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Dictionnaire de théologie catholique/TYRANNICIDE II. Appréciation morale

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 240-243).

II. Appréciation morale. —

En dépit d’un fatras de doctrines si diverses et à travers le dédale d’opinions qui se sont affrontées au cours des âges, il n’est pas impossible, croyons-nous, de retrouver le fil conducteur de la saine morale, à la lumière des enseignements de l’Église et de la droite raison.

Constatation préalable.

L’enquête que nous avons menée, au sujet du tyrannicide, à travers huit siècles d’histoire, nous amène à des conclusions analogues à celles que nous avons énoncées à propos de la résistance au pouvoir tyrannique. Si, dans l’ensemble, les auteurs qui ne sont pas des partisans sont d’accord pour refuser à un simple particulier ou à un groupe de particuliers sans mandat le droit de mettre à mort un usurpateur ou un prince qui abuse de son pouvoir, l’unanimité est loin d’être acquise en ce qui concerne les droits de la nation en pareille occurrence. En mettant à part les périodes troublées, dans lesquelles le droit n’est pas très clair et les passions sont déchaînées, on constate une assez nette évolution des doctrines. Les vieilles théories scolastiques développées par Gerson et Suarez, après un temps de défaveur et même de réprobation, semblent connaître un regain d’actualité tant chez les théologiens que chez les civilistes contemporains. Pourquoi ce changement de ton ?

1. On peut l’expliquer d’abord par un souci général de sauvegarder les droits imprescriptibles de la personne humaine, plus ou moins menacés d’écrasement ou d’absorption dans des conceptions totalitaires de l’État. Sur ce point les préoccupations des juristes se rencontrent avec les avertissements solennels des derniers papes.

2. Cela tient aussi, semble-t-il, à une conception plus juste de l’autorité politique, de ses limites et de ses relations avec le corps social. Accorder à l’Etat un pouvoir illimité est une erreur nuisible à l’autorité elle-même. La théorie du droit divin des rois a pesé, parfois lourdement, sur la notion des pouvoirs de l’État, lui partant du principe de l’indépendance absolue à l’égard de Dieu, les théoriciens du’totalitarisme » étatique ont abouti à des conclusions pratiquement identiques : l’attribution à l’État ou au prince de droits illimités sur les citoyens ; absolutisme et totalitarisme sont frères jumeaux. De là à faire de l’autorité (comme on l’a tenté pour l’obéissance), une fin en soi, il n’y avait qu’un pas. Bien vite on perdit de vue la fonction sociale et les devoirs de l’autorité : on parla seulement de ses droits, ou bien on la conçut à la façon d’un titre personnel, inamissible, une sorte de propriété ou d’apanage héréditaire. Laissant de côté cette conception un peu byzantine, les traités récents de droit public ont souligné justement que l’autorité est avant tout un moyen, absolument indispensable et éminent, mais un moyen, d’atteindre la fin sociale. De cette fonction, de ce « service », découlent pour elle des droits et prérogatives indéniables, mais aussi des devoirs très stricts. Ce n’est pas rabaisser son rôle ni diminuer son prestige, c’est lui assurer, avec la durée, l’assurance de demeurer à la hauteur de sa noble mission. Il n’y a pas de société possible, si elle n’est fondée sur le respect du pouvoir par les peuples et des peuples par le pouvoir. Celui-ci sera d’autant mieux fondé à exiger des sujets une obéissance entière, que lui-même remplira plus parfaitement son rôle.

3. Le retour aux théories scolastiques et aux solutions qu’elles donnent des problèmes politiques paraît s’appuyer également sur une évolution sensible des systèmes de gouvernement dans le monde moderne. Rares sont aujourd’hui les États dans lesquels le pouvoir ose se proclamer absolu et indépendant de la nation. Au contraire, à part quelques dictatures retentissantes, qui elles-mêmes se proclament populaires, on voit de vieux pays traditionnellement monarchiques, comme l’Angleterre, se proclamer, par la bouche même de leurs souverains, des « démocraties ». Ce sont là des conjonctures, dont le moraliste doit tenir compte, non point pour sacrifier au goût du jour, mais pour donner des solutions adéquates en tenant compte de la part plus ou moins grande que les constitutions elles-mêmes font à la communauté populaire dans la gestion des affaires de l’État.

