS


DE LA FLUXION PÉRIODIQUE DES YEUX




La fluxion périodique, encore appelée ophthalmie périodique ou intermittente, ophthalmie rémittente, ophthalmie interne ou essentielle, ophthalmie interne rémittente, lune, mal de lune, fluxion lunatique, etc., est une maladie inflammatoire du globe oculaire, se montrant par accès plus ou moins rapprochés et entraînant presque toujours la perte de la vue.

Elle est assez fréquente chez le cheval, très-rare chez le mulet et l’âne. Rhodes, Lapoussée et M. Lafosse l’ont constatée chez le bœuf ; enfin l’homme aussi, paraît-il, serait exposé à la contracter.

Cette maladie est héréditaire. Elle peut se montrer en même temps sur les deux yeux ou successivement sur chacun d’eux, ou enfin sur un seul de ces organes. Ce dernier cas est celui que l’on voit le plus souvent. Quand l’un et l’autre sont affectés simultanément, la marche de l’accès est toujours plus avancée dans l’un d’eux.

Symptomatologie. — Lorsque ce processus pathologique suit une marche régulière, on peut y distinguer trois périodes : début, état, déclin.

Je dois faire remarquer que, si ces divisions sont très-bonnes en théorie, il est presque impossible, dans la pratique, de préciser exactement le montent où une période finit et celui où l’autre commence.

Première période. Début. — On constate à cette période les symptômes de l’inflammation rarement précédés de phénomènes généraux, tels que tristesse, abattement, perte de l’appétit, fièvre.

L’œil est douloureux, devient bientôt larmoyant ; les paupières sont infiltrées, rapprochées si la lumière est vive ; la sensibilité de cet organe est augmentée, il y a photophobie. Les cils s’abaissent, quittent leur direction horizontale pour devenir obliques par en bas. Les larmes sont limpides, irritent la peau et provoquent une dépilation sur le chanfrein. Vers le troisième ou le quatrième jour, l’inflammation étant intense, le trouble de la cornée apparaît et se manifeste de la périphérie vers le centre ; les vaisseaux de la partie troublée forment des arborisations rougeâtres et se disposent en rayons convergents ; la pupille est légèrement contractée. Il y a alors des symptômes généraux. La durée moyenne de cette période est de quatre à six jours. Pendant ce temps, la résolution se produit ou bien la deuxième période commence.

Deuxième période. État. — Il y a à ce moment diminution des signes de l’inflammation. Les larmes sont moins abondantes ; les humeurs de l’œil se troublent ; des flocons albumineux très-petits se condensent, viennent se réunir dans le bas de la chambre antérieure et constituent l’hypopion (de ὑπό, sous, et, πῦον, pus). Une fois ce dépôt formé, les humeurs placées au-dessus recouvrent leur transparence. Le fond de l’œil a une teinte de feuille morte ou cendrée. Le nuage adhère quelquefois aux appendices de l’iris désignés sous le nom de grains de suie, et communique même dans la chambre postérieure.

Cette période dure à peu près le même temps que la précédente.

Troisième période. Déclin. — À cette époque, le caractère principal consiste dans la résorption de l’hypopion. Il y a réapparition des premiers symptômes ; les flocons coagulés se dissolvent peu à peu et troublent l’humeur aqueuse ; puis enfin, insensiblement, la résorption s’opère et l’œil reprend ses caractères physiologiques, à quelques modifications près. L’hypopion peut aussi quelquefois se dissoudre sans qu’un nouveau trouble se produise. La durée de cette période est de cinq à six jours.

Variétés. — Cette régularité dans les périodes s’observe rarement ; aussi est-il parfois très-difficile de les distinguer et d’affirmer, par le simple examen des parties malades, l’existence réelle de la maladie.

Au premier accès, l’affection acquiert une très-grande intensité, ou bien les symptômes sont à peine visibles. Dans ce dernier cas, on constate un gonflement des paupières, un larmoiement, un léger trouble des humeurs, un resserrement de la pupille ; puis, cet état disparaît insensiblement pour être suivi, au bout d’un certain temps, d’un autre plus grave et mieux caractérisé.

L’accès se continue parfois pendant un temps très-long sans que l’on puisse remarquer les paroxysmes ; mais, ordinairement, les symptômes étant peu intenses, l’œil semble revenir à l’état normal au bout de cinq à huit jours, de telle sorte qu’il est souvent impossible de reconnaître les traces de l’affection.

Dans quelques circonstances, l’œil, sans inflammation préalable, présente tout à coup un énorme dépôt de teinte jaune feuille morte qui remplit la moitié inférieure de la chambre antérieure. Les paupières, la conjonctive, la cornée peuvent alors conserver leur aspect physiologique ; la souffrance est peu intense ; cependant, au bout de quelques jours, l’animal perd la vue.

L’inflammation peut acquérir, au premier accès, une telle intensité, que l’œil prend un volume considérable par suite d’une hypersécrétion des membranes internes. La cornée peut alors se déchirer et donner issue aux parties renfermées dans la chambre antérieure. Cette forme de la fluxion est très-rare ; elle a pour résultat d’entraîner la perte immédiate de la vue.

Durée des accès. — La durée des accès est, en général, de douze jours à trois semaines. Il en est cependant qui ne durent que six, huit jours et même moins ; les périodes sont alors très-peu distinctes. Sur les animaux lymphatiques, surtout s’il y a eu déjà plusieurs accès, la durée augmente en proportion de leur nombre et peut être de plus de trois semaines.

Durée des rémissions. — Elle est très-variable ; mais le terme moyen est d’environ trente jours. Quelquefois plusieurs accès se manifestent dans cet espace de temps ; d’autres fois, les rémissions durent deux, trois mois et même une année.

Causes provocatrices des accès. — Les causes d’irritation agissant sur l’œil ou même sur le système muqueux, ou l’ensemble de l’économie, ont une influence sur le retour des accès. La poussière, les vapeurs irritantes, les vents violents, les courants d’air, l’action soutenue d’une vive lumière, l’émigration vers des contrées humides, l’éruption des dents, la gourme, etc., sont les causes excitantes ordinaires des accès, bien qu’ils puissent se manifester en l’absence de ces conditions.

Causes qui retardent les accès. — Un régime substantiel, l’émigration vers des contrées sèches et chaudes peuvent modérer l’intensité de l’affection et en éloigner les paroxysmes. Les marchands de chevaux de la Catalogne connaissent si bien l’influence de cette condition, qu’ils ne craignent pas d’acheter dans nos contrées des sujets fluxionnaires, persuadés que la maladie s’arrêtera lorsque les animaux seront conduits dans leur pays.

État de l’œil pendant les rémissions. — Ordinairement, les lésions consécutives à un premier accès ne sont saisissables que par un examen très-attentif ; d’autres fois, ces lésions sont tellement graves que l’œil a complétement perdu ses facultés fonctionnelles.

On constate souvent à la suite d’un premier accès une teinte terne, feuille morte ou glaucome, reflétée par les milieux de l’œil, le rétrécissement de la pupille, la déviation de l’axe visuel par en bas. Il y a moins de vivacité dans le regard ; le globe oculaire a quelquefois diminué de volume, et l’on aperçoit dans la chambre postérieure de petits filaments qui paraissent suspendus au milieu des humeurs et qui, suivant certains auteurs, appartiennent exclusivement à l’ophthalmie périodique.

Après le deuxième et, à plus forte raison, le troisième accès, ces lésions sont mieux accusées et l’on peut constater en outre le rapprochement des paupières qui fait paraître l’œil rapetissé ; la supérieure présente, vers la partie moyenne de sa longueur, un pli qui détruit la régularité de l’arc qu’elle décrit, de sorte que l’angle nasal de l’œil devient droit au lieu d’être aigu comme à l’état physiologique. Les cils sont souvent tombés et les larmes ont creusé un sillon sur le chanfrein ; la cornée n’est plus aussi limpide ; les filaments déjà indiqués se montrent dans la chambre postérieure ; des points blancs, opaques ou noirs se font remarquer sur le cristallin ; la vue s’obscurcit et l’animal devient ombrageux.

