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Dictionnaire de théologie catholique/UNITÉ DE L'ÉGLISE V. La théologie protestante

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 343-347).

V. La théologie protestante.

Avec toute la tradition de l’Église primitive, les protestants enseignent que l’Église doit être une : le symbole de Nicée et celui d’Athanase qu’ils acceptent leur commandent cette attitude. Mais en quoi consiste l’unité ? C’est là que s’affirment les divergences.

Les luthériens.


Les luthériens commencent par compliquer la difficulté en parlant de l’Église invisible : ancienne erreur des donatistes, renouvelée par les hussites, cf. Denz.-Bannw., n. 627, 629, 631 sq. La Confession d’Augsbourg (1530), a. 7, définit l’ÉglrSe : « l’assemblée des saints, dans laquelle l’Évangile est enseigné correctement et les sacrements correctement administrés. » iMûller-Kolde, Symbolische Bûcher, 1907, p. 40. Toutefois, l’art. 8 contient cet aveu : « Bien que l’Église soit à proprement parler l’assemblée des saints et des vrais croyants, cependant parce qu’elle renferme aussi en cette vie bien des hypocrites et des méchants, il est permis de se servir des sacrements administrés par ces mauvais ministres. » Id., ibid. L’Apologie de la Confession affirme que les deux articles ont été joints, pour qu’on n’estimât pas, déclare Mélanchthon, « que nous séparions les méchants et les hypocrites de la société extérieure de l’Église ». Ils sont donc membres de l’Église, mais considérée par l’extérieur de ses signes. Mais « l’Église est principalement la société de la foi et de l’Esprit-Saint dans les cœurs des hommes… C’est cette Église qui seule est le corps du Christ… Les impies ne sont pas la sainte Église ». Ibid., p. 152.

A la société théoriquement invisible, indivisible et universelle (coeius vocatorum) correspond donc, suivant les temps et les lieux, une société qui, pour n’être pas aussi tangible que « le royaume de Rome ou la république de Venise » (Bellarmin) n’en est pas moins empirique dans une certaine mesure. Pour Luther et les luthériens, les marques empiriques de l’Église sont l’administration des sacrements, la prédication de l’Évangile, le baptême.

C’est sur ces points que devra s’affirmer l’unité de l’Église : « Ils enseignent, dit la Confession, a. 7, que l’unique sainte Église doit durer perpétuellement… La véritable unité de l’Église est suffisamment garantie là où le saint Évangile est enseigné et les sacrements correctement administrés. » Muller-Kolde, op. cit., p. 40. Voir Apologie, a. 7, n. 30, 33, p. 158, 159. Le grand catéchisme de Luther s’exprime ainsi : « Je crois à une communion formée des seuls hommes sanctifiés, rassemblés par le Saint-Esprit sous un seul chef, le Christ, dans l’unité de la même foi, des mêmes sentiments, de la même doctrine, unanimes dans l’amour, d’accord en tout, sans sectes ni schismes. » Werke, éd. de Weimar, t. xxx (1), p. 189.

Vagues à souhait, ces formules semblaient pouvoir être acceptées <le toute confession se réclamant du protestantisme. Et cependant la discorde doctrinale s’affirma au fur et à mesure que se multipliaient les sectes. Il fallut recourir aux formules de « concorde ». Déjà en 1529, le colloque de Marbourg marque une première nécessité d’entente entre luthériens et zwingliens : en 153(i, à Wittenberg, un compromis est signé entre les mêmes partenaires à propos de l’eucharistie ; en 1549, Calvin et Bullinger signent le Consensus Tigurinus. Puis viennent les formules de concorde proprement dites de 1567, 1570, 1573 (Souabe), 1574 (Souabe-Saxe). De « toutes les controverses théologiques et ecclésiastiques qui, dans la seconde moitié du xvie siècle, assombrissent le visage du protestantisme » (Muller-Kolde, op. cit., p. lxxiii), naît, le 28 mai 1576, la Solida de.clarutio, formule de concorde reçue par les deux tiers environ des partisans de la Confession d’Augsbourg. Mùller-Kolde, p. 568, 572. En 1577, le livre de Berg (Martin Chemnitz et Nicolas Selnecker) est accepté comme formulaire de concorde. Cf. Janssen, L’Allemagne et la Réforme, tr. fr., t. iv, p. 526-527 ; cf. t. iii, p. 391. Par une sorte de réaction, Georges C.alliste († 1656), voudra retenir, comme unique touche de l’orthodoxie, le consentement des cinq premiers siècles. Enfin plus près de nous, la fusion imposée aux luthériens et aux réformés de Prusse par Frédéric-Guillaume III Établit en 1817 une Église évangélique unie.