4. Enfin il semble qu’il faille faire entrer en ligne de compte la considération de quelques maladies politico-sociales propres à notre temps. En effet, alors que les gouvernements paraissent s’orienter vers des formes plus ou moins populaires et qu’ils proclament leur identité avec la nation, on constate trop souvent que le pouvoir est, en réalité, entre les mains de minorités qui s’efforcent de se maintenir en faisant peser sur l’ensemble des citoyens une oppression très voisine de la tyrannie. Celle-ci s’exerce, non seulement sur les corps, mais encore sur les âmes, par le moyen de la propagande (presse, radiophonie, cinéma), du mensonge ou de l’intimidation : tout cela au nom d’une idéologie le plus souvent étrangère au bien commun et à laquelle tout est sacrifié, même la justice et la vérité. On en vient à ce point où, selon le mot de Pie XI, « les bases mêmes de l’autorité se trouvent sapées ». C’est le cas de répéter : corruptio optimi pessima. Pareil régime peut encore conserver les formes extérieures de la légalité, en réalité il a cessé d’être légitime.

La doctrine de l’Église. — Sur le point précis du tyrannicide, les actes officiels de l’Église sont rares. Aucune encyclique récente n’a abordé la question. Les textes que nous possédons ont une certaine antiquité. Rappelons-en la lettre pour en dégager ensuite l’esprit.

1. La lettre. — C’est à la viiie session du concile de Constance que fut condamnée cette proposition extraite des erreurs de Wiclef : Populares possunt ad suum arbitrium dominos delinquentes corrigere, Prop. 17, Denz.-Bannw., n. 597. C’est une théorie anarchique qui livre pratiquement le représentant du pouvoir au caprice de la foule. Nul doute que le tyrannicide, qui est le degré suprême de la « correction », ne tombe sous la réprobation ; mais c’est surtout son caractère arbitraire qui semble condamné. Nous avons cité intégralement d’autre part, ci-dessus, col. 1994, à propos de Jean Petit, la proposition soumise au môme concile dans sa xve session, 6 juillet 1415, cf. Denz.-Bannw., n. 690, et qui fut condamnée comme « erronée, hérétique, scandaleuse, ouvrant la voie à la fourberie aux intrigues, mensonges, trahisons et parjures ». Mais, ainsi que nous l’avons souligné, l’énoncé contient une telle accumulation d’hypothèses et de conditions que les qualificatifs ont l’air de s’appliquer à un ensemble particulièrement odieux de violations du droit naturel. Il y est affirmé en effet que tout tyran, sans aucune distinction, non seulement peut, mais doit être tué ; que c’est une chose non seulement licite, mais méritoire, nonobstant la qualité de sujet et de vassal. Quant aux moyens, il n’y a à reculer ni devant la « conspiration, ni devant la flatterie ou l’adulation », pourvu que le but soit atteint. Le serment prêté au tyran ou le pacte conclu avec lui ne sont pas des obstacles ; et, pour accomplir le meurtre, il n’y a pas à attendre la sentence du juge ni l’ordre de qui que ce soit… Après une telle énumération, il n’y a pas à s’étonner de la sentence. Mais on ne saurait en conclure que tout tyrannicide y soit condamné sans appel. Bien plus, les dernières lignes permettraient même de supposer qu’un juge pourrait, dans certains cas, prononcer légitimement une sentence capitale contre le tyran et donner l’ordre de l’exécuter. De toutes façons, la portée de la condamnation ne saurait être ni générale ni absolue.

Deux années auparavant, un synode parisien présidé par l’évêque et le grand inquisiteur s’était tenu pour examiner neuf propositions attribuées au même Jean Petit et que Gerson s’efforça, mais en vain, de faire condamner au concile de Constance. Cf. Dupin, Opéra Gersonii, t. v, col. 322 ; Hefele-Leclercq, Hist. des conc., t. vu a, p. 293, note 3. La première de ces propositions était ainsi conçue : Il est permis à tout sujet, sans en avoir reçu ordre ou mandat de quiconque, en vertu des seules lois naturelle, morale et divine, de tuer ou faire tuer tout tyran qui, par avarice, fraude, sortilège ou mauvais sort, complote contre la vie de son roi et souverain, pour s’emparer de son très noble et suprême pouvoir. Et cela est non seulement licite, mais honorable et méritoire, surtout lorsque le tyran a une telle puissance que la justice ne peut s’exercer correctement au-dessus de lui. » Cette proposition fut déclarée erronea in flde et multipliciter scandalosa. Dans sa teneur, elle ne fait que condamner une erreur rejetée par l’ensemble des théologiens, à savoir qu’un simple particulier, fût-il le sujet du monarque attaqué, peut s’instituer de lui-même justicier d’un tyran qui médite d’usurper le trône d’un prince légitime. En résumé, ces textes nous fournissent assez peu de lumière sur la moralité des différents cas de tyrannicide.

