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De la littérature et de l’enseignement populaires en France

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DE


LA LITTÉRATURE


ET DE


L’ENSEIGNEMENT POPULAIRES EN FRANCE.




POLÉMIQUE DU RATIONALISME ET DU SOCIALISME.


I. Lettres au Peuple, par G. Sand. — II. Le Berger de Kravan, par Eugène Sue. — III Philosophie populaire, suivie de La Profession de foi du Vicaire savoyard ; — Justice et Charité, par M. Cousin. — IV. Vie de Franklin, à l’usage de tout le monde, par M. Mignet. — V. Des Causes de l’inégalité des richesses, par M. H. Passy. — VI. De la Propriété d’après le code civil, par M. Troplong. — VII. Bien-Être et Concorde des classes du peuple français, par M. Charles Dupin. — VIII. De la Vraie Démocratie, par M. Barthélemy Saint-Hilaire.




Si fort que l’on puisse regretter l’existence tranquille et calme d’avant février ou la vie brillante et grandiose des époques plus anciennes, la physionomie de la société d’aujourd’hui n’est pourtant pas tout-à-fait dénuée d’attrait philosophique. Je suis obligé de le reconnaître au milieu de ses agitations orageuses propres à remuer les consciences, à révéler à eux-mêmes les hommes qui s’ignorent et à mettre en lumière les talens qui se connaissent, cette société soi-disant renouvelée n’a su produire encore que quelques ambitions sans essor dans le tumulte d’une multitude d’ambitions ou vulgaires ou grotesques, calquées sur les passions d’un autre âge et dépourvues même du mérite de l’originalité. L’histoire a plus d’une fois signalé comment des intelligences d’élite destinées à un rôle se sentaient portées vers la lecture de Plutarque et y puisaient sans effort des inspirations faites exprès pour leur forte nature. Nos contemporains ont lu avec le même culte la vie des hommes illustres de notre époque révolutionnaire : ils ont voulu, eux aussi, puiser à ces sources vives de la démocratie, et se nourrir de cet esprit substantiel d’où sont issues nos lois modernes ; mais ces inspirations, apparemment, étaient trop nourrissantes pour leurs poitrines : ils sont revenus de cette étude comme enivrés, chancelans, réduits à l’état d’impuissance, incapables de rien tirer d’eux-mêmes, et préoccupés seulement d’imitations serviles. C’est donc en vain que, dans le bouleversement des conditions sociales, ils ont été tirés de l’obscurité : le flot qui les avait élevés jusqu’à la hauteur du pouvoir les a rejetés, meurtris pour la plupart, sur les écueils du rivage.

À défaut toutefois de ces originalités viriles qui donnent aux événemens un caractère précis et personnifient les idées sous une forme brillante, l’ère actuelle offre précisément le spectacle d’une société travaillée par un grand nombre de sentimens divers, tantôt soulevée par une tempête, tantôt réussissant à se rasseoir par sa propre puissance, comme la mer après l’orage, sans avoir une conscience bien nette ni des forces qui la poussent hors de son lit ni de celles qui la remettent en équilibre, mais désireuse pourtant de les connaître.

Pourquoi et dans quel dessein s’est accomplie la révolution de février, si peu attendue de ses auteurs même ? Comment le calme s’est-il rétabli en l’absence de toute constitution, en dépit de la faiblesse et des fautes d’un pouvoir tiraillé en tous sens et stérilisé par ses propres irrésolutions ? Pourquoi, après une nouvelle bataille et une nouvelle phase de repos, suivie de cette grande énigme de la présidence, l’avenir semble-t-il toujours enveloppé d’incertitudes ? Pourquoi enfin cette confusion d’idées contraires et contradictoires et cette fluctuation étrange des volontés qui ne cesse point avec les agitations de la rue ? Sommes-nous monarchistes ou républicains, sommes-nous sceptiques ou religieux, philosophes ou chrétiens ? Avons-nous une foi politique, et sur quelle base se tient-elle appuyée ? Voilà certes des questions de nature à occuper grandement les intelligences, et c’est par ce côté que la société d’aujourd’hui me paraît offrir un vif aliment à la pensée et à la controverse. C’est là en effet, dans ces profondeurs mystérieuses et cachées de l’ordre social dans ces replis de la conscience que réside, entouré de voiles, le secret de l’avenir ; c’est de là que doit sortir le bien ou le mal, la force ou la faiblesse, le salut ou la ruine du pays. Aussi bien, quiconque ne s’arrêtera pas à la superficie des choses remarquera que, dès à présent, de graves préoccupations philosophiques s’élèvent peu à peu chez quelques esprits d’élite, et qu’à ces luttes de la force, à ces cris incohérens des passions mauvaises ou bonnes dont nos oreilles sont maintenant assourdies, peuvent succéder bientôt des débats plus élevés, où la pensée reprendra et sa place et son rôle. Chacun, dans sa sphère et dans son parti, s’aperçoit que la besogne dévolue aujourd’hui à l’intelligence humaine est immense et originale. De l’aveu de tout le monde, aucun des vieux systèmes, aucune des théories qui étaient en vogue il y a un an ne suffit plus à nous faire vivre, et à l’heure même où ces ressources nous échappent, nous nous trouvons placés, par la révolution, à un point de vue d’où les grands problèmes moraux et, politiques nous doivent apparaître sous un jour plus vif et plus vrai.

L’un de ces problèmes, et celui qui me semble contenir d’une certaine manière tous les autres, c’est celui des croyances, et par croyances j’entends la foi politique et la foi religieuse, d’où découlent naturellement les notions de devoir et de droit. Que l’on envisage cette vaste question les yeux tournés vers l’avenir ou vers le passé, que l’on regrette les vieux dogmes ou que l’on espère en de nouveaux principes, on ne peut contester que l’œuvre principale de ce temps-ci ne soit le rétablissement de ces convictions fortes sans lesquelles il n’y a point de volontés droites ni fermes. L’on ne croit guère à la royauté, puisqu’on la laisse tomber en quelques heures sans la défendre ; on croit faiblement à la république, puisqu’on l’entoure, à son origine de défiances et d’entraves ; on croit bien froidement à la théologie de l’église, car les devoirs catholiques ne sont plus guère pratiqués dans leur sévérité que par les enfans et les femmes ; enfin, on croit fort timidement à la philosophie, car on ne remarque ni enthousiasme ni zèle autour des chaires où elle enseigne. Serait-ce que la vieille théologie catholique a cessé d’être féconde, et que la philosophie n’est point encore nubile ? Quoi que l’on puisse répondre, il est toujours vrai que l’idée de devoir a reçu de rudes atteintes, j’oserai dire de tous les partis qui ont gouverné depuis un quart de siècle, et que le scepticisme politique et religieux a fait des progrès manifestes pour quiconque ouvre les yeux. On en trouverait la preuve jusque dans ceux des événemens contemporains qui semblent le plus empreints d’énergie et de dévouement. Les partis se sont rencontrés en armes sur le terrain de l’économie politique et des intérêts matériels ; mais, par un contraste frappant avec les traditions constantes de la France, les idées, les principes, les croyances morales et politiques n’ont joué, au milieu de ces conflits, qu’un rôle secondaire et sans éclat, et, le lendemain de toutes ces batailles, les esprits retombaient dans une triste indifférence, qui est le trait principal de l’époque où nous sommes.

Cette indifférence, exceptionnelle dans l’histoire de ce pays, ne règne point seulement dans telle ou telle partie de la société ; elle est descendue de la bourgeoisie au peuple, elle a passé des villes aux campagnes. C’est partout le même scepticisme, la même absence d’idées et de convictions : nul enthousiasme pour aucun système, pour aucune politique, aucun plan arrêté, aucune foi en un principe ou en une doctrine dont l’on veuille poursuivre la réalisation. La puissance des intérêts, puissance respectable sans doute, parce qu’elle est d’une certaine façon une force morale, possède seule de l’efficacité et de la vertu ; elle est seule consultée, elle est le seul guide et le seul mobile des partis. Elle a, il est vrai, sauvé le pays du chaos ; mais, si l’on peut considérer les idées comme une nourriture dont le corps social a besoin pour se soutenir, il est certain que l’idée d’intérêt, que ce goût du bien-être divinisé à l’envi, tout aussi bien par la bourgeoisie que par le socialisme, n’est point pour ce grand corps moral une nourriture substantielle et salutaire. Le jour où la société ne reposerait plus que sur le sentiment des intérêts, le jour où la propriété ne serait plus défendue que par le code civil et toutes les baïonnettes que l’on voudra, l’ordre social n’aurait plus de garanties suffisantes. C’est par l’idée de devoir et de droit qu’il s’établit, se conserve, se perpétue ; il dépérit ou prospère, suivant qu’elle s’affaiblit ou se fortifie. C’est la sève de l’arbre ; à mesure qu’elle s’épuise, les branches se dessèchent l’une après l’autre ; un coup de vent les sépare du tronc, et il ne faudrait qu’une tempête pour coucher ce vieux débris sur le sol.

La société d’aujourd’hui n’en est pas là, j’en conviendrai volontiers. Il y a, si l’on veut, dans les individus et dans la masse, dans la vie privée et dans la vie publique, l’honnêteté et la probité que commande naturellement l’opinion avec ses regards curieux, alertes, et la sanction plus ou moins équitable de ses jugemens. Malheureusement toutes ces vertus se traînent humblement terre à terre sans énergie, sans essor. Pourquoi ? Parce que le souffle d’en haut, une inspiration religieuse leur manque ; parce qu’il y a incertitude ou plutôt indifférence dans les esprits ; parce que les vieux principes de croyance ont disparu sans que d’autres principes les aient remplacés ; parce qu’à la suite de révolutions sur le terrain de la science, de bouleversemens politiques dans lesquels les croyances se sont vues engagées, la discussion, le désenchantement, ont ruiné l’antique foi sans qu’une foi nouvelle ait pu s’établir sur les ruines irréparables du passé.