Les calvinistes.

Pour Calvin, comme pour

Luther, « l’Escriture saincte parle de l’Eglise en deux sortes ». Il y a d’abord l’Église invisible « en laquelle nuls ne sont compris sinon ceux qui par la grâce d’adoption sont enfans de Dieu, et par la sanctification de son Esprit sont vrays membres de Jésus Christ ». Et « il nous est nécessaire de croire l’Eglise invisible à nous et cogneue à un seul Dieu ». Mais il y a aussi l’Église visible : « toute la multitude des hommes, laquelle estant esparse en diverses régions du monde, fait une mesme profession d’honnorer Dieu et Jésus Christ, a le baptesme pour tesmoignage de sa foy ; en participant à la Cène proteste d’avoir unité en doctrine et en charité ; est consentante à la parolle de Dieu, et de laquelle elle veut garder la prédication ». Il faut nous maintenir dans la communion de cette Église visible, bien qu’elle contienne « plusieurs hypocrites mestez avec les bons qui n’ont rien de Jésus Chris ! fors que le litre et l’apparence ». Institution de lu relation chrétienne, I. IV, c. i, n. 7.

La notion d’une Église invisible se retrouve équivalemment dans le catéchisme de l’Église de Genève (1543), p. 125, qui présente l’Église comme la société des prédestinés ; et formellement dans la plupart des confessions calvinistes, par exemple, écossaise (1550), Irlandaise 1 1 61 5), el dans la profession de foi de l’Église évangélique de Genève (1848), a. 15. Cf. Karl Millier, Die Bekenntnisschriften der reformierlen lsirchc, Gutersloh, 1903, p. 256. 534 535, 906. Une telle conception entraîne fatalement la conclusion qu’il n’y a pas d’autre gouvernement d’autorité décisive dans l’Église que celui de l’Esprit-Saint agissant directement sur

les finies : c’est la doctrine du sacerdoce universel, en faveur duquel on insiste sur I Pet., ii, 9. Toutefois l’Église, même invisible, doit se manifester par des signes extérieurs. Apres l.uther. Calvin l’admet « Partout où nous voyons la parolle de Dieu estre purement preschéc et racontée, les sacrements estre administrez selon l’institution du Christ, là il ne faut douter nullement qu’il n’y ait Eglise » (Eph., n. 20). Institution, IV, i, 9. > L’unité consiste en deux liens ; assavoir qu’il V ait accord en saine doctrine et qu’il ail charité fraternelle… La conjonction que nous devons avoii en charité dépend tellement de l’unité de

1)1(1. 1)1 I III Dl.. (.AI MOL.

foy, que ceste-cy en est le fondement, la fin et la règle d’icelle. » Et Calvin d’ajouter que « l’accord en la doctrine doit se faire dans la parolle de Dieu ». Ibid., IV, ii, 5.

Les confessions calvinistes insistent à leur tour sur l’unité de foi nécessaire à l’Eglise ; imam debere esse Ecclesiam, una fide, indivisam, indivulsam. Aucun désordre (aTa^îa) ne peut être introduit dans l’Église ; et cependant sur des points même importants (de rébus non levibus) il y aura toujours des discussions et des dissentiments ; mais ce sera, en fin de compte, pour illustrer la vérité. Confessio helvetica posterior (1562), dans K. Miiller, op. cit., p. 195, 197. Cf. Confessio belgica, a. 37 (1561), p. 243 sq. ; Conf. scolica, a. 16 (1560), p. 256 ; Conf. hungarica, a. 5 (2) (1562), p. 426.

L’unité par les articles fondamentaux.

