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Dictionnaire de théologie catholique/VICTORINUS AFER. V. La Trinité

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 688-699).

V. La sainte Trinité.

On ne fera pas de chapitre spécial sur Dieu, sa nature et ses attributs, et cela pour deux raisons. D’abord parce que, quand Victoria parle de Dieu, il entend la personne du Père : une seule fois dans toute son œuvre, il imagine cette espèce d’abstraction que serait pour lui « le Dieu solitaire : nul neque Pater, neque Filius, ante egressum foras, sed Unum ipsum solum ». Adv. Arium, t. IV, c. xxvi, col. 1132 B. Ce Dieu sans procession est le Dieu des philosophes. Le Dieu unique est, dans sa pensée, postérieur aux trois attributs personnels : l’Être, la Vie et l’Intelligence éternelles, quibus cunctis a se nalis, vel mugis a se existentibus, ingenitus Deus est, existens ex ingeniiis : esse, vila, intelligentia ; quæ cum unum sint, unus Deus est. Loc. cit., col. 1132 C. Ensuite sa théologie sur la nature de Dieu le Père est inspirée, non copiée, de celle du néoplatonisme, bien connue de tous par le pseudo-Denys : inutile d’insister. La doctrine sera exposée par le Père P. Henry dans l’étude annoncée ci-dessus.

L’existence de Dieu n’a pas à être prouvée pour un platonicien : de tous les êtres éternels, spirituels ou matériels, col. 1021-1027, ou même possibles, « il est la cause, l’origine et le père ; mais il les domine sans se confondre avec eux ; unique et seul, il a voulu se donner de multiples miroirs. Col. 1026 C ; cf. Enn., V, ii. 1. Déjà le plotinisme se christianise. De même, sur la nature de Dieu, l’lot in avait dit que < l’Un n’est pas l’Être, Enn., VI, ix. 12 : III. viii, 9, mais plus que l’Etre », III, vi, 6, et « tout différent des Être » produits ». V, iv. 1 ; VI, ix, 6. Les attributs finis lonl niés au moyen du préfixe iii, et attribués à Dieu en les surélevant par les préfixes præ ou super. La théologie négative, si chère a Plotin, mais si rare dans les premiers monuments de la pensée chrétienne, apparaît ici dans toute sa splendeur, i Henry, Plotin et l’Occident, p. (il. Utiles mises au point de la nié thode de négation et d’éminence, col. 1027 C. sur l’analogie des noms divins, col. 1033 C, 1082 B sq., sur l’infinie perfection et la détermination intime de Dieu. Col. 1 12 !  ! -1 130. Conclusion : « Dire de Dieu quid sil est une faute, de même que rechercher quomodo sit, ou vouloir énoncer son essence, au lieu de le vénérer d’un seul mut discret. Malgré cette ignorance Innombrable, omnigenam, ou nous restons sur loi. nous cependant une foi et nous disons : Père, fils. Esprit-Saint ; voilà le thème indéfini de notre continuelle confession. Col. 1036 IL cf. col. 1127 AIL 1078 BC. Ainsi le grand Inconnu, c’est Dieu, non point la Trinité, qui est plutôt la fin du mystère, la sortie de Dieu de sa transcendance : « Le Père est l’absolu, l’inconnaissable : le Fils est ce par quoi le Père se précise, se détermine, se met en relation avec le fini et tombe sous notre étreinte. » Tixeront, p. 268. C’est le sens de cet adage : Deus ergo est lotum 7tpoov : Jésus autem ipsum hoc totum ôv. Col. 1021 A.

La sainte Trinité, en effet, est le point central de l’œuvre de notre auteur, tant par les développements qu’il lui consacre tout au long de son ouvrage Adversus Arium, que par le rayonnement qu’il lui donne sur toute la vie chrétienne au cours de ses commentaires de l’Apôtre. Mais c’est loin d’être le plus clair de son enseignement. Il faut cependant observer que, làdessus, sa vue de simple foi est presque parfaite : c’est son exposition théologique et surtout sa spéculation philosophique qui nous semblent étranges, habitués que nous sommes à ne retenir que la synthèse de saint Augustin.

Exposé du dogme.

Bien rarement le philosophe chrétien s’arrête à ces raccourcis doctrinaux : mais ils ne laissent presque rien à désirer, sauf les mots nature et personne, qui étaient d’ailleurs à son époque I des expressions théologiques controversées. Tout le début du De homoousio recipiendo est à lire : « Les païens admettent plusieurs dieux ; les Juifs, un seul ; nous, les derniers venus de la vérité et de la grâce, nous disons contre les païens qu’il n’y a qu’un seul Dieu, et contre les Juifs qu’il y a Père et Fils… ». , Col. 1 137 C. Voici encore quelques formules heureuses : i « Toute notre religion tient à l’unité et à la distinction i de Dieu le Père et du Fils Jésus. Mais, quand nous confessons que les deux sont distincts, nous disons cependant un seul Dieu… » Col. 1088 D. « Le Père a son quant-à-soi, le Fils aussi ; mais, parce que le Père est dans le Fils et réciproquement, les voila consubstantiels ». Col. 1046 B. Même pour l’Esprit-Saint, i où son exposition théologique s’égare, ses simples formules sont sans reproche. Col. 1046 I) ; 1137 I). « Les deux dernières (personnes) sont seules à procéder ». Col. 1051 A.

Où est enseigné ce dogme ? Dans l’Ecriture et dans la tradition : per confessionem veslram et per leetio| nem deift.com, L’Ecriture dit : Pater in Filio, et Filius in J’alre ; inde allerum in altéra unum redditur, etiam subsistentibus singulis ; unum lumen quia idem in utroque intelligitur et nominatur. De même, d’après la Tradition. « et avec raison, vous dites que Jésus-Christ est lumen de lumine… ». (loi. 1097 BC.

Victorin voit bien où gît le mystère et reproche aux hérétiques de le supprimer : « Comment pouvez-vous dire que le Christ est une créature, ou qu’il soit semblable au l’ère ? (.’est clair tout cela et facile à comprendre. Mais qu’il soit consiibstantiel. voilà qui est non seulement incompréhensible, mais qui fait surgir de multiples objections. Car s’il est consubstantiel, il est ingenitus comme le l’ère ? comment est-il autre que lui ? Comment l’un a-t-il souffert et l’autre non ? C’est sur cette difficulté quc sont nés les patripassiens. C’est l’Esprit de Dieu qui nous dira le mode de sa général ion ; et, d’après cela on verra la consuhstantialité et l’on exterminera les hérétiques ». Col. 1051 D.

Contre les semi-ariens, il trace parfaitement la Voie de l’orthodoxie, rien qu’avec des termes de sens commun. Semblable n’est pas la même chose qu’identique, et l’identité spécifique n’est point l’identité numérique, niais une identité en deux exemplaires, sed idem geminum. i Ado, Arium, 1. I.

c. m.i, col. 1072 A. Mais force lui est de recourir a des termes d’école, quand il a sous les veux les déli nitions tortueuses d’Arius et d’Eusèbe de Nicomédie. il les réduit à Cinq propositions et donne cinq contre

propositions appropriées : « Ils disent que 1° le Fils n’est pas ingenilus, c’est aussi notre avis ; 2° que le Fils n’est pas une partie de l’Ingenitus, …nous disons nous aussi que le Fils n’est pas une partie du Père, ni une émanation qui en s’écoulant diminuerait sa source ; 3 U mais nous ne pouvons admettre ces expressions : ex non subjecto, non que nous pensions que le Fils soit ex aligna subjecto, mais qu’il est ex Pâtre… ». Adv. Arium, t. I, c. i, col. 1039.

D’ailleurs les hérétiques ne se bornaient pas à des formules à double sens ; ils prétendaient encore « connaître les principes de la Trinité, voire les Xôyoi des principes ». Loc. cit., col. 1040 G. Victorin se devait donc de faire de son Adversus Arium une exposition théologique d’abord, munie d’une terminologie précise, et puis une systématisation trinitaire à l’usage des philosophes.

Exposition théologique.

Les cinq propositions

en question, visaient toutes à établir que « le Fils est une créature, factum esse, non natum. Nous, à notre tour, nous enseignerons d’abord par toute la sainte Écriture qu’il est Filium natum ; puis nous établirons de notre mieux, avec l’assistance de l’Esprit de Dieu, le même point, c’est-à-dire qu’il est substantialiter FUius. Mais, question préalable, est-il possible de connaître Dieu et le Fils de Dieu, et d’établir quomodo Pater et quomodo Filius ? Oui, d’après Eph., iii, 14-21, et Joa., i, 18 ; xvi, 16°. Adv. Arium, t. I, c. ii, col. 1040-1041. Il semble, d’après cet exorde, que le théologien, qui a pour but de chercher le comment de la foi chrétienne, ait une double tâche : entreprendre d’abord une recherche positive en vue de rassembler, sans y rien ajouter, les éléments épars du donné révélé ; et puis tenter une construction systématique, réservée à la raison inspirée par l’esprit chrétien, construction aussi homogène que possible au donné révélé, deinde id ipsum asseremus, hoc est, substantialiter Filium, quoiqu’elle s’exprime en termes philosophiques : substantiel, exislentia, subsistent ia.

1. Enseignement scripturaire.

En fait, Victorin utilise la sainte Ecriture de quatre façons différentes pour exposer le dogme trinitaire : ou bien il prend des textes isolés montrant la divinité du Verbe, col. 10411060, ou bien il réunit deux textes similaires concernant l’un le Père, l’autre le Fils, col. 1059, 1069 A, ou il cherche les quelques phrases de saint Paul qui rapprochent les trois Personnes divines, I Cor., xii, 4-6 ; II Cor., xiii, 12 ; Rom., xv, 15-16, col. 1052, dont le résumé, Hymn., iii, col. 1143 CD, est passé dans la liturgie romaine : Caritas Deus, gratia Christus, communicatio Spiritus Sanctus. Voir encore Tit., iii, 4-6, cité col. 1144 A ; Gal., iv, 6, expliqué col. 1178 C. En somme, il a tiré un bon parti de la théologie de saint Paul.

On s’étonnera d’autant plus du peu de cas qu’il fait du texte trinitaire de Matth., xxviii, 19 : il le cite une seule fois, sans le mettre en valeur, col. 1126 ; il parle du baptême, col. 1051 A, sans le citer.

Un quatrième emploi de l’Écriture, celui-là tout à fait illusoire, consistait à y trouver au moins une amorce au mot « consubstantiel » créé par le concile de Nicée ; ne parle-t-elle pas déjà de la « substance de Dieu ? » Après Potamius de Lisbonne, Epist. ad Athan., P. L., t. viii, col. 1418, après Phébadius d’Agen, De Fili divin., c. iv, P. L., t. xx, col. 40, Victorin s’essaie à maintes reprises à cette démonstration urgente mais impossible, Adv. Arium. t. I, c. xxx, col. 1063 ; c. lix, col. 1085 ; t. II, c. v-ix, col. 1093-1095 ; De homoousio, c. ii, col. 1138.