C’est la grande plaie de ce temps-ci, et à la lueur de nos récens orages quelques intelligences semblent l’avoir entrevue. Tel qui n’avait autrefois nul souci des choses supérieures et se tenait pour satisfait des simples enseignemens de la métaphysique rationnelle porte aujourd’hui les yeux avec inquiétude sur ce glacial scepticisme dont les consciences paraissent frappées. On se demande, à la vue de ces luttes du matérialisme qui attaque la société et de l’intérêt qui la défend, quel serait le moyen d’éveiller des préoccupations plus élevées de susciter de plus grands mobiles dans les ames étiolées par l’abus du raisonnement. On cherche avec anxiété sous quelle forme on pourrait faire parvenir au peuple des campagnes et des villes cette foi qui lui manque comme aux savans, et dont les agitations de la place publique font mieux sentir la nécessité. Parler au peuple de devoir et de droit dans un langage qui soit intelligible et persuasif, c’est en effet un des points importans du problème, et ce n’est pas la moindre des difficultés de l’art moderne. Sous l’empire des événemens, tout homme éclairé a pu le comprendre, et la science a été ainsi amenée naturellement à descendre de ses sublimes hauteurs pour se faire humble et s’adapter en quelque sorte aux exigences particulières de la démocratie. Envisagé par son côté philosophique, cet effort de la science pour remonter aux sources du devoir et du droit en ne suivant que les chemins accessibles au vulgaire, peut devenir fécond : c’est plus qu’une affaire de style et de petits traités, ce peut être une doctrine ; car la tentative est nouvelle, et elle plie l’esprit à de certaines allures de simplicité capables de le conduire à des découvertes peut-être imprévues dans les régions de la métaphysique religieuse et politique. Il semblerait donc que, par la force des choses, la pensée entre aujourd’hui, quoique d’un pas timide, dans une carrière spacieuse où elle aura amplement à moissonner. Suffira-t-elle à sa tâche ? C’est le secret de l’avenir. À en juger toutefois par un ensemble de symptômes significatifs, après un long silence de découragement, elle est décidée à reprendre l’influence qui lui convient. La génération vive et hardie qui a fait 1830, arrivée aujourd’hui à la plénitude de l’âge politique, a donné cet exemple aux générations plus jeunes qui viennent après elle ; et, s’il y a encore quelque virilité dans le génie de notre civilisation, ce mouvement des esprits ne laissera pas notre société dans sa stérile indifférence.


I

L’indifférence est si peu dans la nature de l’homme, que toutes les écoles philosophiques et littéraires s’efforcent de la combattre ; mais, tandis que les unes essaient de le faire en prenant la conservation de la société pour règle, les autres le tentent par le moyen d’une transformation complète de la religion et des lois. Les adversaires de la société ont en général de grandes prétentions apostoliques et se recrutent à quelques exceptions près, parmi les intelligences maladives et rêveuses. Hélas ! je ne saurais, pour mon compte, rire qu’à demi de ces sectaires d’un genre nouveau. Je ne puis voir, en effet, dans leurs élancemens mystiques, dans leurs aspirations incohérentes vers l’inconnu, que les symptômes de l’une de ces maladies morales communes aux époques de transformation intellectuelle. En des temps de forte discipline, les écrivains dont l’imagination est travaillée par cette fièvre eussent été des ames sensibles, pastorales et romanesques : ils se fussent résignés à la nécessité de rester incompris, en se réfugiant dans le sein débile et infécond de la poésie intime ; mais, jetés sans force d’esprit au milieu d’une société sans foi d’aucune nature, entraînés par les événemens, surexcités par la vanité, ils se sont laissé emporter par-delà les limites où la raison n’habite plus, et de là ce débordement d’excentricités apocalyptiques, cet apostolat en mascarades dont ils nous donnent parfois le spectacle. Leur sort est peut-être moins risible que digne de compassion.

Eh quoi ! faut-il donc appeler sur eux la pitié, lorsqu’on les voit s’égarer si complaisamment dans les combinaisons extra-sociales où ils s’engagent après tant de sectes antiques et modernes, également oubliées ? Faut-il rester spectateur sans colère de ces saturnales de la pensée où l’imagination, dans l’attirail le plus vulgaire, empruntant le langage de la trivialité, se donne à l’égard du bon sens et de la raison le plaisir des esclaves insultant leurs maîtres ? Assurément, s’il se présentait quelque comique de la famille d’Aristophane qui voulût, pour le besoin du temps, ressusciter la comédie politique, et qui, comprenant de la bonne manière les Nuées, les Harangueuses et les Grenouilles, sût en approprier l’esprit à nos mœurs, l’on n’y pourrait trouver d’inconvénient. À défaut de cet Aristophane qui sans doute se fera regretter long-temps encore, à défaut de cette vengeance comique que la société serait en droit d’exercer, et pour laquelle notre littérature débile n’a pas assez de verve, ce qui reste de bon sens à notre époque peut encore suffire pour faire justice de toutes ces intempérances des novateurs contemporains.

Je voudrais cependant, pour le plaisir de mettre un instant la littérature de cette école à la fois matérialiste et mystique en regard des efforts sensés faits par des esprits plus sains dans l’intention de rétablir les vraies notions du devoir et du droit, je voudrais prendre, parmi ces apôtres de l’église de l’avenir, quelques-uns des plus graves, de ceux qui ont écrit avec le plus de vogue et ont eu davantage cette ambition de faire arriver leurs idées jusqu’au peuple sous une forme choisie à dessein. Je connais deux de ces écrivains, entre lesquels j’aperçois tout d’abord une différence profonde quant aux idées et quant au style, et qui l’un et l’autre, avec des facultés inégales représentent ce qu’il y a de populaire dans la littérature socialiste. Je trouve attachés au nom de l’un mille souvenirs charmans, où l’art s’allie au romanesque et à l’originalité. Les hommes de notre génération n’oublieront point tant d’œuvres attrayantes, car elles ont fait les délices de notre adolescence. Après Walter Scott, avec moins d’agrément, mais avec plus de passion avec des sentimens plus modernes, avec des élans d’imagination plus appropriés aux allures d’un siècle blasé, elles ont bercé nos esprits d’idées excentriques et brûlantes, elles nous ont introduits par des chemins hardis et semés de fleurs agrestes dans le monde des chimères contemporaines. Pourquoi a-t-il fallu que l’auteur passionné de Lélia, de Valentine, de Mauprat, des Lettres d’un Voyageur, en vînt à écrire ce paradoxe de l’amour qui porte le titre de Compagnon du tour de France ? Quelle fâcheuse inspiration a conduit le peintre de Consuelo à nous initier au mysticisme de la Comtesse de Rudolstadt ? Par quel fatal égarement le conteur si naturel et si vif de François le Champi a-t-il pu, le lendemain du jour où s’achevait cette heureuse étude du langage et des mœurs du paysan, déclamer certains bulletins de la république et les Lettres au peuple ? Avec quelle douleur, avec quel pénible sentiment de regret pour les lettres, on voit Mme Sand descendre de ce domaine de la passion dans les froides régions de la métaphysique socialiste !

Je n’éprouve point la même tristesse à rencontrer sur ce même terrain un autre novateur, également romancier et grand moraliste, M. Eugène Sue. Je ne pense pas que M. Sue ait beaucoup perdu à passer du roman pur et simple, pour parler par figure, au roman phalanstérien aux comédies socialistes, au Berger de Kravan. L’auteur de la Salamandre et de Mathilde a pu, sans laisser de regrets aux hommes de goût, se précipiter tête baissée dans les voies inférieures où se déroulent le mélodrame des Mystères de Paris, les complications vulgaires du Juif errant, et que sais-je encore ? M. Sue a pu suivre ces sentiers mal fréquentés sans avoir beaucoup à s’éloigner des chemins où il avait pris dès l’origine l’habitude de marcher. Bien qu’il ait montré l’intention de penser, je ne me souviens point qu’il ait jamais eu la prétention beaucoup plus ambitieuse d’écrire. Une société dépourvue de goût littéraire, comme de hardiesse intellectuelle et de puissance politique, a seule pu faire la fortune de M. Sue, qui n’eût point été lu dans un temps où l’art eût été compris et honoré. Je place donc M. Eugène Sue fort au-dessous de Mme Sand dans la hiérarchie du talent, et je n’aurais point songé à envisager ces deux noms comme solidaires, si je ne les avais trouvés réunis sur l’arène de nos agitations quotidiennes, dans l’apostolat du socialisme.