Sur la

théorie des articles fondamentaux, dont Jurieu s’est fait le principal protagoniste, voir t. i, col. 2025 sq. On a indiqué, ibid. col. 2029 sq., comment ces articles, non seulement ne suffisent pas à constituer l’unité de l’Église, mais la détruisent en réalité. On s’étonne qu’au xixe siècle des théologiens protestants aient pu encore y recourir pour justifier leur conception de l’unité de l’Église. Cf. F. Jalaguier, De l’Église, 1899, p. 264-279. Sur les articles fondamentaux et l’unité de l’Église, voir également Y. de la Prière, art. Église, du Dict. apol. de la foi catholique, t. i, col. 1272 sq.

Les tentatives d’union.

Au fur et à mesure que

les sectes se multiplièrent chez les protestants, l’unité de foi s’avéra impossible. Aux meilleurs esprits, c’est le retour à l’unité catholique qui parut la seule soin tion pratique.

1. Au XVIIe siècle. — Les tentatives d’union ont été indiquées ici aux art. Bossuet, t. ii, col. 1066 ; Leibniz, t. ix, col. 189-194 et Molanus, t. x, col. 2082. Voir, à ce sujet, dans les Œuvres de Bossuet, la correspondance de l’évêque de Meaux et de Leibniz, ainsi que les documents relatifs au « projet de réunion des prot estants d’Allemagne à l’Église catholique ». Quatre documents sont importants : les règles proposées par les théologiens de Hanovre ; le projet de l’abbé Molanus de Lokkum ; le sentiment de Bossuet ; l’ouvrage composé sur ce sujet par Bossuet à la demande de Clément XI, De professoribus confessionis augustana’ad repelendam unitatem catholicam disponendis. Bien que cet effort d’ensemble n’ait pas abouti, on y constate, de part et d’autre, une réelle volonté de résoudre les difficultés pendantes par le seul moyen efficace, le retour à l’unité de la foi. On consultera aussi A. Bàss, Die Konvertilen seit der Reforma/ion, næh ihrem Leben und ans ihren Schriften dargestellt, lribourg-en-B., 1866-1880, 13 vol.

Par contre, certains ailleurs exercent leur Influence en un sens opposé : William Chillingwort h ( f 1644), Th. Hobbes (+ 16)79) et J. Locke († 1704) élargissenl les bases de l’unité chrétienne. Deux choses suffisent : 1. croire en Dieu, créateur et pro vident ; en.lésus-Christ, Messie, destiné par Dieu de toute éternité au salut de l’humanité ; 2. chercher, chacun selon sa possibilité, à trouver dans la sainte Écriture seule la règle de la foi, Chillingworth, La religion protestante, voie sûre du salut (tr. fr.) ; I Iobbes, De eivilale christiana, t. ii, C. xxxix, xi.n ; De cive, lit. De religlone, C. xviii ; J. Locke, Le christianisme raisonnable. Ir. fr., t. ï, c. iv, v, vi ; t. H, passim. l’n peu plus tard. Bayle se fera l’apôtre de l’indifférentlsme en matière religieuse : toutes les religions sont bonnes ; est chrétien quiconque Obéit à sa conscience. Commentaire philosophique sur les paroles de JésUS-ChrUt : » Contrains-les d’entrer ». où l’on prouve qu’il n’y a rien de plus abominable que de faire des conversions par eon

Irainle (1686).

XV,

70.

Du côté de l’anglicanisme, il y eut, au xvir et XVIIIe siècle des pourparlers entamés avec des catholiques sans mandat, en vue de se rapprocher de l’Église romaine. Signalons les négociations officieuses entre dom Léandre de Saint-Martin et quelques personnages de la cour de Charles I er. Les négociations reprirent, sous une forme un peu plus précise, sous Georges I er, entre Wake, archevêque de Cantorbéry et Fllies du Pin. Wake avait été chapelain du vicomte Preston, envoyé extraordinaire à la cour de France et, à {’Exposition de la doctrine catholique de Bossuet, avait répondu par une Exposition de la doctrine de l’Église d’Angleterre. La controverse eut l’avantage d’amener les catholiques à établir avec plus de certitude l’invalidité des ordinations anglicanes. Voir le Mémoire de Renaudot (1695), sur la confirmation et l’ordination que l’on reçoit dans l’Église anglicane. La correspondance Wake-Du Pin fut sans résultat pratique. Les efforts que tenta, de son côté, un abbé Patrick Piers de Girardin, pour provoquer une décision de la Sorbonne sur la réunion des deux Fglises, aboutit à la rédaction, par un comité de théologiens, d’un C.ummonitorium où, des 39 articles, 23 sont acceptés, les autres soumis à des modifications. Du Pin mourut en 1719. Son œuvre de conciliation fut reprise par Pierre-François le Courayer (1729), qui échangea avec Wake une correspondance considérable, laquelle aboutit, en 1723, à la publication d’une Dissertation sur la validité des ordinations anglicanes. Un peu plus tard, Le Courayer publia une Défense de sa dissertation, mais ne parvint à contenter ni les anglicans, ni les catholiques. Condamné par les évêques français, Le Courayer refusa de se soumettre, passa la Manche, se fit protestant. Cf. G. Coolen, L’Anglicanisme d’aujourd’hui, Paris, 1932, p. 101-104.

