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Dictionnaire de théologie catholique/VICTOR III

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 668-671).

VICTOR III, pape, élu en mai 1086, sacré le 9 mai 1087, mort le 10 septembre suivant. Ce

pontife éphémère ne présente d’intérêt que pour les conditions de son élévation au siège apostolique. Né à Bénévent, vers 1027, d’une famille noble, Didier, c’était son nom, renonça de bonne heure au monde. entra, après un essai de vie érémitique, au monastère de Sainte-Sophie de sa ville natale, puis, en 1055, obtint du pape Victor II l’autorisation de passer au Mont-Cassin. Lois de l’élection au trône pontifical de l’abbé Frédéric de Lorraine, qui devint Etienne IX, Didier remplaça celui-ci sur le siège abbatial (19 avril 1058). Le (i mars 1050, Nicolas II le faisait cardinal de Sainte-Marie du Transtévère. Mais cette nomination qui aurait permis à Didier de jouer un rôle de premier plan à Rome ne le détourna guère de ses fonctions d’abbé. Rendre au vieux monastère son indépendance temporelle, regrouper ses domaines, assurer son rayonnement intellectuel et artistique, réédifier sur des plans grandioses son antique basilique — elle sera consacrée le P’r octobre 1071 par le pape Alexandre II telle est surtout son ambition.

Lettré lui-même. Didier rédige trois livres de Dialogues, qui rappellent un peu les Dialogues (lu pape saint Grégoire le Grand, texte dans P. /, .. |. cxlix, col. 963-1018, et exposent les miracles dont l’abbaye a été le théâtre. Rien dans loute cette activité qui rappelle l’agitation un peu Fébrile avec laquelle la curie romaine, depuis Nicolas II. travaillait à la réforme de l’Église. Au sein du collège cardinalice. qui d’ailleurs est rarement consulté au temps deGri goire VII, Didier du Mont Cassin représenterait plutôt l’élément modéré qui s’effraie un peu des audaces du pape. Très désireux de vivre en bons termes avec 2867

VICTOR III

li.Sli.S

les Normands ses voisins, l’abbé ménage leur réconciliation avec le pape en 1080. Il fait mieux : lors du second siège de Rome par Henri IV, Didier, par l’intermédiaire de Jourdan de Capoue, négocie avec le roi de Germanie. Un peu témérairement il s’est engagé à le faire couronner empereur par le pape légitime. Mis au courant de ce projet, Grégoire VII menace Didier d’excommunication. Sur ces négociations, voir A. Fliche, Le pontificat de Victor III, dans Rev. d’hisl. eccl., t. xx, 1924, p. 390, et le même dans La Réforme grégorienne, t. m.

Tel est le personnage qui, à la mort de Grégoire VII (25 mai 1085), allait être appelé à succéder à celui-ci. Sur cette élection, nous avons deux récits opposés et qui sont la source de tous les autres. L’un est celui de Pierre du Mont-Cassin, dans la chronique de ce monastère, P. L., t. clxxiii ; l’autre est fourni par une lettre d’Hugues de Lyon à la comtesse Mathilde, insérée par Hugues de Flavigny dans sa Chronique, P. L., t. cliv, col. 339 sq. Le premier récit est d’un admirateur enthousiaste de Victor et c’est à lui que nous devons les renseignements donnés ci-dessus sur la carrière antérieure de l’abbé du Mont-Cassin ; le second est d’un détracteur passionné du nouveau pape, peut-être d’un concurrent évincé, d’un homme en tout cas, qui, tout féru de l’esprit grégorien, n’a pas toujours fait montre d’un jugement sain. En dépit de l’appréciation favorable que porte sur cette lettre A. Fliche, article cité, nous la considérons comme une diatribe qui n’a même pas, à de certains endroits, le mérite de la vraisemblance. L’historien doit donc se tenir en défiance contre l’un et l’autre récit.