On peut voir que, sauf en ce dernier cas, où il paraît s’inspirer d’Origène, De oratione, c. xxvii, Victorin prend toujours les mots de l’Écriture en

leur sens propre, et même le plus formel. Son exégèse, qui aurait semblé timide à certains Pères grecs, nouv apparaît plus littérale que celle de saint Augustin, cf. Adv. Arium, t. I, c. xviii, col. 1051 B et De Trinitate, t. I, c. vi-viii, P. L., t. xlii, col. 825-834. Son parti pris — si c’en est un — consiste à prendre un à un les textes des Livres saints qui enseignent expressément nos relations avec chacune des divines personnes et à les transposer dans la vie de Dieu ad intra ; il conclut, en effet, des appropriations particulières à une distinction réelle des « Puissances », et de certaines opérations communes aux trois Puissances à leur consubstantialité : communi et proprio aclu, 1res islas potentias unitatem conficere. Col. 1113 A.

2. Formules théologiques.

Laissé à lui-même, il aborde toujours le mystère par ses plus hauts sommets : par les processions et les relations à l’intérieur de la Trinité ; et il le fait en des termes si peu traditionnels, en des néologismes parfois si personnels, qu’on est tout étonné de le voir parvenir sans encombre aux expressions mêmes de l’Évangile sur les missions divines.

a) La procession en Dieu. — a. Les termes techniques.

— Il dispose d’au moins six termes, empruntés, le premier à sa philosophie, les trois suivants à l’Écriture et les derniers aux Pères de l’Église : ce sont : progressio, generatio, filielas, processio in subslanliam, effulgentia et refulgentia in actionem. Adv. Arium., t. I, c. xxvii, col. 1060 D. De ce passage et d’autres parallèles, il ressort clairement que toute l’activité divine ad intra se résume en une progressio, ou procession, qui, pour lui comme pour Plotin, est unique : in uno motu. Mais cette vue systématique appelle un correctif : la procession active du Père, generatio, a deux termes suffisamment distincts pour exiger deux termes différents : ftlietas pour le Fils, et processio pour le mode de procéder plus confus du Saint-Esprit : ces deux termes substantiels, in substantiam processio, ayant deux fonctions ad extra distinctes, in actionem : vitam et sapientiam, reçoivent deux appellations figurées opposées : l’action vivifiante et rédemptrice du Fils de Dieu s’appellera efjulgentia (a Deo), et celle de l’Esprit sanctificateur, refulgentia (ad Deum). Loc. cit. Encore que le Christ, Verbe incarné, soit à la fois Vie et Esprit, col. 1052 B, et qu’il soit à la fois Fils et Esprit-Saint, col. 1044 B, cependant, « le Saint-Esprit se distingue du Fils par son action propre, bien qu’il lui soit toujours présent, tout comme le Fils diffère du Père par son action ». De gêner. Verbi, c. xxxi, col. 1036 A.

b. Les analogies. — Mais, en somme, tous ces termes, sauf le premier, ne sont qu’approchés. Victorin se défie d’abord du mot génération, pour deux raisons : la première lui est personnelle : dans son système, la création du monde est elle-même une génération. Genui enim vos : Dieu dit cela aux hommes, et l’ambiguïté du mot peut tromper l’intelligence, car genui signifie : j’ai créé comme créature, ou bien j’ai engendré par naissance de ma substance. Col. 1089 B. La seconde raison il l’avait empruntée à Origène, De principiis, t. IV, c. xxviii, P. G., t. xi, col. 402 : c’est que la génération, dans le monde créé, présente trop d’imperfection pour s’appliquer au Fils de Dieu : c’est « un commencement à partir du néant, ou du divers », Ad Ephes., ii, 3, col. 1254, et une emprise progressive de ses perfections et de son activité. Col. 1122 B. Aussi « aucun mode connu de génération ne convient à la Trinité. De même natura, naissance, c’est le fils d’une génération animale ». De gêner. Verbi, c. xxx, col. 1035 B. Si donc on tient à parler de la génération en Dieu, « puisque le Fils reste toujours présent en son principe, disons que c’est une génération ineffable, unique en son genre, toujours en acte

d’engendrer, comme l’a dit aussi Alexandre », évêque d’Alexandrie. Victorin lisait ce beau texte dans la lettré d’Arius, traduite par Candide à son intention ; mais il se retrouve dans Epist. ad Alex. Constantinop., P. G., t. xviii, col. 557. Adv. Arium, t. I, c. xxxiv, col. 1066 C. Voir pourtant t. I, c. xxiv, col. 1058 B, où il admet les deux vocables.

Disons, si l’on veut, que, « pour les deux dernières personnes, il y a une certaine naissance, naturel, qui les fait apparaître comme contenues dans l’Être (du Père), et d’une certaine façon comme sortant de lui, tout en conservant en elles-mêmes cette source première de leur être ». L. III, c. iv, col. 1102 A.

Mais la meilleure image qu’on puisse se faire de la procession divine, c’est celle d’une projection de lumière : « Hoc enim progressio est : l’un sort de l’autre, mais en y restant ; il subsiste par lui-même, et pourtant, il reste attaché à son principe tout comme l’éclat de la lumière a tout de la lumière. » Col. 1067 A ; cf. Enn., VI, viii, 18. La Trinité est comme trois lumières, qui se regardent, col. 1084 A, trois vraies lumières, col. 1082 D. Mieux encore, la procession ad inlra est comparable à la conception de l’intelligence, col. 1083 C, et à la décision de la volonté, non pas que cette procession soit libre, mais parce qu’elle vient de la détermination personnelle du Père : i Son a necessitate naturse, sed voluntate magnitudinis Patris : ipse enim seipsum circumlerminavil… Toute volonté est enfant. Ici c’est une volonté universelle, qui d’un coup a jailli de la personne du Père : voilà pourquoi c’est le Fils unique, non pas une parole en l’air, mais une puissance créatrice. » Col. 1064 ABC. Cf. Phébade d’Agen, Contra Arianos, P. L., t. xx, col. 28. À comparer surtout les conjectures de Plotin sur la vie intime de Dieu : l’Un se connaît et s’aime en quelque sorte, « quasi-connaissance et similiamour que Plotin n’a point entendu ériger en hypostases et qui ne sont donc aucunement une ébauche même lointaine, de la Trinité ». Arnou, Le désir de Dieu, p. 138, note 1. Victorin veut aller jusqu’à la Trinité.

c. Les relations. — La « procession » crée une distinction réelle entre ses deux termes : entre le terminus a quo, quod causa est, comme dit Victorin à la suite des anciens Docteurs, et le terminus ad quem, id quod ab altero ; in substantia vero nulta distanlia, nulla temporis discretio, nulla significatio. Col. 1118 B. Un rapport d’origine, c’est toute la signification » des noms de Père et de Fils : » ideirco Pater quod causa est…, loc. cil. : tout soupçon de priorité dans la durée, de supériorité dans la puissance ou la volonté, est pure fantaisie. Pourquoi cependant, en ces deux termes de même substance, l’un fait-il fonction d’envoyeur, l’autre d’envoyé ? l’un de commandant, l’autre d’exécutant ? Col. 1118 C. Pour nous, en effet, toui le secret de l’ordre qui règne entre ces trois Puissances également divines réside dans les missions du Fils par le l’ère, et du Saint-Esprit par le Christ, Dieu lui-même, misit Deus Spirilum… ». Col. 1 1 7.S L. I)ès lois, le mieux n’est-il pas d’en revenir aux mois essentiels de l’Évangile : l’ère. Mis, eu les

dégageant de tout anthropomorphisme ? Unde enim duo. niai alterum ab allero ? Or, toujours ce qui est d’un autre est fils, et ce qui est principe d’un autre est père. Mais ici on ne peut parler (le l’autre comme d’un être séparé ci dissemblable… ; par leur réunion au sein de la substance divine, conjunctione tubstan

ttm, ils sont une seule réalité, Col. 1120 C. La perfection absolue du lils a beau être Identique a celle du l’ère, per eadem eequalis a<- nimul, complectltur.se atrumque et alterum, non ut geminum et adfeclum, col. ll2’i P., cependant il faut maintenir d’autant plus fortement la distinction d’origine : ut conftetens atque

confeclum, et gênerons atque generatum, génération unique d’ailleurs, parce que c’est « l’épanchement total d’une existence divine en une autre née de la première, quia conversio naturalis exsistenliie nonnisi una est…, ideirco unigenitus Filius consubstantialis Patri… ». Col. 1120 C.

Comment se fait-il qu’une telle procession soit si totale qu’elle constitue l’engendré en unité de substance avec son principe ? C’est que, diront les théologiens de l’École, les relations en Dieu sont subsistantes ou substantielles, c’est-à-dire qu’elles s’identifient avec la substance divine ; sans apporter rien d’absolu en chacune des personnes, elles les rapportent l’une à l’autre. Pour Victorin, l’explication est plus laborieuse, comme on va le voir.

d. Les notions personnelles. — Pour lui, la procession et la relation d’origine qui en découle supposent dans la personne du Père, non pas un être différent, mais tout de même un mode, un état d’être diamétralement distinct de l’état d’être — sic esse — qu’elte pose dans le Fils : la notion de Fils est donc l’antithèse de celle de Père. C’est la relation inverse du Fils au Père qui posera en celui-ci les caractères que ne supposait pas sa propre notion de Père. La perfection possédée est la même pour les trois, le titre de possession est différent pour chacune d’elles : elle est ceci, elle a tout cela.

oc) Le Père est seulement Père, et le Fils seulement Fils, vis-à-vis cependant du Père, parce que Dieu le Père, qui est l’Être, est cause pour le Verbe, qu’il possède son être à lui, et il n’y a pas là-dessus d’influence en retour. Et c’est le propre du Premier dans l’Être d’être le repos, comme c’est le propre du Verbe de se mouvoir et d’agir… C’est lui, le Fils, par son propre mouvement qui donne la vie, et (le Saint-Esprit ) qui enfante les intelligences, subsistant en soi-même, sans se séparer de sa propre personne pour agir à l’extérieur. Col. 1060 D. Voilà donc les personnes constituées, séparées même à l’excès, par leur origine et, semble-t-il, dans leur être absolu. L’auteur a beau dire que « la différence avec les deux autres personnes précédemment nommées est substantielle et signifie l’être, ni plus ni moins », col. 1082 B ; que le caractère bypostatique du Fils, « n’est rien autre chose que Dieu, rien d’étranger en lui, rien d’accidentel, mais Dieu même », col. 1062 A ; encore faut-il tenter d’expliquer cette identification par la relation même.

(3) C’est que « le Fils engendré qui est l’action a aussi l’être potentialiler, et le Père qui est l’Être par puissance, a inversement l’action. Mais comprenez bien ce mot habet selon l’intelligence : à vrai dire, chacun d’eux n’a pas (cette note empruntée à l’autre personne), il l’est. Tout est simple en Dieu, t. I, c. xix, col. 1053 P>. Ainsi le Père, qui est l’Être, a la vie en lui-même, et le Fils, excepta quod Filius, a reçu du l’ère ce qu’il a, donc l’Être. » Voilà donc deux personnes qui se suffisent à elles-mêmes pour l’être et la vie. Et, comme toujours chez les purs esprits, ce qu’elles ont, elles le sont ». Col. 11172 C. Ainsi la relation, qui avait opposé, rapproche maintenant le l’ère cl le Fils, parce qu’elle donne au Fils ce qu’est le Père, sauf la Paternité. « Tout est ainsi mêlé réellement et Simple d’une triple simplicité : car tout ce qui, en se posant, s’identifie une autre chose, doit être dit une et non deux choses. » Col. 1116 D ; cf. col. 1120 D.

b) Termes de la procession. a. Les mots usuels.

