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Dictionnaire de théologie catholique/TEMPÉRANCE

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 15.1 : TABARAUD - TRINCARELLAp. 54-57).

TEMPÉRANCE. La tempérance est la quatrième des vertus cardinales. Les délectations qu’elle est appelée ft modérer sont si vives et s’offrent À nous si fréquemment, que l’absence de cette vertu se ferait sentir par d’Innombrables désordres ci par la ruine da bien des vertus. Aussi est-elle une vertu cardinale. Voir Cardinales (Vertus), t. ii, col. 1714.

La prudence est la première des vertus cardinales, parce qu’elle a pour objet le bien de toutes les vertus. La justice vient ensuite, parce qu’elle règle nos devoirs envers autrui, y compris le culte dû à Dieu. La force vient en troisième lieu, parce que, dans l’exercice de toutes les autres vertus, elle modère notre aversion pour les maux sensibles. La tempérance ne vient qu’en quatrième lieu, parce qu’elle ne vise que notre bien individuel par la modération des plaisirs sensibles qui s’opposeraient à ce bien. S. Thomas, Sum. theol., 11*-II ffi, q. cxli, a. 7 et 8.

Cet ordre n’enlève rien à la tempérance de ses effets salutaires sur l’âme et sur le corps. À la tempérance, en effet, on attribue la tranquillité de l’âme (quoique cette tranquillité soit l’apanage de toutes les vertus), parce que la tempérance réprime les passions les plus fougueuses et les plus propices aux dissensions. De plus, elle communique à l’âme une certaine beauté qui rejaillit sur le corps : en mettant une juste harmonie entre l’âme et le corps, cette vertu embellit l’homme tout entier. La laideur du corps provient souvent des penchants de sa nature animale qui flétrissent le corps autant que l’âme : en communiquant à l’âme une sorte de beauté angélique, la tempérance influe indirectement sur la beauté du corps. Ibid., a. 2, ad 2um ; ad 3um.

On exposera donc :
I. La vertu de tempérance considérée en soi.
II. Les vertus connexes à la tempérance et les péchés opposés à ces vertus.

1. La tempérance considérée en soi. —

La tempérance est une vertu spéciale.


1. Vertu. —

Il est de la nature de la vertu d’incliner la volonté vers le bien. Cf. Ia-IIæ, q. lv, a. 3. Le bien, au point de vue naturel, c’est ce qui est conforme à la droite raison. La tempérance, qui comporte une modération ftemperies) des plaisirs sensibles conformément aux exigences de la droite raison, est donc une réelle vertu. II a -II a>, q. cxli, a. 1.

2. Vertu spéciale. —

Sans doute, toute vertu, quelle qu’elle soit, concourt à tempérer la violence des passions et à mettre dans l’âme humaine cette modération qui s’attache toujours à son exercice. Toutefois, la tempérance est une vertu spéciale, car elle a un objet distinct et comporte une modération d’un genre particulier : il s’agit de réprimer les mouvements excessifs de l’appétit sensible, conformément à la raison, et de l’éloigner des plaisirs qui le sollicitent le plus violemment. Ibid., a. 2.

Objet matériel de la tempérance.


1. Objet principal. —

L’objet matériel de la tempérance est principalement constitué par les plaisirs qu’on rapporte au toucher parce que le toucher y a la part prépondérante, plaisirs de la nourriture et de la boisson, utiles à la conservation de l’individu, plaisirs charnels, utiles à la conservation et à la propagation del’espèce. De même que la force règle et modère le mouvement de répulsion que nous éprouvons à l’égard des maux sensibles dans l’accomplissement du devoir, ainsi la tempérance règle et modère le mouvement d’attraction vers les plaisirs des sens capables de nous détourner du devoir. Par quoi la tempérance nous éloigne des délectations les plus vives et les plus opposées à la raison : or, il n’en est pas auxquelles la nature nous sollicite plus vivement et qui causent à la raison plus de trouble que les plaisirs de la nutrition et de la génération. Ibid., a. 3, 4. On pourra s’étonner que saint Thomas, au sujet des plaisirs de la nourriture, parle principalement du sens du toucher et non du sens du goût. Il s’en explique lui-même à propos de l’objet secondaire de la tempérance.

