Dictionnaire de la Bible/Kabbale

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(Volume IIIp. 1879-1880-1881-1882).
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KABBALE

KABBALE, ensemble de doctrines dogmatiques, philosophiques et symboliques, que les anciens Juifs se transmettaient par voie de tradition. Ce mot vient de qabbâlâh, employé dans la Mischna, Taanith, II, 1, avec le sens de « tradition », chose transmise et reçue par tradition. Cf. Zunz, Die gottes&shy ; dienstlichen Vorträge der Juden, 1832, p. 44. Qabbâlâh vient lui-même du pihel hébreu : qibbêl, « recevoir » l’instruction. Prov., XIX, 20.

I. Histoire de la kabbale.

1o Les Juifs ont fait remonter l’origine de la kabbale, les uns à Adam lui-même, qui aurait reçu des révélations d’un ange, les autres à Abraham et aux patriarches. On croit communément que la kabbale a pris naissance pendant l’exil de Babylone. D’après le IVe livre apocryphe d’Esdras, xiv, 44-47, Esdras aurait écrit en quarante jours deux cent quatre livres, dont soixante-dix ne devaient être mis qu’aux mains des sages. Saint Hilaire, Tract. in Psalm., II, 2, t. ix, col. 262, dit que Moïse, outre les livres écrits par lui, « fit connaître à soixante-dix vieillards, pris à part, certains mystères plus secrets parmi les choses cachées de la loi. » De cette première révélation, ajoute le saint Docteur, seraient dérivées la tradition spirituelle et la science occulte mises à profit par les savants juifs. Rien ne s’oppose à ce qu’on admette, chez les Hébreux, certaines traditions doctrinales transmises oralement, et servant à expliquer plus ou moins authentiquement des passages de la Sainte Écriture. Toujours est-il que ces traditions subirent fortement l’influence de doctrines étrangères, inconciliables avec la révélation contenue dans les Livres Saints, et finirent par constituer un singulier « mélange de spéculations profondes et de croyances superstitieuses, de haute sagesse et d’extravagances ». Munk, Palestine, Paris, 1881, p. 519.

2o La doctrine kabbalistique fut rédigée par écrit dans trois livres principaux. Le Zohar, « éclat, » aurait été commencé, vers l’an 121, par le rabbin Siméon ben Jochaï, disciple d’Akiba, et continué par d’autres. Il prend pour thème l’explication symbolique du Pentateuque. Le Jezirah, livre de la « création », aurait pour auteur Abraham, ou pour le moins Akiba. Enfin le Bahir, « splendide, » serait antérieur à la destruction du Temple. Toute cette littérature serait tombée dans un complet oubli durant plusieurs siècles, mais un manuscrit de ces livres fut retrouvé dans la première moitié du XIXe siècle. Au siècle suivant, Pic de la Mirandole et Paul Ricci commencèrent à exploiter les livres kabbalistiques, pour en tirer, contre les Juifs, des preuves en faveur de la divinité du christianisme. Cette œuvre a été reprise, au siècle dernier, par le rabbin converti, le chevalier Drach, dans son ouvrage De l’harmonie entre l’Église et la Synagogue, Paris, 1844.

En réalité, les trois principaux écrits kabbalistiques auraient une origine beaucoup plus récente. Le Jezirah a dû être écrit le premier, entre le VIIIe et le IXe siècle ; le Bahir l’aurait été entre le XIe et le XIIe, et ensuite serait venu le Zohar, qui ne commence à être cité qu’au XIIIe siècle, et dont la composition est attribuée à différents auteurs, tels qu’Isaac l’Aveugle, qui vivait à Beaucaire au XIIe siècle, Moïse de Léon, qui écrivait en Espagne vers 1300, etc. L’examen intrinsèque de ces livres démontre qu’ils n’ont pu être rédigés, au moins pour certaines de leurs parties, antérieurement aux époques assignées. Cf. Jellinek, Beiträge zur Geschichte der Kabbala, Leipzig, 1852, t. II, p. 73 ; Kraus, Histoire de l’Église, trad. Godet, Paris, 1894, t. II, p. 314 ; Karrpe, Étude sur les origines et la nature du Zohar, Paris, 1901, p. 167, 256, 307-322.

3° Il est à peu près impossible de démêler maintenant, dans les écrits kabbalistiques, ce qui représente une tradition vraiment ancienne et autorisée, et ce qui n’est dû qu’aux rêveries de ses rédacteurs ou de ses plus modernes inspirateurs. La kabbale est une systématisation dans laquelle se manifeste une opposition nettement marquée au Talmud, à la Mischna, à la partie législative du judaïsme et au rationalisme. Elle subordonne entièrement la raison aux spéculations de la contemplation et aux combinaisons artificielles des lettres et des nombres. La kabbale ne renie rien du passé biblique ; mais elle l’explique par des principes tout nouveaux et, au besoin, y mêle certains éléments chrétiens. D’après le Zohar, les mots et les récits de l’Écriture sont historiquement exacts ; mais ils constituent en même temps des symboles de vérités d’ordre supérieur. C’est avec la prétention d’interpréter authentiquement les Écritures et d’en révéler le sens caché, que les kabbalistes expliquent la création dans le sens d’une émanation panthéiste, et font rayonner successivement les différents mondes de l’être absolu. Cf. Karppe, Étude sur les origines et la nature du Zohar, p. 251-255, 356-360. Ils enseignent encore la déchéance des esprits et des âmes humaines, le Messie à venir, la restauration de l’univers, etc. Pour donner crédit à toutes ces idées, les rédacteurs de la kabbale les ont mises sous le nom de personnages anciens. Les kabbalistes ajoutèrent à leurs spéculations des théories et des pratiques diverses d’astrologie, de magie, de chiromancie, d’ornithomancie, etc. De là, leur mauvais renom et le sens de menées secrètes et suspectes donné aux mots « cabale » et « cabaler ».

4o On a cherché à mettre quelque ordre dans cet ensemble de spéculations, afin de s’y reconnaître, et l’on a divisé la kabbale en deux parties, l’une théorique et l’autre pratique. Une meilleure méthode permet d’y constater une partie symbolique ou exégétique, une partie positive ou dogmatique, s’occupant des anges, des démons, des visions d’Ézéchiel, etc., enfin une partie spéculative ou métaphysique, traitant du néant, de la création, des dix attributs de Dieu, de