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Dictionnaire de théologie catholique/VERTU. III. Vertus naturelles

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 614-615).

III. Vertus naturelles. —

Essence. —

1.La vertu, habitus d’opération.

C’est la conclusion de tout ce qui précède. Et cet habitus concourt activement avec la faculté qu’il perfectionne à la production de l’acte vertueux. S. Thomas, I'-II*, q. lv, a. 2. La vertu, en effet, doit aider l’homme à se réaliser lui-même au suprême degré en agissant confomément aux exigences de sa fin dernière. Aussi, conclut saint Thomas, « il est de l’essence de la vertu humaine d'être un habitus d’opération ». hoc. cit.

2. Dans le sens du bien. — « Il faut que le point ultime auquel atteint le pouvoir d’une puissance soit bon, car le mal est toujours un défaut… Aussi la vertu d’une chose ne peut-elle se définir que par rapport au bien. Ainsi, la vertu humaine, habitus d’action, est-elle un habitus foncièrement bon et producteur de bien. » A. 3.

3. Concourant effectivement à la production des actes bons.

On insiste ici sur le mot « effectivement ». L' habitus vertueux n’est pas une disposition en quelque sorte passive, facilitant simplement l’acte vertueux ; il concourt d’une manière active non seulement à une intensité plus grande de l’activité humaine, ou à une plus grande facilité d’opération, ou à la production de l’acte moralement bon, abstraction faite de son intensité et de sa facilité, mais à tout ce qui constitue cet acte : réalité, moralité, intensité, facilité. Salmanticenses, dub. iii, n. 30-61.

Origine et génération.

On a parlé des habitus Innés et des habitus acquis. Voir col. 275."). L’application des principes posés par saint Thomas, LII » ", q. li, a. 1-3, est faite aux vertus de l’ordre naturel, q. i.xiii, a. 1-2 ; cf. De virt., q. i, a. 8-10.

1. Vertus innées. - « Ces vertus sont en nous à l'étal d’aptitude ou d'ébauche (secundum aptitudi non et inchoationem), mais non à l'état de perfection. I » -II" q. i.xiii, a. 1. Comme les habitus innés, ces vertus se rattachent à la nature de l’homme, spécifique OU individuelle, tendances de l’intelligence et de la volonté, appétits de la sensibilité.

tempérament et caractère, etc. Mais, en réalité, ce ne sont la que des avances de la nature, aptitudes <(

ébauches, pour reprendre l’expression de la Somme, et non des vertus à l'état achevé : l.a nature t I

déterminée à une seule chose, alors que précisément l’achèvement des vertus ne se produit pas selon un

seul mode d’action, mais selon des modes divers, d’après la diversité îles matières ou elles operent et

l.i diversité des circonstances. » tbid. Cependant,

parce que la vertu doit nous faire développer dans le sens du bien nos inclinations naturelles, « on peut dire qu'à toute inclination naturelle bien définie se rattache quelque vertu spéciale ». IP-II 36. q. cviii, a. 2.

2. Vertus acquises.

C’est donc à force de travail et d’application que la vertu naît en nous. Saint Thomas, Ia-IIæ, q. lxiii, a. 2, rappelle les principes relatifs à la genèse des habitus, mais il les précise en les appliquant aux vertus : « La vertu vient parfaire l’homme dans le bien. Or, le bien consiste essentiellement dans « la mesure, la beauté et l’ordre » (S. Augustin, De natura boni, c. iii, P. L., t. xlii, col. 553) ou, au dire de la Sagesse, xi, 21, dans « le nombre, le poids et la mesure ». Le bien de l’homme doit donc être envisagé d’après une règle. Cette règle est double : la raison humaine et la loi divine. Et, comme la loi divine est une règle supérieure, elle s'étend par là à plus de choses : tout ce qui est réglé par la raison humaine l'étant aussi par la loi divine, mais pas réciproquement. » Saint Thomas fait ensuite de ce principe une double application à la vertu naturelle, « ordonnée au bien qui se mesure à la règle de la raison humaine », à la vertu surnaturelle, qui « ordonne l’homme à un bien à la mesure de la loi divine ».

La vertu naturelle « est causée par des actes humains, en tant précisément que ces actes procèdent de la raison sous le pouvoir et la règle de laquelle se réalise le bien envisagé ». Elle est acquise, « grâce à l’accoutumance aux œuvres » (ex assuetudine operum, q. lxiii, a. 2, titre). Trois conditions sont requises pour que Y habitus de la vertu puisse ainsi s’acquérir par l’accoutumance aux œuvres. Tout d’abord, la vertu doit perfectionner une faculté apte à la recevoir ; cf. De virt., a. 9. Ensuite, cette faculté doit être à la fois passive et active : une faculté purement passive ne saurait se déterminer dans un sens plutôt que dans un autre et devrait recevoir de l’extérieur sa détermination. Enfin, renouvelant cette détermination en des actes répétés, elle arrive à créer la disposition stable, permanente, difficile à enlever qu’est la vertu. Cf. Hillot, De virt. inf., p. 23-25.