Il eut été si facile, semble-t-il, de répondre aux ques lions des auditeurs moyens : Quid unum’.' Qnid Ires’.' cf. S. Augustin. De Triait.. I. VII, et 1. XV. c. iv, P. L., I. xiii, col. 1060, en recourant aux mois simples employés déjà par Tertullien : une nature, trois

personnes !

Au temps de Victorin, ils continuaient de se répandre dans l’Église latine. Cf. I’hébade d’Agen, Contra Arianos, c. xxii, P. L., t. xx, col. 30. Les théologiens préféraient parler de substance, ou mieux d’essence divine en trois personnes. S. Augustin, op. cit., t. VII, c. iv, n. 8 ; c. v, n. 10, toc. cit., col. 941(112. Mais notre auteur, intransigeant sur les précisions métaphysiques, en vient à se mettre dans cette position paradoxale, qu’il n’a plus un seul uom commun pour désigner la nature ni l’ensemble des trois personnes. Essentia, ou esse, qui aura les préférences de saint Augustin, toc. cit., est, dans le système de Victorin, une caractéristique personnelle du Père éternel, col. 1104 A : il ne l’emploie jamais pour noter la personne du Fils ou de l’Esprit.

Nature et personne sont pour lui des approximations pleines de pièges : naturel dit naissance, col. 1035 B, 1075 B, 1101 C, 1120 C, 1254 C ; persona dit personnage et est suspect de modalisme : « Il ne faut pas dire : Duw personæ, una substantia, mais : Duo Pater et Filius, ex una substantia », col. 1046 C.

Il n’admet enfin ni une essence présupposée aux personnes, col. 1062 B, 1090 B, ni surtout une essence divine commune dotée d’une subsistence absolue. Col. 1082 C.

b. Les mots de Victorin. — Les termes qui lui restent sont donc substantia et existentia, et ils désignent tous deux les personnes : mais substantia, c’est la personne considérée dans les éléments qu’elle a de commun avec les autres, à savoir la substantia du Père ; et l’existentia, c’est cette même personne en ses éléments distinctifs, en sa « subsistence » propre.

a) Le mot substantia. — On risque de ne rien comprendre à la théologie de Victorin si l’on ne donne à ce mot un certain sens hypostatique dans les passages suivants : col. 1076 A, 1091 C, 1143 C. « Comment la substance divine pourrait-elle être la même, en deux termes différents comme le Père et le Fils ? Non ergo unum sunt ; neque ipsa, neque eadem est substantia ». Col. 1072 B. Les définitions qui vont suivre, celle de substantia comme celle d’exsistentia, qui nous éloignent d’Aristote, sont prises mot-à-mot et dans le même contexte, de Plotin, Enn., VI, i, 3,

12 et 8, lign. 21 et 34, comme l’a montré P. Henry, Marius Victorinus a-t-il lu les Ennéades ?, dans Noun. Rev. théol., 1934, p. 442. Quand on sait l’importance de ce grand traité de Plotin sur les Catégories de l’être, et qu’on voit la place liminaire que Victorin lui donne, on devra dire qu’il ne peut penser le dogme trinitaire qu’en fonction de sa philosophie.

Que signifie donc substantia, pour être l’apanage des trois personnes, sans cesser d’être le privilège du Père ? Victorin nous avertit que ce mot a deux sens : 1. un sens précis, « celui que les philosophes anciens ont défini : quod subjectum, quod est aliquid, quod est in alio non esse » : c’est la substance première d’Aristote, substance réelle et subsistant en soi, par opposition aux accidents : cf. Plotin, to toSe xat to ÔTCOxet|i.evov, toc. cit. ; 2. un sens plus large, qui « appelle substance le sujet pourvu de tous ses accidents, qui ont en elle une existence distincte ; mais dans la pratique, in usu, tout ce qui reçoit ainsi substance, à quelque étage de l’être que ce soit, nous l’appelons uniformément une substance, pour signifier tel être concret, aliquid esse… Acceptons donc cette manière de parler pour les réalités éternelles comme pour les choses du monde », Ado. Arium, t. I, c. xxx, col. 1062 D. Cf. Origène, De oral., c. xxvii. Si l’on se rappelle que la philosophie antique distinguait l’individu par ses accidents, on reconnaîtra, dans ce second sens que Victorin donne à substantia, la substantia individua de son disciple Boèce dans sa fameuse définition de la personne ; en Dieu même.

Boècc regrettera que l’usage de son époque ne permette plus de parler de trois substances au sens de trois personnes ; il continuera à soutenir qu’on peut appliquer du moins à Dieu le Père le mot substance. Voir les textes dans Th. de Régnon, Études de théol. posit. sur la Sainte Trinité, t. i, p. 228-231. Victorin admet les deux façons de parler, suivant les deux acceptions qu’il a reconnues au mot substance.

Mais n’y a-t-il pas là une amphibologie ? Non, dit-il, il y a le mystère. Dans le sens de substance soutien statique des accidents, c’est Dieu le Père, « qui est le repos, et donc ipsa substantia », col. 1063 A, « quod subjectum significut et principale ». Col. 1092. Mais, dans le second sens, le Père et le Fils réunis ne forment-ils pas une seule substance, comme le fond d’un être et ses propriétés de surcroît, sont un seul être concret, les secondes recevant leur soutien du premier ? Car le Fils, habet subslantiam a Paire, puisque « ex sua substantia appuruit ei Filius ; ce n’est donc pas une certaine substance étrangère, sortie du néant, mais bien substantia a substantia paterna ». Col. 1075 D1076 A. Nous dirions que le Fils a la nature même du Père ; Victorin dit que « les deux substances sont unies, sirnul esse substantiarum », col. 1096 D, et que le Fils est « substantia a substantia, non une première et une seconde selon le temps », mais tout de même selon un certain ordre, « puisque l’une est cause que l’autre ait sa personnalité, potentiam ». Col. 1064 B. De toute façon, substantia est synonyme d’Ù7t6aTaai.< ;, col. 1092 D ; mais en tant que la substance du Père se communique aux autres personnes, et « qu’en voyant la substance de Dieu le Père, in primo fonte rei, on voit le Verbe et l’Esprit de Dieu qui est aussi la substance de Dieu ». Col. 1093 AB ; cf. col. 1062 D.

P) Le mot exsistenlia. — Comme subsistentia, c’est un mot latin créé par Victorin, qui a formé dans le même sens précis des dérivés comme exsistentialis, Adv. Arium, t. III, c. xviii, exsistentialiter, t. III, c. xv, inexsistentialiter, præexsistenlia, t. I, c. i et li, etc., sans oublier l’ancien verbe exsistere, expliqué col. 1133 A.

æ. Dans les créatures. — « Les anciens philosophes — c’est toujours à Plotin, Enn., VI, i, que Victorin se réfère — ont mis cette distinction entre substance et existence, que la substance c’est le fond (de l’être concret), ou bien le sujet avec tout ce qui lui advient…, tandis que l’existence ou Yexsistentialitas, c’est, préexistant (à la substance concrète), la subsisterfee sans les accidents, réduite aux seuls éléments qui le font être, qui font qu’il subsiste. » Col. 1063. Victorin définit ici l’existence par la notion voisine de subsistence qu’on retrouvera plus loin ; on voit déjà qu’elle exclut tous les accidents migrateurs et insignifiants, et qu’elle constitue un être dans son actualité. Mais ce mot a aussi un sens usuel : il signifie alors l’être existant. Ne faut-il pas que « l’indéfini (de la substance commune) trouve une détermination ? que chaque chose soit formée ad exsistentiam sui, définie, enclose chacune par sa forme, pour devenir tel être existant ? Il y a lieu à un enfantement des existences particulières ». Col. 1127 C. Ainsi faut-il que la matière, qui est substance, ait une certaine quantité, qui la détermine, pour qu’elle subsiste et devienne une substance (concrète) ; de même, les facultés de l’âme existent dans l’âme qui est leur substance. Col. 1065 AC. Donc « la raison d’existence ce sont les traits que l’intelligence perçoit comme donnant à ehaque chose son être particulier, ut uniuscujusque sit ei esse ; l>rœstans ad exsistentiam unicuique sua et propria. » Col. 1127 C. En somme, l’être, en sortant de ses causes, exsistens, entraîne avec lui sa quote-part de ces essences supérieures, il se détermine en lui-même, mais il se sépare de tous les autres êtres existant dans 914

la même substance : et l’on dit, au sens concret, « une existence » pour marquer l’individu, le suppôt, la personne en ce qu’elle a de propre et de distinctif. Origène confondait ce primum subsistons sous le mot oùcrîa, De oratione, c. xxvii, P. G., t. xi, col. 522.

p. L’existence en Dieu est particulière à chaque personne : chacune a la sienne. Si le Père est « le principe des choses existantes », col. 1022 A, exsistentia fons, col. 1123 B, exsistentise causa et pater. col. 1118 D, et s’il est, en Dieu même, fontana exsistentia aliorum. col. 1082 C, cependant il ne sort d’aucune autre personne, purum sine exsistendi principio, col. 1116 B ; si donc on peut l’appeler « existence première, éternelle et infinie », col. 1066 C, parce qu’en engendrant les autres personnes, il s’oppose à elles, à vrai dire, cependant, il est « préexistence plutôt qu’existence », col. 1127 B ; 1083 B, parce qu’< il a de lui-même l’être qui est sa substance, et qu’il y trouve sa dernière détermination », col. 1122 A, et donc prxexsistentiale est Deo fPatri) esse », col. 1066 A. Elle est du Père « l’existence primordiale ». col. 1121 C : solis et puris quæ sunt in Eo quod est.

Pour les deux autres personnes, ce sont des « existences » sans restriction aucune : parce qu’elles sortent du Père, et à deux titres différents : « Opère quo vita, est Jésus exsislens… ; et, au terme de l’opération d’intelligence, c’est le Saint-Esprit, lui aussi existant ; mais c’est un seul mouvement qui les a poussés tous deux dans l’existence. » Col. 1105 A. Avec le Père, cela fait trois : Tria isla suo Vivendi opère ut exsisterent procreavit. Col. 1117 A. Chaque personne divine a une fonction ad extra conforme à sa propre existence : « le Père étant la puissance de l’être (commun), le Verbe est la cause qui fait subsister tel être comme tel ; l’être d’abord, puis la perfection ». Col. 1066 D ; 1077 A ; 1 127 C. Pour le Saint-Esprit, et « son existence propre », voir col. 1138 A.