Enfin, à la suie du quatrième accès et des suivants, des altérations plus graves se manifestent. Ainsi, la cataracte, les taies, l’albugo, l’hydrophthalmie, l’atrophie de l’œil, l’épiphora, l’onglet, l’adhésion du cristallin, de l’iris avec le reste de la vitre, l’entropion, l’ectropion, etc. L’amaurose est aussi parfois le résultat de la fluxion périodique.

L’examen comparatif des deux yeux permet souvent de distinguer plusieurs de ces symptômes ; cependant, dans quelques cas, ils sont peu apparents ou siégent dans des parties de l’œil difficiles à explorer ; on pourrait alors, pour les étudier, se servir de l’ophthalmoscope.

Terminaisons. Lésions. — La fluxion périodique a pour terminaison à peu près constante la cécité presque toujours complète ou permettant encore à l’animal de se diriger seul au grand jour. Ce résultat se produit après un nombre variable d’accès.

L’amaurose est aussi une des terminaisons de cette maladie. Elle existe en général avec dilatation de la pupille. Celle-ci présente, d’ordinaire, un contour parfaitement régulier et semblable, sauf les dimensions, à celui de la pupille normale ; quelquefois, au contraire, ce contour est comme déchiré et montre des débris flottants, dont on peut constater la mobilité lorsqu’on imprime des mouvements à l’humeur aqueuse en pressant sur le globe de l’œil. La pupille est plus rarement resserrée. Dans ce cas, son ouverture est presque entièrement close par les grains de suie, et le fond de l’œil a un reflet noirâtre.

Une lésion très-commune que l’on observe à la suite de la fluxion périodique, c’est la cataracte. M. Hamon aîné s’exprime ainsi au sujet de cette altération : « Sur vingt chevaux atteints d’ophthalmie interne rémittente, dix-huit au moins sont affectés de cataracte ; elle commence toujours par un ou plusieurs points blancs argentés, qui demeurent quelquefois stationnaires pendant longtemps, mais qui, le plus souvent, envahissent le cristallin au fur et à mesure que les accès se font sentir, finissent par se confondre et le rendent tout à fait opaque et imperméable aux rayons lumineux. Ce n’est guère qu’au bout d’un an ou deux qu’on distingue bien les altérations survenues à tout le globe oculaire ; alors, on ne distingue plus de pupille ; le cristallin occupe la place de cette ouverture ; il paraît comme hypertrophié, irrégulièrement bosselé et flottant dans la chambre de l’œil. »

Voici les principales lésions que laisse encore l’ophthalmie intermittente : une opacité, une coloration variable des humeurs qui peuvent être augmentées ou, le plus souvent, diminuées ou altérées. Le cristallin, plus ou moins opaque, s’est avancé parfois jusque dans la chambre antérieure et adhère, soit à la cornée, soit à l’iris. Celui-ci est ridé, flétri ; il se confond avec les autres parties ou bien il présente une ouverture très-élargie. La rétine, la choroïde, les procès-ciliaires se confondent, se ramollissent et même disparaissent. Le tapetum est modifié dans sa couleur et devient parfois d’un vert jaunâtre ; le nerf optique est atrophié ou ramolli. Rodet a noté l’injection de ce nerf et des couches d’où il émerge chez un cheval fluxionnaire, abattu pour cause de morve.

Diagnostic différentiel. — Au début, on peut confondre cette maladie avec l’ophthalmie ordinaire ; mais, en suivant la marche de l’affection, il est permis de faire la distinction. Dans quelques cas cependant, on est obligé d’attendre le retour d’un paroxysme pour se prononcer.

Quelques conjonctivites se présentent par accès, séparés par des intervalles assez longs. Les paupières sont alors gonflées, la muqueuse est injectée, mais l’intérieur du globe reste intact.

La pneumonie, la bronchite, la gastro-hépatite, le coryza aigu retentissent quelquefois sur l’appareil de la vision et donnent naissance à des ophthalmies symptomatiques dont le diagnostic devient difficile à faire, par suite de la ressemblance des symptômes avec ceux de la fluxion périodique.

Ces ophthalmies sont entièrement subordonnées à ces maladies et, d’habitude, ne laissent pas de lésions. De plus, elles existent en général aux deux yeux, tandis que la fluxion périodique n’attaque ordinairement qu’un seul de ces organes, ou lorsque les deux sont atteints, il y en a toujours un de plus malade que l’autre.

Bouley jeune, Verheyen ont admis qu’il existait alors un dépôt floconneux en tout semblable à l’hypopion. M. H. Bouley pense que cette dernière lésion est pathognomonique de l’ophthalmie rémittente, et qu’on a affaire à cette affection quand on constate l’hypopion dans les cas de gastro-hépatite, de pneumonie, etc. M. Mariot-Didieux, ainsi que M. Hamon, ont souvent constaté l’influence que les affections intestinales exercent sur le développement de la fluxion périodique.

L’amaurose se caractérise en ce qu’elle ne se présente pas par accès ; la pupille est dilatée, la vue presque abolie, etc. ; mais les humeurs conservent leur transparence et les autres parties de l’œil ne sont nullement modifiées.

Enfin, dans quelques circonstances, la généalogie, la provenance, le mode d’élevage de l’animal fournissent au vétérinaire de précieux renseignements pour le diagnostic.

La description sommaire que je viens de faire de la fluxion périodique m’a paru utile pour rendre plus faciles à comprendre les questions qui vont être exposées à propos de la jurisprudence.

Je n’ai pas cru devoir m’étendre davantage sur ce point, craignant d’être entraîné au-delà du cadre que je me suis tracé, et préférant renvoyer le lecteur à l’excellent ouvrage de M. Lafosse et à l’article : Fluxion périodique, publié dans le Nouveau Dictionnaire pratique de MM. Bouley et Reynal.

Jurisprudence commerciale. — Expertise. — La fluxion périodique des yeux se trouve placée en tête des vices réputés rédhibitoires par la loi du 20 mai 1838. pour le cheval, l’âne et le mulet, avec trente jours de garantie.

Cette maladie était considérée comme devant entraîner la résiliation de la vente par les anciens usages et coutumes. Huzard, Chabert, Fromage de Feugré et les auteurs du Code rural avaient également pensé qu’elle devait donner lieu à la rédhibition.

Elle réunit, en effet, les conditions voulues pour être comprise dans la catégorie des vices inscrits dans la loi du 20 mai. Il est possible qu’elle soit déterminée par des causes éloignées et cachée au moment de la vente ; elle déprécie considérablement l’animal : enfin, elle ne se manifeste que par accès, et il est souvent impossible de constater les traces de son existence.

Quelques questions qu’il est bon d’examiner tout d’abord, ont donné lieu à des interprétations diverses.

1o La périodicité doit-elle être constatée pour pouvoir conclure à l’existence de la fluxion périodique ? Cette manière de voir a été acceptée par les anciens vétérinaires ; mais on comprend qu’elle est contraire au texte et à l’esprit de la loi du 20 mai, ainsi crue l’a fait observer M. Renault. Par le mot périodique, en effet, le législateur a voulu simplement spécifier la maladie qui devait être rédhibitoire et non pas exiger que l’expert constatât la périodicité. Ce dernier doit donc se prononcer pour l’affirmative, sans attendre l’apparition d’un nouvel accès si, au moment de la visite, il aperçoit des signes certains de cette affection. Il est évident qu’il aura rempli sa mission s’il peut reconnaître la périodicité sans être obligé de constater en fait la succession de plusieurs attaques. Il ne doit ajourner son jugement que lorsque les symptômes sont trop peu accusés, pour qu’il puisse affirmer qu’ils ne dépendent pas d’une autre maladie de l’œil, d’une ophthalmie interne, par exemple.

2o Quelles limites doit-on assigner au temps consacré à l’expertise ? Des dissidences nombreuses ont existé sur ce point. À la Société centrale de Médecine vétérinaire cette question a été vivement débattue ; et MM. Renault, H. Bouley, Bouley jeune, Vatel ont admis que ce délai ne devait pas s’étendre au-delà de trente jours. Ces auteurs se sont appuyés pour émettre cette opinion sur le texte de la loi de 1838. Le législateur, en donnant en effet trente jours de garantie, a admis implicitement que cette maladie devait se développer dans cette période de temps chez l’acheteur. Par conséquent. les accès ne se produisant pas dans les trente jours qui suivent le temps de la garantie légale, l’expert pourra conclure. Il pourra se tromper scientifiquement, mais il sera d’accord avec le texte et l’esprit de la loi. Les attaques peuvent il est vrai, ne se manifester qu’au bout de trois, quatre, cinq mois ; mais ce sont là des exceptions dont l’expert n’a pas à se préoccuper. (Bouley et Reynal. Dict.)