Le camp opposé offre un spectacle différent, et présente au regard de la critique des noms revêtus d’un caractère plus sérieux et plus calme. Tous n’ont point écrit avec un même éclat, tous n’ont pas atteint au même degré de popularité ; mais, doués, quoique dans des proportions inégales, de puissance, de pénétration, de droiture d’esprit et de connaissances étendues, ils ont tous pris le bon sens pour règle, et, soit qu’ils aient réussi à revêtir des pensées élevées de formes brillante, soit qu’ils n’aient su que donner de la clarté à une vaste science, ils se sont tenus dans la voie des saines traditions philosophiques et littéraires. Sans doute, on chercherait vainement en eux ces façons d’apôtres, ces bruyans désirs de régénérer le monde, ces allures d’illuminés par lesquelles se distingue le romantisme socialiste. Ils n’appartiennent point proprement à cette classe de penseurs à grande prétention qui, outre les prophètes modernes, nous a donné ces grands seigneurs de la littérature, magnifiques, prodigues, conquérans, imitateurs serviles de Byron, qui prenaient pour du grand air l’irrégularité des habitudes, une fade ostentation pour de la tenue, et dont le plaisir était de se faire admirer de quelques centaines de désoeuvrés de mince esprit, en attendant le soudain évanouissement de leur renommée. Non, et ce n’est pas le moindre mérite de cette école, d’avoir compris autrement le métier de la pensée et d’avoir porté dans le culte des lettres, dans les investigations de la science, la gravité du caractère et ce respect de soi-même qui donnent aux idées la dignité dont elles ont besoin pour ne pas abaisser le lecteur, au lieu de l’élever. Il en était ainsi, à peu d’exceptions près, chez les écrivains des deux époques qui ont précédé la nôtre. Avant d’être de grands poètes, de grands orateurs, de grands philosophes, c’étaient des hommes de beaucoup de modestie et d’une simplicité virile ; et, si l’on peut reprocher à quelques-uns d’avoir été parfois humbles en face des puissans seigneurs du temps, j’estime que cette humilité, si profonde fût-elle, était encore plus digne, dans sa naïveté, que la superbe de nos contemporains préoccupés, avant tout intérêt d’idées, de donner leur vaniteuse personne en spectacle. C’est donc de cette école qui a suivi la droite ligne du bon sens et cultivé respectueusement la science qu’il faut attendre les efforts nouveaux nécessaires à la société actuelle, pour échapper au double danger de la désorganisation et de l’indifférence. En effet, avec moins de prétention à régénérer l’espèce humaine, avec un cœur moins expansif et moins ouvert à toutes les vagues aspirations d’une fraternité fiévreuse, les moralistes de l’Institut me semblent plus directement placés sur le chemin du progrès social et philosophique que les fougueux moralistes du socialisme. Est-ce à dire que M. Cousin et ses collègues, dans leurs récentes publications, aient mesuré dans sa profondeur la plaie des consciences, qu’ils aient mis au jour quelque vérité nouvelle, qu’ils aient trouvé ce langage encore inconnu à l’aide duquel on saura vulgariser les idées, les mettre à la portée de l’ouvrier, du paysan, enfin démocratiser la science ? Avant de répondre catégoriquement à cette question, avant de mettre les Petits Traités de l’Institut en regard des Lettres au Peuple et du Berger de Kravan, il est peut-être nécessaire de rechercher le vrai caractère de ce désordre intellectuel, de ce scepticisme dont souffre notre époque, et de préciser jusqu’à quel point le peuple des villes et des campagnes en est atteint.

Lorsque l’on s’est trouvé à portée de comparer la société française à tous ses degrés avec d’autres sociétés, on est fier, pour notre pays, de cette grande somme d’idées honnêtes et droites qui y circulent sous toutes les formes, de tant de paroles vives et sensées qui éclatent spontanément à tout propos. Je m’étonne beaucoup moins, je l’avouerai de cette demi-science, de ces données historique semées par la lecture des journaux et de livres plus ou moins graves parmi les ouvriers des grandes villes, que de cette dialectique naturelle, de ces sentimens si fins qui distinguent l’esprit inculte, mais alerte, de nos paysans. Le bon sens est, comme l’antique verve gauloise, l’attribut inné des classes populaires en France, et, depuis un demi-siècle, les événemens ont donné à ces rares facultés tant d’occasions de s’exercer, qu’elles ont pris un développement dont le moraliste est forcé de tenir grand compte. Bien que l’enseignement primaire soit en beaucoup de pays plus répandu qu’il ne l’est encore dans notre société démocratique, on ne rencontrerait nulle part, chez les populations laborieuses, une plus grande masse d’idées justes et claires dans un langage assurément peu châtié, mais d’autant plus original. Par malheur, ce grand mouvement d’opinions, à la faveur duquel le bon sens public a obtenu ce degré de pénétration, s’est accompli sous une influence qui, sans en altérer la pureté, en a peut-être paralysé la vigueur. Je veux parler du voltairianisme, et j’en parle non point avec la haine passionnée d’un dévot, mais avec le regret de l’historien qui voit dans l’œuvre de Voltaire beaucoup de mal à côté d’un bien encore plus grand. Voltaire, c’est, dans l’histoire de la philosophie, la personnification, la plus éclatante de la raison séparée du sentiment, des facultés de l’esprit dominant et étouffant celles de la sensibilité. Il eut un but immense : le triomphe du sens commun, et, loin de dire qu’il ne l’aurait pas atteint, je lui reprocherais bien plus volontiers de l’avoir dépassé. Oui, en travaillant à la ruine des préjugés et des croyances surnaturelles, Voltaire voulait sans nul doute ruiner la théologie du christianisme telle que la comprend l’église, mais il n’avait nullement la pensée de dessécher dans les cœurs la foi religieuse. Et pourtant n’a-t-il pas, en diminuant outre mesure le respect du christianisme, en enveloppant dans une même réprobation l’esprit et la lettre de l’enseignement religieux, n’a-t-il pas, par cet intrépide et impitoyable usage de la raillerie, frappé en France jusqu’au sentiment religieux, qui, depuis cinquante ans, n’a plus de ressort ni d’action ? Pour que la lutte soutenue par cet esprit incomparable eût été sans inconvéniens, peut-être eût-il fallu que cette lutte finît avec lui ; il eût en quelque sorte fallu, si l’on ose prononcer ce blasphème littéraire, que ses écrits fussent ensevelis dans sa tombe, pour que cette terrible propagande de raillerie et de scepticisme ne devînt point énervante et périlleuse en se prolongeant, et qu’après avoir porté de si rudes coups aux théologiens, elle ne finît pas par éteindre dans le cœur des populations la foi et jusqu’à la puissance de croire. Comment, en effet, ne pas remarquer avec douleur, comment ne pas déplorer amèrement l’influence toujours active de ce rire universel, qui continue de ruiner l’un après l’autre tous les principes de croyance, et qui brise ainsi l’élan des natures les plus généreuses ?

La révolution de 89 a ouvert au voltairianisme d’innombrables voies à travers le pays tout entier, dans le peuple comme dans la bourgeoisie. Bien que cette révolution fût un progrès de la morale chrétienne, un effort de la fraternité évangélique pour passer du domaine de la conscience dans la constitution de la société elle-même, et comme l’épanouissement de la fleur dont l’église nourrissait depuis dix-huit siècles le précieux germe, les révolutionnaires de 89 niaient ouvertement le christianisme : ils cultivaient avec amour, ils couvaient de leurs pieux regards cette fleur éclose, mais ils déclaraient que le tronc de l’arbre était épuisé, incapable de produire désormais. Le scepticisme lui enlevait, en effet, un dernier reste de sève ; mais le fruit à son tour se flétrissait avant d’atteindre à la maturité, lorsqu’il n’eût peut-être fallu, pour rendre à cet arbre antique une fécondité vigoureuse et éternelle, qu’en émonder les branches. La révolution, en adoptant la morale chrétienne, frappait donc le dogme, et, sans le vouloir, elle épuisait, elle rendait pour long-temps impossible cette foi chaleureuse sans laquelle le bon sens ne sait plus que faire de sa virilité. C’est en vain que, depuis la révolution, sous trois gouvernemens successifs, le christianisme a essayé de reprendre racine dans les consciences travaillées par un déplorable besoin de critique et de raillerie : la théologie a cessé d’avoir prise sur les intelligences, et, ce qui est un malheur plus grand, le sentiment religieux s’est insensiblement affaibli avec elle au point où nous le voyons tombé sous nos yeux.

Quant à la foi politique, elle était nécessairement atteinte par le scepticisme dont la foi religieuse était frappée, et l’esprit révolutionnaire, établi en permanence, accumulant ruine sur ruine, faisant succéder l’une à l’autre, dans l’espace d’un demi-siècle, toutes les formes de gouvernement, n’était pas de nature à rétablir ce respect de la loi qui fait la force des institutions. La classe, naguère énergique et forte, aux mains de laquelle la révolution avait mis le pouvoir, la bourgeoisie, s’est trouvée ainsi en quelque sorte énervée au moment même où son règne commençait. Tandis que la vieille noblesse, déroutée par l’esprit moderne et ne comprenant plus rien aux choses du siècle, s’enfermait dans une vaniteuse oisiveté, et que les populations laborieuses travaillaient sans se préoccuper des affaires publiques, mais non sans les juger quelquefois, la bourgeoisie, oubliant ses vieilles traditions parlementaires et cette puissante passion du bien, cette hauteur de conception qu’elle eut sous l’ancienne monarchie à l’égal de la noblesse, s’absorbait dans de vulgaires jouissances, comme si le bien-être eût dû être le but et le terme de son histoire. Par la faute des circonstances et par la faute des hommes, la religion de l’intérêt s’introduisait ainsi, à la place du culte de l’idée, dans l’esprit de la bourgeoisie ; cette religion pénétrait et s’établissait commodément dans les cœurs ; elle aveuglait les regards, diminuait les caractères, rétrécissait les vues ; elle traînait après elle grands et petits, le talent et le génie comme l’ignorance. Le mot de justice avait presque disparu du langage. Celui-là eût été raillé qui, au lieu de parler de la force, eût osé parler du droit, et qui, au lieu de raisonner sur l’intérêt, eût argumenté sur le devoir. S’agissait-il, par exemple, de l’extension des droits de citoyen à la capacité ; la capacité, disait-on, c’est le cens, et le principe de la loi fondamentale de l’état se trouvait ainsi fatalement matérialisé. L’intérêt et la force, voilà les dieux que nous nous étions insensiblement donnés, et c’est ainsi que la foi en la justice, la foi politique a, comme la foi religieuse, perdu cette énergie vitale qui fait, dans un pays, le respect de la loi, la force des caractères, la rectitude et l’élévation des idées.