2. Objet secondaire. —

L’objet secondaire de la tempérance est constitué, non par ce qui est essentiellement requis aux opérations de la nutrition et de la génération, mais à ce qui est utile à ces opérations. C’est ici qu’intervient le sens du goût dans les délectations attachées à la nourriture : au goût, en effet, les aliments apparaissent plus ou moins attrayants, selon leur odeur ou leur saveur. Pareillement, dans l’ordre des délectations sensibles attachées à la génération, l’union des sexes relève du sens du toucher ; mais la beauté de la femme, sa parure, ses attraits physiques relèvent d’autres sens et forment un objet secondaire de la tempérance. Ibid., a. 5. Par là, l’homme tempérant s’abstiendra non seulement des plaisirs immodérés qui peuvent troubler sa raison et le détourner du devoir, mais encore de tout ce qui ne sert qu’à flatter les sens et n’est que de pur agrément : il modérera la vue, l’ouïe, l’odorat et surtout le goût qui est, de tous les sens, celui qui se rapproche le plus de l’objet principal de la tempérance, le toucher.

Objet formel ou motif de la tempérance.


Le motif formel de la vertu de tempérance ne peut être que le bon ordre à établir dans l’usage des plaisirs sensibles, conformément aux exigences de l’honnêteté et du devoir, envisagés soit dans l’ordre naturel (vertu naturelle de tempérance) soit, en s’inspirant d’un motif de foi, dans l’ordre surnaturel (vertu surnaturelle de tempérance). Voir Vertus. Cette considération commande le principe même qui permet au théologien de préciser la règle, la juste mesure de la vertu de tempérance.

Règle et juste mesure de la vertu de tempérance.


Le principe fondamental de cette juste mesure peut être ainsi formulé : « La règle et la juste mesure qui permettent de modérer les plaisirs sensibles conformément à la raison, c’est essentiellement la nécessité qu’imposent les exigences de la vie présente. » Le bien de l’homme c’est, en effet, l’ordre imposé par la raison. Or, l’ordonnance de la raison implique avant tout la conservation de l’individu et de l’espèce. Il faut donc que la tempérance règle les plaisirs attachés à ces deux fonctions selon les exigences rationnelles du bien de l’individu ou de l’espèce. Ces exigences peuvent être absolues ou simplement relatives. Exigences absolues, sans lesquelles la conservation de l’individu ou de l’espèce ne sauraient être obtenues ; exigences relatives, celles qui tiennent compte des circonstances de. personne, de santé, d’âge, de fonction, de dignité, de richesse, d’honnêteté, d’usage reçu, de convenances sociales, etc. Ces « exigences », qui sont plutôt des convenances doivent parfois apporter des nuances non négligeables dans l’appréciation de la juste mesure de la vertu de tempérance. A. 6, et ad 2um, ad 3um.

De ce principe général, saint Thomas déduit les applications en considérant successivement la fin prochaine qui commande la règle et la juste mesure aux délectations sensibles, et la fin dernière, que, dans l’économie de la vie chrétienne, l’on ne saurait négliger.

1. Fin prochaine et règle propre de la tempérance. —

Cette règle commandée par la fin prochaine des délectations sensibles, ce sont, avons-nous dit, les nécessités de la vie présente. Et, parce que la fin des plaisirs de la chair n’est pas la même que celle des plaisirs de la table, la règle pour les uns et pour les autres est différente.

a) En ce qui concerne les plaisirs attachés à l’acte générateur, la règle est qu’il faut s’en abstenir absolument en dehors du mariage, parce que l’institution du mariage seule peut donner à la société le moyen de conserver et de propager l’espèce humaine conformément aux exigences de la nature raisonnable de l’homme. Voir ici Mariage, t. ix, col. 2046. L’usage des plaisirs du mariage exige donc qu’aucun obstacle ne soit apporté à la fin principale, la procréation des enfants, ni même à la fin secondaire, leur éducation. Doit-on toujours avoir en vue cette fin dans l’usage du mariage ? Explicitement, non certes ; toutefois, on ne perdra pas de vue la condamnation par Innocent XI de la proposition 9 des erreurs laxistes : Opus conjugii ob solam voluptatem exercitum omni penitus caret culpa ac defectu veniali. Denz.-Bannw., n. 1159.