À l’exemple de mon savant professeur M. Lafosse, je vais considérer l’expertise comme pouvant avoir lieu dans trois conditions particulières.

Le vétérinaire appelé à procéder à l’examen de l’animal qui est l’objet d’une contestation, peut trouver la fluxion, soit à la première période, soit à la deuxième ou à la troisième, ou enfin dans quelques cas, en état de rémission.

Premier cas. — On observe les principaux symptômes, tels que trouble de l’œil, hypopion ; puis, retour de l’œil à son état de transparence, dissolution de l’hypopion et trouble des humeurs ; enfin, disparition du trouble, mais avec persistance des altérations plus ou moins prononcées de la rémission. Le diagnostic est alors très-facile et peut être porté sans attendre un nouvel accès.

Deuxième cas. — Il devient alors difficile de donner une solution précise ; cependant, on ne saurait admettre sans réserve l’opinion de M. Mignon, prescrivant la fourrière comme étant indispensable, vu l’impossibilité où l’on est de reconnaître la nature périodique de l’affection à cette époque. L’expert peut, en effet, observer certains symptômes ayant une grande valeur diagnostique, qui suffiront pour motiver une décision affirmative. Ainsi, la présence de l’hypopion avec transparence des humeurs, sans aucun indice d’autres maladies pouvant retentir sur l’appareil de la vision, constitue une altération très-importante. Cette lésion s’accompagne, en outre, de larmoiement, de rapprochement des paupières, de resserrement de la pupille, de teinte feuille morte du fond de l’œil. Ensuite, lorsque la dernière période arrive, apparaissent tous les signes d’une ophthalmie interne, qui disparaissent bientôt sans aucun soin, ce qu’on ne remarque guère dans les affections non périodiques des yeux. La troisième période terminée, on peut voir enfin les caractères plus ou moins accusés de la rémission.

Dans cette succession de symptômes, il y a certainement des raisons suffisantes pour faire admettre à l’expert l’existence de la fluxion périodique.

Troisième cas. — Deux conditions peuvent alors exister : il n’y a pas de lésions ou elles sont insignifiantes, ou bien des altérations assez accusées se montrent dans l’œil.

Dans la première condition, l’animal a les yeux nets, sa vue est bonne ; il n’y a donc pas de vice rédhibitoire ; inutile de mettre le sujet en fourrière. D’ailleurs, l’acheteur n’aurait pas alors de raisons pour intenter l’action en résiliation.

Dans la seconde condition, c’est-à-dire lorsque les yeux sont malades, si l’on remarque les principales lésions qui ont été décrites pour l’œil à la période de rémission, on pourra reconnaître là, comme au moment de l’accès, l’existence de l’ophthalmie rémittente, surtout si l’animal qui les présente à une tête empâtée, une ganache très-forte, les yeux rapprochés, un tempérament lymphatique, n’a pas dépassé sa septième année et si l’on ne peut distinguer aucune cause évidente d’ophthalmie. Il n’y a donc pas lieu, dans ce cas, d’attendre un nouvel accès.

Cet ajournement sera encore inutile si l’expert est appelé lorsque l’accès est à sa troisième période ; car il y a alors une ophthalmie interne assez intense, qui se dissipera promptement d’elle-même et qui sera suivie de la période de rémission, laissant apercevoir les lésions déjà indiquées.

Dans quelques circonstances, à la vérité, il sera très-difficile de réunir tous ces signes et de porter un diagnostic sûr ; mais ce n’est point là un motif assez puissant pour faire déclarer que la fluxion, à cette période, ne saurait jamais être reconnue.

Difficultés. — Au moment de l’examen de l’animal, il existe quelquefois une ophthalmie symptomatique dont l’expression ressemble beaucoup à la fluxion périodique. Quels sont les moyens qui permettront de faire la distinction et comment doit agir l’expert ?

Les caractères distinctifs ont été déjà exposés ; mais je crois bon de désigner de nouveau, comme un signe des plus importants, l’absence, après la résolution de la phlegmasie oculaire, des signes caractéristiques de l’ophthalmie périodique pendant la rémission. Il faut aussi considérer l’âge, le tempérament, la conformation, etc. ; en un mot, les différentes conditions indiquant une prédisposition à la fluxion.

Les anciens vétérinaires avaient pensé que l’hypopion était un symptôme pathognomonique de l’ophthalmie périodique, ce qui simplifiait beaucoup le diagnostic ; mais MM. Verheyen, Bouley jeune, Drouard, etc., ayant reconnu qu’il y avait des ophthalmies symptomatiques présentant cette lésion, la position est devenue, par suite, plus embarrassante pour le vétérinaire. Cependant ces maladies peuvent, ainsi que MM. Mariot-Didieux et Hamon aîné l’ont observé, déterminer la cécité, et ont parfois une si grande ressemblance avec la fluxion, qu’on peut bien les considérer alors comme devant entraîner la rédhibition. Il en sera ainsi, par exemple, lorsqu’on pourra constater le trouble de l’humeur aqueuse, l’hypopion la dissolution et la résorption de ce produit morbide. Il y a là des signes qui doivent engager l’expert à ne pas prolonger indéfiniment la fourrière pour attendre un accès qui pourrait ne pas venir, et occasionner ainsi des frais qui, joints à ceux qu’entraînent les lenteurs de la procédure, sont quelquefois supérieurs à la valeur de l’animal.

Un des cas les plus embarrassants est celui qu’offre un sujet chez lequel se montrent des taches de la cornée, du cristallin, la cataracte, l’amaurose.

Ces maladies chroniques ne peuvent pas empêcher l’expert de se prononcer pour l’existence de la fluxion, pourvu qu’il en distingue les signes dans l’œil. Mais souvent ces caractères ne se remarquent point. Or, on sait que si ces altérations sont parfois la conséquence de l’ophthalmie périodique, elles peuvent être aussi l’expression d’autres maladies des yeux. Comme il n’y a alors que présomption et non certitude, il faudra ou mettre l’animal en fourrière, ou engager l’acquéreur à renoncer à l’action rédhibitoire.

On a pensé que les traces de sétons, les vésicatoires, l’épilation de la face, la chute des cils, etc., pouvaient servir au diagnostic de la fluxion périodique ; mais ces altérations ne sont pas nécessairement des conséquences de cette maladie et ne dépendent pas toujours du traitement qu’on lui a opposé.

Lorsque l’œil est atteint d’une ophthalmie aiguë, on doit attendre la guérison et, s’assurer, avant de porter un jugement négatif, qu’il n’existe pas des lésions de la fluxion périodique en rémission. L’ophthalmie simple peut n’être, en effet, qu’un signe précurseur de cette affection.

Dans certaines contrées de la France, il règne des ophthalmies internes très-graves qui déterminent fatalement la cécité. L’expert peut-il alors se prononcer ? Il le peut, s’il a constaté les caractères des trois périodes ou au moins des deux dernières périodes de l’accès ; dans le cas contraire, il ne doit point conclure affirmativement. Ces ophthalmies se présentent ordinairement au début avec les caractères d’une conjonctivite plus ou moins intense ; il y a trouble de l’humeur aqueuse ou seulement quelques points blanchâtres qui flottent dans cette humeur, sans formation de dépôt floconneux. Cette affection disparaît sans laisser de traces ; mais elle se manifeste de nouveau après un certain temps avec les symptômes primitifs, et alors elle amène la cécité que l’on s’explique surtout par les lésions existant sur le cristallin et l’iris.

Il arrive souvent que ces maladies n’ont pas la physionomie de la fluxion malgré leur intermittence. On ne voit pas la formation et la résorption successives des produits morbides avec retour de l’œil à son état habituel d’intégrité.

La rédhibition doit être admise quoique l’affection fût visible au moment de la vente ; elle doit l’être aussi quand on reconnaît son existence, alors même que les deux yeux sont perdus.