2. L’esprit.

Si de la lettre nous passons à l’esprit, il est clair que l’Église est à la fois une école de respect et l’ennemie déclarée de tout faux culte. Gardienne de la vraie religion, elle a pour mission de garantir les hommes contre tout excès. Autant elle courbe ses sujets dans l’obéissance aux représentants d’un pouvoir légitime, autant elle répudie le fétichisme de l’autorité cultivée pour elle-même. Si, dans les cas où cette autorité abuse de son pouvoir, l’Église ne permet pas à ses sujets de se soulever de leur propre chef, cf. Aposlolici muneris, 18 décembre 1878, Denz.-Bannw. , n. 1850, c’est moins par respect pour une autorité « qui perd sa force en renversant l’ordre de la j ust ice », que pour « sauvegarder l’ordre public et éviter de plus grands maux ». En règle générale, l’Église a horreur du sang, abhorret a sanguine ; c’est pourquoi même dans les cas d’oppression extrême, elle recommande la patience, la pénitence et la prière. Cf. Noldin, Summa theol. mor., De præceptis, Inspruck, 1938, n. 312, nota.

Cependant elle ne va pas jusqu’à faire de la passivité une règle absolue dans tous les cas et toutes les hypothèses. Dans les conjonctures extrêmes, ainsi que l’a souligné Pie XI, malgré son amour de la paix, elle n’interdit pas la défense même par la force. Cette défense pourrait-elle aller jusqu’au meurtre du tyran et, tranchons le mot, jusqu’à l’assassinat, en prenant ce mot dans toute son acception juridique ? C’est la dernière question qu’il nous reste à examiner.

Les solutions qui paraissent acceptables. — Elles concernent soit le cas du simple particulier en face du tyran, soit le cas de la nation opprimée par un pouvoir tyrannique.

1. Le simple citoyen. — a) Il lui est toujours permis de se défendre contre un tyran (soit de régime, soit d’usurpation) qui prendrait à son égard l’attitude d’un injuste agresseur. Sans doute, comme tout autre, il devra garder le moderamen inculpatæ tutelæ, mais son droit s’étendra jusqu’au meurtre de l’agresseur inclusivement, si cela est nécessaire pour sa propre sauvegarde. Il ne nous semble pas possible d’accepter l’opinion de quelques théologiens, par ailleurs très respectables, qui font au simple particulier injustement attaqué une obligation de subir la mort, plutôt que de la donner à un personnage utile à la nation. En réalité, on ne voit pas bien comment un coquin ; fût-il couronné, serait plus utile à la nation qu’un homme honnête et innocent ! D’ailleurs la nature a parlé : l’instinct de la conservation aussi bien que l’ordre dans la charité donnent à la victime le droit de se défendre. Ce droit ne constitue pourtant pas un devoir, une obligation : la victime pourra ordinairement y renoncer. Bien plus, la charité pourrait l’obliger dans certains cas, à exposer sa propre vie plutôt que de provoquer, par le meurtre du prince, des troubles graves et des dommages certains et irréparables dans la nation. L’obligation, quand elle existe, sera toujours de charité, non de justice.

b) Un simple citoyen pourrait recevoir du prince légitime le mandat d’exécuter un usurpateur en acte. Il pourrait aussi recevoir un ordre semblable de la nation en état de guerre juste contre un tyran de régime. Mais on notera alors que, dans ces deux cas, l’exécuteur n’est plus un simple particulier, mais bien un agent officiel d’un pouvoir légitime ou du moins

« établi ». A rencontre de Gury-Palmieri, nous ne

pensons pas que ce mandat puisse être « présumé », car tout homicide reste soumis au moderamen inculpatæ tutelæ. Or, même si la nation s’est légitimement soulevée contre le prince, ce n’est pas à un simple particulier de juger si la mort du tyran est le seul et indispensable moyen de salut de la chose publique. Cependant si le tyran avait été justement et régulièrement condamné à mort, tout citoyen pourrait légitimement présumer le mandat d’exécution.