Au dire de Pierre du Mont-Cassin, voici comment aurait eu lieu l’accession de Didier au Siège apostolique, Chronicon Casinense, t. III, c. lxv sq. Didier se trouvait à Salerne au moment du décès de Grégoire VII et il apparaît comme un des personnages les plus considérables du petit cercle de fidèles groupés autour du pape exilé. Il aurait même été désigné par le mourant comme un de ses successeurs possibles. C’est Didier qui insiste auprès des cardinaux pour que l’on donne d’urgence un successeur au pape défunt ; il intéresse même à l’affaire le prince Jourdan de Capoue et la comtesse Mathilde. Mais, ayant eu vent que les cardinaux et le prince songeaient à lui pour le souverain pontificat, il retourne à son monastère. Dans les mois qui suivirent, les Normands de Jourdan préparent une expédition contre Rome, toujours tenue par les impériaux ; sollicité de se joindre à eux avec les forces de son domaine, Didier, méfiant, se refuse à prendre le chemin de la capitale. Une année ou presque se passa dans ces hésitations. Vers Pâques de 1086, des évêques et des cardinaux s’étant rassemblés de divers points à Rome, ils mandèrent à Didier que, de concert avec les évêques et cardinaux demeurés avec lui’(au Mont-Cassin), il se hâtât de venir pour mettre un terme à la vacance pontificale. Ainsi fit l’abbé ; il était à Rome la veille de la Pentecôte (23 mai). Durant toute cette journée, il s’efforça de provoquer le choix d’un pape ; le soir même on se rassemblait autour de lui dans la diaconie de Sainte-Lucie au Septisolium ; on le pria d’accepter la tiare, il s’y refusa énergiquement, déclarant que, si l’on voulait forcer sa volonté, il remonterait à son monastère et se désintéresserait désormais de tout. Le jour même de la fête, les pourparlers recommencèrent ; de guerre lasse, on demanda à Didier lui-même de désigner le nouveau pape. Il proposa Eudes, évêque d’Ostie (celui qui serait Urbain II) et promit que le nouvel élu pourrait trouver refuge au Mont-Cassin. Tout semblait s’arranger, quand un cardinal déclara que l’élection d’Eudes serait anticanonique (peut-être à cause de la vieille règle sur les translations d’un

évêque d’un siège à un autre ?). En dépit des observations qu’on lui fit, ce cardinal ne voulut pas démordre de son opposition. On revint alors à l’idée d’imposer le fardeau à Didier. L’entraînant malgré lui à Sainte-Lucie on le proclama élu et on lui imposa le nom de Victor, eum juxtu morem Ecclesiæ eligentes Victoris ei nomen imponunt. L’élu aurait pris dès lors quelques-unes des marques de sa dignité nouvelle. Mais, au bout de quelques jours, persécuté à Rome par le préfet impérial, il quitte la capitale, arrive à Terracine se rendant au Mont-Cassin. En route, il se dépouille des ornements pontificaux, déclarant qu’il préférait terminer ses jours dans la vie monastique : in divina peregrinatione vitam finire. Aux instances des évêques et des cardinaux qui l’avaient accompagné, à celles du prince Jourdan, qui voulait le mener à Rome pour le faire sacrer, il oppose un refus absolu. Pourtant, il fallait sortir de là. Au milieu du carême 1087, l’élu provoquait à Capoue une réunion des évêques et des cardinaux romains, à laquelle assistaient aussi Cencius, consul de Rome, avec d’autres nobles, le prince Jourdan et le duc Roger Guiscard, fils de Robert. L’assemblée le pressa très vivement d’accepter la dignité pontificale ; deux jours durant il maintint son refus. Finalement, le dimanche des Rameaux (21 mars), il se rendit et prit cette fois les marques de sa fonction : præteritam electionem crucis et purpuræ resumptione firmavit. Après les fêtes de Pâques qu’il célèbre au Mont-Cassin, il part pour Rome avec le prince Jourdan, passe le Tibre à Ostie et vient camper au dehors du portique de Saint-Pierre, car la basilique était tenue par les guibertistes. Elle fut enlevée par les soldats de Jourdan et, le dimanche après l’Ascension (9 mai), Victor III, en présence de beaucoup de Romains et de presque tous les Transtévérins, était consacré et intronisé par les évêques d’Ostie, Tusculum, Porto et Albano. Mais, après un séjour d’une semaine environ dans la cité léonine, le pape, toujours accompagné de Jourdan, rentrait à son monastère. Un mois plus tard, la comtesse Mathilde lui ayant fait exprimer le désir de le rencontrer à Rome, il prit la mer pour pénétrer dans sa capitale par le Tibre. La comtesse favorisa son entrée dans la cité ; le jour de la Saint-Barnabe (Il juin), il put célébrer la messe à Saint-Pieire ; le même jour, il entrait dans la ville même de Rome par le Transtévère, les troupes de Mathilde lui ayant conquis en même temps le château Saint-Ange et les villes d’Ostie et de Porto. Le Latran d’ailleurs demeurait toujours au pouvoir des guibertistes ; Victor s’installa donc dans l’île du Tibre. À la Saint-Pierre, il lui fut impossible de célébrer la fête dans la basilique de l’Apôtre, où Guibert, d’ailleurs, ne réussit pas davantage à officier. La basilique retomba le surlendemain au pouvoir de Victor. Cependant il n’était bruit que de l’arrivée en Italie de l’empereur Henri IV ; Victor reprit donc le chemin du Mont-Cassin ; là seulement il se sentait en sûreté. C’est de là qu’il convoqua pour le mois d’août, à Bénévent, un concile qui groupa les évêques de Pouille et de Calabre. L’excommunication y fut lancée contre l’antipape, mais aussi contre deux grégoriens irréductibles, Hugues de Lyon et l’abbé de Saint-Victor de Marseille, Richard. En termes amers le pape se plaignit de l’opposition que ceux-ci ne cessaient de lui faire et qu’il attribuait au fait que l’évêque de Lyon avait été déçu dans son ambition, pro fastu et ambitione sedis aposlolicæ. Pourtant ces deux personnages avaient d’abord caché leur jeu ; Richard avait pris part à l’élection qui avait eu lieu à Rome à la Pentecôte de 1086 ; peu après ce moment, Hugues avait sollicité du nouvel élu une légation dans les Gaules ; l’un et l’autre avaient joint leurs instances