Un cheval est vendu quelquefois comme borgne, comme ayant perdu un œil à la suite d’une fluxion périodique : l’expert constate la netteté de l’autre œil ; mais il ne peut rien assurer pour l’avenir. On pourrait espérer davantage de ne pas voir le retour de l’affection s’il y avait eu un accident, une contusion ou l’introduction d’un corps étranger dans l’organe détruit.

Règles de l’expertise. — L’examen des yeux doit être fait avec la plus grande attention pour déterminer la nature de la maladie.

Fréquemment, l’expert reconnaît la nécessité de soumettre l’animal à plusieurs visites, pour suivre la marche de l’affection, pour la distinguer des autres maladies avec lesquelles on pourrait la confondre.

Dans les cas douteux, la fourrière est utile, mais il ne faut pas oublier ses inconvénients. Il importe de savoir, si l’on attend un accès, que le repos en retarde l’apparition, tandis que le travail la favorise ; de là l’indication de soumettre le sujet à un exercice de chaque jour.

Il n’est pas utile de faire un procès-verbal suspensif, lorsqu’il y a eu plusieurs visites ; un procès-verbal ordinaire doit suffire, indiquant ce qui a été fait et observé.

On engage ordinairement l’acquéreur à demander par écrit, une prolongation de garantie d’un mois au vendeur pour que l’affection ait le temps de se dévoiler. J’ai vu souvent employer ce procédé par mes professeurs de clinique. Mais beaucoup de vendeurs se refusent à donner cette prolongation, fût-elle seulement de quatre ou cinq jours. Alors, pour peu que l’on reconnaisse quelques signes appartenant à la fluxion, on doit conseiller l’action rédhibitoire.

Expertise en cas de mort de l’animal. — La fluxion périodique n’entraîne jamais la mort du sujet qui en est atteint ; aussi le droit de recours pour un tel cas n’est-il pas réclamé. Néanmoins, dans l’hypothèse d’un tel résultat, est-il possible d’assurer que les lésions rencontrées dans l’œil appartiennent à une ophthalmie continue ou à l’affection intermittente ? M. Mignon ne le pense pas. « On peut bien soupçonner, dit-il, que ces lésions dépendent de la maladie rémittente ; mais il est impossible de l’affirmer. »

Un animal meurt, pendant l’instance, d’une maladie non réputée rédhibitoire par la loi du 20 mai 1838, et, dans le délai de la garantie, on a constaté un accès de fluxion périodique. Qui doit supporter la perte ? M. Lafosse, consulté à ce sujet, a émis l’opinion qu’elle devait être supportée par l’acheteur, à la condition, pour le vendeur, de restituer une partie du prix proportionnée à la moins-value résultant du vice rédhibitoire reconnu. Il faut alors considérer la valeur de l’animal vendu comme fluxionnaire, et faire la différence entre cette valeur et le prix d’achat.

Desiderata. — Sous ce titre, M. Lafosse examine les lacunes que présente la loi du 20 mai au sujet de la durée de la garantie et de la fourrière. Le délai de la garantie devrait être réduit à trois jours pour la fluxion périodique, et l’amaurose ainsi que la cataracte être réputées rédhibitoires. De cette manière, le vendeur ne serait point responsable des faits devant être imputés quelquefois à l’acheteur, et l’expert ne trouverait plus les mêmes difficultés à se prononcer. La gravité de toutes les maladies internes de l’œil, leur distinction souvent impossible à faire, leur caractère chronique, prouveraient leur existence avant la vente, surtout si la garantie était fixée à trois jours.

M. H. Bouley propose d’admettre comme rédhibitoires toutes les maladies anciennes des yeux, quelles qu’elles soient, lorsque ces maladies n’ont pas pour conséquence d’altérer la transparence de la cornée vitrée.

Quant au délai de la fourrière, il devrait être fixé par le législateur. Sa durée, dit M. Lafosse, serait calculée sur la durée moyenne de la rémission, prolongée de celle du dernier stade de l’accès qui est ordinairement de cinq ou six jours, et de celle des deux premiers stades qui est de dix à douze jours.

Cette fixation du temps est basée sur ce que si l’expert, à sa première visite qui a lieu, par exemple, à l’expiration du délai de trente jours, trouve la maladie à sa deuxième période, il lui sera facile de distinguer la nature du mal en suivant l’accès jusqu’à sa fin. S’il éprouve, au contraire, de l’embarras par suite de son examen fait au moment du dernier stade, il pourra étudier l’œil pendant la rémission et même assister peut-être à la manifestation des deux premières périodes d’un autre accès.

Ruses. — Le vendeur, pour masquer la maladie, peut donner un coup sur l’œil affecté ; l’acheteur, de son côté, agir de la même manière, s’il n’est pas content de l’animal. Mais l’expert ne sera point trompé s’il ne porte point un jugement avant de s’être assuré de la présence ou de l’absence des caractères de la fluxion périodique. Cependant il arrive quelquefois, ainsi que l’a observé M. Dayot, que ces violences extérieures, exercées sur de jeunes sujets nés et élevés dans les pays où cette maladie est fréquente, peuvent provoquer son apparition. On sait qu’il suffit, en effet, d’une action irritante portée sur un organe pour amener le développement d’une affection à laquelle cet organe est prédisposé. Ces cas ne sauraient être prévus, et par conséquent peuvent induire en erreur. Heureusement, ils ne doivent se présenter que dans des circonstances très-rares.

Déceptions de l’expert. — La fluxion périodique est considérée comme incurable, quoique le mal disparaisse parfois spontanément ; la guérison est, il est vrai, un fait exceptionnel. Il en résulte que l’expert qui a affirmé l’existence de ce vice, peut être mis, plus tard, en présence du même sujet dont les yeux seront intacts ; ou bien un sujet déclaré non fluxionnaire présentera, quelque temps après, les signes de l’ophthalmie rémittente. Dans ces cas, l’expert à la conscience d’avoir bien agi ; mais il ne doit pas néanmoins oublier de prévenir les parties de ce qui peut arriver.

Moyens de conciliation. — Dans les cas difficiles à juger, pour éviter les inconvénients d’une longue fourrière ou d’un diagnostic hasardé, l’expert doit engager les parties à la conciliation.

M. Lafosse propose les moyens suivants :

1o Maintenir la vente moyennant une indemnité accordée à l’acquéreur, basée sur la dépréciation occasionnée par la maladie.

2o Résilier la vente, l’acheteur restituant au vendeur une partie du prix basée sur la dépréciation résultant de la divulgation du défaut présumé, sur les embarras qu’éprouve quelquefois le vendeur du remplacement qu’il a fait de l’animal qu’il reprend, et des pertes dont, par suite, il se trouve menacé.

Dans les deux cas, les frais doivent être supportés également par chacune des parties.

3o L’animal est laissé entre les mains de l’acheteur afin d’éviter les frais de fourrière, et parce que le vendeur, qui veut employer la fraude, a plus de moyens pour retarder l’apparition de l’accès que ne peut en avoir l’acquéreur pour la provoquer. Si, chez ce dernier, il existait des conditions propres à favoriser le développement de la fluxion périodique, l’expert devrait conseiller une prolongation de courte durée.

Dans ces circonstances, l’expert pourra être désigné par les parties comme amiable-compositeur, et prononcera sans appel, ou bien il remettra le procès-verbal d’expertise, et les tribunaux rendront jugement.

Souvent on fixe par un compromis le temps pendant lequel on doit attendre la manifestation d’un accès. Ce délai expiré, la vente est définitive, si l’accès ne s’est pas montré. En général, le délai de trois mois est suffisant, et c’est l’expert qui est chargé de prononcer sans appel.

Les frais sont supportés, dans tous les cas, par la partie qui succombe.


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DE L’IMMOBILITÉ




On désigne sous le nom d’Immobilité une maladie particulière à l’espèce chevaline, ayant son siége dans le système nerveux, dont la nature n’est pas bien connue et qui, presque toujours, est incurable. Elle se caractérise surtout par la tendance qu’a l’animal à rester immobile dans de certaines attitudes forcées, vicieuses et même instables, par la diminution de sa sensibilité et par la difficulté ou même l’impossibilité qu’il éprouve pour exécuter les mouvements en arrière.