Or, l’esprit des générations contemporaines, ignorans ou savans, s’est formé sous la double influence du scepticisme religieux et politique. Cette vivacité pénétrante du bon sens, cette agilité innée de l’esprit que l’on retrouve avec plus ou moins de rudesse ou de culture au village comme dans les villes, toutes ces aptitudes heureuses et brillantes qui n’ont besoin que de direction et de discipline pour produire de merveilleux effets, se sont développées à tort et à travers sous l’empire de cette indifférence religieuse et politique, et n’ont pu agir qu’au hasard au milieu de l’incertitude des événemens et de la confusion des idées. Le peuple, ouvrier de l’industrie ou des champs, privé de croyances assez fortes pour lui inspirer une conduite décidée et hardie, est resté à la merci des oscillations capricieuses d’une opinion incessamment flottante, emporté par la vague, tantôt du côté de la démocratie, tantôt du côté de l’idée de gloire et de grandeur représentée par un nom. Dans ces oscillations, le paysan et l’ouvrier montrent sans doute comme un désir supérieur d’une politique libérale, honnête et fière ; mais cette aspiration généreuse, n’étant point nourrie par des croyances incontestées et certaines, affaiblie au contraire et paralysée par l’universel scepticisme, est passagère et fugitive. Je dirai mieux : si elle devait être trop long-temps trompée, le découragement pourrait bien à la fin s’emparer des esprits, et le désespoir joint au scepticisme serait la mort politique du pays.

Est-ce là un danger imaginaire et lointain ? est-ce un mal qui puisse disparaître par le cours naturel des choses ? Non, certes, car les principes générateurs de cette maladie de l’indifférence travaillent incessamment les ames avec d’autant plus d’énergie et de sécurité, qu’ils sont employés comme des remèdes. J’oserai en effet affirmer que la cause première de la faiblesse morale dans laquelle le pays se débat, c’est l’état de l’enseignement, c’est l’insuffisance du rationalisme et de la théologie, c’est l’opposition et souvent l’hostilité qui existe entre l’église et l’état, le catéchisme et l’école, le prêtre et l’instituteur. Ah ! ce sera le reproche terrible que l’histoire adressera un jour aux philosophes et aux théologiens de notre temps d’avoir eux-mêmes contribué par disputes vaines, par des querelles de sophistes, à répandre ce scepticisme qui nous glace ! La lutte existe en permanence dans les personnes et dans les choses sur tous les points du sol.

Il est généralement admis que, si la foi survit quelque part, c’est dans les campagnes plutôt que dans les villes, et que les paysans ont conservé bien plus que les ouvriers le respect des choses d’autrefois, et particulièrement de l’autorité religieuse. Eh bien ! entrons dans le premier village que l’on voudra, et visitons l’une après l’autre l’église et l’école. Le prêtre lui-même est un pauvre jeune homme de campagne qui a embrassé le sacerdoce un peu par penchant religieux et principalement par intérêt d’avenir. C’était le fils d’un ouvrier ou d’un petit cultivateur. Ayant reconnu en lui le goût de l’étude et un grain d’ambition, le curé du village, par bonté de cœur et par prosélytisme religieux, lui avait donné les premières leçons de latin. L’humble maître avait peu à peu, vers la quinzième année, dirigé l’esprit du jeune élève du côté du séminaire, en lui promettant beaucoup de gloire là-haut et une vie honorée et tranquille ici-bas. Il entre au séminaire, et ce n’est point un aigle. Il suit sans grande hâte la marche ordinaire des études ; il recherche la connaissance des langues anciennes, non point afin de sentir les beautés des littératures antiques, ni pour approfondir le secret attrayant des civilisations mères de la nôtre, mais tout juste assez pour entendre les auteurs sacrés. Quant aux sciences morales, à l’histoire, par exemple, qui est la plus haute école de philosophie pratique, il ne l’étudie pas au point de vue humain. L’histoire des peuples devient pour lui à peu près exclusivement l’histoire de la Providence, dont l’homme n’est que l’instrument passif et aveugle. Il apprend que toute prétention de la raison et de la pensée libre est une révolte, et qu’il n’y a en dehors de l’église qu’erreur et mensonge. Sans doute la réflexion et l’expérience du monde réel modifient souvent chez le prêtre les idées du séminaire. Arrivé à la maturité de l’âge après avoir assisté au spectacle de la vie simple et active d’une population laborieuse et sensée, dans le calme profond de la nature agreste, conseillère des bonnes pensées et des sentimens simples, il finit par laisser de côté les livres pour se replier sur lui-même ; il interroge sa conscience, qui lui parle un langage plus vrai que la théologie. Toutefois la théologie, c’est le dogme, c’est le fondement de la foi, c’est l’orthodoxie, et, sitôt que le prêtre enseigne ex cathedrâ, il est forcé de redevenir théologien, de faire la guerre à l’homme et à la raison.

L’instituteur est fils de paysan comme le prêtre. Beaucoup de vieux instituteurs se sont formés eux-mêmes par la routine. Les jeunes sortent de l’école normale du département, ou du moins ils y ont passé quelques mois de leurs vacances. Plusieurs peut-être s’étaient d’abord tournés du côté du sacerdoce ; ils avaient pris quelques années de séminaire ; puis le manque de vocation, un ennui, une passion bonne ou mauvaise, un intérêt, le hasard, leur avaient fait rebrousser chemin vers l’enseignement laïque. De quelque façon que l’instituteur se soit formé, il s’inspire de principes différens de ceux de l’église, et il reçoit de l’école normale une impulsion souvent opposée à celle qu’imprime le séminaire. L’école normale est une création du monde nouveau, comme le séminaire est le produit du monde ancien ; elle a le sentiment de son origine, elle sait qu’on lui a prédit à sa naissance de brillantes destinées ; elle communique naturellement les mêmes sentimens et les mêmes espérances à tous ceux qu’elle répand dans les campagnes pour enseigner en son nom. Elle ne voit point l’histoire sous un jour mystique ni la raison d’un œil craintif. Si peu qu’elle parle de l’histoire, elle considère les événemens comme le fait de la liberté humaine, et, si peu qu’elle s’entretienne de philosophie, elle envisage cette science comme légitime et puissante. Que le regard de l’humble instituteur pénètre ou non jusqu’au fond d’une telle pensée, il aime l’époque où nous sommes comme une époque d’affranchissement pour l’esprit. Vainement voudrait-il enseigner à cet égard un système dont il n’a pas toujours le secret, ou prêcher une croisade en règle contre la tradition au profit du rationalisme, qu’il n’a point approfondi ; il pense du moins, et il agit sous l’empire de ce sentiment, qu’à côté de la science théologique il y a la science rationnelle, qui vaut mieux. Ce sentiment éclate à son gré où à son insu dans toutes ses paroles et dans toute sa conduite.

Telle est la double source des idées morales dans les campagnes. Un principe de croyance croît donc à côté d’un autre dans le cœur de l’enfant. Tandis que le prêtre pousse son élève avec tout le prestige et toute l’autorité de l’église vers les croyances révélées, les mystères inexplicables, le surhumain et le surnaturel, l’instituteur le dirige vers les croyances rationnelles, les sources humaines et naturelles du devoir et du droit. Qu’arrive-t-il par la force des choses ? C’est que ces deux principes sont des élémens de lutte qui s’introduisent au sein des consciences : trop heureuses encore les populations chez lesquelles la lutte n’est pas engagée hautement entre le prêtre et l’instituteur, provoquée par l’un ou par l’autre, quand le prêtre n’a pas signalé à l’opinion l’instituteur comme un suppôt du démon et un professeur d’impiété, et quand l’instituteur n’a point dénoncé le prêtre comme un ignorant malintentionné qui spécule sur les préjugés humains ! Comment des intelligences simples, qui n’ont point les ressources de l’étude ni du raisonnement philosophique, feraient-elles un choix entre ces deux mobiles qui pèsent sur leurs résolutions ? comment distingueraient-elles la vérité de l’erreur, elles qui ne possèdent ni les lumières de la science ni les enseignemens de la raison ? Impuissantes à retrouver par elles-mêmes une croyance nette, forte et capable de remplacer la foi qui leur échappe, elles tombent, par une pente naturelle, dans une sorte de léthargie morale.