à celles qui étaient faites pour forcer la main au pape élu. Mais, quand ils avaient vu Victor pencher vers l’acceptation, ils n’avaient pas hésité à se jeter dans la lutte et à se séparer de la communion du pape et de son entourage. Le pape Victor III, continue Pierre du Mont-Cassin, ne survécut pas longtemps à ce concile de Bénévent ; remonté à son abbaye, il mourait le 16 septembre après avoir recommandé aux cardinaux réunis à son chevet de lui choisir pour successeur Eudes d’Ostie, ce qui sera fait.

En définitive, selon Pierre, l’élection de Victor III s’est accomplie en deux temps. Un an ou presque après la mort de Grégoire VII, une assemblée régulièrement convoquée à Rome a désigné Didier comme le successeur du pape défunt, en lui imposant le nom de Victor III ; après avoir d’abord fait mine d’accepter, l’élu se dérobe aux responsabilités du pouvoir ; c’est seulement dix mois après l’élection qu’au concile de Capoue il accepte définitivement et se prépare à recevoir la consécration épiscopale. Dans l’intervalle qui sépare la Pentecôte de 1086 et les Rameaux de 1087, il ne laisse pas néanmoins de se considérer comme une sorte de régent, chargé de veiller aux intérêts généraux de l’Église ; c’est en cette qualité qu’il convoque l’assemblée de Capoue, laquelle finit par lui arracher son assentiment. Dès lors, il agit vraiment en pape et se déclare prêt à briser les oppositions qui surgissent. Dans l’attitude de Victor, il reste néanmoins quelque chose de mystérieux : d’où vient cette dérobade continue qui, pendant près de deux ans, prive l’Église d’un chef responsable ? Pierre ne donne aucune raison de cette étrange situation où se mot le pape. Y aurait-il donc quelque chose à cacher dans les motifs qui ont déterminé Victor ? On l’a dit et précisément en s’appuyant sur la lettre d’Hugues de Lyon, telle que la rapporte la Chronique d’I Ligues de Flavigny, et qui est l’autre source de nos renseignements.

(m notera d’abord que ce dernier, racontant l’agonie de Grégoire VII, déclare que le pape mourant désigna à ceux qui l’entouraient comme son successeur éventuel, soit l’évêque de Lucques, soit celui d’Ostie (Eudes), soit l’archevêque de Lyon, Hugues let non pas Didier du Mont-Cassin). Encore que la désignation d’Hugues soit un peu surprenante, acceptons la vérité du propos. Après quoi, pour donner une idée de ce que fut « l’élection, la promotion et la consécration » de Didier du Mont-Cassin, devenu Victor III. Hugues de Flavigny ne sait rien de mieux que de transcrire la lettre expédiée par Hugues de Lyon, peu de temps après les événements, à la comtesse Mathilde.

elle lettre raconte les faits -qui se sont succédés après l’élection romaine (Pentecôte de 1086), dont Mathilde. pense l’archevêque de Lyon, a suffisante connaissance. Hugues n’arriva à Rome que cette élection déjà faite et il avoue s’y être d’abord rallié, tout en reconnaissant qu’il eut tort : diligentes magis gloriam hominum quant Dei assensum prwbuimus. accompagnant ensuite Victor au Mont-Cassin, il acquit bientôt, par des entretiens familiers avec l’élu, la conviction que le choix de Didier avait été un malheur, et que les électeurs (au nombre desquels, chose surprenante, il se range) avaient gravement offensé Dieu en faisant ce choix. Victor, en effet, se vantail devant les évéquesel les cardinaux de ses