Par cette définition, on voit que l’immobilité est considérée comme une maladie véritable, comme une entité morbide. De nos jours cependant, les études anatomo-pathologiques permettent de se faire une nouvelle idée de cette affection et de ne plus la regarder que comme un groupe de symptômes pouvant appartenir à des maladies, à des lésions très-différentes par leur siége et leur nature : un épanchement dans les ventricules cérébraux, des concrétions des plexus choroïdes, des tumeurs diverses siégeant dans le crâne, etc., etc., peuvent en effet se traduire par les caractères de cette affection.

Le mot Immobilité, servant à désigner les affections du système nerveux, a donc une signification aussi vague que le mot Colique appliqué aux maladies qui ont pour siége les différents organes de la cavité abdominale. Ces deux expressions ne s’appliquent point, en effet, à un état pathologique bien défini quant à sa nature, mais seulement à un ensemble de symptômes qui ne sont que la manifestation d’altérations très-diverses.

Quoi qu’il en soit de la nature de cet état morbide, il n’en résulte pas moins que les symptômes qui le caractérisent revêtent une telle uniformité, qu’on peut en faire une étude spéciale et qu’il ne doit point pour cela être exclu de la liste des vices rédhibitoires.

Avant d’entreprendre l’étude des différentes recherches auxquelles doit se livrer l’expert, il est bon de rappeler sommairement les principaux caractères de cette affection.

L’immobilité, dont les causes sont très-variées et encore bien obscures, se fait remarquer surtout chez les chevaux à tempérament nervoso-lymphatique, à tête busquée, à crâne étroit, à oreilles rapprochées (qui manquent de cervelles).

C’est surtout pendant le repos, pendant le travail et pendant l’action de manger que l’on peut constater les principaux signes.

1o Pendant le repos. — Considéré dans la station debout, à l’écurie, l’animal immobile a le facies triste, sans expression ; sa tête est portée basse, souvent appuyée sur la mangeoire ; ses attitudes sont fixes : il est indifférent à tout ce qui l’entoure. Dans la station, il conserve la position d’équilibre instable que l’on donne à ses membres, soit antérieurs, soit postérieurs, quand on les croise ; ce symptôme est encore plus marqué ordinairement après un exercice forcé.

La tête peut aussi être placée, au gré de l’expérimentateur, dans une position fléchie, à droite, à gauche ou en bas, absolument comme on peut le faire avec un automate ; et si l’animal quitte au bout d’un certain temps cette position, ce n’est qu’avec une grande lenteur, comme si ce mouvement résultait plutôt d’une rétraction insensible des muscles distendus que d’une contraction commandée par la volonté.

2o Pendant le repas. — C’est de l’animal immobile que l’on peut dire : Graminis immemor ; car souvent, en effet, les excitations produites par la vue, l’odeur, le goût des aliments ne durent pas assez pour le déterminer à triturer complétement les portions de fourrages introduites dans la cavité buccale et qui ont commencé à subir l’action des mâchoires. La bouchée est oubliée : les mouvements de mastication s’interrompent, et souvent même on voit du foin, de la paille rester arrêtés entre les lèvres (le cheval fume la pipe). Si on lui présente enfin un seau rempli d’eau, il plonge ordinairement la tête jusqu’au fond, parce qu’il ne voit pas ou ne sent pas le liquide placé devant lui ; il ne la retire que poussé par le besoin de respirer.

3o Pendant le travail. — Les mouvements sont automatiques, sans énergie ; mais ils peuvent, au début, ne rien présenter d’irrégulier soit au pas, soit au trot. L’animal marche assez facilement en ligne droite tout en se montrant insensible à l’excitation du fouet ; mais après un certain exercice qui a produit une accélération de la circulation et de la respiration, le cheval immobile s’arrête souvent brusquement et reste insensible à toutes les excitations : on dit alors qu’il fait des forces. D’autres fois, il s’emporte ou se jette de côté sans qu’on puisse l’arrêter.

L’un des symptômes le plus important de l’immobilité, c’est la difficulté ou l’impossibilité où se trouve l’animal d’exécuter les mouvements en arrière. Quand on veut le faire reculer, il s’accule, tenant les membres antérieurs étendus et labourant le sol ; il peut faire ainsi quelques pas, mais bientôt il s’arrête de nouveau et s’immobilise. Quelquefois il se jette de côté, se cabre et même se renverse en arrière. Ce symptôme se manifeste tantôt à froid au premier examen, tantôt ce n’est qu’après un certain exercice au trot ; enfin, dans quelques circonstances, on ne l’observe que lorsqu’on attelle l’animal à une voiture ou qu’on le charge du poids d’un cavalier.

Ces symptômes n’existent ainsi réunis chez le même sujet que dans des cas exceptionnels ; parfois, ils sont même peu apparents, difficiles à constater ; aussi faut-il alors soumettre l’animal à l’influence des agents qui peuvent faciliter leur manifestation. On sait qu’ils deviennent plus marqués quand le cheval a été fatigué par le travail ; qu’ils sont d’autant plus prononcés que l’affection est plus ancienne. Enfin, l’expérience a démontré que la chaleur solaire augmente leur intensité : il est beaucoup de chevaux immobiles qui, pendant les saisons froides, paraissent guéris et qui éprouvent des récidives dès que les chaleurs de l’été commencent à se faire sentir.

L’immobilité est encore sujette à des paroxysmes qui résultent des conditions organiques plus ou moins obscures dont elle dépend. Les animaux présentent alors tous les caractères d’une affection vertigineuse : à l’écurie, tantôt ils poussent au mur avec tant d’énergie qu’ils s’excorient la peau du front et des orbites, tantôt ils prennent l’attitude du cabrer, les sabots antérieurs portés entre les barreaux du râtelier ou au fond de la mangeoire ; d’autres fois, ils tirent en renard sur leur longe, se renversent et se livrent par terre à des mouvements désordonnés. Après ces paroxysmes, qui peuvent n’avoir qu’une durée de quelques minutes ou se prolonger des jours entiers, l’immobilité s’accentue davantage et se traduit par un état automatique plus accusé qu’il ne l’était avant leur manifestation.

Après avoir exposé les principaux symptômes qui constituent cet état pathologique, étudions-le au point de vue de la jurisprudence commerciale.

Jurisprudence commerciale. — Expertise. — Les anciennes coutumes de l’Île-de-France considéraient l’immobilité comme un vice qui devait entraîner la résiliation de la vente. La loi du 20 mai 1838 est venue confirmer ce qu’avaient établi ces coutumes en l’inscrivant dans la liste des vices rédhibitoires.

Cette affection réunit bien, en effet, les conditions essentielles exigées par la loi, pour qu’un défaut d’une chose vendue donne lieu à la garantie de la part du vendeur. Elle est cachée au moment de la vente, ou plutôt elle est assez peu accusée pour que le cheval qui en est atteint ne paraisse pas, aux yeux du plus grand nombre, différent d’un animal en santé ; elle rend en outre cet animal impropre à l’usage auquel on le destine, ou elle diminue tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquis ou n’en aurait donné qu’un moindre prix s’il avait reconnu l’existence de ce vice. L’article 1641 du Code civil peut donc être appliqué à l’immobilité.

Chabert, dans l’Instruction vétérinaire, tome VI, ne l’admet pas comme rédhibitoire parce que, dit-il, elle n’est ni latente ni contagieuse ; mais si elle n’est pas latente dans le sens littéral du mot, elle n’en est pas moins cachée pour toute autre personne que l’homme de l’art ; d’un autre côté, si l’on exigeait les deux conditions nécessaires, aux yeux de Chabert, pour entraîner la rédhibition, il y aurait peu de maladies rédhibitoires quoique quelques-unes fussent très-graves.

La loi du 20 mai 1838 a fixé à neuf jours la durée de la garantie légale, temps pendant lequel l’acheteur doit prendre les différentes mesures prescrites par cette loi.