Et qui donc pourrait les en tirer ? Serait-ce l’opinion ? seraient-ce les émanations de la civilisation générale qui arrive à pas lents et par des chemins détournés jusqu’au village ? seraient-ce les lumières que nous faisons rayonner sur la commune du foyer de nos corps savans et de nos assemblées publiques ? Mais que sommes-nous donc nous-mêmes au sein de nos villes, sinon l’original dont la commune est une pâle image ? nous aussi, nous nous formons sous la double influence de l’église et de l’école, qui, non contentes de rester simplement séparées, se combattent et se nient réciproquement, l’une enseignant, comme point de départ de toute sagesse, que l’intelligence humaine est impuissante, l’autre que la révélation surnaturelle n’est ni nécessaire ni vraisemblable. L’homme de nos sociétés éclairées, que le paysan aime à prendre pour modèle, se trouve, lui aussi, scindé en deux parts : d’un côté, il incline vers les croyances religieuses qui ont dirigé son esprit dès le berceau ; de l’autre, il est entraîné vers les doctrines philosophiques qui l’ont saisi et enveloppé dès l’adolescence. Il y a ainsi en général, dans chacun de nous, deux hommes qui se combattent, se paralysent, et ne laissent survivre en nous que la seule critique en compagnie du scepticisme. Voilà l’exemple que nous donnons au paysan dans les plaisirs de la villégiature et dans les professions libérales des petites villes, voilà les enseignemens que nous lui portons du sein même de la civilisation. Quelquefois la nécessité l’amène à son tour dans nos grandes villes, au contact de nos idées et de nos mœurs. Chaque jour, son fils vient nous coudoyer au milieu de nos travaux de la pensée et du luxe de nos arts ; il vient comme soldat où comme compagnon d’un métier ne s’assied point au foyer de notre vie privée, mais il partage les joies et les douleurs de notre vie publique ; il est de nos réunions libres, il est de nos fêtes, de nos révolutions et de nos batailles. Eh bien ! qu’on use avec quelles croyances il rentre dans la famille, après avoir mené l’existence de l’atelier et des camps ! On le comprend trop bien, si quelques débris des vieilles traditions avaient survécu à la lutte sourde ou patente de l’église et de l’école, et restaient encore debout dans la commune, ils seraient à chaque moment battus en brèche par l’esprit railleur et sceptique que le fils du paysan rapporte de la caserne de son tour de France.

Il est vrai, bien que les populations agricoles, à l’exception peut-être de celles de quelques départemens de l’ouest et du midi, soient sous l’empire de cette indifférence religieuse, elles ne cessent pas de croire, si vaguement que ce soit, à l’existence d’un Etre suprême. S’il est des hommes qui aient pris l’athéisme pour principe et pour règle de conduite, il ne faut point les chercher dans nos campagnes, au milieu des phénomènes qui, à chaque moment et durant toutes les saisons, révèlent à l’homme une puissance inconnue et mystérieuse au-dessus de toute puissance humaine. L’agriculteur ne travaille point sur une matière brute, à laquelle son intelligence, sa volonté et son bras, aidés de machines dont il connaît le secret, suffisent pour donner la forme. Il travaille de concert et concurremment avec une force indépendante de lui-même, et qui, indispensable pour féconder son labeur, peut aussi le stériliser. Cette force dépasse en effet quelquefois les espérances du travailleur et quelquefois les trompe ; elle intervient toujours. L’homme lui fournit les élémens, mais c’est elle qui crée et donne la vie. Le paysan laboure, sème et récolte ainsi sous une influence mystérieuse. La force créatrice reste vague pour son esprit, il ne sait pas toujours bien quel nom lui donner ; mais elle ne cesse pas d’agir sur son intelligence, et de l’entretenir dans une certaine curiosité qui la laisse ouverte à la foi religieuse. Curiosité féconde, si l’enseignement savait lui fournir la nourriture dont elle avait besoin ! Mais que songe-t-il au contraire à lui offrir ? — La théologie, qui ne satisfait point la raison, et le rationalisme, qui ne satisfait point le sentiment, sans compter que l’un et l’autre, grace à leur désaccord manifeste, grace à une égale ambition de régner isolés, semblent avoir entrepris de s’affaiblir et de se déconsidérer mutuellement aux yeux des populations.

Telles sont donc les causes du scepticisme et de l’indifférence dans nos campagnes. On voit que par l’enchaînement naturel des idées, en remontant des effets à la cause, les écrivains qui sont aujourd’hui aux prises avec le socialisme se trouvent nécessairement conduits dans ces régions ardues de la métaphysique où résident les sources du vrai et du juste, et d’où découlent les notions du devoir et du droit. Je ne reprocherai point à Mme Sand d’être restée étrangère à ces grandes préoccupations de l’idée religieuse. La pensée de l’art, cet entraînement poétique qui ressemble par tant de traits au sentiment religieux, enfin cette faculté d’intuition qui est un des attributs d’une grande sensibilité, tous ces instincts poussaient Mme Sand à méditer sur ces problèmes moraux de la destinée humaine et sur cette vaste idée de Dieu, qui seule contient la solution des énigmes de la vie individuelle ou collective. Il y a peu d’écrits de Mme Sand qui ne soient empreints de cette teinte poétique que l’on peut appeler religiosité. Par malheur, religiosité c’est poésie plutôt que religion.

Bien que l’on ne puisse pas admettre sans réserve la théorie développée par l’auteur du Génie du Christianisme, la supériorité absolue des fictions chrétiennes sur les fictions antiques, il est certain que le christianisme a dégagé dans l’ame humaine des sentimens inconnus au vieux monde, des sources inépuisables de sensibilité, de rêverie, d’amour de fraternité, qui seront éternellement attrayantes pour les ames poétiques. En matière religieuse, Mme Sand a pris pour point de départ ce christianisme d’un extérieur séduisant, mais facile et presque exclusivement contemplatif, sans dogme précis et sans morale bien arrêtée. Par opposition à cette doctrine des pharisiens si véhémentement et si justement incriminée par le Christ, et qui substitue les vaines pratiques à la pureté des croyances, la lettre à l’esprit, la forme à l’idée, la doctrine de Mme Sand sacrifie entièrement les pratiques à un vague devoir de bonne intention et de poésie qui consiste à laisser flotter son ame dans la contemplation mystique du monde moral et du monde physique. Olympio (c’est un des noms que le lyrisme de l’orgueil a revêtus de nos jours), Olympio a souvent écrit que le poète est un prêtre, voulant par là se poser en pontife du haut de son matérialisme littéraire. Mme Sand semble avoir pris à la lettre cette croyance qui fait du poète le vrai prêtre et de la poésie toute la religion. Contempler, rêver, c’est prier ; que faut-il de plus ? C’est le fondement du devoir. Mais, que dis-je ? j’oublie l’amour ! Aimer ! mot magique et commode, qui ne comprend point seulement toutes les vertus, mais aussi toutes les passions. C’est le principe moral du mysticisme contemporain, et en vérité l’on en tire parfois des conséquences abusives sous prétexte d’harmoniser les passions, on les exalte ; sous couleur de rapprocher le cœur de la nature, on le déchaîne. Ainsi ce dogme de la contemplation et de la rêverie, qui n’est point fait pour donner à l’esprit beaucoup de virilité, aboutit à une morale qui ne saurait réellement donner beaucoup de vigueur à la conscience. Lors donc que Mme Sand se préoccupe de ces idées supérieures qui sont du domaine de la religion, c’est afin de nous conduire dans un monde de chimères poétiques et agréables où l’imagination tient l’empire de l’esprit et du sentiment. Non, ce quiétisme philosophique n’est point pour l’intelligence une discipline suffisante ni salutaire, et j’en prendrais volontiers à témoin toute la génération de petits ou de grands poètes qui depuis vingt-cinq ans se nourrit de cette vague religiosité.

Quant à M. Eugène Sue, je cherche en vain chez lui jusqu’à ce pâle sentiment d’une poésie religieuse, cette foi d’artiste, cette sorte d’islamisme facile, cette rêverie contemplative que je rencontre chez Mme Sand. La haine du jésuite et du prêtre, la terreur de l’homme noir, toutes les idées étroites et vulgaires, tout ce sensualisme inintelligent que le XVIIIe siècle nous a légué comme pour nous faire paver l’incomparable bienfait du bon sens et de la liberté, c’est le fond de la religion de M. Sue ; et si par hasard l’on tient à connaître sa morale, que l’on prenne des informations au phalanstère, dont il est le plus ardent disciple.

Voilà donc, en matière religieuse, à quoi se réduit l’enseignement de l’école nouvelle : l’affranchissement de l’imagination et des passions, le rêve, la satisfaction, le bien-être. Je ne suis pas de ceux qui regrettent le vieil ascétisme chrétien et ses folies stoïques. Je n’aime pas, je l’avoue, que l’on me représente le fardeau du travail comme une condamnation surnaturelle, car je le porte avec orgueil, comme l’honneur de l’homme, et je suis peu disposé à subir le joug accablant des traditions mal interprétées, lorsque je crois sentir une émanation de Dieu lui-même dans ma conscience. Néanmoins je préfère, malgré sa rigueur accablante, le despotisme de la vieille église à cette anarchique liberté, que me promet le mysticisme moderne ; je préfère la servitude, la misère et l’ascétisme des premiers cénobites à cette facile et dégradante béatitude que le matérialisme me propose comme un but. L’ascétisme et le servage de la raison peuvent faire quelquefois de hommes, l’histoire du passé en porte le témoignage ; le matérialisme et le mysticisme ne feront jamais que des eunuques, le temps actuel en offre mille preuves vivantes.