2. Le cas de la nation. — a) Dans les cas extrêmes de tyrannie de gouvernement, alors que tous les moyens pacifiques ont été employés pour sauvegarder la chose publique, il est du devoir de la nation, dit Léon XIII, de « pourvoir à elle-même ». Cela n’exclut nullement d’ailleurs le devoir de recourir à Dieu par la prière et la pénitence et de poursuivre l’amendement moral des citoyens, selon les recommandations du même pontife, à la suite de saint Thomas. Mais les abus peuvent être tels, que l’organisation défensive des citoyens, même avec recours aux méthodes violentes, peut être légitimement envisagée, de l’aveu de Pie XI. Si la protection des citoyens et la sauvegarde du bien commun exigeaient alors la condamnation à mort du tyran et l’exécution de cette sentence, une telle mesure pourrait-elle être envisagée légitimement ? Suarez, nous l’avons vii, répondait par l’affirmative, à la suite de Gerson. Cf. Defensio fidei, l. VI, c. iv, n. 7. Cette opinion a été traitée assez durement par saint Alphonse. Peut-être celui-ci parlerai-t-il autrement aujourd’hui, alors que les constitutions ont pris un caractère plus démocratique. D’ailleurs les raisons qu’il apporte à l’appui de sa doctrine ne sont guère valables dans les cas extrêmes envisagés de sang-froid par Pie XI et dont nous traitons ici. Le pouvoir qui, ayant foulé aux pieds toutes les lois de la justice et de la vérité, renverse ainsi les fondements mêmes de l’autorité, n’est plus un pouvoir légitime, même s’il conserve extérieurement les signes de la légalité. Dès lors, il n’est plus tout à fait exact d’affirmer, à la suite de saint Thomas et de saint Alphonse, que semblable personnage « ne relève que de Dieu », qu’il est « supérieur à la nation » et ne peut « être jugé par personne ici-bas » ; en réalité et, quelles que soient les apparences, il est « découronné ».

La question serait sans doute plus claire encore, si la constitution elle-même, comme le suppose Merkelbach, réservait à la nation le châtiment du prince dans de telles conjonctures. Mais cela ne nous paraît pas nécessaire, attendu que la nation, c’est-à-dire pratiquement les optimates, ont à juger non plus un authentique dépositaire de l’autorité, mais un grand malfaiteur public. Si le salut de la nation est à ce prix, nous ne voyons pas de quel droit on lui enlèverait cette faculté naturelle de « pourvoir à elle-même ». Le droit public moderne est plutôt d’accord avec Suarez et Gerson ; nous n’oserions affirmer qu’il a tort. Pratiquement, en raison des formes plutôt démocratiques que revêtent les gouvernements de notre époque, il sera extrêmement rare que le tyrannicide soit l’unique moyen de pourvoir au salut de la cité. Et pourtant, quelques récents exemples de tyrannies nous semblent des raisons suffisantes pour maintenir l’affirmation du droit, même si, en fait, l’usage en demeure extrêmement limité.

b) Le cas du tyran d’usurpation est moins épineux. Si, comme le suppose saint Alphonse, il est déjà

« seigneur actuel », en possession pacifique du pouvoir,

il a déjà qualité de « pouvoir établi » et son cas diffère à peine de celui du tyran de gouvernement. En effet, pour que le prince dépossédé puisse à bon droit susciter une guerre contre lui et ordonner sa mise à mort, il faudrait que la légitimité de ce prince fût encore intègre. Or, précisément elle s’amenuise dans la mesure même où s’établit le pouvoir de l’usurpateur et s’affermit la possession pacifique de ce même pouvoir. En pratique, la persistance de la légitimité et des droits du prince déchu supposerait : que le tyran n’avait et n’a encore aucun droit au pouvoir ; que la nation n’est pas opposée au meurtre de l’usurpateur ; que par conséquent elle a conservé sa foi au souverain déchu ; qu’il n’existe pas de supérieur auquel on pourrait avoir recours ni aucun autre moyen efficace, pour dirimer pacifiquement le conflit ; enfin, que le meurtre du tyran usurpateur n’entraînera pas des maux plus grands pour la nation.