actes les pins coupables ( nr/undissimos) : comment, il avais pidis promis : i Henri IV de lui faire aoir la

couronne impériale ; comment il avait même poussé

le roi à envahir le domaine de s ; iint Pierre, comment

il avait fait fi de certaines excommunications lan par Grégoire VII, comment il avait attaqué les

etn d< ce pape. À maintes reprises, Victor avait

reconnu que son élection à lui n’avait pas été régulière, non secundum Deum ; il avait déclaré que jamais il n’y avait donné son assentiment, que jamais il ne le donnerait, proposant au choix des électeurs divers noms, entre autres celui d’Hermann de Metz. Ces aveux, ces assurances avaient rendu courage à Hugues ; il espérait bien qu’on allait faire librement cette élection, tant de fois refusée, quand, en qualité de « vicaire apostolique » de la région, Didier convoqua un concile à Capoue (Tarême de 1087). Hugues s’y rendit avec d’autres, il y trouva l’abbé de Saint-Victor de Marseille et l’archevêque d’Aix, mais aussi des laïques, dont quelques-uns représentaient la ville de Rome ; d’autres, le prince Jourdan et le jeune duc Roger Guiscard, étaient les maîtres temporels de la région. Or, comme l’on allait s’occuper de l’affaire en question, Didier commença par ses paroles et ses gestes à faire entendre qu’il repoussait le pontificat ; simple feinte d’ailleurs pour amener les évêques et le prince à le contraindre à garder cette dignité. Ce que voyant, Hugues, Richard, l’archevêque d’Aix, à qui se joignirent l’évêque d’Ostie, le moine Guitmond et d’autres, tinrent conseil sur la manière de mettre en échec l’astuce de l’abbé du Mont-Cassin. Au moment où Didier allait reprendre les insignes pontificaux, Hugues, encouragé par ces personnes, déclara que jamais ni lui, ni ses amis ne donneraient leur assentiment à l’élection si, au préalable, il n’y avait point une enquête sur certains faits, venus à leur connaissance depuis l’élection romaine, et qui portaient gravement atteinte à l’honneur de Didier. Indignation de celui-ci ; il déclara qu’il ne se soumettrait à aucune enquête, que jamais non plus, d’ailleurs, il n’accepterait l’élection. Licence ayant été ainsi donnée par lui de procéder à un nouveau choix, il se retirait avec de grands gestes, quand Guitmond, sur le conseil de l’évêque d’Ostie (Eudes), s’écria publiquement qu’une personne diffamée ne pouvait être élue, qu’il était constant que Didier avait encouru l’infamie, étant demeuré une année continue sous le coup d’une excommunication de Grégoire VIL Sur quoi, la nuit étant venue, l’assemblée se sépara ; mais le duc (de Pouille) demeura avec Didier, gardant aussi devers lui l’évêque d’Ostie (Eudes), les autres évêques romains (c’est-à-dire les évêques suburbicaires) et les cardinaux. Il s’agissait, pour le duc, de faire consacrer comme évêque de Salerne un personnage que rejetait énergiquement l’évêque d’Ostie. L’abbé du Mont-Cassin n’osa donc, sur l’heure, accorder au duc l’objet de sa demande et le souverain se retira fort irrité. Privé de cet appui, désespérant de pouvoir arriver sans lui au suprême pontificat, Didier envoya, au milieu de la nuit, une députation au duc, lui promettant de faire consacrer le lendemain même l’élu de son choix comme titulaire de Salerne. Ainsi fut fait. Par ordre de Didier, la consécration de l’évêque de Salerne eut donc lieu le dimanche des Hameaux. « Ce même jour, après le dîner et la sieste, l’abbé, le duc et le prince étaient réunis, le soleil déclinait, mais les esprits étaient fort échauffés (sole déclinante ad inferiora sed vtno oblinente superiora) ; l’abbé, pour récompense de son infâme consécration, appuyé par l’autorité du duc, s’imposa à lui-même la chape (rouge) sans avoir consulté ni l’évêque d’Ostie ni nous-mème qui fûmes laissés dans la plus complète ignorance : Ostiensi et nobis InconsulUs et prorsus ignorantibus. Cependant. Indes d’Ostie, qui Jusque-là avait marché d’accord avec Hugues, quand il vit que Didier se disposait à partir pour Rome, où il se ferait consacrer, sous la protection ( prince.lourdan, se retourna, par crainte délie privé de sa dignité, et lil s ; i paix avec l’abbé, lui accordant le respect dû à un pape.