La doctrine des écrivains de l’Institut est d’une autre nature. Ils marchent avec plus ou moins d’éclat dans les voies tracées à la pensée par les deux siècles féconds qui ont précédé le nôtre. Naguère ils se tenaient enfermés dans le domaine de la spéculation et de la science. Il semble que leurs récens écrits soient empreints d’un sentiment plus profond et plus ardent de la grande mission morale dont ils se trouvent investis par la fatalité puissante des événemens. Il serait facile peut-être de montrer dans les Petits Traités, pris en général, un certain embarras sur les grandes questions du dogme philosophique et religieux ; mais lorsque M. Cousin, pour point de départ de sa philosophie populaire, prend la Profession de foi du vicaire savoyard, ses intentions ne peuvent être douteuses pour personne. Au moment où le triste spectacle de l’anarchie morale et intellectuelle fait hésiter de bons esprits dans leur foi en l’esprit moderne, il est clair que M. Cousin croit tout autant que jamais à la vertu du rationalisme, et c’est bien le rationalisme qu’il entreprend de répandre dans le peuple. Le rationalisme, à la vérité, rencontre, dès ses premiers pas, tout à l’entrée de cette voie nouvelle, une objection de très grande force. La métaphysique rationnelle est le raffinement le plus délicat de l’esprit. C’est le bon sens porté à sa plus haute expression par la science ; mais la science n’est point du domaine universel ; c’est le fruit d’une longue culture qui exige à la fois le loisir et l’aptitude c’est, de la part de la nature, un bienfait d’exception. Lorsque le rationalisme prétend établir dans l’intelligence l’empire absolu de la raison sans tenir compte du sentiment, il se ferme justement l’accès des consciences simples auxquelles la Providence n’a départi pour règle de conduite et de jugement que les seules inspirations de l’instinct. Le peuple, les enfans, les femmes et la majeure partie des savans eux-mêmes ne comprennent pas d’autres argumens ni d’autre langage que ceux que l’on emprunte et qui conviennent à la sensibilité. Qu’est-ce qu’une doctrine qui n’est point susceptible de descendre des hauteurs de la science pour se répandre dans le peuple ? Et qui peut nier que la métaphysique rationnelle, ayant cet inconvénient, ne prête ainsi à l’accusation d’impuissance ? Oui, elle est impuissante à fonder une morale, parce qu’elle méconnaît la valeur philosophique du sentiment, qu’elle l’embarrasse dans les complications du syllogisme, et qu’elle humilie cet instinct accordé à tous devant la raison, qui est un présent exceptionnel de la nature. Si la philosophie moderne devait s’en tenir à ce dogme exclusif, à cette apothéose de la raison, il faudrait à tout jamais en désespérer.

Les philosophies n’ont d’influence vraie qu’à la condition de devenir populaires, et elles n’ont chance d’arriver jusqu’au peuple que par cette voie essentiellement démocratique du sentiment. En vain aurez-vous donné à vos doctrines métaphysiques tous les charmes de l’art le plus délicat, en vain les aurez-vous développées avec toutes les ressources de l’éloquence et du style : elles pourront plaire aux esprits éclairés, les convaincre même, bien qu’elles puissent difficilement les passionner, mais elles resteront toujours incomprises des petits : elles n’éveilleront jamais en eux ni foi ni enthousiasme ; elles n’aboutiront point à une règle pratique, et vous serez toujours, pour l’influence Immédiate, au-dessous du dernier des fondateurs de secte, au-dessous de la plus informe des religions.

Des symptômes significatifs me rassurent toutefois pour l’avenir. Bien que l’introduction à la Profession de foi du vicaire savoyard, ainsi que Justice et Charité, soient des écrits dont le lecteur vulgaire est condamné à ne sentir parfaitement ni l’exquise délicatesse ni l’intention profonde, cependant, par leur simplicité même, ils me semblent se l’approcher davantage de l’idéal sous lequel je me représente la philosophie contemporaine ; ils tiennent un peu moins du caractère de la métaphysique et empruntent un peu plus au sentiment. Je reconnais dans cette forme nouvelle d’un style éminent la préoccupation d’un devoir nouveau, le désir de quitter les sommets ardus de la spéculation pour introduire la philosophie dans ces régions populaires plus humbles en apparence, mais en réalité bien autrement glorieuses, par où les religions ont passé. Je suis donc avec curiosité l’impulsion que la pensée reçoit chaque jour de ces grands événemens dont nous avons été depuis un an comme assaillis à l’improviste. C’est la justification du vieux proverbe : À quelque chose malheur est bon. Malheureux, humiliés, nous l’avons été, je ne dirai pas devant l’Europe qui n’a pas de quoi se vanter de sa gloire, mais devant nous-mêmes, devant notre propre renommée. Nous nous sommes donné le spectacle d’un grand abaissement de nos idées et de nos caractères ; nous avons souffert dans nos fortunes, dans le calme de notre foyer, dans nos plans d’avenir ; nous nous sommes vus en un moment arrachés aux charmes d’une pacifique existence pour être précipités dans le tumulte et les hasards périlleux d’une vie militante. N’est-il pas vrai pourtant que nous commençons à reprendre en énergie ce que nous avons perdu en agrément et en sécurité ? Vivement secoués par une tempête imprévue, après le premier moment de surprise et de désarroi, nous sommes rentrés en nous-mêmes pour chercher des inspirations capables de suppléer à toutes nos vieilles théories submergées. Quoi qu’il puisse advenir, quelle que doive être la solution des difficultés sous le poids desquelles nous gémissons, la pensée a profité des rudes leçons qu’elle a reçues ; une force encore mal appréciée se dégage Dès à présent du fond des consciences ; des symptômes non point éclatans, mais du moins manifestes, montrent que le caractère privé, comme le caractère public, s’est fortifié au milieu de passions plus fortes, et il semble, en un mot, qu’un souffle plus puissant et parti de plus haut vienne à la fin ranimer notre vieille société languissante sous le règne trop prolongé du scepticisme.

L’homme n’est pas fait pour le bonheur, mais pour le devoir. Le bonheur l’affaiblit et l’énerve ; la lutte est sa vraie condition, car elle le fortifie et l’élève. Je puise dans cette pensée une consolation à tous les maux du présent, par-delà lesquels j’envisage quelque chose de supérieur, la conscience, la notion de devoir. Je ne saurais m’affliger de ces vicissitudes qui sont venues, comme un coup de tonnerre, nous réveiller au milieu de notre léthargie intellectuelle, et qui nous placent dans la nécessité de rechercher dans les replis de l’ame une science nouvelle pour les besoins d’une ère toute nouvelle. Je ne saurais m’affliger des événemens qui ont préparé ainsi la ruine de notre scepticisme et qui nous ont à notre insu lancés à la poursuite d’un idéal plus digne de nos efforts que le bonheur et le bien-être. Et combien ne suis-je pas heureux de trouver M. Cousin dans un sentiment pareil, grandement exprimé ! « Ainsi va le genre humain, dit-il, de forme en forme, de révolution en révolution, ne marchant que sur des ruines, mais marchant toujours. Le genre humain, comme l’univers, ne continue de vivre que par la mort ; mais cette mort n’est qu’apparente, puisqu’elle contient le germe d’une vie nouvelle. Les révolutions, considérées de cette manière, ne consternent plus l’ami de l’humanité, parce qu’au-delà de destructions momentanées il aperçoit un renouvellement perpétuel, parce qu’en assistant aux plus déplorables tragédies il connaît l’heureux dénoûment, parce qu’en voyant décliner et tomber une forme de société, il croit fermement que la forme future, quelles que soient les apparences, sera meilleure que toutes les autres. Telle est la consolation, l’espérance, la foi sereine et profonde du philosophe. »


II

Bien que le germe d’une heureuse transformation existe dans la société et dans la science contemporaine, nous sommes loin encore de la maturité du fruit. La philosophie populaire n’est pas trouvée ; M. Cousin ne doit point se faire à cet égard d’illusion. L’église reconnaîtra sans doute aussi que pour une cause ou pour une autre, à tort ou à raison, la vieille théologie, privée de son prestige, n’agit plus ou n’agit pas avec l’autorité qui crée la foi, et cependant la société, désarmée de cette foi, qui est la vraie force morale, se trouve en présence de maux réels, de périls imminens contre lesquels il lui faut dès à présent déployer toutes les énergies du sentiment et de la pensée. Ce n’est pas assez que la philosophie se mette en devoir de devenir populaire par la simplicité de ses allures et de son langage ; ce n’est pas assez que l’église, non encore épuisée de vertus, redouble d’activité et de courage pour conserver ce qui lui reste d’autorité : il faut que la philosophie et l’église résolvent au plus vite, comme question à la fois de circonstance et d’avenir, le problème urgent de la ruine du scepticisme. Les extravagances des novateurs excentriques peuvent disparaître d’elles-mêmes ; le désordre intellectuel, le goût des fausses abstractions, le besoin fiévreux du changement, ne laisseront aucun repos à la société tant que la foi religieuse et la foi politique n’auront pas été rétablies dans leur solennelle autorité.

La société nourrit dans son sein un ennemi redoutable dont le socialisme lui-même n’est que l’effet : c’est, pour l’appeler par son nom, l’esprit révolutionnaire qu’un parti tout entier voudrait donner pour principe générateur à nos institutions ; ce serait, à proprement parler, établir la révolution en permanence, comme si la tempête devait être l’état naturel de la société. On peut approuver, on peut aimer, on peut chérir la révolution qui nous a donné la liberté et l’égalité, et je suis de ceux qui la vénèrent ; mais substituer à l’idée de justice qui a inspiré ce sublime mouvement de 89 l’idée de révolution, ce n’est point seulement manquer de foi en la justice, c’est mettre le glaive aux mains du scepticisme ; ce n’est pas seulement ruiner telle ou telle institution, C’est stériliser tout principe ; ce n’est pas préférer la république ou le socialisme à la monarchie, c’est établir au gouvernement la souveraineté de la force. Plus malheureux que les peuples barbares, qui ont du moins pour ressources de robustes préjugés, le respect de leurs traditions bonnes ou mauvaises et l’âpre vigueur des caractères simples, sous l’empire prolongé de l’esprit révolutionnaire, nous retomberions, nous, nation vieille et de mœurs raffinées, dans cet état de décomposition politique et morale dont Robespierre lui-même s’effrayait, lorsqu’il forma le dessein d’ériger le déisme en religion positive. Or, l’esprit révolutionnaire, bien différent de l’idée de progrès, d’innovation et même de république, est un ennemi incessamment actif, qui ne cesse de ronger les institutions et les consciences. Et si, pour rendre à la loi l’autorité dont elle veut être entourée, si, pour en finir une bonne fois avec l’indifférence religieuse et politique, nous devons attendre l’avènement de la philosophie populaire de M. Cousin, tout éloquent que soit l’illustre fondateur de l’éclectisme, la société peut être d’ici là amenée au bord de l’abîme.