Comment réduire à l’unité de substance des individualités si distinctes ? Cette « indivision de l’existence, neque scissa est ipsa exsistentia », col. 1082 C ; cette

séparation inséparable », col. 1073 B ; « juncta tamen il i ohwrentia inter se sunt, col. 1236 B, trouve sa réponse dans la distinction entre les éléments existentiels propres à telle personne, puris et solis ipsis (pur sunt in En quod est », col. 1063 A, et les éléments adventices qu’elle emprunte aux autres Personnes. Pour le Père, aliud Deo esse, aliud Deum esse, col. 1066 A ; pour le Verbe, col. 1066 C ; pour l’Esprit (qui d’ailleurs est « soit un nom de substance, soit un nom d’existence propre à la troisième Personne, col. 1082), bien que le Saint-Esprit, functo l’aire Filioque accepta, SOil la même réalité que le Père et le Fils, cependant sic Pater, sic etiam Filius, exsistentia quisque sua, exsistit tamen Christus sua exsistentia, d Spiritus sanctus sua, stngulis exsistentibus unum. Col. 1138 Ali ; cf. col. 1060 A ; 1067 B : 11Il BC ; 1118 B ; 1131 BC. C’est,

en somme, la circuminsession, omnes in alternis exsistenles, uterque substantia et divinitate consistais, » qui fait le consubstantiel, mais c’est leur activité particulière qui leur maintient leur subsistence propre . Col. 1050 <

y) l.r mot subsistentia. Voilà l’élément proprement Incommunicable de chaque existence per tonnelle. Quatre fois au moins Victorin est revenu

sur la différence entre substance et subsistence,

ire entre la Personne en ses éléments com muni et la même Personne en ses éléments distinc-Ufs. On peut désormais laisser la traduction a la saga dé du lecteur : I. I. c. xxix, col. 1070 C ; I. II, c. iv,

COl-l"’<2 (. : I. III. e. IV, col. 1 101 Bl) ; enfin, dûment

ponctué, ce dernier passage, devient une explication presque limpide : Unam esse substantiam, subslstentms 1res, quia ah eo piii rsi Esse, qua substantia est,

Motus, qui et ipse, ut docuimus, ipsa substantia est, yeminans potentia valet : et Vitalitatis et Dilelligentiæ. ita scilicet ut in omnibus singulis tria sint. Adv. Arium, t. III, c. ix, col. 1105 B. Ces passages, tout à I fait dans le style de Victorin et qui ne font que renforcer sa doctrine sur l’existence ne sont point des interpolations. Cf. de Régnon, op. cit., t. i, p. 240.

Ainsi Victorin est incontestablement l’inventeur du mot subsistentia, destiné à une telle fortune dans la théologie. Bien plus, il a essayé d’en donner une définition, qui ne permet pas d’hésiter sur son sens : c’est, pour lui, le principe même de chaque personne, ce qui est à la base de son « existence », quod subsistit. Mais, en quoi consiste ce principe de la personnalité ? Comment va-t-il constituer la personne ? Et quelles seront les manifestations de cette vie personnelle ? Questions délicates, puisque les philosophes anciens ne les avaient pas abordées, et qu’après les théologiens du Moyen Age, les philosophes modernes s’y trouvent encore arrêtés.

a. Rufin ne définira la « subsistence de chaque personne » que par une tautologie : hoc ipsum quod exstat et subsistit. Hist. eccL, Saint Basile, pressé par la polémique, avait montré les signes d’une hypostase dans l’ensemble des propriétés particulières et extrinsèques qui font d’un être tov Tivdé, Epist., xxxvin, c. n. Mais, pour Victorin. les assemblages mouvants’du monde sensible, ne sont que « de fausses subsistences ; l’intelligence, pour subsister elle-même, doit être en face d’un intelligible ». Col. 1065 D. « C’est bien un nom que chaque personne reçoit de son origine, mais un nom qui couvre une puissance particulière », col. 1082 A ; car « ces noms personnels ont leur portée immense et leur signification tranchée : comme ils sont appelés, ils sont, et nécessairement ils sont trois ». Col. 1101 D. La subsistence de chacun n’est pas un élément secondaire et adventice. « Trois, qu’il faut prendre un à un, dès là qu’on les nomme par ce qu’il y a de principal en eux-mêmes », à savoir dès là qu’on considère « les modes divers et quasisuccessifs de leurs origines, simul exsistentibus orlus, et diversos orlus, et quasi tempus altribuit ». Adv. Arium, t. IV, c. v, col. 1116 Cl).

£}. Cet élément existentiel a, pour la personne, deux rôles complémentaires : il la constitue, puis il la distingue des autres. » Ce qui distingue deux personnes, c’est cet élément qui domine en elles : duo, quia quo magis est, id alterum apparet : or, le Père est surtout (et donc personnellement) la puissance, et le Fils est l’action (personnelle), parce qu’il est magis actio. » !.. II, c. iii, col. 1091. Mais d’abord cet élément distinctif a construit, pour ainsi dire, la personne, en cristallisant autour de lui les autres éléments constitutifs : unoquoque habente id quod sit juxta quod maxime est. !.. I, c. xx, col. 1053 I). Il leur imprime comme un nouvel état d’être : i l.e Père est substance, et d’après cela mouvement et volonté ; inversement, le Fils est mouvement et juxta id ipsum et substantia, !.. I. c. xxv. col. 1064 l>. Ce nouvel état d’être que prennent ainsi les éléments adventices, c’est un caractère hypostatique : l.e Père est l’être, il est principalement l’ère en ce qu’il est précisément l’être et la puissance : eut incsl actio potentialitcr ; l’action (qu’il exerce dans le Fils) existe dans le Père selon son caractère personnel de puissance. » Col. 1053 D. (Qu’est ce a dire, sinon que ces éléments non personnels, « secon daircs et postérieurs font figure d’accidents nés de

l’élément fondamental de la personne ». Col. 1102 A.

y. I-a personne est. en effet, une puissance active et qui opère toujours », De ycncral. Ycrbi, c. xvi, col. 1020 C I.a pleine et immédiate possession de ion être et de son activité, telle est la double marque de l’autonomie de la personne. l’alcr cn/n et Filiut

a se orti, a se patentes ad vitam. Adv. Arium, t. I, c. xli, col. 1072 C. L’expression fera dresser l’oreille aux théologiens : qu’ils écoutent donc les précisions du philologue : » AÔTéyova enim cum sunt et aoTo8uvdc(i.a, elles ne subissent ni développement, ni diminution », col. 1139 C ; puis les réserves du théologien : « La puissance active du Verbe est dérivée du Père, mais elle se constitue elle-même en acte », col. 1020 C ; « elle se précipite vers son action », col. 1057 D ; voici enfin les explications du philosophe : « Comment les créatures subsistent-elles ? Vi sua sed maluris proeessionibus. En Dieu, les personnes sont parfaites dès l’origine, col. 1121 C-1122 AU. « Le Père vit pour lui et se comprend lui-même », col. 1125 A. « Le Fils mène sa propre activité, sibi exsistentem actum agente exstitit », col. 1136 A. Le Saint-Esprit appareils et exsistens est Deus de Deo, col. 1135 A ; « c’est l’Intelligence qui, se comprenant elle-même, se produit au dehors et se pose existante face au Père : foras se protulit atque exstitit Patri ». Col. 1135 A.

8. Que les distinctions hypostatiques nous paraissent excessives, cela tient surtout au sens étroit que Victorin donne aux mots generatio et natura. « Le Père s’est circonscrit, seipsum circumterminavit, non par nécessité de nature », c’est-à-dire d’une naissance en une forme délimitée, « mais par volonté de grandeur du Père », col. 1064 A ; en effet, « c’est par son action propre, actione a se sua, qu’il s’est engendré », c’est-à-dire déterminé lui-même. Col. 1066 B. « Le Fils a l’être, et par soi-même, a se, parce qu’il a aussi l’essence divine ». Col. 1066 C. « Le Saint-Esprit, enfin, si c’est lui qu’on doit voir dans la volonté de Dieu, a se se gênerons potentia Palris : car qu’est-ce qu’une volonté qui ne s’engendre pas elle-même ? » c’est-à-dire qui ne tire pas d’elle-même ses décisions ? Col. 1064 C. Cf. Benz, Victorin comme métaphysicien de la volonté, Stuttgart, 1945. Il a une telle crainte de mettre en Dieu le moindre devenir — car c’est le sens que les ariens donnaient au mot genitus dans leur Monarchie divine — qu’il préfère dire que chacune d’elles s’engendre elle-même, même le Père, col. 1066 B ; « elles se constituent » pour effacer entre elles toute différence dans la virtus exsistendi, dans le temps : tout au plus y a-t-il forlasse causa, et hoc alterum prius est. Col. 1114 B, 1029 D.

c) Réduction ù l’unité. — Ainsi un enseignement théologique qui passait à l’époque pour teinté de modalisme, col. 1074, doit être excusé par nous de trithéisme. C’est que tous les contemporains de Victorin et Victorin lui-même, entraient dans la Trinité par les personnes, et non, comme nous, par l’essence divine : or, ce concept, tombant sur les personnes, est un concept qui multiplie, et qui rend d’autant plus urgente la réduction à l’unité, enseignée par le mot ôjxooùaioç.

a. Méthodes classiques. — Victorin s’y est essayé, on peut dire, à chaque page de son livre, et selon toutes les formules pratiquées de son temps par les Pères grecs : réduction à l’unité d’essence, de nature ou de principe d’opération, de substance enfin, sans omettre la récapitulation ni la circuminsession. Voici ces cinq voies traditionnelles alignées dans son Credo théologique, t. I, c. xlvii, col. 1077 : 1. Unité d’escence : « Le cours d’eau qui, à sa source, est sans mouvement, se met à couler suivant son lit, tout en conservant sa qualité essentielle d’eau ; puis il arrose les terres environnantes sans subir aucune diminution, ad hoc quod est esse aquam. Il en est ainsi du Père, du Fils et du Saint-Esprit : le tout est un seul Dieu : totum autem unus Deus. » Col. 1077 B. Mais sur cette « essence absolument la même entre plusieurs individus du même genre », col. 1090 B, il ne partage pas les illusions platonisantes de Grégoire de Nysse,

de Basile et d’Hilaire, parce que, pour lui, aucun sujet ne réalise parfaitement son espèce : « Tous les deux lui sont subalternes : l’un est inférieur à l’autre, et celui-ci lui-même n’est pas parfait ». Col. 1057 B ; cf. col. 1090 C ; 1056 D. C’est le thème de sa discussion contre les partisans de l’ôpioioûaioç, col. 1072 B : il faut pourtant maintenir « un Père parfait et un Fils parfait ». — 2. Unité d’origine ou récapitulation : « Nous croyons encore que le Saint-Esprit tient tout originairement du Père, ex Deo Pâtre, parce que le Verbe lui a tout livré ce que le Christ tient immédiatement du Père, a Pâtre ». Col. 1077 B. Sur les nuances de cette affirmation, voir col. 1078 A, 1083 B, 1113 C.

— 3. Unité de nature opérative : « Le Père tout-puissant, existant et demeurant (en repos), agit aussi secundum actionem Filii, loc. cit., col. 1077 C. N’oublions pas cependant que, pour lui, ce sont « les vertus opératives qui distinguent les personnes ». Col. 1090 C, 1073 C. — 4. L’unité de substance : « Nous croyons enfin à l’unité dans la Trinité, pour cette dernière raison, qui s’exprime dans l’ôjjwoûaioç de Nicée, que les trois sont une seule réalité, un seul Dieu » ; on va voir tout de suite la manière toute personnelle à Victorin de comprendre ce mot. — 5. La circuminsession : « et parce que toujours et ensemble, semper et simul sont le Père, le Mis et le Saint-Esprit », loc. cit., col. 1077 B. D’une part donc, il enseigne un « Fils consubstantiatum cum Pâtre à la façon des Grecs », pense-t-il, et d’autre part, il préfère dire semper cum Pâtre substantialem, col. 1076 D.