Nous avons tenu à citer presque textuellement cette pièce dont la lecture est extrêmement édifiante. On voit qu’elle n’ajoute rien de substantiel aux renseignements fournis par Pierre du Mont-Cassin, sinon des insinuations perfides et des accusations incontrôlables. Hugues a le grand tort, pour débuter, de considérer comme inexistante et sans force légale l’élection de la Pentecôte de 1086. Son insistance à nommer Victor III « l’abbé », au cours de toute sa narration, en témoigne de reste. Après avoir donné un semblant d’assentiment à cette élection, il s’étend avec une complaisance marquée sur les aveux qu’il aurait arrachés, lors de ses entretiens du Mont-Cassin, à la conscience scrupuleuse du nouvel élu. Il transforme en vantardises coupables des propos de celui-ci qui pouvaient être anodins. Dans la politique suivie par Grégoire VII, tout n’était pas également admirable ; du vivant de ce pape, plusieurs cardinaux ne s’étaient pas fait faute de la critiquer. Au lieu de « tout abîmer », l’abbé du Mont-Cassin avait essayé de conjurer les inévitables catastrophes ; c’était un crime inexpiable aux yeux du grégorien fanatique qu’était Hugues de Lyon, ce n’en est pas un pour l’histoire impartiale. En contestant comme il le faisait la validité d’une élection, sur les détails de laquelle il était mal renseigné, l’ancien légat de Grégoire VII risquait d’entraîner un schisme. La mort prématurée de Victor III a seule empêché un éclat. Il est vrai qu’Hugues de Flavigny, reprenant la parole dans sa Chronique, après avoir cité Hugues de Lyon, voit dans cette mort prématurée un jugement de Dieu. « Alors que Victor, après sa consécration, célébrait la messe à Saint-Pierre, il se sentit frappé durant le canon, infra actionem, par la main de Dieu. Reconnaissant, mais trop tard, sa faute, il se déposa lui-même et, faisant venir de ses moines qui l’accompagnaient, il demanda qu’on le reconduisît d’urgence au Mont-Cassin, où on l’enterrerait dans la salle du chapitre, non comme un pape, mais comme un simple abbé. » Nous sommes ici de toute évidence dans le domaine de la légende !

A tout prendre donc, l’élection de Victor III paraît s’être déroulée régulièrement. Que le prince Jourdan ait exercé quelque pression soit sur les électeurs pour grouper leurs voix en faveur de Didier, soit sur l’abbé pour l’amener à accepter cette désignation, c’est ce que l’on peut accorder. Mais elles ne se comptent pas les élections pontificales où se sont fait sentir des influences extérieures et qui n’en ont pas moins été regardées comme légitimes. Il n’est pas impossible d’ailleurs que les électeurs de Victor III aient considéré comme présentant quelque avantage pour l’Église le choix d’un pape plus porté aux concessions qu’aux mesures extrêmes. À vrai dire, si, dès le principe, ils se sont engagés dans cette voie, ils ont fait un mauvais calcul en portant leur choix sur l’abbé du Mont-Cassin. Didier était un timide, un hésitant, un scrupuleux ; c’était aussi un malade. Il était tout aussi incapable de rompre avec la politique de Grégoire VII que de continuer celle-ci. Les deux années qui suivent la mort de l’exilé de Salerne laissèrent l’Église sans chef responsable ; elles ne pouvaient qu’empirer la situation qu’avaient créée les derniers revers de Grégoire VII. L’élection d’Urbain II sauvera l’Église du danger.

Nous avons cité tout au long les deux sources essentielles pour l’histoire de Didier et de son élection. Les autres sont mentionnées dans Jaffé, Regesta pontificum Romanorum, t. i, p. 655-656 ; Watterich ne transcrit guère que les deux sources en question, dans Pontificum Romanorum vile’, t. i, p. 550-571, quelques additions p. 743.

Il y a encore intérêt à consulter le De gestis Desiderii

abbalis Montis Casini, postmodum Victoris III papæ, compilé par.Mabillon, Annales ord. S. Benedicti, t. ix, reproduit dans P. L., t. cxlix, col. 917-962. On trouvera une énumération des travaux plus récents dans A. Fliche, La réforme grégorienne et la reconguêle chrétienne = Fliche-Martin, Histoire de l’Église, t. viii, 1940 (A. Fliche nous paraît sévère pour Victor III et trop confiant dans les dires d’Hugues de Lyon). Sur la désignation par drégoire VII de son successeur, voir A. Fliche. L’élection d’Urbain II, dans le Moyen Age, 2e série, t. xix, p. 356 sq.

É. Amann.