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Dictionnaire de théologie catholique/WALAFRID STRABON

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 984-988).

WALAFRID STRABON, écrivain de la renaissance carolingienne (808-849). I. Vie. IL Le problème de la Glossa ordinaria. III. Œuvres.

I. Vie.

Walafrid. surnommé Strabus ou Slrabo. le Louche, naquit en 808 ou 8119. La première partie de sa vie se passa à l’abbaye de Reichenau sous l’autorité de l’abbé Ilallo. Entre 826 et 829. il est a l’ulda disciple de Haban Maur. Recommandé par Ililduin à Louis le Pieux, il devient en 829 le précepteur du jeune Charles, fils de Louis et de Judith. En 838, l’empereur le nomme abbé de Reichenau. Apres la mort de Louis, il connut des années difficiles :

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WALAFRID STRABON. LA GLOSSA ORDINARIA

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fidèle à Lothaire et à l’idée impériale, il se vit expulsé de Reichenau par Louis le Germanique et se réfugia à Spire. En 842, grâce sans doute à l’influence de Grimald, l’un de ses maîtres à Reichenau devenu chapelain de Louis le Germanique, il est réintégré dans son abbaye. Il vécut là sept années actives pendant lesquelles il put déployer tout son talent. Il mourut malheureusement en pleine maturité le 15 des calendes de septembre, 18 août 849, aux bords de la Loire, au cours d’un voyage qu’il avait entrepris sur l’ordre de Louis pour se rendre auprès de Charles le Chauve. Son corps fut ramené à Reichenau et Raban Maur, alors archevêque de Mayence, composa son épitaphe.

Interrompue par une mort prématurée, l’œuvre écrite de Walafrid n’est pas considérable. Elle nous le montre en relations amicales avec un bon nombre de personnalités de son temps : moines de Reichenau et de Saint-Gall, car les rapports étaient constants entre les deux abbayes ; amis ou hôtes volontaires ou forcés de Raban Maur à Fulda ; personnages ecclésiastiques ou laïques de la cour d’Aix-la-Chapelle. Il demeura obstinément fidèle à Louis le Débonnaire, à Judith et à leur fils à travers toutes les péripéties d’une politique agitée ; il fut le poète de Judith. Mais ce serait être injuste à son égard que de le prendre pour un poète de cour : ses vers témoignent d’une sincérité qui, pour nous, ajoute à leur intérêt historique le charme de l’accent personnel. Walafrid nous permet de rectifier dans une certain mesure l’idée très fâcheuse que les écrits de Pascase Radbert, écho des rancunes de Wala, nous donnent de la cour d’Aix-la-Chapelle, sous l’impératrice Judith. Pour le reste, Walafrid fait figure de disciple ; sous sa plume reviennent fréquemment les noms de ceux qui ont été ses maîtres à Reichenau : Erlebald qui fut abbé après Hatto, Wettin, Tatto, Grimald ; mais celui qui marqua le plus sur son orientation fut Raban Maur : l’œuvre exégétique et théologique de Walafrid est tout à fait dans le sillage de celle de Raban.

II. Le problème de la owssa ordinaria. — Pendant plusieurs siècles on attribua à Walafrid Strabon cette vaste compilation de commentaires bibliques, dont une édition — celle de Douai en 1617 — ne compte pas moins de six volumes in-fol. Les éditeurs de Douai admettaient d’ailleurs que l’œuvre originale de Walafrid avait subi des additions importantes : la présence de références à des auteurs manifestement postérieurs à Walafrid l’indiquait clairement ; ils distinguaient ainsi comme trois étapes dans l’élaboration de la Glose : la Glose ordinaire, marginale, aurait pour auteur Walafrid ; la Glose interlinéaire serait due à Anselme de Laon, au xiie siècle ; enfin Nicolas de Lyre, franciscain du xive siècle, aurait ajouté ses Postillse scholasticse ; le développement ne se serait d’ailleurs pas arrêté avec ce franciscain, d’autres auteurs au xve siècle auraient fourni leur appoint. Dès l’invention de l’imprimerie, les éditions se succédèrent ; on en trouvera la liste dans VHistoire littéraire de la France, t. v, p. 62. Le texte de la Glossa que nous lisons dans la Patrologie latine de Migne aux t. cxiii et cxiv nous est donné comme établi d’après l’édition de Douai et d’antiques manuscrits, on ne nous dit pas lesquels ; l’éditeur nous avertit qu’il s’est efforcé d’éliminer toutes les gloses manifestement postérieures à Walafrid Strabon, mais on admettra facilement ce que peut présenter de conjectural un texte ainsi obtenu. Cf. P. L., t. cxiii, col. Il et* 12. L’opinion actuelle est formulée ainsi par dom Wilmart : Walafrid Strabon « est bien innocent de cette pauvre rapsodie ». Revue bénédictine, 1928, p. 95. Il est utile cependant d’exposer ici l’état de la question.