2. Au XIXe siècle. —

L’initiative d’une union à Rome fut reprise au xixe siècle, en Angleterre, par le mouvement d’Oxford. Voir ici t. xi, col. 1675 sq. La via média qui avait d’abord tant souri à Newman, voir t. xi, col. 332 (maintien des vérités enseignées par la tradition ancienne et rejet des doctrines considérées comme des innovations) devait s’avérer inefficace pour réaliser l’unité. Elle se heurtait d’ailleurs aux intrusions de l’État. L’unité de doctrine conçue à la façon de la Branch Theory de Pusey (dans V Eirenikon, 1865) et des ritualistes (les trois branches catholiques d’un même christianisme : anglo-catholique, catholique-latin, grec-catholique) et propagée surtout par William Palmer ne devait pas avoir plus de succès. Voir Puséyisme, t. xiii, col. 1384 sq. JEirenikon n’obtint pas — cela va de soi — l’adhésion romaine, divisa les catholiques anglais et excita contre Pusey les attaques des protestants. Les tentatives de retour collectif à l’unité par l’Association for the Promotion of the Union of Christendom de Philippe de Lisle, avec le journal The Union, échouèrent, elles aussi, parce qu’elles n’apportaient pas le retour complet à l’unité de la foi. Art. cit., col. 1384. L’association fut d’ailleurs interdite par Pie IX (16 septembre 1864, 8 novembre 1805), Denz.-Bannw., n. 1685. Les démarches entreprises par W. Palmer, avant sa conversion au catholicisme, auprès des chefs de l’Église orthodoxe n’eurent pas plus de succès. Cf. Stan. Tyszkiewicz, La mission de W. Palmer, dans Études, 1913 (t. c.xxxvi, p. 4363, 190-210, 329-343) ; M. d’Herbigny, Anglicans et ortltodoxes, dans Études, octobre 1920, p. 13 sq. Catholiques et orthodoxes exigeaient des anglicans la profession intégrale de la foi et contestaient la validité de leurs ordinations. D’autres anglicans cherchèrent donc une nouvelle voie pour réaliser l’union chrétienne tant désirée. Les uns, comme Lee et Mossmann, baptisés (sous condition), ordonnés et sacrés évêques secrètement, ordonnèrent et consacrèrent d’autres ecclésiastiques (sous le sceau de la confession), afin de préparer ainsi l’union plus facilement ; ils fondèrent YOrder of corporale reunion. Cf. Thurcau-Dangin, La renaissance catholique en Angleterre au XIXe siècle, Paris, 1906, t. iii, p. 53 sq. ; G. Coolen, op. cit., p. 104. D’autres s’efforcèrent de préparer l’union par la fondation d’ordres religieux sur le plan des ordres catholiques (monastère de Caldey). Cf. Questions actuelles, t. cxv, p. 417-435, 450-467. Ces deux mouvements aboutirent à des conversions isolées, mais la réunion en bloc des anglo-catholiques restait encore sans solution. On trouve à Puséyismk, col. 1400 sq., le détail du mouvement lancé en 1 894 par lord Halifax et poursuivi aux conférences de Malines (1921-1925). Ce qui empêcha le mouvement d’aboutir, outre les diflicultés de doctrine et de discipline qu’il ne faut pas minimiser, c’est surtout, comme on l’a dit, col. 1414, « le défaut d’autorité » dans l’Église anglicane. Cf. Protestantisme, col. 897-900.