Quelques auteurs ont pensé que ce délai était insuffisant dans quelques circonstances, pour permettre à l’acheteur d’observer son animal et l’utiliser de manière à rendre bien évidents les principaux caractères de ce vice. On peut objecter à cela que prolonger la durée du délai, c’est s’exposer à rendre le vendeur responsable de faits qui sont personnels à l’acquéreur. L’immobilité peut être en effet consécutive à une maladie aiguë de l’encéphale : une méningo-encéphalite aiguë peut affecter un animal récemment acheté et se terminer par une méningo-encéphalite chronique qui se traduira quelquefois par l’immobilité, dans le délai de la garantie, si l’on étend ce délai au-delà de quinze ou vingt jours. En outre, les motifs que l’on invoque et qui résident surtout dans le défaut d’observation de la part de l’acheteur, ne suffisent pas, à mon avis, pour faire changer la durée de la garantie ; car dans les neuf jours que donne la loi, l’acquéreur peut, sauf dans quelques circonstances très-rares d’ailleurs, examiner son animal dans toutes les conditions propres à favoriser la manifestation de l’immobilité. Enfin, si ces raisons étaient admises pour l’immobilité, elles devraient l’être aussi pour la plupart des maladies classées dans la loi du 20 mai.

Expertise. — Quand un cheval récemment acheté est soupçonné atteint d’immobilité et qu’une contestation s’élève entre les parties contractantes, le juge de paix nomme, sur la requête qui lui est adressée par l’acquéreur, un ou trois experts pour procéder à l’examen de cet animal. L’expert désigné pour remplir cette mission doit réunir avec le plus grand scrupule tous les éléments d’un jugement diagnostique aussi sûr que possible, car c’est son procès-verbal qui décidera les juges à se prononcer sur la résiliation de la vente ; de sorte que l’équité de ce dernier jugement dépend presque fatalement des conclusions formulées dans le rapport du vétérinaire.

Pour procéder à l’examen d’un cheval soupçonné atteint d’immobilité, il faut le placer dans les conditions propres à rendre ce vice plus apparent et bien observer tous les signes qui en sont l’expression. L’expert ne doit pas oublier qu’il faut des épreuves soutenues et répétées pour reconnaître cette affection, car elle à ses degrés, ses nuances peu accusées, peu appréciables dans beaucoup de cas.

Ainsi, chez un animal immobile à un faible degré, l’expression d’hébétude peut manquer ou ne pas être saisissable au moment de la visite, par suite peut-être des excitations produites par la parole, le va-et-vient dans l’écurie, etc. La volition de l’animal peut encore se manifester dans une certaine mesure ; il est des cas où les lésions dont l’immobilité dépend ne sont pas assez graves pour l’empêcher d’avoir conscience de son état d’équilibre ; aussi témoigne-t-il une certaine impatience si on veut lui faire prendre des attitudes vicieuses, instables, et rétablit-il assez rapidement les membres dans leurs aplombs naturels ; toutes circonstances qui peuvent accroître les chances d’erreur. Il en est de même pour le reculer, qui n’est quelquefois impossible qu’après une course prolongée, tandis qu’il s’exécute facilement à froid. En outre, il est des chevaux immobiles qui sont pour ainsi dire, journaliers ; ils ne présentent les principaux symptômes que par intermittences irrégulières ; parfois enfin, dans la saison d’hiver, l’affection reste presque latente et n’est bien accusée que lorsque la température s’élève.

Si les cas qui viennent d’être cités se font remarquer sur un sujet à conformation céphalique régulière, appartenant à une race peu commune, la difficulté est encore augmentée ; néanmoins, ce fait quoique rare s’observant quelquefois, l’expert admettra donc la possibilité de son existence, surtout si son jugement diagnostique devra être la base des décisions ultérieures de la justice.

Ces différentes causes d’erreur étant signalées, voyons comment on doit procéder à l’examen de l’animal. Cet examen devra être fait dans les conditions suivantes :

1o Au repos, à l’écurie. — On doit observer l’expression de la physionomie, la conformation, les différentes attitudes de la tête, la manière dont les perceptions s’accomplissent. C’est quand l’animal est tranquille dans sa stalle, que l’on peut bien saisir l’état comateux et les attitudes vicieuses habituelles des membres. On peut encore faire intervenir un moyen inattendu d’excitation, un coup de fouet, par exemple, et voir alors le cheval se réveiller comme en sursaut, ce qui constitue un caractère assez important que l’expert doit noter avec soin. On étudiera ainsi l’animal, d’abord en le laissant abandonné à lui-même, et ensuite dans les différentes positions que l’on aura données, soit à ses membres, soit à sa tête. L’attention doit enfin se porter sur la rapidité plus ou moins grande avec laquelle s’exécutent les déplacements sous les incitations qui les commandent.

2o Au moment du repas. — On doit examiner la manière dont les aliments solides sont saisis et mâchés, le mode de préhension des liquides. Le fourrage étant amené sous la dent, on peut voir la mastication se faire avec lenteur, s’interrompre par intervalles, et les aliments rester en partie engagés dans la cavité buccale et sortir en partie hors de cette cavité. Le cheval peut encore plonger sa tête au fond du seau rempli d’eau qu’on lui présente, ou humer le liquide et exécuter les mouvements de déglutition, alors que les lèvres en sont assez éloignées pour ne pas être mouillées.

3o Dehors, au repos et en exercice. — On devra d’abord observer l’animal quand il sort de sa place et se rendre compte de la manière dont il obéit au commandement qu’on lui fait, comment il marche, tourne sur lui-même ou recule au moment où on le dirige vers la porte de sortie. Des signes peuvent alors se produire que l’expert doit être prêt à saisir. Dehors, le cheval devra être vu à l’état de repos et abandonné à lui-même. Ensuite, on pourra placer les membres l’un devant l’autre, les écarter de leurs lignes d’aplomb, les croiser et voir comment l’animal se prête à ce qu’on veut lui faire faire, comment il le fait et pendant combien de temps. Des impressions diagnostiques susceptibles d’éclairer le jugement peuvent encore être perçues à ce moment par l’expert attentif.

La tête sera aussi dirigée soit en bas, soit en haut, soit d’un côté à l’autre, et l’on remarquera le mode d’exécution de ces attitudes plus ou moins vicieuses de l’encolure et leur plus ou moins de fixité.

On cherchera enfin à faire reculer le cheval ; on verra s’il exécute ce mouvement sur un léger effort ou après une traction très-énergique des rênes, ou enfin s’il s’y refuse obstinément.

4o En exercice. — On soumettra le sujet aux allures du pas, du trot ou du galop ; à la main, monté ou attelé. Mais on doit d’abord faire l’examen attentif du départ car à ce moment on peut constater l’irrégularité d’action des membres, soit que l’animal les soulève convulsivement soit qu’il les traîne sur le sol, soit enfin que les battues ne s’effectuent plus en cadence comme à l’état normal.

En continuant l’exercice pendant un certain temps ou même jusqu’à la fatigue, il est des cas où on voit l’animal s’arrêter brusquement et se refuser obstinément à avancer ; quelquefois même il s’emporte et devient immaîtrisable.

On essaie ensuite de mettre les membres et la tête dans des attitudes plus ou moins forcées ou de le faire reculer, surtout si l’on n’a rien constaté de saillant durant l’exercice ; ces derniers mouvements sont alors ordinairement très-pénibles et souvent impossibles pour le sujet immobile.

Lorsque, dans ces diverses conditions, aucun signe bien évident ne s’est produit, il convient d’examiner de nouveau l’animal le lendemain d’une journée de fatigue.

Il ne faut pas oublier que c’est pendant les jours chauds relativement à la saison, pendant le travail au soleil ou le séjour dans une écurie très-chaude, que l’on a le plus de chance de voir apparaître les signes du vice.

Il y a lieu encore, quand on a constaté l’interruption de la mastication, de rechercher si les causes ne résident pas dans des plaies de la bouche, des paralysies ou le mauvais état des dents.

Mais un autre symptôme doit aussi être étudié avec soin ; c’est celui qui consiste dans la difficulté qu’a l’animal pour exécuter les mouvements en arrière. Certaines conditions organiques viennent en effet quelquefois compliquer le problème du diagnostic ; aussi faut-il pour le résoudre avec sûreté, bien interpréter le symptôme principal que l’on remarque ; ce qui ressortira de l’absence des autres symptômes avec lesquels il coexiste d’ordinaire, et de la constatation de faits particuliers qui expliquent sa manifestation. Ainsi, quand un cheval à physionomie expressive, à tête carrée, qui s’impatiente des contraintes auxquelles on l’assujettit et quitte rapidement les positions fausses qu’on fait prendre à ses membres, manifeste une grande difficulté pour reculer, on doit rechercher ailleurs que dans l’encéphale la cause de son empêchement à exécuter ce mouvement et éloigner de l’esprit l’idée de l’immobilité.