La présence dans la Glose de nombreuses citations de Raban Maur avec, ici ou là, des citations de Strabon lui-même, signalées suivant la méthode habituelle par les premières lettres de leur nom : Rab., Strab., pouvait aiguiller les recherches vers une région précise : Fulda et l’entourage de Raban. Les commentaires de ce dernier eurent un grand succès de très bonne heure dans l’Occident chrétien, mais quoiqu’ils se présentassent déjà comme un « abrégé » des grands commentaires des Pères, ils restaient considérables. D’où serait venue l’idée de les abréger encore et surtout de ne pas séparer texte et commentaire ; ce dernier courant tout au long du livre sacré devenait nécessairement plus sobre. Personne ne crut que Raban Maur eût accompli lui-même ce travail, mais il n’était pas absurde de penser qu’un de ses disciples s’en fût chargé ; c’est ainsi qu’on nomma Strabus ; très anciennement, en effet, nous le voyons qualifié d’abréviateur de Raban, témoin une note du ms. 69 (fin du XIe s.) de la bibliothèque de Tours, fol. 108 : après avoir reproduit les commentaires de Raban sur la Genèse et sur l’Exode, le copiste nous dit que, n’ayant pu trouver les commentaires du même sur le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome, il a transcrit celui de son « abréviateur », Walafrid Strabon. On tire aussi un argument d’un texte de Notker le Bègue, moine de Saint-Gall, qui écrit vers 890. Notker, répondant à son disciple Salomon, plus tard évêque de Constance, qui lui demande une liste des « Interprètes des divines Écritures », lui dit pour conclure son énumération : Si glossulas volueris in totam Scripturam divinam, sufficit Rabanus Mogunliacensis archiepiscopus (P. L., t. cxxxi, col. 998) ; ce texte pouvait être compris dans le sens de notre Glossa, car d’abord il dit : glossulas, ce qui ferait une œuvre distincte des commentaires de Raban qui, bien que résumés, sont assez copieux ; ensuite comme nous n’avons pas de commentaires de Raban sur tous les Livres saints mais seulement sur quelques-uns d’entreeux, on pouvait penser à un travail d’ensemble plus bref, mais s’étendant à toute la Bible, accompli sous son contrôle par un disciple. D’ailleurs le titre de la Glose ne présente pas Walafrid comme abbé de Reichenau mais comme moine de Fulda : Walafridi Strabi Fuldensis moriachi glossa ordinaria.

Cependant contre l’attribution de la Glose à Walafrid Strabon une très forte objection naissait de ce fait qu’il n’existe pas de manuscrit plus ancien que le xiie siècle. Comment une œuvre du ixe siècle n’aurait-elle pas laissé de témoins antérieurs ? D’autre part, il est étrange que les auteurs d’histoires littéraires qui écrivent au xiie siècle ne mentionnent pas la Glose dans le catalogue des œuvres de Strabon. Sigebert de Gembloux, vers 1111, l’ignore, P. L., t. clx, col. 563 ; de même YAnonymus Mellicensis qui écrit vers 1130. P. L., t. ccxiii, col. 974. Au xme siècle, Vincent de Beauvais écrit dons son Spéculum historiale, I. XXIV, c. xxviii, De Rabano et scriptis ejus et Strabo discipulo ejus : Hujus discipulus fuit Strabus, qui, eo dictante, plurima excepit et super quosdam libros Pentateuchi commentariola quædam edidit ; rien sur la Glose ; Vincent, pour qui la Glose manifestement fait figure d’auctoritas, la cite toujours comme un anonyme et il arrive que dans un même chapitre Strabus et la Glose soient cités conjointement comme deux autorités distinctes ; c’est le cas par exemple dans le Spéculum naturale, t. I, c. xxviii, De creatione empyrii et de materia informi, où Vincent invoque d’abord Strabusin Genesim, puis la Glossa. Au xve siècle, Trithème, dans son De scriptoribus ecclesiasticis, n : 246, consacrant une notice à Strabus garde le silence sur la Glose. Il est difficile de préciser à quelle date la Glose fut attribuée à