Lorsque l’intrus est encore en acte d’usurpation et n’a pas encore acquis la qualité de gouvernement de fait, le cas est clair. Il peut être mis à mort, non pas par tout citoyen, mais par celui qui est en état de légitime défense. De plus, il peut être tué sur ordre ou au nom du prince légitime, ainsi qu’au cours d’une guerre entreprise contre lui par l’ensemble de la nation. Pratiquement, sauf s’il s’agit d’un criminel de droit commun, on se contente aujourd’hui d’arrêter, d’emprisonner ou d’exiler l’usurpateur ou l’agitateur public. Cela est tout à fait conforme à la morale naturelle, qui demande dans tout acte de défense l’observation du moderamen. Mais cela n’enlève pas au prince ou à la nation le droit d’user de plus de rigueur, toutes les fois que la mort du coupable est nécessaire, soit pour châtier l’usurpateur qualifié, soit pour sauvegarder la paix publique.

Conclusion. — On voit dans quel sens nous pensons que doivent être réformées ou du moins nuancées certaines affirmations de moralistes, même contemporains, qui proclament sans distinction, « qu’il n’est jamais permis de mettre à mort un tyran »… Le point de vue auquel ils se placent est sans doute la sauvegarde du principe d’autorité, si fondamental dans une société et si gravement battu en brèche en ces derniers temps. Mais ce point de vue ne doit pas faire oublier le souci de la personne humaine et surtout la sauvegarde du bien commun, auquel l’autorité elle-même reste subordonnée. Une prise de position aussi absolue nous semble entachée d’une double erreur de perspective : tout d’abord l’adoption d’opinions anciennes, qui étaient justes à une époque où l’existence d’un suzerain permettait des solutions pacifiques, et en des temps où la tyrannie n’avait pas à son service des moyens de pression qui pratiquement laissent le peuple sans défense. En second lieu, beaucoup ont été hypnotisés par ce principe, très juste d’ailleurs, qu’un inférieur ne saurait juger, encore moins condamner à mort un supérieur. Mais précisément, il s’agit de savoir où est le supérieur. Ce n’est pas toujours et nécessairement le tyran.

En résumé, le tyrannicide, hormis le cas de légitime défense en cas d’agression injuste, n’est pleinement licite que lorsque le tyran ou bien n’est pas encore, ou bien a cessé d’être le « prince ». Dès lors que le tyran est devenu ou qu’il est encore le représentant authentique de l’autorité, nul ne saurait attenter légitimement à sa vie. Nous n’ignorons pas les anxiétés et les conflits douloureux que cette solution laisse pratiquement subsister entre un pouvoir plus ou moins capable ou plus ou moins digne et le bien commun des citoyens. Il n’est pas douteux toutefois que les régimes politiques modernes qui se proclament « gouvernements d’opinion » ou du moins ont besoin de l’appui de l’opinion, offrent aux citoyens des moyens plus pacifiques et pourtant efficaces d’éliminer les tyrans et de faire disparaître les lois injustes. Au nombre de ces moyens, il faut citer les campagnes d’opinion (ce qui suppose une certaine liberté de la parole, de la presse, de la radiophonie, etc…), le choix de représentants dignes, la pétition ou le référendum, les associations et les réunions de masse (meetings).

On trouvera l’enseignement officiel de l’Église dans les encycliques des papes, spécialement de Léon XIII (citées ici d’après l’édition française de la Bonne Presse), Pie XI et Pie XII, ainsi que dans les actes des conciles. Les diverses théologies morales ont d’autre part traité ou du moins effleuré le sujet ; les principaux auteurs ont été cités au cours de l’article.

Les ouvrages contemporains ci-après pourront être consultés pour l’exposé du droit, la connaissance de l’histoire, ou enfin pour l’étude des diverses solutions données à la question. — Nous mettons en tête quelques ouvrages anciens : Buchanan, De jure regni apud Scotos, 1579 ; Cl. Joly, Recueil de maximes véritables et importantes pour l’institution d’un roi, Paris, 1652 ; Turquet de Mayerne, Monarchie aristo-démocratique, Paris, 1611 ; sans compter les ouvrages cités au cours de l’article.