Ce symptôme peut encore être attribué à la mauvaise construction des jarrets, à la faiblesse ou aux efforts des reins. Des crevasses, des éparvins, des courbes, de fortes douleurs dans la croupe, et quelquefois les jarrets droits produisent les mêmes effets. Un filet, une bride mal adaptés, dont le mors est mince, tranchant, peu en rapport avec la sensibilité des barres, les blessures de la bouche notamment celles de la langue, des lèvres, les plaies, la carie des barres, peuvent amener une grande gêne dans les mouvements de cette nature.

L’animal rendu quelquefois rétif par la douleur excessive que lui cause le mors se révolte, s’obstine à ne pas obéir. Quelques chevaux de trait ne sont habitués qu’au mors en bois. Certains sujets qui ne sont pas dressés refusent de reculer quand on les attelle pour la première fois ou lorsqu’on les soumet à un genre d’attelage auquel ils ne sont pas habitués ; il en est de même s’ils sont mal dressés, mal attelés ou montés par un mauvais cavalier. Quand les barres sont blessées, il suffit souvent, pour déterminer l’animal à reculer, d’éviter la pression du mors sur les parties endolories ; il cède alors à la simple pression de la longe ou de la main sur le chanfrein, tandis qu’il n’obéit pas à l’action du premier appareil.

Quand l’obstacle à ce mouvement résulte de la mauvaise conformation de l’animal, on peut le reconnaître aux essais qu’il tente pour l’exécuter et à l’irrégularité des résultats produits ; on n’a plus dans ce cas la résistance obstinée que le cheval immobile oppose aux efforts par lesquels on tâche de lui faire exécuter quelques pas en arrière.

Si cette résistance ne se rattache pas à une cause de cet ordre et qu’elle contraste avec l’habitude générale des sujets et l’absence des autres signes qui se manifestent de concert avec elle, chez les chevaux immobiles, il faut se demander si elle ne résulte pas d’un certain degré d’indocilité naturelle, de rétivité ou d’un défaut d’habitude, et l’expert peut alors, avant de formuler son jugement, faire soumettre l’animal à quelques épreuves de dressage qui arrivent souvent à lui faire effectuer ce mouvement de lui-même.

En l’absence de toute lésion ou de tout autre signe pouvant expliquer la difficulté qu’éprouve l’animal pour reculer, M. Mignon a prétendu que la constatation de ce symptôme seul suffit pour le déclarer immobile et qu’on ne saurait le considérer comme tel en l’absence de ce signe. Il s’exprime ainsi dans son Traité des Vices rédhibitoires : « En négligeant l’expression physionomique que l’animal conserve ordinairement, soit qu’il mange, travaille ou se repose, est-il nécessaire pour attester l’immobilité que les trois symptômes que nous venons de signaler (1o dans le repos : le facies stupide, la nonchalance, et quelquefois la position si singulière des membres ; 2o pendant le travail : l’impossibilité de tourner en cercle ou de reculer ; 3o pendant la mastication : la lenteur des mouvements des mâchoires, et souvent leur suspension, leur arrêt) se rencontrent ? Non, pourvu que l’impossibilité de reculer soit suffisamment constatée, car c’est le caractère principal de l’immobilité et sans lequel ce vice ne peut exister, ainsi qu’il résulte de l’exposé des motifs du projet de loi devant les Chambres. »

Il ajoute : « Objectera-t-on que seule l’impossibilité d’aller en arrière ne suffit pas pour prouver l’immobilité, si d’autres présomptions ne viennent pas fortifier ce premier indice ? Mais si aucune cause apparente ou cachée n’explique cette impossibilité, à quel autre vice que l’immobilité pourrait-on la rapporter ? Dans le doute, ce qu’on peut contester, il n’y a aucune injustice, il y a même équité à se prononcer pour l’immobilité. Ce vice ne pouvant être matériellement démontré, il faut bien le juger par des inductions, et l’impossibilité de reculer en fournit une que la logique la plus exigeante ne saurait repousser, puisque l’expérience l’a depuis longtemps considérée comme une preuve certaine du vice qui nous occupe. »

Tel n’est pas l’avis de M. Lafosse qui croit pouvoir affirmer l’existence de l’immobilité, pourvu que le cheval ait seulement une difficulté notable de recul avec les autres signes de cette affection ; d’un autre côté il ne pense pas que la constatation de ce symptôme suffise à elle seule pour déclarer un animal immobile ; on doit l’observer non-seulement en l’absence des différentes conditions énoncées plus haut, mais encore avec accompagnement de divers autres caractères de ce vice.

Il faudrait en effet, d’après M. Mignon, pouvoir assurer qu’il n’existe aucune des nombreuses circonstances qui peuvent provoquer l’apparition de ce symptôme. C’est, je crois, demander un examen qui n’est pas sans présenter souvent de sérieuses difficultés. Dans quelques cas, l’expert ne serait pas suffisamment fixé par ses recherches pour pouvoir conclure, sans craindre d’être démenti, à la non-existence de ces conditions. Enfin, ce serait se départir de la sage réserve que tout bon praticien doit prendre pour guide, et s’exposer à voir le diagnostic être bientôt infirmé par les faits.

L’immobilité, se traduisant sur un animal par l’impossibilité d’effectuer les mouvements rétrogrades, n’existe guère sans présenter d’autres signes. Cependant si dans quelques cas très-rares, ces signes faisaient défaut, l’expert, pour se prononcer, n’aurait pas les éléments qu’exige un bon jugement diagnostique ; il ne pourrait donc affirmer avec certitude l’existence de ce vice.

C’est là certainement un des symptômes le plus caractéristique de l’état pathologique que j’ai décrit, et souvent l’étude et l’analyse attentive des phénomènes conduisent assez sûrement à faire la différence entre l’impossibilité de reculer, qui est l’expression symptomatique de l’état d’immobilité, et celle qui dépend d’une condition absolument indépendante de cet état. Aussi ces difficultés ne se présentent-elles que dans des circonstances exceptionnelles ; j’ai cru néanmoins devoir en faire mention et présenter quelques réflexions à ce sujet.

Une question se présente maintenant à examiner : L’immobilité n’a pu être constatée qu’à la suite d’une maladie aiguë qui s’est déclarée pendant le délai et s’est compliquée de phénomènes cérébraux. Conserve-t-elle dans ce cas son caractère rédhibitoire ? Ainsi, pour une fièvre typhoïde avec état comateux, une indigestion vertigineuse, certaines formes d’entérite suraiguë, et surtout les congestions et les inflammations de l’encéphale et de ses enveloppes, comme celles qui peuvent être déterminées par des coups ou par des chutes. Supposons que l’une de ces maladies affecte un cheval récemment acheté, et que l’acheteur ait intenté à son vendeur une action en rédhibition ; que l’expert nommé ait constaté dans ses visites l’existence d’une maladie aiguë compliquée de symptômes nerveux, tels que coma, affaiblissement des facultés sensoriales, titubation, automatisme, etc., etc. Si l’animal guérit mais présente encore avec toutes les apparences de la santé un certain nombre de signes caractéristiques de l’immobilité, sera-t-on en droit de considérer cet état morbide persistant comme antérieur à la vente et constituant un défaut caché dont le vendeur doit être responsable ? En un mot, peut-on dire que l’immobilité existait lors de la vente, avant la naissance de la maladie aiguë ou bien qu’elle dépend de cette dernière affection ?

Les données scientifiques ne permettent pas de résoudre catégoriquement cette question. L’immobilité n’est en effet, comme je l’ai déjà dit, qu’un assemblage de symptômes qui appartiennent, non pas à une lésion unique, bien déterminée, mais à un grand nombre d’altérations pouvant différer beaucoup par leur nature. L’expérience a démontré qu’elle pouvait être consécutive à certaines maladies aiguës de l’encéphale ou plutôt en être une terminaison, comme aussi dépendre de lésions qui détermineraient, à un moment donné, une irritation, une inflammation de la substance cérébrale, c’est-à-dire une affection aiguë du cerveau. Ce sont là des faits d’observation qui ne sauraient être prévus par l’induction théorique : les études pathologiques ne permettent point jusqu’ici de donner à l’expert des notions suffisantes pour qu’il soit autorisé à affirmer que l’immobilité, dans ce cas, est ou l’effet ou la cause de la maladie aiguë.