Que l’on réfléchisse bien aux difficultés de l’existence dans laquelle nous entrons. D’une part, la pratique de nos institutions nouvelles, pour être fructueuse, exige de l’homme plus de vertus de toute nature, en le privant de l’appui des fictions légales et des machines savantes inventées pour suppléer à la faiblesse humaine ; d’autre part, elle rend plus libre le jeu des passions : elle les surexcite, elle leur fournit incessamment le prétexte d’agiter l’opinion et le moyen d’ébranler la loi elle-même. En un mot, le propre de la démocratie succédant à une royauté est de faire un pouvoir moins fort pour une société plus difficile à gouverner. C’est un acte de foi dans la nature humaine, et, s’il est vrai qu’il y ait de la timidité intellectuelle à s’en effrayer, il y aurait aussi de l’étourderie à n’en point remarquer les inconvéniens. Non, si nous voulons assurer à la société une existence tranquille et féconde sous l’empire des institutions démocratiques, ce n’est point trop de faire appel à toutes les forces morales dont le pays contient le principe et qu’il met à la disposition du législateur.

Il ne faut point oublier d’ailleurs que les théoriciens d’une nouvelle société, les apôtres du matérialisme et du mysticisme socialistes, convaincus ou passionnés, apportent dans la propagande de leurs doctrines de l’ardeur, de la ruse, quelquefois même de la puissance, de l’énergie et de la persuasion dans le sophisme. Ils ne parlent pas tous le vulgaire langage du Berger de Kravan. Quelques-uns savent que le vrai peuple a les goûts plus relevés que les paysans de M. Sue ; ceux-là ne font point à ce peuple l’injure de le croire dépourvu de tout sentiment de l’intérêt et de la beauté littéraires. Ils ne lui font pas l’injure de penser que la trivialité du raisonnement est le moyen de lui plaire et de le convaincre par exemple, quoique Mme Sand n’ait guère fait usage, dans les Lettres au Peuple, de cet art supérieur de parler simplement et littérairement pour le peuple, elle a pourtant montré plusieurs fois une intelligence assez claire du style qui convient aux campagnes. Tant qu’elle écrira dans le genre légèrement apocalyptique des Lettres au Peuple, elle ne pourra guère trouver de lecteurs que parmi les fidèles de son école et les imaginations dérangées qui se complaisent dans les grandes abstractions inintelligibles ; mais son socialisme serait plus dangereux, s’il empruntait ce vif et charmant langage des populations illettrées dont elle est allée chercher le secret, non point aux halles, ni au tapis-franc, ni à Toulon, mais dans le vieux français naïf, vraiment gaulois et vraiment populaire, du XVIe siècle, langue d’une nation dans l’enfance, admirablement appropriée, par ses allures, à l’enfance littéraire du peuple.

Et qui ne sait pas combien les doctrines dont Mme Sand et M. Sue voudraient être les organes auprès du peuple ont de promoteurs sous toutes les formes, feuilles périodiques, écrits de circonstance, traités ex professo ? Certes, l’église, fermée à tous les bruits du monde, montre jusqu’à présent pour ces théories une sage défiance ; mais comment ne pas remarquer ce mouvement qui se fait au sein de l’école des réformateurs mystiques pour se placer sous le patronage du communisme de l’église primitive ? Ils n’invoquent point seulement tel ou tel précepte de l’Evangile, ils s’appuient aussi sur l’enseignement des premiers pères et des conciles, qui, avant parlé pour des sociétés en état de dissolution, ou pour des peuples à peine sortis de l’état de nature, ont bien pu, en effet, fournir des argumens et des textes aux gnostiques de notre époque. Ils voudraient ainsi, par une tactique ingénieuse, s’introduire plus facilement dans les intelligences tendres sous couleur de christianisme pratique, et peut-être se glisser dans le séminaire lui-même. C’est une vraie bataille rangée, dont le front se déploie sur un vaste plan, et l’attaque commence à la fois sur tous les points. De là pour les écrivains du camp opposé la nécessité de répondre à cette attaque par un ensemble non moins vaste de manœuvres et un déploiement de forces non moins imposant. Quoique principalement philosophique, cette tâche toutefois ne regarde point exclusivement les philosophes. Si la besogne de M. Cousin est, par sa nature même, d’un caractère plus élevé, celle des historiens et des économistes a aussi son importance et son mérite. Il est urgent de combattre le mysticisme et le matérialisme dans tous les recoins de la science et de l’enseignement où ils essaient de s’ouvrir des chemins ; il est indispensable d’occuper par toutes les formes de la littérature la curiosité des imaginations, exposées à se laisser séduire par les fausses maximes et les fausses espérances. L’un des esprits les plus francs et les plus étendus de ce temps-ci, M. Miguet, doué d’ailleurs du don d’écrire avec une clarté ingénieuse et vive, qui est chez lui l’éclat du bon goût, a pratiqué avec succès ce devoir de la pensée comme historien de Franklin, dont il a su mettre en relief la sagesse si simple, si profonde, et la vie pleine d’exemples pour toutes les situations humbles ou grandes. C’est du bon sens en action, et aucun enseignement populaire ne saurait être plus intelligible et plus profitable, parce qu’il est de nature à éveiller des réflexions vraiment saines sur la dignité de l’homme, sur la puissance du travail, et qu’il trouve journellement son application dans les vicissitudes des existences laborieuses. On ne doit pas moins de reconnaissance au traité lumineux de M. Troplong sur les principes et le caractère de la propriété d’après le code civil : c’est un commentaire rapide et profond des lois fondamentales de la société dégagées des formules trop abstraites, et, en somme, un essai très heureux de jurisprudence populaire. M. Hippolyte Passy, M. Charles Dupin, M. Barthélemy Saint-Hilaire, ont su également mettre des connaissances très étendues, une dialectique serrée et droite dans l’explication des causes de l’inégalité des richesses, des moyens de bien-être et de concorde, et dans l’exposé des conditions de la vraie démocratie. Je dois pourtant l’avouer, j’approuve ces écrits distingués encore bien plus en raison de ce qu’ils promettent et de ce qu’ils annoncent que pour le service qu’ils rendent dès à présent à la société. Je suis loin de penser que ces essais de philosophie, d’histoire, d’économie et de politique populaires satisfassent aux exigences d’une situation morale, politique et économique nouvelle dans le monde. Ce mouvement d’opinion dont je découvre le principe dans les instincts nouveaux du pays, réveillé d’un long sommeil et inquiet de l’avenir, aussi bien que dans les préoccupations de la science, dans le travail intellectuel des moralistes les plus éminens et des philosophes les plus capables de se faire écouter, ce grand mouvement d’idées a donc besoin d’être promptement secondé. Pour qu’il soit véritablement puissant et qu’il entraîne l’esprit public dans son cours, il a besoin de recevoir une impulsion peut-être plus vigoureuse, plus décidée, plus hardie que celle des Petits Traités. Il est nécessaire que la pensée dont ces écrits sont empreints se dessine encore mieux, prenne plus de clarté et plus de résolution, et il ne suffit pas qu’elle soit embrassée par quelques écrivains de grand mérite : il faut qu’elle passe de la spéculation dans les faits, qu’elle passionne et qu’elle émeuve la génération nouvelle ; il faut qu’elle devienne la règle, le mobile et le but de la science moderne.

Si le travail nouveau de la pensée ne nous conduit pas à une certaine unité de dogmes, à l’établissement d’une foi incontestée, l’avenir d’aucune institution ne demeure assuré. Voilà bien des années que le vaste problème de l’enseignement préoccupe les assemblées et les esprits, et, si l’on examine les difficultés qui en ont retardé tant de fois la solution, comment ne pas reconnaître qu’elles viennent des incertitudes du temps présent, sur les principes de croyance ? C’est le jésuitisme, on s’en souvient, qui fut le prétexte de la bataille dont l’opinion s’amusait avant que février lui eût imposé des soins plus graves. Les deux partis se donnaient le change, les uns libéraux et ne voulant point du régime de la liberté sous prétexte qu’elle devait profiter aux jésuites, et n’osant pas dire que sous le nom des jésuites ils attaquaient l’église elle-même et sa doctrine ; les autres, il faut le reconnaître, invoquant la liberté sans l’aimer, et demandant l’égalité quand ils désiraient la domination, mais n’osant pas le déclarer ouvertement, comme s’ils eussent eux-mêmes manqué de confiance dans leur doctrine et douté de la légitimité de leur mission.

Le législateur n’a d’autre moyen de résoudre cette difficulté, jusqu’à ce jour insurmontable, qu’en s’attaquant directement à cette dualité funeste qui règne au fond de nos ames entre les sources de nos croyances, entre l’université avec son rationalisme et l’église avec sa théologie.