3. L’œcuménisme chrétien. —

Les tentatives de rapprochement avec l’Église catholique, dont les conversations de Malines avaient paru caresser l’espoir, se sont évanouies. Les protestants cherchent désormais l’union dans le sens de 1’ « œcuménisme ». Mais l’œcuménisme suppose un minimum d’unité réelle ; et c’est là précisément la difficulté presque insurmontable dont on retrouve l’aveu, à peine déguisé, dans toutes les études ou tous les rapports consacrés par nos frères séparés au problème de l’unité chrétienne. Les divisions doctrinales sont si considérables chez les protestants ! Déjà, en 1890, dans son Essai de théologie systématique, Neufchàtel, Grétillat faisait valoir que le Christ n’avait tracé de l’Église que les lignes maîtresses, et qu’en conséquence l’union devait être conçue sur des bases très larges. Quelles que soient les déviations doctrinales ou morales d’une confession, dès lors qu’elle considère le Christ comme le Sauveur de l’humanité déchue, c’est assez pour l’admettre dans la communion de l’Église universelle. P. 460-461. Quelle règle doctrinale d’ailleurs pourrait-on imposer à une société spirituelle « qui dispose des forces propres à l’esprit » (Harnack, Essence du christianisme, tr. fr., Paris, 1902, p. 287) ? Sur les divisions entre protestants, voir Bricout, Religions et Églises, dans la Revue du clergé français, t. xliii, 1905, p. 115 sq. ; Les Églises réformées de France, scissions récentes, ibid., t. lui, 1908, p. 156, 286 ; A. Dossat, La crise doctrinale du protestantisme français, dans la Revue augustinienne, 15 décembre 1908 ; cf. Questions actuelles, 19 décembre 1908.

La position du protestantisme libéral n’est pas susceptible d’amener plus de clarté dans le problème. L’unité n’est plus qu’une forme de pensée ou de constitution imposée par une autorité transcendante à l’homme : Il faut briser ce moule.

La « catholicité nouvelle » reconnaîtra l’autorité divine de l’Église, de la Bible et de la Raison en une synthèse plus haute et plus éclairée. Et l’on verra beaucoup mieux que le miracle de l’Évangile, c’est de n’en être pas un. Le trésor de la Réformation, quand on cesse de l’apprécier en termes de doctrine, est restauré : c’est la réforme des institutions religieuses au nom d’un humanisme tourné vers l’avenir ; ce sont les libertés de conscience et d’opinion, la reconnaissance des Églises nationales, la démocratisation du gouvernement ecclésiastique, la suppression des éléments superstitieux dans le culte privé et public ; c’est l’accent mis sur la responsabilité personnelle de la religion et de la vie morale. André Bouvier, L’unité du protestantisme, Lausanne, 1925, p. 6’2.

On voit de quelle unité vague il s’agit, s’accommodant du rationalisme et du modernisme le plus radical. Peu importent les divergences doctrinales et la multiplicité des sectes : divergences et multiplicité ne doivent pas être considérées comme « divisives », mais comme « distributives ». Ainsi l’unité religieuse sera l’union des éléments les plus divers considérés comme autant de manifestations de l’expérience de la vie chrétienne dans la liberté et l’indépendance. C’est aussi l’impression qui ressort du petit volume de W. Monod, Le protestantisme, Paris, 1930. Des auteurs courageux n’ont pas manqué de montrer quel danger faisait courir à la religion un tel excès de liberté : danger tout particulièrement signalé par M. Bœgner, L’Église, Paris, 1932, p. 91-92, sans toutefois que le protestantisme le plus orthodoxe puisse trouver en lui-même de quoi y parer. Voir Ami du clergé, 1930, p. 233 sq. ; 1932, p. 388.