b) En ce qui concerne les plaisirs de la table, la règle de la tempérance ne peut être que la bonne santé du corps et la disposition de l’esprit nécessaire pour l’accomplissement des devoirs quotidiens. Ni plus ni moins qu’il ne faut pour atteindre ce but. Ce qui ne veut pas dire, de toute évidence, qu’en raison de circonstances spéciales, il ne soit pas permis de faire des repas plus copieux ou mieux préparés : le nécessaire doit être entendu ici selon les règles non seulement de la nécessité absolue, mais encore de la convenance. Mais on se souviendra aussi de la proposition 8 condamnée par Innocent XI : Comedere et bibere usque ad salietalem ob solam voluptatem non est peccalum, modo non obsit valeludini ; quia licite potest appetitus naturalis suis aclibus jrui. Denz.-Bannw., n. 1158. Le plaisir du boire et du manger ne saurait être une fin ; ce n’est qu’un moyen : « Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger. »

2. Fin dernière et règles supérieures de la tempérance.—

Dans l’économie présente de la fin surnaturelle à laquelle l’homme est appelé, la fin prochaine et la règle propre de la tempérance doivent être subordonnées à des règles supérieures, propres à la fin surnaturelle de l’homme. Dans l’usage des plaisirs sensibles, il faudra aussi faire attention à ne nuire en rien au bien spirituel et surnaturel de l’âme, et même on devra s’abstenir de ces plaisirs dans la mesure où, selon le tempérament, la situation, la vocation de chacun, ce sera nécessaire ou même simplement utile pour parvenir à la fin surnaturelle. De là, l’utilité et la nécessité di s mortifications, des œuvres satisfactoires pour les péchés, du célibat ecclésiastique, du vccu de chasteté, etc.

Le juste milieu de la tempérance.


Le propre des vertus morales est de tenir un juste milieu entre deux excès opposés. Saint Thomas traite des excès opposés à la tempérance dans la question cxlii. Il part du même principe qui lui a servi à établir la nature et l’objet de la tempérance.

La nature a attaché une délectation sensible à tout ce qui est nécessaire à la conservation de l’individu et de l’espèce. Sans cette délectation qui fait contre-poids à des Inconvénients ^nives, |e o, .nre humain s’éteindrait bientôt. L’un s’abstiendrait de nourriture ou n’en prendrait qu’une insuffisante, pour s’épargner la peine de la chercher ou de la préparer. L’autre ne voudrait pas d’enfants pour éviter les inconvénients inhérents a leur éducation. L’absence de la délectation lin-, c’est l’insensibilité : quand cette insensibilité est le. résultat d’une volonté égoïste, elle est non seulement un défaut, mais une faute. Toutefois, saint l bornas fait ici remarquer qu’en raison des fonctions qu’on remplit, s’abstenir de certains plaisirs sensibles peut être louable : les soldats, les athlètes, les intellectuels se privent de l’usage du mariage pour mieux BU l "inplir les devoirs de leur état ; les malades se mett’ni i i.i di< i pour recouvrer la santé du corps, les pénitents > l’abstinence, pour recouvrer la santé de l’âme. L’autre i-rï, , c’est l’intempérance sous toutes les formes qui recouvrent les pèches contraires aux ertus connexes a la tempérance. Ibid., a. 1.

Saint Thomas compare l’intempérance < un défaut d’enfant. Sans considérer l’ordre de la raison qu’il est encore Incapable de percevoir, l’enfant désire ce qui (latte son appétit, fût <> quelque chose de honteux ei de laid aux eux de l’esprit. Si l’on ObéilSail a l’enfant, DICT. Iil I ln’.nl. CATIIOL. on le fortifierait dans ses instincts pervers. Cf. Eccl., xxx, 8. Plus on accorde à la concupiscence, plus elle demande ; la passion satisfaite, dit saint Augustin, devient une habitude et l’habitude, une nécessité. Confessions, t. VIII, c. v, 12, P. L., t. xxxii, col. 754. On corrige l’enfant par la verge ; on doit se servir de la discipline pour réprimer la concupiscence superflue ou intempérance, qu. cxlii, a. 2. Comparée à la timidité et à l’insensibilité, l’intempérance est plus grave tant au point de vue de sa matière que de la responsabilité de l’homme qui s’y livre volontairement, a. 3 ; on peut même dire que l’intempérance est le plus déshonorant et le plus honteux des vices : plongeant l’homme dans les voluptés qui lui sont communes avec les animaux, elle le prive du bon usage de la raison et littéralement l’abrutit ; cf. Ps., xlii, 21. Ibid., a. 4. IL Vertus connexes a la tempérance et péchés opposés a ces veftus. — 1° Parties de la tempérance (q. cxliii, art. unique). — Se référant à la doctrine exposée aux q. xlviii et cxxviii, saint Thomas distingue dans une vertu cardinale les parties intégrantes, subjectives, potentielles.