Les trois premières méthodes de réduction lui suggérant plutôt des réserves, c’est aux deux dernières qu’il donne ses préférences, c’est-à-dire à l’explication du mot du concile de Nicée : ôu.ooûaioç.

b. Le consubslantiel. — <x) Le mot. — C’est bien ici étymologiquement la réduction à une substance divine unique ; et Victorin, au cours de son étude, inclinera de plus en plus vers cette affirmation catégorique. Mais, comme le mot subslantia ne désigne jamais chez lui la nature commune aux trois personnes, mais d’ordinaire la substantia Patris, il donne de 1’ôu.ooiictioç une double explication qui ne cadre jamais tout à fait avec celle de notre théologie occidentale, mais qui a l’avantage de s’harmoniser parfaitement avec celle de saint Athanase, De decretis, xix-xxiv ; Episl. ad Afros, 5, 6, et, somme toute, avec le contexte du Credo de Nicée : yswrfiév-ïOL ^ y - ""JÇ oùaîaç toù LTarpôç, cf. Socrate, H. E., i, viii. Et puis l’exégèse est donnée ici par un grammairien professionnel, qui savait aussi bien le grec que le latin. « Le préfixe ôu.o donne au mot qui l’accompagne tantôt le sens d’une même réalité » existant en plusieurs, « et tantôt la conjonction, l’union ensemble d’une chose avec une autre chose différente. Ainsi homonyme signifie un même nom pour plusieurs, mais ôu.orp6cpoi. signifie simul nulriti, rien de plus que la réunion de plusieurs compagnons, ôu, où, ensemble. Joint au mot oùaîa, cela donne ô^ooikhoç, et, selon le premier sens, ce mot veut dire, d’une même ousie, d’une même substance ; dans le second sens, cela signifie simplement, simul substantiale ». De homoousio, c. ii, col. 1139 A. « Ce mot se compose de deux racines : ensemble et substance ; et il s’oppose à tous les blasphèmes des ariens : si consubstantiel veut dire une seule substance, il interdit de dire que le Christ est sorti du néant ; est-il compris dans le sens de simul esse subslantiarum, cette simultanéité des substances, Dieu et le Verbe, est éternelle : ainsi ce mot empêche de dire : il fut un temps que le Fils n’était pas ». Adv. Arium, t. II, c. x, col. 1096 CD.

Les applications proposées font déjà soupçonner que le consubstantiel : substance unique, ou substances unies, n’évoque jamais pour Victorin l’essence

divine prsecisive sumpta ; c’est, comme on l’a vu plus haut, ou bien la personne du Père dans sa primauté, ou bien les trois personnes coélernelles et coexistantes : c’est donc encore la récapitulation ou la circuminsession des Grecs, mais exprimés en langage victorien.

(3) Substance unique. — Trois exemples suffiront : , pe p er e, en tant que Père, ne peut être dans le Fils ; ni le Fils dans le Père. Mais, parce que la vertu de la substance (du Père) est au Fils, donc in altero, pour cela même, alterum in altero unum redditur, etiam subsislentibus singulis : ils sont un désormais parce que c’est la même réalité qu’on voit et qu’on nomme dans chacun d’eux. » Adv. Arium, t. II, c, xi, col. 1097 A ; cf. col. 1096 B ; pareillement pour la troisième personne, col. 1098 C. En résumé, ce que Victorin entend par la consubstantialité, c’est l’unité des trois dans la substance du Père : « ex una subslantia tria, ô|J.ooua(.a ergo tria. Du Christ le Saint-Esprit, comme le Christ de Dieu le Père : et ideirco unum tria ». L. I, c.xii, col. 1046 D.

y) Substances unies. -- C’est la circuminsession, mais toujours dans la substance féconde du Père : « Dans le sein du Père, in |i.r, Tpa substantif, chaque personne existe avec l’autre par la substance et la divinité, par une contenance et une connaissance réciproques. Tous existant (personnellement) dans les autres, ils sont consubstantiels, ayant une seule et même substance par une divine amitié. » Adv. Arium, t. I, c. xv et xvi, col. 1050 AC. « C’est une circulation et une participation réciproques de la vie divine, qui fait que chacun d’eux est les trois. » F. I, c i.x, col. 1085 D. Sous ce rapport, la nature divine est comme « une sphère parfaite où tout part du Père et lui revient, formée de trois cercles concentriques sans intervalle, où Dieu existe partout. » Loc. cit., col. 1086 A. Plus précisément, « le Père est plénitude, nXqpoy.x, et le Fils est capacité, ytôpr ( p.a : recevant et cherchant et comprenant tout son Père, il est personnellement, lui aussi, totus ex loto ». Adv. Arium. I. IV, col. 1133 C. « De Celui qui est l’Etre, il sort pour contempler l’Etre ; mais parce que tout mouvement en Dieu est substantiel, la distinction me ainsi entre les personnes, se tourne immédiatement en identité. » F. I, c. lvii, col. 1084 A.

Théorie philosophique.

On s’est heurté, au

cours des précédents exposés dogmatiques, même dans les plus simplifiés, à certaines données métaphysiques, qui veulent être beaucoup plus que des analogies. Ce sont, pour notre philosophe, des explications, sinon plus authentiques, du moins plus profondes que le donné révélé, lequel ne dénonce les personnes divines que < par leurs qualités : Père, Tout-Puissant, etc…, 1 ils, Sauveur, Christ », I. II, e. x, iol 1096 1’» ; elles lui paraissent même plus adéquates que le prologue de saint Jean, et que les déclarations les plus expresses de saint Paul. Car, il est très bien de due : Dieu et le. Verbe, Dieu et la Vertu de Dieu et ^.i Sagesse ; mais nous dirons, nous, que tout cela est la substance même de Dieu parce qu’il faut confesser que l’Être (I la Vie et l’Intelligence sont cette essence divine. Mais si nous disons que le Père est l’Être, et le I ils la Vie, quelle distinction alors mettrons-nous entre la Vie et l’Être, tant dans le l’ère que dans le I ils.’(.elle qu’on met entre la substance et sa deler

initiation spécifique, sa forme et son mouvement, la

puissanir il l’action… Adv. Arium. I. I. e. xi.i, ("I 1072 C. Voilà tout l’essentiel de la théorie.

La théorie en question serait-elle doue objet de foi ? Non, niais ce sont des considérations qui viennent a

notre pensée quand elle se porte, et se meut autoui du Verbe de Mien. De gêner. Verbt, c xviii, coi.

1030 A. Elle laisse sa place à la foi, /or. rit., col. 1030 C ; mais elle s’accorde si bien avec le mystère qu’il est

nécessaire de l’admettre », comme une introduction au dogme, col. 1033 B. Ainsi, plus tard et pour longtemps, la théorie psychologique de saint Augustin servira de préface au traité de la Trinité. Pourquoi ne s’est-il pas trouvé, dans les milieux catholiques platonisants du Moyen Age, quelque puissant esprit pour faire un sort semblable, avec les réserves qui s’imposent, à la théorie trinitaire de cet autre Africain ?


Dans la dernière de ses œuvres où il reprend sa démonstration en raccourci, Ad PhiL, ii, 6, col. 1207, l’auteur marque bien les quatre étapes de sa pensée, avec les références à l’appui de chaque thèse. On y distingue : une thèse métaphysique sur l’essence, la vie et l’intelligence de Dieu, d’après les platoniciens, cf. De gêner. Verbi, c. xxviii ; une thèse scripturaire « exposée tout au long en d’autres livres », V Adversus Arium, qui ne veut être qu’une application au Dieu chrétien de ces trois notions a priori, 1. III et IV, et leur appropriation aux trois personnes divines, t. I, c. i-xlvii ; une thèse proprement théologique, t. I, c. xlviii-lx, et maintes fois reprise au cours de V Adversus Arium et des Commentaires, qui cherche à préciser comment ces mêmes notions : esse, vivere et intclligere, suffisent à rendre compte de la distinction et de la consubstantialité des trois personnes.

1. Présuppose philosophique.

Ici surtout, l’auteur a bien conscience de construire du neuf, et même de l’inattendu. Col. 1115 B. C’est que, inconsciemment, sans doute, il plotinise Platon en faisant de l’Idée un esprit vivant à l’intérieur de Dieu, et qu’il christianise Plotin en faisant de ses trois hypostases, non seulement des noms, mais des existences réelles. Col. 1082 B. Toutes ces notions d’Etre, de Vie, d’Intelligence : ôvtôttjç, ^wÔTrjç, verjotç, etc…. étaient pourtant connues dans les cercles platoniciens ; dans leur ensemble ; « Platon les avait dénommées « les idées », les espèces primitives de toutes les’espèces telles qu’elles existent. Dieu, dis-jc, a procréé d’abord ces existences et substances universelles. » Col. 1116 C. Telle est, du moins, l’interprétation que l’on donnait du Timée dans le néoplatonisme ; Victorin cite làdessus Timée, 37, col. 1116 (..

Mais, pour lui, c’était son maître Plotin qui avait mis de l’ordre et de la lumière dans ce monde intelligible transcendant. N’est-ce pas lui qu’il cite à l’appui de sa théorie sur la Trinité ? Col. 1 122 A, cf. col. 1078 H. Mais Plotin avait été plus loin ; et, dans un langage imagé : « Qu’on s’imagine, dit-il, un centre, autour de ce centre, un cercle lumineux qui en rayonne ; puis autour de ce cercle, un second cercle lumineux aussi, mais lumière de lumière ; ensuite, au-delà el en dehors de ces deux cercles, un autre cercle qui n’est plus un cercle de lumière… faute d’une lumière qui lui soi ! propre. » Enn., IV, iii, 17. Le foyer de lumière représente Dieu, le premier cercle émané de lui était le NoÛÇ, et le.second, en relation avec le monde sensible, était l’Ame universelle. I.a première pensée de Victorin fut de prendre celle trilogie telle quelle pour repré Senter la Trinité chrétienne ; et il y a gardé quelques attaches, par exemple, quand il dit que le l’ère et le Verbe sont comme deux sphères concentriques, col. 108." » CD ; que le Verbe est d’abord i Esprit su prême et Sagesse parfaile. loc. Cit., et qu’à ce litre l’Esprit précède le I ils. Col. 1083 D-1084 C. 1.1 pour tant, il B’aperçoil que la doctrine chrétienne mel le Fils avant l’Bjspril Saint, donc la Vie ou Ame univei selle avant le V/jç plotinlen. Loc. cit.. col. 1084 l>.