Ceux des anglicans qui avaient caressé l’espoir d’un rapprochement avec Rome et qui constatèrent que Rome ne pouvait payer ce rapprochement du prix de ses dogmes et de sa constitution divine, se sont tournés d’eux-mêmes vers l’œcuménisme chrétien : le 2 octobre 1929, au synode de l’Église d’Ecosse, où il représentait lui-même l’Angleterre, lord Davidson, archevêque de Cantorbéry, déclarait : « Nous avons longtemps cherché l’unité de l’Église en nous tournant vers le catholicisme romain. Maintenant, c’est fini. Nous nous tournerons, à l’avenir, vers nos frères protestants. »

Dès 1877, des concentrations protestantes entre presbytériens réformés, luthériens, méthodistes, baptistes, congrégationalistes, préparent les voies à un œcuménisme chrétien. D’autres rapprochements interconfessionnels marquent une nouvelle étape importante : Frères protestants de France (1905), de Suisse, de Tchécoslovaquie ; le Fédéral council américain (1908) ; l’union des Églises du Canada (United Church oj Canada, 1924-1925 ; combinaison des méthodistes, congrégationalistes, presbytériens), de l’Inde (South Indian L’nited Church, 1908, union des communautés réformées, congrégationalistes, luthériennes), etc. Il faut également citer les conférences de l.ambeth quillet 1914 et surtout juillet-août 1920) qui acceptent, pour la communion et la prédication, le concours des ministres non épiscopaliens ordonnés, tout en les excluant de la célébration des saints mystères. Cf. d’Herbigny, Theologica de Ecclesia, Paris, 1921, t. ii, p. 36, note. La conférence d’Edimbourg (1910) marque une étape importante et l’évêque Brent, de l’Église épiscopalienne des États-t mis, y lîl admettre le problème de l’unification des Églises elles-mêmes. Voir, dans En marche vers l’unité chrétienne, tiré à part des Cahiers du Christianisme social, janvier-février 1937, l’article de H. Clavier, L’Œcuménisme, coup

d’ail SUT 80n histoire, ]>. ]~-'2<>.

Ces premières suggestions donnèrent lieu, chez les protestants, au mouvement for l-’ailh and Order (pour la foi et la constitution) et au mouvement for Life and Work (pour la vie et l’action), le premier plus orthodoxe ci cherchant à réagir contre l’émiettement

progressif des dogmes et des institutions authentiquenu ni évangéliques, le second, abandonnant les formes religieuses traditionnelles pour marquer à la religion un but d’action pratique, dans lequel les confessions, malgré leurs divergences même dogmatiques peuvent

trouver un terrain d’entente. Voir Ch. Journet,

L’union des Églises, Paris, 1927, p. 3

I.e mouvement Life and Work elt pour initiateur le primat de l’Église luthérienne de Suède. Nathan SOderblom, archevêque d’Upsal. Mouvement d’union sur le terrain pratique, il avait été inauguré en 1X95. au congres de Waldslena. en prenant comme base

le « Quadrilatère de Lambeth, déjà formulé en 1880 : la Bible comme règle de foi. le credo des apôtres et le credo de Nicée, le baptême et l’eucharistie comme tnents obligatoires, l’éplscopal historique comme fondement de l’ordre ecclésiastique. Préparé (le

longue main, le « concile du christianisme pratique » se réunit à Stockholm du 19 au 30 août 1925, se proposant de réaliser l’unité « au point de vue moral, social, politique et international, évitant de se placer sur le terrain spéculatif de la foi ». Le vœu final fut « que Pierre (le catholicisme romain) ne tardât pas davantage à se joindre à Jean (l’orthodoxie) et à Paul (le protestantisme) ». H. Clavier, art. cit., p. 22. Sur le mouvement de Stockholm, voir aussi Henri Monnier, Vers l’union des Églises, Paris, 1926 ; Élie Gounelle, La conférence du christianisme pratique, Stockholm, 19-29 août 1925, Saint-Étienne, 1926. Cf. G. Coolen, op. cit., p. 99-101.

Le mouvement Faith and Order, qui prit naissance à la conférence d’Edimbourg en 1910, devait s’affirmer, en 1927, à la conférence de Lausanne. Ce « concile- » auquel naturellement les catholiques avaient refusé de prendre part, mais où des orthodoxes vinrent siéger, s’ouvrit, le 3 août 1927 dans la cathédrale de Lausanne. Il était présidé par l’évêque Brent. Les problèmes agités concernaient l’unité de l’Église dans la doctrine. Rien d’étonnant que, dans un pareil mélange d’anglo-catholiques, de luthériens, de calvinistes, d’orthodoxes, l’entente n’ait pas pu se faire. Les évêques orientaux posèrent en principe que l’union n’était possible que sur la base de l’unité de foi et de l’acceptation des sept conciles œcuméniques et de la catholicité des huit premiers siècles. G. Coolen, op. cit., p. 101. Voir aussi H. Clavier, art. cit., p. 24-26. Les documents élaborés à Lausanne devaient être repris, pour le même objet, en août 1937 à la conférence universelle projetée à Edimbourg. Cf. Ch. Merle d’Aubigné, Le mouvement de « Foi et Constitution » el la conférence d’Edimbourg, dans le recueil précité, p. 28 sq.