J. Barthélémy, La crise de la démocratie contemporaine, Paris, 1931 ; Bélorgey, Le respect et l’obéissance due aux pouvoirs constitués, Dijon, 1928 ; Beudant, Le droit individuel et l’État, 3e éd., Paris, 1920 ; Carrière, De justifia et jure, Paris, 1839 ; Castelein, Droit naturel, Paris, 1903 ; De Cepeda, Éléments de droit naturel, trad. Onclair, Paris, 1890 ; Chénon, Histoire générale du droit français, Paris, 1926 ; le même, Le rôle social de l’Église, Paris, 1922 ; Crahay, La politique de saint Thomas d’Aquin, Louvain, 1896 ; Y. de la Brière, Origine du pouvoir politique, dans 'Dict. apologétique de la foi catholique, Paris, 1923 ; Deploige, Le conflit de la morale et de la sociologie, Louvain, 1911 ; Desjardin, De la liberté politique dans l’État moderne, Paris, 1894 ; Devès, Le droit divin et la souveraineté populaire, Paris, 1905 ; Douarche, De tyrannicidio apud scriptores decimi sexti sæculi (thèse), Paris, 1888 ; Duguit, Traité de droit constitutionnel, Paris, 1921 ; Duthoit, Aux confins de la morale et du droit public, Paris, 1919 ; Egger, Études d’histoire et de morale sur le meurtre politique chez les Grecs et les Romains, dans Mémoires de la Royale Académie de Turin, Turin, 1866 ; Faguet, Politiques et moralistes du XIXe siècle, 5e éd., Paris, 1891 ; Forbes, Les bases de la morale ou la synthèse de la morale et du droit devant la raison, Paris, 1899 ; Gény, Science et technique en droit privé positif, Paris, 1914 ; Gordon, Les nouvelles constitutions européennes et le rôle du chef de l’État, Paris, 1932 ; Mgr d’Hulst, La morale du citoyen, Carême de 1895, Paris, 1895 ; Paul Janet, Hist. de la science politique dans ses rapports avec la morale, Paris, 1872, 2e éd. ; Lallement, Principes catholiques d’action civique, Paris, 1934 ; Leclercq, Leçons de droit naturel, 2e éd., Namur, 1933, t. ii, l’État ou la politique ; Leroy-Beaulieu, L’État moderne et ses fonctions, 3e éd., Paris, 1900 ; Magnin. L’État, conception païenne et conception chrétienne, Paris, 1927 ; Maurras, La démocratie religieuse, Paris, 1921 ; le même, Enquête sur la monarchie, Paris, 1924 ; Montagne, Études sur l’origine de la société, Paris, 1900 ; de Pascal, Philosophie morale et sociale, Paris, 1896 ; Parisis, La démocratie devant l’enseignement catholique, Paris, 1849 ; Nys, Les théories politiques et le droit international en France au XVIIe siècle, 2e éd., Paris, 1899 ; Reclus, L’évolution, la révolution et l’idéal anarchique, Paris, 1902 ; Riquet, Sa Majesté la Loi, Paris, 1924 ; Rothe, Traité de droit naturel théorique et appliqué, Paris, 1885 ; Salsmans, Droit et morale, Bruges, 1925 ; de la Servière, art. Tyrannicide, dans Diction. apologétique, 1928 ; de la Taille, En face du pouvoir, Tours, 1910 ; le même, art. Insurrection, dans Diction. apologétique, Paris, 1914 ; Taparelli d’Azeglio, Essai théorique de droit naturel, 3e éd., Paris, 1883 ; Albert Valensin, Traité de droit naturel, Paris, 1921 ; de Vareilles-Sommière, Les principes fondamentaux du droit, Paris, 1889 ; Vermeersch, Principes de morale sociale, Paris, 1922 ; Vialatoux, Morale et politique, Paris, 1931 ; von Gierke, Les théories politiques au Moyen Age, trad. de Pange, Paris, 1914 ; Waffelært, Étude de théologie morale sur l’obligation en conscience des lois civiles, Tournai, 1884.

On trouvera dans les Études, t. clxxxiii, clxxxv et clxxxvi (années 1925-1926) les réponses à l’enquête du P. Riquet sur Sa majesté la Loi. Voir aussi dans la Vie intellectuelle, les articles du P. Spicq et de dom Sturzo sur La soumission aux pouvoirs établis et le Droit de révolte, t. lii, t, p. 165 ; t. liv, p. 165 ; t. lviii, p. 395 (année 1937-1938). Dans Periodica de re morali, canonica, liturgica, Rome, t. xxvi (1937), De catholicorum civium officiis secundum doctrinam Leonis papæ XIII, p. 129, et le commentaire de l’encyclique Firmissimam constantiam, concernant le droit de sédition, p. 338. L’Ami du clergé a traité de la rébellion et de la sédition, t. xvii, 1895, p. 272 ; t. xxxv, 1913, p. 215 ; t. xliv, 1927, p. 762.

A. Bride