Victorin doit donc chercher dans sa philosophie néoplatonicienne une systématisation qui autorise

l’inversion des facteurs, (.’est ainsi qu’il est amené a considérer de plus près, dans le De rri/rcssii anima

qu’il vient précisément de traduire, la triade substantiel, vila, intelligentia, que Porphyre a mise en tête de son échelle des êtres. Bien plus, « il les appelle trois dieux », remarque saint Augustin, De civ. Dei, t. X, xxix, 1, qui d’ailleurs avoue ne rien comprendre à cette interversion des Hypostases plotiniennes : « Porphyre parle du Dieu-Père (1) et du Dieu-Fils qu’en grec il nomme le Nouç, l’Intelligence du Père. Du Saint-Esprit il ne dit rien, ou presque rien : il a bien, toutefois, une Hypostase médiane, horum médium, que je ne saisis pas bien. Est-ce « l’Ame » de Plotin qu’il aurait ainsi mise en seconde place ? cum dicit médium : non postponit, sed anteponit. » Op. cit., t. X, c. xxiii. Il ne fait pas de doute pour nous que Porphyre ait constitué, à l’instar de la trilogie de son « arbre » des êtres finis, une triade divine : l’Être (le Père), l’Ame (ou la Vie) et enfin l’Intelligence. Voir d’autres citations du De regressu, dans Bidez, qu’on devra compléter par d’autres de Cl. Mamert récemment signalées. C’est dans cette œuvre aujourd’hui perdue de Porphyre, le De regressu animée, que Victorin a probablement trouvé le prototype de son système trinitaire.

Cette adaptation ne laissait pas d’être laborieuse et demandait des explications : « Effort intéressant par sa nouveauté même, et qui ne sera pas renouvelé de longtemps avec autant de vigueur et de sincérité », ni en Occident, ni même en Orient. Tixeront, op. cit., p. 261. Il est même si original et si abstrait qu’aucun Docteur après lui n’y a prêté la moindre attention, sauf saint Augustin, « qui s’en est inspiré certainement en bien des choses ». Th. de Bégnon, Études…, t. i, p. 238. Il faut aller plus loin : Augustin, dans les six ou sept premières années après sa conversion, s’accommodait assez bien de théories analogues à celle de Victorin, qui, pour lui, avait exorcisé Plotin, cf. De beata vita, t. IV, c. xxxv, P. L., t. xxxii, col. 976 ; De ordine, t. I, c. x, n. 19, ibid., col. 991. Mais, dans son système définitif, il préféra réduire la théorie de Victorin à une simple comparaison, puisque la sainte Trinité a son image en les puissances de notre âme.

Or, la psychologie humaine, « ne peut prétendre, dit Victorin, qu’à une certaine analogie avec les réalités éternelles ; celles-ci ne comportent aucun changement, aucune « génération », comme on les trouve en notre âme. Ses éléments : esprit, vie, intelligence, points de comparaison avec Dieu, le Verbe et l’Esprit, voici comment nous les présentons : Dieu est TpiSùvajxoç, c’est-à-dire qu’il a trois puissances : esse, vivere, intelligere, ila ut in singulis tria sint ». Adv. Arium, t. IV, c. xxi, col. 1128 CD.

Ce qu’il compte exposer, c’est donc une thèse de métaphysique, dont les divers éléments auraient gagné certes à être rapprochés, mais qui s’emboîtent pourtant avec grande précision de toutes les parties de son œuvre. Les voici à peu près dans l’ordre de leur apparition. En Dieu se vérifient ces suprêmes catégories de l’être : esse, vivere, intelligere. Voilà la Trinité métaphysique, qui revient à chaque page, parfois avec quelques variantes : esse, moveri, intelligere, De gêner. Verbi, c. xix, col. 1030 B ; substantiel, vita, intellectus, loc. cit., col. 1034 A ; exsislentia, motio, voluntas, Adv. Arium, t. I, c. xxxii, col. 1064 D ; exsislentia, vita, beatitudo, loc. cit., col. 1079 A ; vivere, vita, scientia, op. cit., t. IV, passim, col. 1182 D. Sauf cette dernière, qui accuse une retouche, toutes les autres trilogies se ramènent à la première : ce sont les trois « concepts les plus parfaits et les plus lumineux » qu’on peut se faire de la divinité* Col. 1098 D ; cf. col. 1063 A. Voyons-en la genèse, la réalité en Dieu, les distinctions relatives, et la fusion absolue en Dieu du fait même de leur procession.

a) Ces notions, bien que fournies par l’introspection psychologique, col. 1065 B, à l’état brut, col.

1070 A, doivent, pour s’appliquer à Dieu, être décapées de toute scorie du concept humain : » Nos dénominations, en effet, sont prises des êtres inférieurs et postérieurs à Dieu. Ainsi disons-nous que Dieu est vivant, qu’il est intelligent, donnant aux actions de Dieu le nom de nos propres actions. (De même disons-nous ) qu’il existe au-dessus de tout, alors qu’il n’existe même pas, mais qu’il est quasi exsistens, oùSè ôvtcoç’jTcàp/ov-roç, àXXà ovtoç Lxixpoû’jttxp’/ovtoç ». De gêner’. Verbi, c. xxviii, col. 1034 A ; cf. col. 1092 C ; 1101 D, etc. La citation de Plotin nous rappelle que nous sommes en pleine philosophie platonicienne. De même, pour la vie divine, « qui n’est ni la vie animale, ni celle de l’âme, ni celle des anges », il cite Platon et ses Idées éternelles, Adv. Arium, t. IV, c. v, col. 1 1 16 A

b) Réalité en Dieu. — Cependant Victorin corrige ses maîtres sans le dire, et peut-être sans bien le savoir. Au lieu que, pour Platon, les Idées n’étaient guère plus peut-être que des symboles, alors que, pour Plotin, l’Esprit et l’Ame universelle restaient séparées par altérité, donc des hypostases subordonnées à l’Un-Premier — ce qui faisait si bien le jeu de l’arianisme — c’est en Dieu même et « au-dessus de l’Ame universelle et fontanière, au-dessus des intelligibles » que Victorin place illud vivere unde hæc pro suo exislendi génère vilam recipiunt ». Loc. cil. Quant à leur existence réelle en Dieu, elle n’a pas besoin de plus de démonstration que l’existence même de Dieu : De gêner. Verbi, c. ii, col. 1021 A ; Adv. Arium, t. I, c. li, col. 1079 CD. « L’existence, la vie et la connaissance ont été connues et nommées à l’apparition des êtres seconds ; et c’est ensuite qu’on a eu idée de la Préconnaissance comme de la Préexistence et de la Prévie… Mais si tout cela est né par la, suite, cela était déjà en Dieu ; et, si c’était en Dieu, puisque Dieu’est un, et ista unum et id quod Deus, et ista unum quia Deus ». Col. 1130 A.

c) Quelle distinction faut-il mettre entre ces trois termes ? Pour nous, il y a une différence bien apparente entre la Vie et la substance ou existence : c’est que « la substance est invisible et n’est saisie par l’intelligence que dans la vie », Adv. Arium, t. III, c. xi, col. 1107 B, la vie et l’intelligence étant pour nous la manifestation, l’image et la forme de l’être même. Col. 1103 D. Quelle raison pouvons-nous en donner ? C’est que l’existence, l’être, la substance est

au repos, ou du moins qu’elle n’a qu’une activité

interne, que nous appellerons actio inactuosa, col.

( 1047 C, tandis que la vie et l’intelligence relèvent du mouvement de l’action tournée vers l’extérieur. Or, « le motus n’est point un changement en Dieu, mais

! une procession mystérieuse ». Col. 1035 A. Vingt fois sur le métier le philosophe a remis cette pièce maîtresse de son système ; bornons-nous à la première ébauche : « D’abord l’être, ensuite l’opération. Certes l’Être même possédait en lui-même, intimement greffée, l’opération. Si, en effet, c’est le mouvement, c’est-à-dire l’opération, qui constitue la Vie et l’Intelligence, il ne peut pas, lui, l’Être premier, n’être absolument que l’Être, puisque ce n’est là pour lui que le repos. Ainsi Dieu est aussi opération, mais en second lieu, parce que l’opération agit, non au dedans, mais au dehors. L’action est un développement de soi-même, generatio suiipsius œslimatur et est : ainsi le mouvement a l’être, ou mieux c’est l’être même qui s’affirme secundum actionem. Col. 1042 AB ; cf. col. 1066 B, 1070 C, 1071 B, 1099 A, etc. Dans son écrit philosophique, De generatione Verbi, il avait déjà fait cette démonstration en fonction du TCpoôv et de l’ôv, col. 1028-1031, comptant bien que son interlocuteur prendrait comme lui ces catégories de l’Être pour des hypostases ayant leur existence séparée, tout comme les principes premiers, quæ vere sunt.

Mais, si la Vie et l’Intelligence ressortissent toutes deux au Mouvement, comment les distinguer l’une de l’autre ? En ce qu’elles sont un même mouvement à directions contraires : Descensio enim Vila, ascensio Sapientia, col. 1079 D-1080 : ainsi se boucle la procession divine, qui n’est d’ailleurs ni dans le temps, ni dans l’espace, « un regard, une lumière », dit-il dans le langage imagé de Plotin, col. 1034 A, 1100 sq. C’est d’ailleurs là le fond du mystère de ce qu’on appelle improprement la génération. Col. 1128 A, 1030 C, 1035 A.

d) Fusion en Dieu. — La distinction des « existences » se tourne tout de suite en identité de substance. Pour cela, il faut considérer d’abord chaque i existence » en particulier et se dire que « l’Être est comme le fondement des autres attributs : la Vie et l’Intelligence, en effet, sont compris comme seconds et postérieurs, de sorte que, par une sorte de naissance, elles semblent être dans, inesse », à la manière des accidents, dans la substance, « en ce qui est l’Etre », donc unité de substance, « et pourtant sortir d’une certaine façon, exsliterint, de cet Être, tout en conservant, en ce qui est leur être propre, cet Être premier et fontanier », donc distinction des existences. (On a reconnu les deux définitions victoriennes de la substance : subjccium cum iis omnibus quæ sunt accidentia, in ipsa subslantia cxsistentia, et de l’existence : prseexsislenlem subsistentiam sine accidenlibus…, col. 1063 A.) Dès lors, « comme chacune de ces existences est existante, vivante et intelligente », il faut dire que dans telle, telle ou telle hypostase, « in hoc Esse, hoc Vivere, hoc Intelligere, tous les attributs se trouvent finalement comme totalité substantielle, omnia substantialiter, el unum subsislenlia », quoiqu’un seul d’entre eux fasse fonction de BUbsistence en chaque hypostase. Col. 1101 B.

Mais considérons en second lieu toutes ces hypostases ensemble, et remarquons qu’en Dieu tous ces attributs sont une même réalité, col. 1101 C, mais « avec des sens différents, et ut dicuntur et sunt ». Col. 1101 D. Alors on dira qu’ « elles sont une seule chose par la substance, subslantia unum, subsistenlia tria sunt isla, bien qu’elles soient trois au titre de leur gubsistence particulière : quod singulum est, quod tria, c’est l’hypostase des Grecs, l’existence de Victorin ; quod omne. quod unum, c’est l’ousie des Grecs, ou la substance de Victorin. Col. 1101 D. Il y avait là pour un platonicien un mélange d’altérité, èTEpôr/jç et d’identité, aù-rÔT/jç, qui était mystérieux déjà dans le monde intelligible. Toute la fin du I. I, col. 10771085, est une analyse philosophique de cette « analogie » au sein même de l’Être suprême : les trois Noms divins sont analogues dans la substance divine.