Ces désirs d’unité se traduisirent pratiquement par une union plus intime entre les missions protestantes, réalisée à la Conférence missionnaire de Jérusalem de 1928. Voir Pour la conquête du monde, supplément au Journal des missions évangéliques, juin 1928.

La plupart des partisans de l’œcuménisme chrétien rejettent l’idée d’une unité conçue sur le plan d’une fédération d’Églises. Cette fédération, dit-on, « ne serait pas même possible à l’heure actuelle. Le lien fédératif suppose une communauté de vues, de sentiments et même d’intérêts qui n’existe pas encore ». Le qu’on veut, c’est « l’unité de l’Église de Jésus-Christ, une unité spirituelle sans doute, mais s’expri niant et se réalisant dans un corps, le corps mystique du Christ, une unité « organique » et non pas une alliance humaine, une simple juxtaposition d’éléments plus ou moins disparates ». Ch. Merle d’Aubigné, art. cit., p. 35. C’est la « communauté des Églises >, séparées sans doute encore par bien des malentendus cl des différends, « mais unies foncièrement entre elles par leur dépendance absolue à l’égard de notre divin .Maître ». [d., ibid.

C’est cette « vaste communion de toutes les Églises chrétiennes que le Congrès de Stockholm appelait de tous ses vieux dans son message final, n. IL Voir II. Monnier, op. cit., p. 91. Les actes officiels de la Conférence de Lausanne, version française publiée sous la direction du pasleur.1. Jézéqucl. apportent d’intéressantes précisions sur la façon dont les mem lues du congrès, soit dans des interventions particulières, soil dans les résolutions collectives, concevaient l’unité de l’Église, fous les orateurs, avec des dlver gences parfois fort accentuées, réclament celle unité. Mais précisément les divergences doctrinales et dis

ciplinaires empêchent de trouver le commun dénominateur nécessaire à l’unité réelle. Aussi le président

de la vir commission, l’archevêque Soderbloin. chargé du rapport sur l’unité, insista pour qu’on substituai à la conception d’une Eglise unique celle d’une Église unir. Et ainsi l’imité de l’Église se réduira finalement à ces deux points : 1° l’union dans la vie et l’action, qui « ouvrira sûrement la voie à une unité spirituelle plus complète par la foi en Dieu et en Notre-Seigneur Jésus-Christ » ; 2° l’union dans la foi et l’organisation, qui « implique l’idée d’une Église unique comprenant divers types de déclarations doctrinales et d’administration des sacrements ». Et ainsi les deux tendances se trouvaient accordées ( ?), dans une « unité » faite de divergences. Incohérence essentielle au protestantisme.

On pourra lire, en ce sens, le rapport de la viie commission. 1 n’rédaction, op. cit., p. 454-455 ; 2e rédaction, p. 492-493. I.a première rédaction reconnaissait (n. 5) « pour toutes les communions qui s’unissent, la liberté, en ce qui concerne les interprétations diverses de la grâce sacramentelle, de l’organisation et de l’autorité du ministère ». I.a deuxième rédaction devait reconnaître qu’ « il y a des divergences quant aux limites de la liberté d’interprétation prévue au n. 5°. Il lui fallait également insérer une restriction des orthodoxes quant à l’enseignement formel de la « sainte tradition de l’Église », laquelle « rejette la liberté d’interprétation en ce qui concerne soit la grâce sacramentelle, soit l’organisation et l’autorité des ministres ». F. 693, note 1.