M. H. Bouley pense que dans de telles conditions l’expert, après avoir exposé dans son procès-verbal les symptômes qu’il a reconnus, doit faire des réserves à l’endroit de leur signification au point de vue de la rédhibition, et indiquer aux juges que ces symptômes peuvent procéder de la maladie aiguë survenue après la vente. Les magistrats, ainsi mis sur leur garde, prononceront ensuite leur jugement en toute connaissance de cause. Dans ces circonstances, un expert consciencieux doit agir en effet avec la plus grande réserve, afin d’éviter autant que possible de se prononcer contre l’équité.

M. Lafosse, dans son Traité de Pathologie, considère le cas où le vétérinaire à sa première visite constate les symptômes d’un vertige aigu. L’expert ne doit point alors se prononcer immédiatement pour la négative : l’ajournement est nécessaire et on en profite pour traiter l’animal. Si celui-ci guérit ou si l’affection se termine d’une toute autre manière que par l’immobilité, la solution est facile ; mais si, le vertige ayant disparu, l’immobilité reste, l’expert est dans le doute ne sachant si elle est effet ou bien cause ; il ne peut donc rien affirmer dans son rapport. Cependant l’immobilité pourrait être considérée comme préexistante si, au début même de l’expertise, c’est-à-dire avant l’apparition de la maladie aiguë, on avait pu constater certains caractères de ce vice, tels que la difficulté de reculer, l’état automatique, la conservation des aliments dans la bouche, et si des renseignements pris venaient confirmer le soupçon d’antériorité. Par cette conclusion affirmative, l’expert se prononce dans ce cas d’une manière équitable : car la constatation des principaux symptômes de l’immobilité, en l’absence de tout signe de maladie aiguë, indique bien l’existence de ce vice à une époque antérieure à la vente et doit par suite suffire pour donner lieu à la résiliation du contrat, les conditions exigées à cet effet par la loi étant remplies.

À défaut de ces indices, force serait de ne voir dans l’immobilité restante qu’une suite du vertige.

Le Tribunal d’Albi a eu, il y a quelques années, un cas dans lequel l’animal était mort d’une méningo-encéphalite aiguë ; ce tribunal s’est prononcé pour l’affirmative, c’est-à-dire pour la résiliation de la vente. M. Lafosse, nommé expert, avait constaté les symptômes de l’immobilité avant la mort ; il nota en outre dans son procès-verbal que la méningo-encéphalite pouvait très-bien être occasionnée par l’immobilité.

On s’est encore demandé si la méningo-encéphalite, l’hydrocéphale chroniques devaient entraîner la rédhibition, ou si elles pouvaient y porter obstacle.

D’après ce qui a été dit touchant la nature de l’immobilité, on comprend que lorsque ces maladies se traduiront par les symptômes qui caractérisent cet état morbide, il y aura vice rédhibitoire ; mais que ce vice ne saurait exister en l’absence de ces signes.

Expertise en cas de mort de l’animal. — Un animal vient à succomber pendant qu’il est en fourrière. Quel est alors le devoir de l’expert ? S’il n’a pas constaté les symptômes de l’immobilité, il ne peut se prononcer pour l’affirmative ; car cette affection ne dépend pas de lésions fixes, invariables, et celles qu’on peut trouver ne sont ordinairement que le résultat d’autres maladies chroniques du cerveau pouvant exister sans produire les signes du vice en question. On a vu qu’il en est différemment si ces symptômes ont été constatés ; reste ensuite au Tribunal à voir si la rédhibition doit avoir lieu ou non.

Le cheval peut mourir à la suite d’un accident à l’écurie ou en voyage ; il faut voir alors si c’est l’immobilité qui a déterminé la mort, comme cela arrive parfois.

Il est très-rare que cette affection fasse succomber les sujets qui en sont atteints ; ceux qui la présentent arrivée à sa dernière période, ne sont pas exposés en vente ; néanmoins il est possible que ce fait se produise. L’autopsie peut-elle dans ce cas donner des renseignements certains sur les causes de la mort ? On ne saurait donner une réponse applicable à tous les cas. Cependant lorsqu’on constate l’existence soit de tumeurs volumineuses développées à l’intérieur du crâne, avec complication d’une congestion de l’encéphale ou de foyers hémorrhagiques dans sa substance, soit d’une hydropisie ventriculaire considérable, l’expert pourrait d’après M. Bouley conclure que cet animal était immobile et qu’il a péri des suites de ces lésions, causes de l’immobilité. L’hydrocéphalie est en effet une lésion que l’on observe souvent dans ce cas ; en outre, M. Mauri a injecté de l’eau tiède dans les ventricules cérébraux, et a déterminé cette affection avec ses symptômes les mieux accusés. Ces résultats viendraient à l’appui de l’opinion des Allemands qui admettent, lors d’immobilité, l’existence constante de lésions dont la plus importante serait l’hydrocéphale. Le vétérinaire appelé dans un cas semblable pourrait donc, sinon affirmer, du moins faire bien ressortir l’importance d’une pareille lésion. Il faut ajouter que cette difficulté n’est pour ainsi dire que théorique et n’a peut-être pas encore été une seule fois observée.

Immobilité simulée. — Quelques cas ont été déjà mentionnés ; cependant il en est encore d’autres que l’expert doit connaître.

Quand les chevaux ont séjourné longtemps dans les trains, ils présentent certains caractères assez analogues à ceux des chevaux immobiles ; mais par quelques jours de repos, par un régime adoucissant ou bien en abandonnant les animaux à eux-mêmes dans les prairies, les symptômes disparaissent totalement. Les travaux pénibles, forcés, pendant les fortes chaleurs, peuvent aussi simuler cet état morbide ; le repos seul suffit pour dissiper tous les doutes. Dans ces cas cependant il faut être circonspect et examiner les animaux de près ; car le repos, on le sait, pallie la maladie et la rend quelquefois tellement bénigne, qu’à première vue on pourrait s’y tromper. Si, après cet examen, les signes de l’immobilité reparaissent, on peut se prononcer pour l’affirmative.

Parfois l’acquéreur emploie certains moyens pour simuler ce vice pendant la visite de l’expert. La principale ruse consiste à administrer de fortes doses d’opium qui produisent des phénomènes dont il est souvent très-difficile de reconnaître la véritable nature. La bête est triste ; la tête lourde, abaissée sur le sol ou reposant sur la mangeoire ; les animaux sont indifférents aux objets qui les entourent ; la sensibilité est quelquefois tellement affaiblie, d’après M. Tabourin, qu’ils ne sentent même pas les piqûres faites avec une épingle ; en outre, la pupille est dilatée ; l’appétit est diminué ou manque entièrement et les sujets tournent sur eux-mêmes avec assez de facilité.

Ces symptômes ont une grande analogie avec ceux de l’immobilité ; ils présentent néanmoins quelques signes distinctifs : tandis que chez le cheval soumis à l’influence de l’opium, ils ont une durée de plusieurs heures, on les voit diminuer ou s’atténuer, chez l’animal immobile, après quelques instants d’exercice pour s’aggraver plus tard. De plus, chez ce dernier, la pupille n’est point dilatée.

Vu la difficulté qu’on éprouve pour poser un diagnostic certain, l’expert devra être très-prudent dans son examen. S’il a quelque soupçon, il ajournera la solution au moins à vingt-quatre ou quarante-huit heures et prendra les précautions nécessaires pour qu’aucune manœuvre frauduleuse ne puisse être employée. Tous ces phénomènes auront alors disparu et l’on sera à même de reconnaître les vices cachés.

Dans quelques circonstances, l’acquéreur administre de la noix vomique, afin de produire une amélioration dans l’état du sujet. On doit alors, avant de porter un jugement, soumettre l’animal aux diverses causes d’aggravation déjà citées ; l’affection pourra être ainsi ramenée à sa période naturelle et être facilement reconnue.


D. BOSC.


Toulouse, le       juin 1876.