Aussi Victorin tombe en adoration devant ces sublimes universaux, qui sont pour lui désormais tout autre chose que des Idées, des hypostases divines. « Ainsi ôvt6ttjç, Çû>6t7)ç, v6y)OIÇ, qui sont les prototypes de toutes les substances existantes, ainsi que l’identité et l’altérité. qui régissent toutes les relations entre les êtres, chez Dieu même par conséquent, seul, pour noire néoplatonicien » des personnes, types suprêmes de toutes les personnalités créées. Donc l’Existence, la Vie première, source de tous les vivants, l’Intelligence enfin qui est virtus, potentla, » el subttantia, vel naiura : ces trois (termes) onl leur individualité, accipienda ut singula, sed ila ut qua sua plurimn sunt. hoc nominentur et esse dicantur, par ce qui constit ue le caractère dominant de leur et rc ; c’est aussi ce qui leur vaut leur nom et ce qui est leur cal ai notionnel. Mais en eux, il n’y a rien absolument qui ne soit le partage de trois (termes) : l’Etre, en effet, « -et. tre, i l tre. en personne, puisqu’il vit, il est aussi la le, ei.-…. Adv. Arium, I. IV, c. v, col. 1116 D.

DICT. DB i Ml’.[. i i imi„

Nous n’irons pas prétendre que Victorin ait découvert toutes faites ces subtiles distinctions en aucun système néoplatonicien de son temps, bien que les dernières recherches sur Plotin laissent voir que l’enseignement oral de celui-ci, qui a trouvé son expression en des livres comme la Théologie du pseudo-Aristote et les commentaires d’Amélius, était bien plus développé et de ton beaucoup plus religieux que les Ennéades. L’Un et le Noûç y apparaissent comme conscients et quasi-personnels. Cf. Henry, Vers une reconstitution de l’enseignement oral de Plotin, 1937. Et Victorin, à Rome, était aux premières places pour en recueillir les échos. Mais enfin le langage imagé de Plotin se prêtait plus qu’un autre à cette sorte de sublimation ; et puis, dans la traduction qu’il fit des Ennéades, d’aucuns le soupçonnent d’avoir déjà introduit de bonne foi des adaptations dans ce sens, du moins dans l’édition latine qu’utilisera saint Augustin. Cf. Ch. Boyer, Christianisme et néo-platonisme dans la formation de saint Augustin, p. 83. Mais assurément, nous nous étonnerons moins qu’il ait trouvé dans une philosophie ainsi ouverte sur le mystère chrétien un merveilleux acheminement vers la Trinité.

2. Application au donné révélé.

L’Écriture lui donnant le nom des trois personnes divines, Victorin cherche à y vérifier deux thèses apparemment opposées, à savoir que chaque personne réalise l’un des universaux susdits, mais que cependant chacune d’elles possède de quelque façon les trois attributs en elle-même.

a) Attributs divisés. — D’une lecture rapide du Nouveau Testament, il avait retenu que « le Père, personne ne l’a jamais vii, et que le Eils unique l’a révélé » Joa., i, 18. Col. 1041 A. « Il y a donc cette distinction entre le Père et le Eils que l’un opère incognoscibiliter, qu’il est cause première, puissance, substance, précause, béatitude, repos, et que le Eils opère in manilestationem ». Col. 1041 D. Un pas de plus : « le Père c’est l’Être, le Verbe c’est l’Action ». Col. 1042 A.

Entre les deux dernières personnes, il y a aussi un partage d’attributions ; « deux officia Verbi : vie et connaissance ; le Fils incarné nous a rendu la vie, le Saint-Esprit a été donné pour nous enseigner le témoignage du Christ », col. 1104 D ; « l’un opère au grand jour, l’autre dans le secret », col. 1048 B ; « le Eils révèle, le Saint-Esprit inspire », col. 10 Il B, comme magister intelligentiæ. Col. 1103 A. Saint Paul n’a-t-il pas dit que « l’Évangile est force et sagesse de Dieu ? » Rom., i, 16. « Par force de Dieu, il entend le Fils, par Sagesse de Dieu Le Saint-Esprit ». Col. 1083 B ; cf. col.ll26A ; 1085 H. l’ourle Fils, Vie ; cf. col. 10421044 ; pour l’Esprit, Sagesse ; cf. col. 1105-1106.

Ainsi, par les opérations ad extra des personnes divines se vérifie en Dieu même le trinôme métaphysique : esse, vivere, intelligere. L’exégète concède que ce sont là des « attributs opératifs, des principesjactifs qui ont pour objet de leurs soins les choses de l’extérieur », col. 1071 Cj mais le théologien se donne le droit d’en induire que la Force de Dieu, et sa Sagesse existent en Dieu même, ab irlrrno. Col. 1071 li. Le Père invisible, le Eils action visible, le Saint-Esprit influence morale du l’ère : il y avait là un partage d’attributs qui devait choquer saint Augustin, car ce sont des attributs absolus de toute la divinité,

De Triait., I. II. c xvii, n. 32, P. L., t. xlvii, col. 866,

mais qui choquait sans doute beaucoup moins les contemporains, ceux qui avaient lu saint Irénéc et saint Ilippolyte, ou ceux qui prenaient ut sonal les formules du Credo romain. Cf. De Régnon, op. cit.. t. t, p. 349 sq.

b) Attributs réunis. Cependant à l’époque du concile de Nicée, il fallait réviser ou compléter cette

XV.

92.

vue de la théologie naissante. Victorin ne retire rien de ses distinctions, qui restent pour lui les « subsistences » de chacune des personnes ; mais il les recouvre, pour ainsi dire, chacune à son tour, des deux attributs des autres personnes.

L’Écriture parle, en effet, du Père comme d’un Dieu vivant, Joa., v, 20 ; vi, 58, elle parle de la sagesse de ce Dieu, Eph., iii, 10, et de sa science, Rom., xi, 23. Col. 1106 AB. Pareillement, le Verbe, qui est personnellement la Vie, est aussi la Sagesse, Rom., i, 16, et la substance première, Heb., i, 1. Col. 1083 A ; cf. col. 1085. Ainsi « le Verbe est surtout la Vie, mais il est aussi la Science qui est le Saint-Esprit, Joa., viii, 19, et le Père est aussi Verbe, .loa., viii, 26°. Col. 1107 B. Il y a là un chassé-croisé de textes et des expressions malheureuses qui se ressentent de la préoccupation de l’auteur d’effacer ce que son système a de paradoxal. « Ainsi est-il clair que le Père qui est l’Etre, le Fils qui est la Vie, l’Esprit qui est la Connaissance, ne sont qu’une substance en trois subsistances. Ita esse probant sacræ lectiones ». Col. 1105 B. La clef du mystère, l’auteur pense vraiment la trouver dans la raison théologique, col. 1113 B, qui définit « le Père aetualis Exsistentia. et le Mis Actus exsistenlialis ». Col. 1113 C.

3. Raison théologique.

Elle consiste en des considérations fort abstraites d’ordre dialectique ou ontologique, et en une utilisation neuve des analogies trinitaires traditionnelles. Bien que ce soit là l’essentiel de la doctrine de Victorin, par quoi il compte se tenir éloigné du modalisme et du subordinatianisme arien, sa subtilité même en rend le résumé tout à fait impossible.

a) Dialectique trinitaire. — C’est ici ce qu’il dénomme, non pas l’imitas, mais l’unalitas dans la Trinité, col. 1060 C, c’est-à-dire sur la tocutôt/jç et Fst£p6tt)ç qui, d’après Platon, régit les relations entre les idées universelles d’Etre, de Vie et d’Intelligence. Col. 1116 C. D’un mot, disons que, chez les êtres finis, ces catégories suprêmes de l’être sont analogues : eadem et altéra : tantôt les différences sont les plus accentuées, et tantôt c’est l’identité, suivant que leur sujet est lui-même différent ou identique. Et entre elles, il y a dépendance et relations réelles. Col. 1077 C-1078 A… Cf. R. Arnou, La séparation par simple altérité dans la « trinité » plotinienne, dans Gregorianum, 1930, fasc. ii, p. 181. « En Dieu, voyons comme ces distinctions s’appliquent bien. Ici les trois noms : esse, vivere et intelligere sont absolument synonymes : l’Être est la Vie, la Vie est l’Intelligence, et ainsi ces notions sont-elles congenerala par leur participation commune à l’Être premier et donc consubstanticlles l’une à l’autre. Cependant quasi apparet alteritas quædam, disons même qu’il y a une distinction dominante, du fait que les susdits universaux sont (ici dans le Père) tenus dans le secret par la personne qui les tient, potentia, alors que, dans les autres, les mêmes attributs se trouvent à l’état découvert. Existent-ils dans la même Personne, simulpotentia et consubstanlialia sunt, identité totale ; mais, comparés aux mêmes attributs tenus par les autres personnes, in identitate (substanliœ) altéra sunt (subsistentia vel forma) et eadem (in seipsis) ». Col. 1082 A. Alteritas nata (motu vel processione) cito in identilatem revenit, … maxime potentificata counitione potentia patria. Col. 1084 A. Idcirco eadem, non ipsa, col. 1082 A, parce que chaque personne, quee, semel générât ipsam se substiluentem a se moventem, col. 1082 C, donne aux trois catégories de l’être un état d’être particulier, un équilibre spécial : le triangle reste équiangle, mais il n’est pas posé sur le même bout. En réalité, « on ne trouve chez Plolin aucune trace de la consubstantia lité ». Arnou, loc. cit., p. 191 ; il a, comme Arius, subordonné les hypostases, ce que combat Victorin.

b) Ontologie trinitaire. - Dans les êtres finis, » on peut considérer l’esse en une telle indétermination qu’il soit impossible de dire ce qu’il est ; s’il devient saisissable, alors on appelle 8v, cet être. L’ôv est une certaine forme venant à notre connaissance, qui nous dit que tel esse est désormais ov et (j7rapv-< ;, cet être et cette existence à part… En partant de ce principe rationnel que Dieu est Primum Esse (disons selon la révélation que) nous attribuons VEsse à Dieu (le Père), la forme au Christ, parce que c’est par le Fils que le Père est connu, Joa., xiv, 9. Il est d’abord dans le Père, l’Esse, puisqu’il y est puissance et antérieur à ce qui est la forme ; il est en second lieu dans le Fils, qui tient cependant son propre Esse du Père à l’état de forma Dei… » Col. 1092 AB. Ainsi l’énigme platonicienne des créatures, où le même être commun subsiste réellement sous mille formes non moins réelles, semblait à Victorin suffire pour expliquer le mystère d’un Dieu en trois personnes, ou plutôt d’un Père existant en deux déterminations intimes : ut Ipsum quod est Esse subsistât tripliciter. Col. 1092 C ; cf. col. 1027-1028.

c) Analogies trinitaires. — Il plie sévèrement les comparaisons traditionnelles à son système philosophique : tantôt c’est un simple remploi d’une analogie déjà courante : celle du flumen vitæ qui est source, fontaine et ruisseau. S. Athanase, De expos, fidei, c. ii, P. G., t. xxv, col. 204 : « Puissance de vie, c’est le Père ; vie c’est le Christ, ruisseau fécondant c’est l’Esprit-Saint ». col. 1077 A ; mais quel changement d’aspect en ce « mouvement » du Verbe ! Col. 1135 D. De même, on peut reprendre la comparaison de Tertullien, Adv. Praxean, c. viii, P. L., t. ii, col. 163 : la racine, ou plutôt la semence, l’arbre et la branche. Col. 1141 A. Disons encore avec le même, loc. cit., et après le concile de Nicée : lumen de lumine, à quoi il préfère lumen in lumine, col. 1097 B, parce que la procession est non scissio, nec protensio, nec geminatio potentiæ, sed apparentia, col. 1098 D ; 1064 D ; cependant « l’éclat révèle la lumière, tout comme l’action fait voir la puissance », col. 1099 A ; cf. col. 1156 B.