Il existe d’ailleurs un texte « olliciel » de la déclaration vu relative à « l’unité de la chrétienté et les Églises actuelles ». Il fait suite aux déclarations officielles il à vi qui enregistrent le degré d’unité réalisée jusqu’ici par la Conférence dans sa conception de l’Église. Il s’exprime ainsi :

L’unité de l’Église implique une unité dans la foi et l’organisation ; mais ne signifie pas « uniformité ». Elle doit pouvoir se manifester sous des formes diverses, à la condition de maintenir les réalités essentielles qui sauvegardent son unité fondamentale. Les diverses communions chrétiennes devraient apporter à la vie commune de l’Église les éléments où s’expriment les dons spéciaux qui les caractérisent. Ainsi l’on conserverait dans sa plénitude la riche variété de l’expérience chrétienne ; et la liberté d’interprétation (dans les cadres de la foi traditionnelle) serait garantie.

D’autre part, il existe entre nous des divergences quant à la forme définitive que l’Église doit revêtir selon la volonté de Dieu. Les uns estiment que cette forme a été fixée par le Christ lui-même, et doit en conséquence rester immuable. Les autres pensent que l’Église, une, peut s’exprimer en des formes variées, sous la direction du Saint-Esprit ; ils font place dans l’Église future à une diversité dans la doctrine, dans le culte, et dans l’organisation ecclésiastique. Certains admettent, enfin, une diversité dans le culte et l’organisation, mais non dans la doctrine.

Cette différence d’idéal affecte les vues qu’on se forme des moyens à employer pour atteindre le but. Les uns resserrent, plus que les autres, les limites concédées aux divergences légitimes dans les questions de dogme ou d’organisation ecclésiastique. Cependant l’on est généralement d’accord pour affirmer qu’il faut quelque unité de foi et de pratique, et, en même temps, quelque liberté d’interprétation en ce qui regarde la nature de la grâce sacramentelle, la forme et l’autorité du ministère. Op. cit. p. 539-540.

On pense bien que l’Église orthodoxe ne pouvait admettre ces conclusions. Voici sa déclaration officielle :

Les représentants de l’Église orthodoxe posent les limites suivantes à l’acceptation de la diversité dans les questions de foi et d’organisation :

a) Les formules qui énoncent cette foi et cette organisation doivent être maintenues, pour autant qu’elles ont été fixées par les Synodes œcuméniques.

b) La liherté d’interprétation relève de l’Église tout entière et non de ses diverses sections ou d’individualités.

c) Ils ne peuvent admettre qu’il puisse y avoir une certaine liberté d’interprétation, quant à la nature de la grâce

contenue dans les sacrements, et quant à la forme et ; i l’autorité du ministère.

(Il Ils n’admettent de différences dans le culte que pour autant qu’elles ne s’éloignent pas de la base doctrinale commune, par laquelle est fondé le Saint Service qui nous a été transmis depuis le temps des apôtres. P..VI I.

Depuis Lausanne et Stockholm et la conférence de Jérusalem, le mouvement œcuménique chrétien non catholique s’est continué. En 1937, Oxford fut une suite de Stockholm, et Edimbourg, « la réplique de Lausanne, avec moins d’optimisme et plus de travail préparatoire. On discuta d’abord dans le cadre de commissions plus ou moins restreintes, puis en séances plénières, sur la grâce, l’Église et la parole de Dieu, le ministère et les sacrements. On réalisa un accord assez général sur la première question, relatif sur la deuxième ; on échoua, comme il fallait s’y attendre, sur la troisième ». André Paul, L’Évolution de l’œcuménisme, dans Foi et Vie, 1946, p. 774.

On voit par là que la question de l’unité reste posée et non résolue : elle ne saurait avoir d’autre solution que la solution catholique. Pour reprendre ici « le témoignage d’un luthérien », « il ne peut y avoir et n’y a, en matière de religion, qu’une seule vérité unique, en dehors de laquelle tout est erreur. Jésus n’a pas donné à ses disciples le droit d’interpréter Ses Sacrements et Ses Paroles, chacun à sa guise, et il n’est point indifférent, par exemple, que le Christ soit ou non présent de corps dans les espèces de la sainte communion, de même que la rémission des péchés dans l’absolution est ou n’est pas effective, sans que l’Église chrétienne puisse enseigner indifféremment l’un ou l’autre. L’un est vrai, l’autre est faux : Dieu est ce qu’il est, veut ce qu’il veut ». A. Greiner, dans Protestantisme français, Paris, 1945. p. 427-428.