1. Parties intégrantes de la tempérance. —

Comme l’indique le mot, la partie intégrante concourt à l’exercice de la vertu à titre de complément nécessaire. La pudeur est une disposition à la tempérance, Vlwnnèteté en est une condition. La pudeur, en effet, nous met en garde contre les choses honteuses ; l’honnêteté nous fait aimer la beauté de la modération imposée par la tempérance à nos puissances inférieures. Sur la pudeur, voir la belle étude de J. de La Vaissière, La pudeur instinctive, Paris, 1936.

2. Parties subjectives. —

Ce sont ici de véritables vertus, mais subordonnées à la tempérance, comme les espèces le sont au genre. La tempérance modérant les délectations relatives au manger et au boire, on compte, sous ce rapport, deux parties subjectives de la tempérance : la vertu d’abstinence, voir t. i, col. 271, à l’égard des plaisirs du manger, la vertu de sobriété à l’égard des plaisirs du boire. Quant aux plaisirs de l’acte générateur, c’est la chasteté qui le modère quant à l’essentiel, voir t. ii, col. 2319 sq. ; c’est la pudicilé qui en modère les accessoires, baisers, touchers, attitudes, etc. Voir t. ix, col. 1351.

3. Parties potentielles.

On appelle parties potentielles des vertus annexes qui se rattachent à la vertu principale parce que leur objet constitue pour ainsi dire une partie secondaire de l’objet de la vertu principale. En ce qui concerne la tempérance, les vertus annexes, qui en sont les parties potentielles, ont pour objet de modérer les mouvements de l’âme, l’ar rapport aux mouvements intérieurs, ou peut énumérer. à l’égard des mouvements de concupiscence, la continence ; à l’égard des mouvements d’audace et « le présomption, [’humilité, voir I. vu. col. 321 ; à l’égard des mouvements de colère et de vengeance, la clémence ou la mansuétude ; à l’égard des désirs exagérés de. savoir cl, peut-on ajouter, des mouvements de paresse, V amour ordonné de V étude (studiositas). l’ar rapport aux mouvements extérieurs, on peut énumérer. a l’égard de la tenue du corps la modestie ; a l’égard des actes à accomplir, la décence et le bon ordre ; à l’égard des distractions et des jeux, selon les cas. Veulrapélic ou. au contraire, [’austérité ; enfin, dans les vêtements et les parures, la simplicité, qui doit s’étendre également à tOUl le train ordinaire de la vie.

2° Péchés opposés à ces vertus.

Les péchés opposés à la loi de l’abstinence et au jeune sont étudiés mots, t. i. col. 271 ; t. VIII, col. 11Il sq. À la sobriété ci.( l’air tinence s’opposent les péchés de gourmandise et. a’ivresse, étudiés t. vi, col. L520 sq. la chasteté) s’oppose le péché de luxure sous toutes ses formes. oir t. ix. col, 1339 sq. À la vertu de mansuétude et de clémence s’oppose la colère, étudiée t. iii, col. 355. À la vertu d’humilité, t. vii, col. 321, s’oppose le péché d’orgueil, t. xi, col. 1410. On trouvera à Paresse, t. xi, col. 2023, l’étude d’un péché qui, sans s’opposer directement à la tempérance, peut cependant en certaines circonstances être considéré sous cet aspect spécial. Dans chacun de ces articles, on trouve les indications utiles qui groupent, autour de l’espèce principale, les espèces subordonnées de fautes similaires.

A. Michel.