C’est à la vision, c’est-à-dire à une de ces opérations de l’être vivant où « le Verbe créateur a déposé une unité mystérieuse, destinée à nous montrer Dieu », col. 1102 D que l’auteur emprunte « l’exemple qui fera comprendre : Posons en principe que l’œil possède naturellement une puissance de vision qui en est comme l’être, un organe visuel, qui est déjà jus videre, enfin la faculté de discerner, ce qui comparativement fait figure d’intelligence. Et dans tout cela, vila in singulis omnia ». Col. 1102 AC. Victorin avait déjà esquissé cette analogie de la vision comme une opération à deux termes : la puissance et son objet, mais avec les réserves nécessaires. Col. 1088 B. Comme le fera un jour Augustin, c’est « dans l’âme, qui est en nous une part du Dieu, d’où nous dépendons », que Victorin trouve la meilleure expression de la Trinité, col. 1102 D : il en tire une comparaison psychologique empruntée à la théorie aristotélicienne : « L’esprit enfante, pour ainsi dire, par la pensée le vouloir qu’il a conçu ». Col. 1236 C. Mais il s’attache plutôt au côté métaphysique, par où il rejoint sa théorie des degrés de l’être : « L’âme, qui est substance, a son image et ses déterminations dans sa double puissance : la vie et l’intelligence, qui est (pour nous) une double lumière… », col. 1064 ; « par le Fils, qui est vie l’âme a été faite image de vie elfait vivre la matière ; et gardant une étincelle de l’Esprit, elle est intelligente ». Col. 1086-1088.

Les déficiences.

Elles portent en fait sur chacune

des trois personnes :

1. Pour le Père, s’il est ainsi potentiel quiescens et silens, col. 1030 À et passim, il n’est pas lui-même Créateur : Creator non convenil Deo… Ad Ephes., iii, 9, col. 1266 A ; « mais, ajoute-t-il, la création convient au Christ, comme Verbe et action, et par le Christ, à Dieu. Il est Providence et rien qui n’ait été ordonné par lui », col. 1247 BC ; mais sa volonté c’est le Christ, col. 1246 A ; 1236 B.

2. Pour le Fils, s’il est vis-à-vis du Père comme le vivant est identiquement l’être même qui vit, c’est à peine si l’on devrait dire qu’il est engendré, puisque ce mot semble indiquer un certain devenir : Victorin fait dériver genitus de Y<.yv r j[iaii et non de yévvaw : « Quontam est patrica quædam activa potestas, et quæ in motu sil, et quæ seipsam constituât. In principio (Joa., i, 1) ne signifie pas que le Verbe ait été engendré : au vrai, le Verbe n’est pas engendré, puisque Dieu lui-même était Verbe. Il faut bien se rendre compte de cette nécessité de concevoir que le Verbe n’est pas genitus, moins encore laclus ex eis quæ non sunt. » De gêner., c. xvii, col. 1029 C. Intransigeance excessive, mais explicable, d’un défenseur du consubstantiel intégral.

.Mais il faut se garder de lui faire le grief opposé, quand, pour se faire saisir des lecteurs ordinaires, il (lit que « Dieu a créé le Logos, et est devenu ainsi son propre Verbe ». Hijmn., iii, col. 114 C ; « mais sa pensée n’est pas douteuse : le Verbe est éternel et ces deux ne forment qu’unum et simplex ».’fixeront, op. cit., p. 266. De même, il faut bien l’entendre quand il se permet, fort rarement, d’enseigner « un Père antiquior, et un Fils junior » ; pourquoi ? « parce que ce qui est, est plus primitif que ce qui agit », Adv. Arium, t. I, c. xx, col. 1053 D. Simple postériorité de raison qu’il faut bien se garder de transférer dans le temps. De gêner., c. xxi-xxii, col. 1031 AB.

Enfin, il ose affirmer — après le Christ lui-même — que « le Père est plus grand que lui, que le Verbe est donc égal et inférieur au l’ère, quia Pater actio inactuosa, beutior enim quod sine molestia et impassibilis, et causa est ipsi Filio ut sit, ut isto modo sil, in eo quod est agere ». Adv. Arium, t. I, c. xiii, col. 1047 CD. « Le subordinatianisme de Victorin, on le voit, se rapporte, non à la nature mais à la personne du Verbe : « C’est une conséquence de la condition de Fils, qu’il reçoive tout de son Père : omnia accepit ut esset, omnia substanlia, potestas, dignitcis œqualis Patri ». Loc.

il. fixeront, p. 269. On pourrait tout au plus le trouver bien audacieux d’appliquer à la divinité du Fils certains textes de saint Paul, comme Phil., ii, 5 et iii, 21, col. 1208 À et 1227 A, que, par précaution, les Pères du ve siècle entendront de l’humanité du Christ.

3. Pour le Saint-Esprit.

Encore une proposition insolite : > l.e Fils est unique en Lant que Fils ; mais en tant que Verbe, il se dédouble ; car il est lui-même Vie et lui-même Connaissance, per Spirilum sanctum ». Adv. À ri mu. I. III, c. viii, col. 110 1 I). Au fond, notre auteur n’admet qu’une procession, celle du Verbe, tout comme Plotin avait enseigné que l’Un engendre le Noûç et rien de plus. Cependant, comme la fui chrétienne parle de deux personnes procédant

lu l’ère, le chrétien doit dire que « Celui qui est substance (le Père) est doué d’une puissance géminée. geminaru potentia valet : ri vitalitatis (le Fils), et intelligentiæ de Saint-Esprit) ». Adv. Arium, I. III, e. ix. col. I 105 (.. Pourtant, c’est une seule et même nuit ion qui engendre le Verbe et l’Fspril : le Verbe en tant que ie, l’Esprit en tant qu’Intelligence ». I.. I c lviii, e.’l. 1084 H. Dans le même passage, il semble admettre même que la procession du Salntl. spnt précède cille du Verbe, et sujira et dcorsum,

la vie de Dieu tout comme dans l’Incarnation de

JéSUS ( lu ne se trompera pas en sous entendant que

le Saint-Esprit est mère de Jésus, supra, hoc est virilité patria, générante intelligentia, natus est Filius. » Col. 1084 C. C’est uniquement d’après ce diagramme que « le Saint-Esprit est le lien du Père et du Fils ». Hymn., i, col. 1139 D ; iii, col. 1146 B. Il tient si fermement à l’unité de procession, qu’il ose dire » : « Le Christ et l’Esprit-Saint existent in uno motu, qui Filius est. Non enim Filius dédit ei, sed de meo habet ». Col. 1105 A. Bien plus, « comme de Dieu vient le Fils, conralionaliter pour la même raison ( ?), le Saint-Esprit vient du Père ». Col. 1048 AB. Le Saint-Esprit ne procéderait donc pas du Fils ? mais bien le Fils du Saint-Esprit, et per Cognoscentiam Vita ? Col. 1104 D. Ces hésitations proviennent d’une distinction entre le Verbe et le Fils, comme on le verra plus loin.

Sans doute Victorin, dans les mêmes passages, essaie-t-il de se mettre en règle avec le dogme ; mais le modalisme, dont il avait su se défier en parlant du Père et du Fils, se cache ici à l’état larvé à propos des relations du Fils et de l’Esprit-Saint. Il éclatera dans sa théorie christologique qui « montrera que Jésus est d’une certaine façon le même que l’Esprit-Saint, actu scilicet agendi diversi, le second enseignant l’intelligence, et le premier donnant la vie… » Adv. Arium, t. IV, c. xviii, col. 1126 A. Il parle, nous dit-il, du Christ éternel, c’est-à-dire encore du Verbe ; mais pourquoi aller jusqu’à enseigner que « le Fils de Dieu a été et qu’il s’est fait l’Esprit incarné ? Comme je l’ai entendu, je le répète ». L. I, c. lui, col. 1081 D ; cf. col. 1105 A. Il faut croire que son catéchiste était un sabellien qui s’ignorait, ou mieux un platonicien qui tirait à lui certains textes de saint Paul. Cf. Prat, Saint Paul, t. ii, p. 161, 165.

4. Pour le Fils de Dieu.

« On peut certes penser que le Verbe, possédant la vertu de Dieu et Dieu lui-même, aurait reçu le nom de Fils seulement après son entrée dans le monde, après sa passion et son triomphe sur la mort. » Col 1210 A Encore une vue systématique qui, comme plusieurs de celles qui précèdent, semble côtoyer les théories de Marcel d’Ancyre, cet autre platonicien nicéen pour qui Borne (338) et Sardique (343) avaient été si indulgentes, en considération d’Athanase. Victorin cependant croit sauvegarder « le dogme catholique de la coéternité du Fils et du Père » en professant que ce nom incomparable convient surtout au Verbe incarné, encore que « toute la nouveauté soit dans le nom et le rôle de Sauveur, et ante hoc non fuisse nomen, ut fuerit Virtus Dei », col. 1210 BC, et qu’il exprime parfaitement « son égalité avec le Père, bien que la virtus Putris soit au-dessus de la sienne ». Col. 12Il A. En sens contraire, col. 1067 D ; 1089 A. Sa doctrine christologique a une teinte monophysite incontestable, t. I, c. xxii, col. 1056, comme nous le dirons.

5. Pour la Trinité.

D’une façon générale, on peut dire que la théorie ontologique de Victorin excelle à montrer en la Trinité l’unité de nature, mais qu’elle est moins commode pour enseigner la distinction des personnes : le danger du modalisme est toujours à craindre, puisque, en Dieu surtout, les notions d’être de vie et d’intelligence n’ont entre elles qu’une distinction de raison, et ne présentent pas d’opposition réelle. Aussi l’auteur parle-t-il parfois de « distinction ad phantasiam entre premier et seconds, entre le Père qui est F.tre. d’où provient la Vie et l’Intelligente. Ado. Arium, I. III, c. vii-xvii. col. 1103-1113. C’est là qu’on trouvera l’exposé délinitif de l’auteur avec tous ses défauts, dans un parallèle très étudié entre le Fils et son Esprit, qui aboutit à des subtilités comme celle-ci : i Les deux premières personnes sont deux ut duo unum, et les deux dernières snnl deux comme m uno duo », comme deux aspects du même Verbe. Loc. cit., col. 1113 C.