Accroissement de la vertu acquise.

Il faut ici juxtaposer l’enseignement de la q. lii, a. 1-3 et celui de la q. lxvi, a. 1-2.

1. Possibilité de cette croissance. — La réponse affirmative s’appuie : 1 n sur les faits ; 2° sur la nature même des habitus. La vertu se greffe sur un sujet déjà existant ; on conçoit que ce sujet puisse y trouver un moyen de perfectionnement, c’est-à-dire d’accroissement progressif dans le sens du bien. Cf. De virt., q. i, a. 1 1 ; Π» -II », q. lii, a. 1.

2. Nature de cette croissance. — l.'habilus de la vertu acquise étant d’ordre spirituel, on doit se dégager d’une conception Imaginative. Saint Thomas met en garde contre l’idée d’un accroissement « par addition ». Q. lii, a. 2. Certains habitus les vertus intellectuelles — peuvent croître extensivement en raison d’un objet plus considérable : la science et l’art sont susceptibles d’accroissement de ce genre, cf. q. LXVI, a. 1 : Mais les vertus morales et même les vertus intellectuelles considérées par rapport à leur sujet, croissent uniquement en intensité. Intensité, c’est-à-dire, pour reprendre l’expression de saint Thomas, un plus profond enracinement dans le sujet.

la perfection plus grande qu’elles y prennent, mais aussi qu’elles lui confèrent.

3. Tout acte entraîne-t-il une croissance dans la vertu ? (a. 3). S’il s’agissait d’un accroissement quantitatif on verra plus loin que beaucoup d’auteurs se sont ralliés à cette interprétation il fau

(Irait répondre affirmativement. Sur cet accroissement, quantitatif, voir Suarez, Disp. metaph., disp. I.YI, scct. i. Mais, pour saint Thomas et son école, l’aspect qualitatif est le seul qui puisse entrer en ligne de compte. L’accroissement ne saurait donc se produire qu'à la suite d’actes « dont l’intensité est égale en proportion à celle de l’habitus, voire même la surpasse… Si l’intensité de l’acte est proportionnellement en deçà de celle de l’habitus, un tel acte ne prépare pas un accroissement, mais plutôt une diminution de l’habitus lui-même. » Q. lii, a. 3.

Ces principes, rappelés en quelques mots, sont gros de conséquences au point de vue spirituel. « Celui qui ne progresse pas recule », disait déjà saint Grégoire, voir col. 2747. On insistera sur ces conséquences à propos de l’accroissement des vertus surnaturelles.

Décroissance et perte de la vertu acquise.

C’est l’objet de la question lui.

1. Perte des vertus (a. 1). — Les vertus naissent et croissent par des actes conformes à leur objet ; elles disparaissent par l’accoutumance aux actes contraires. C’est vrai des vertus intellectuelles, dont la perte peut être provoquée par des raisons contraires à la vérité ; c’est vrai surtout des vertus morales, quand « le jugement de la raison… imprime un mouvement en sens contraire, de quelque manière que ce soit, ou par ignorance, ou par passion, ou même par libre choix ». Il est toutefois difficile, sinon impossible, qu’un homme normal perde l’habitus des premiers principes du raisonnement ou de la moralité.

2. Diminution progressive des vertus (a. 2). — La perte des vertus acquises ne se fait que progressivement. Diminution et croissance se correspondent. La répétition des mêmes actes moralement bons nous fait acquérir l’habitus vertueux ; la répétition des mêmes actes mauvais et contraires diminue l’habitus de la vertu. La diminution progressive peut venir d’une double cause : une extensivité moindre quant à l’objet et surtout une intensité moindre dans l’action. L’habitus de la vertu devient de moins en moins enraciné dans le sujet. Mais il est évident que la cause principale de toute décroissance vertueuse est l’intensité amoindrie, bien plus que l’extension diminuée.

3. Disparition de la vertu par cessation de ses actes (a. 3). — « Les habitus se corrompent ou s’affaiblissent sous des influences qui leur sont contraires. Or, chaque fois qu’on laisse se développer sous l’habitus, à la faveur du temps, ces influences contraires qui ne pourraient être éliminées que par l’exercice de la vertu, celle-ci s’affaiblit ou même disparaît tout à fait, simplement parce que, pendant longtemps, son activité a cessé de s’exercer. » S. Thomas, toc. cit.