Cette proposition résume d’ailleurs, dans toute son étendue, la tâche de la science moderne, et, en vérité, plus on réfléchira aux profondes misères intellectuelles et morales dont notre civilisation, malgré tout son éclat, se voit en ce moment affligée, moins on pourra s’expliquer que cette tâche ne soit pas encore plus vivement comprise et plus franchement acceptée par quiconque possède le don de penser. Bien que les institutions aient, par leur seule nature et leur arrangement, une vertu propre, salutaire ou nuisible au corps social, vous aurez beau chercher, dans les changemens politiques, le remède aux souffrances du pays ; vous aurez beau le chercher dans de nouvelles modifications à la forme du gouvernement, soit que vous vouliez le conduire à la république sociale ou le ramener à la royauté ; vous pourrez agir en hausse ou en baisse sur la fortune privée et publique : vous ne trouverez point ce remède dans les expérimentations politiques, parce que le mal est bien moins dans les lois que dans les consciences.

L’enseignement est ainsi le grand but proposé à tous ceux qui ont autorité pour agir sur la société. La religion et l’art, qui tiennent l’empire du sentiment, doivent, dans cette vaste carrière, leur concours aux louables tentatives de la science.

À vrai dire, l’art ne semble guère songer à réclamer son rôle dans le labeur de la journée. Pendant que le chef de l’école moderne donne de par-delà la tombe, à ses trop fidèles disciples, les dernières leçons de rêverie et de personnalité et montre sa facile gloire exhalant son dernier souffle dans un dernier effort de vain orgueil, la plus riche imagination de ce temps, la plus fertile en idées vives et en images brillantes celle qui était le plus apte à se transformer et à se rajeunir, s’amuse, pour toute ambition littéraire, à disputer à cette voix sépulcrale les derniers restes d’une attention fatiguée.

Il y a mieux à faire, et ce serait de rendre aux lettres le véritable sentiment de leur devoir au milieu du monde moderne. L’art a été jeté dans une voie fausse, lorsqu’il a naguère voulu briser avec les traditions de la littérature nationale. Que se proposait, en effet, la jeune école romantique ? Enivrée par une certaine exubérance de vie et par le débordement d’imagination qui succédait alors dans toute la société à un long assoupissement du génie littéraire, elle a donné dans tous les travers, dans tous les caprices de la fantaisie et de la personnalité. L’art a besoin aujourd’hui, s’il veut revivre utilement, de se retremper aux vraies sources du beau et de l’honnête ; il doit, en renouant les traditions rompues du génie national, revenir à la pensée des anciennes écoles, qui fut, non point d’étouffer l’imagination, mais de la régler, non point de méconnaître les passions, mais de leur imprimer une direction fière et haute, de former le goût, qui est la perfection du jugement et, enfin, de fournir à l’esprit des idées droites et à la volonté d’énergiques mobiles. L’opinion elle-même, après un long égarement reconnaît que la vraie beauté littéraire est de ce côté : c’est donc aussi de ce côté que l’art doit avoir les yeux tournés, s’il ambitionne de retrouve son chemin, si l’intérêt de la pensée le touche, s’il désire s’associer honorablement aux efforts nouveaux de la science, aux vicissitudes aventureuses dans lesquelles la société est lancée à toutes voiles.

La religion, avec un caractère plus sacré et une autorité plus grande, est conviée, comme l’art et la science, à participer à la régénération morale du pays. Le pays lui laisse voir ou même lui déclare hautement qu’il ne juge point son appui inutile. Comment va-t-elle accueillir cet appel, ou plutôt comment le va-t-elle comprendre ? Question qui mériterait bien d’être abordée de haut et avec franchise. Si l’église veut avoir sa part dans l’action de la pensée, si elle veut revivre un jour de sa vie glorieuse d’autrefois, elle a un grand effort à faire sur elle-même, et, pour trancher le mot, un grand progrès à accomplir. L’église repose sur le culte de la tradition, soit. Qu’elle ne prenne conseil que de sa propre histoire. Que lui enseigne-t-elle’ ? L’immobilité au milieu de l’universel mouvement des choses humaines ? Bien au contraire : elle déroule devant ses yeux le spectacle du progrès le mieux réglé, mais aussi le plus constant et le plus vigoureux qui fût jamais organisé. Depuis la prédication de l’Évangile jusqu’au XVIIe siècle l’histoire de l’église est un perpétuel enfantement d’idées et de vertus nouvelles, un développement successif des dogmes de l’église primitive, un commentaire incessamment perfectionné de la morale angélique, le plus magnifique exemple de ce progrès de la pensée, que l’église d’à présent tient pour son ennemi. Eh quoi ! parce que, s’étant oubliée un jour dans un commode repos, elle a laissé passer son initiative aux mains de la société laïque, s’obstinera-t-elle à se proclamer immobile et croira-t-elle assurer son éternité en s’isolant toujours davantage ? Le malheur serait grand, car les circonstances actuelles, l’agitation des choses et des hommes, le besoin de croire plus pressant que jamais, lui ouvrent dans la démocratie nouvelle un chemin sûr, où elle ne pourrait pas refuser d’entrer sans manquer entièrement à sa destinée. Qu’elle se lève donc et qu’elle marche, puisque la vieille église marchait. C’est l’erreur fatale de ceux qui la défendent aujourd’hui par la presse de travailler à l’endurcir dans une sainte terreur du progrès intellectuel, et de créer une sorte d’intimidation autour de ceux qui éprouveraient dans son sein le désir de lui rendre quelque jeunesse. Cette idée d’un rajeunissement de l’église perce pourtant par intervalles, en dépit de tant d’entraves, et, si ce n’était que les fonctions ecclésiastiques n’offrent plus assez d’attrait pour les grandes ambitions et les vastes intelligences, ce vœu de quelques natures vives et pénétrantes aurait déjà porté des fruits. On se rappelle surtout la courte, mais profonde ferveur qui entraînait, il y a plusieurs années, beaucoup de jeunes esprits à la suite de deux prédicateurs éminens. Qui ne voit, sous l’impression de nos révolutions récentes, combien l’élan religieux aurait aujourd’hui plus d’ensemble et d’ardeur, si l’église voulait y répondre, et si, en se conformant aux traditions de sa primitive histoire, elle consentait à marcher avec la pensée humaine ?

En résumé, le devoir qui incombe à notre époque exige des vertus dont elle semble avoir perdu l’habitude ; il exige plus de simplicité et plus de hardiesse intellectuelle, plus de désintéressement politique que nous ne sommes accoutumés à en rencontrer dans notre société nouvelle. Ni le pays, ni l’université, ni l’église ne nous fournit en bien grand nombre les caractères fermes et dévoués qui seraient nécessaires à une pareille tâche. Quelques-uns étaient nés peut-être avec une nature propre à ce noble rôle. Le besoin d’arriver haut et promptement puis la nécessité de ménager les situations une fois acquises, d’où résulte une grande gêne pour la parole et pour la conduite, ou encore le goût fâcheux de marcher isolés, l’orgueil d’une indomptable personnalité, d’où résultent les systèmes stériles, ont trop souvent altéré chez ces hommes privilégiés les dons d’une nature généreuse et rendu leur talent ou leur génie moins utile que dangereux pour la société. Si les illustres et les puissans d’entre nos contemporains ne finissaient pas par comprendre que cette société, envers laquelle ils ont encouru bien des reproches, leur demande aujourd’hui le sacrifice absolu de ces considérations d’intérêt et d’orgueil, ce mouvement politique et religieux, qui semble par sa direction capable de nous conduire vers un monde nouveau d’idées et de sentimens, courrait le risque ou de s’arrêter en si beau chemin, ou d’être pour longtemps retardé. Que si, au contraire, tant d’esprits distingués, écrivains, hommes d’état, philosophes, maîtres en ce moment de l’opinion confiante et prête à les suivre, émus de l’universel désir d’un grand progrès moral, oubliant une bonne fois leur personnalité et leur ambition, consentent à se vouer sans arrière-pensée à l’œuvre de la restauration intellectuelle et morale du pays, il est impossible que cette agitation salutaire des bons esprits ne devienne pas féconde autant que l’agitation des rues a été périlleuse. Qu’ils n’en doutent point d’ailleurs, ils trouveront des cœurs ouverts, ils seront appréciés chez les générations plus jeunes, qui, naissant à la vie politique et à l’ambition au milieu des graves préoccupations de la société nouvelle, seront les soldats intrépides et dévoués de cette grande propagande.

Il faudrait désespérer de ce pays et de la civilisation moderne, si elle n’avait pas la puissance de nous conduire au but que nous cherchons et de nous fournir une idée assez haute pour succéder dans nos esprits à la royauté des vieilles croyances ; mais, en définitive, à la vue de ce travail latent qui se prépare dans le sein de la philosophie et de ces efforts, quoique imparfaits, de la science pour se frayer une route plus populaire et devenir plus forte en devenant plus simple, je m’assure que du moins le péril est compris, et que le pays veut avec sincérité s’affranchir de sa longue et triste indifférence. Nous entrons dès à présent dans une époque de luttes plus sérieuses et plus élevées ; nous laissons de côté les querelles vides et vaines des dernières années pour des préoccupations vraiment philosophiques, et si les hommes, écrivains et législateurs, ne font pas défaut aux circonstances, nous sommes sur le chemin du plus grand des progrès qu’il y ait à accomplir de nos jours la conciliation des divers principes de croyances et l’établissement d’une foi nouvelle sur les ruines du scepticisme religieux et politique.


HIPPOLYTE DESPREZ