Strabus et devint, pour ainsi dire, son titre de gloire pour la postérité ; Bellarmin, dans son De scriptoribus ecclesiaslicis, ne mentionne même de lui que cet ouvrage : De Slrabo Fuldensi, 840 : Strabus Fuldensis, monachus Rabani discipulus, ex magisiri operibus, decerpens explicationes Scripturarum composuil Glossam, quæ dicitur ordinaria in Scripturas utriusque Testamenti, quæ postea aucta et ornala a posteriori bus fuit. Nous avons dit ce qu’il en est de l’édition de Douai et de celle de Migne ; l’idée est la même que chez Bellarmin : Strabus a inauguré une œuvre qui a reçu depuis des développements considérables.

Le premier, Samuel Berger, dans son Histoire de la Yulgale pendant les premiers siècles du Moyen Age, Paris, 1893, p. 132 sq., étudie la question sérieusement et il émet un doute accentué : « Presque tous les manuscrits de la Glose, écrit-il, sont de date relativement récente. On n’en connaît presque pas qui soient écrits avant le xiie siècle et avant le déclin même de ce siècle. Au reste, il ne faut pas croire que tous nos manuscrits représentent un même commentaire. Le nom de Glose ordinaire couvre souvent dans les catalogues, les compilations les plus hétérogènes. » Dans ces conditions, Samuel Berger ne croit pas possible que la Glose telle que nous la lisons soit antérieure à cette seconde moitié du xiie siècle. Mais impressionné par la tradition, il n’osa pas détruire absolument l’opinion reçue et s’appliqua à trouver les chaînons qui permettraient de remonter jusqu’à l’ancêtre, aux premiers essais du genre. Les manuscrits anciens en provenance de Reichenau ou de Saint-Gall, pensait-il, fourniraient peut-être quelques indices révélateurs. Or le ms. Aug. 135 de Karlsruhe (xe s.), provenant de Reichenau, et le ms. 41 de Saint-Gall écrit entre le ixe etle xe s. semblent donner l’un et l’autre une première rédaction de la Glose, le premier sur les Épîtres catholiques et elle est attribuée explicitement à Walafrid, le second, d’un anonyme de Saint-Gall sur les prophètes. Samuel Berger croit pouvoir en conclure que ces deux mss. constituent le premier jet de la Glose et rattachent ainsi à Strabon ou à son entourage sinon la paternité de toutes les gloses, du moins l’initiative de ce genre littéraire.

Après Samuel Berger le problème de la Glose a été repris ex projesso par H. -H. Glunz, professeur à l’université de Cologne, dans son ouvrage édité à Cambridge en 1933 : Hisloru oj the Vulgale in England jrom Alcuin to Roger Bacon. H. -H. Glunz est très fnippé, lui aussi, par ce fait que les mss. de la Glose ne datent que de la seconde moitié du xiie siècle. Avec raison, il a soin de dégager « la Glose ordinaire », qui est la Close proprement dite, de toutes les Écritures glosées que présentent les manuscrits, car s’il est juste de remarquer avec Samuel Berger que les catalogues de nos bibliothèques appellent quelquefois gloses des commentaires bibliques assez disparates, il n’en reste pas moins que les Bibles ou morceaux de Bible accompagnés de la ( dose ordinaire » constituent une œuvre d’une identité incontestable.

La CAossa ordinaria, en cette seconde moitié du xiie siècle, se trouve ainsi contemporaine des recueils de Sentences ; elle témoigne du même esprit, et de la même préoccupation scolaire, les Pères sont tenus comme Vaudoriia » à peu près définitive en matière de doctrine ; par ailleurs, de même que les recueils de Sentences di roulent un cursus méthodique d’enseignement théologique élaboré d’après les Pères, la (.lose place auprès des versets de l’Écriture leur commentaire odiciel lire des Pères, chaque verset on

presque étant, pourrait-on « lire, affecté d’un coeffl cient qui est son Interprétation, et celle-ci définitive : dans la marge une phrase brève, mais suffisamment

explicative ; entre les lignes, le sens d’un mot ou d’une expression. Avant cette époque, on peut assurément trouver des gloses de l’Écriture ; car le texte sacré n’a jamais pu se passer de commentaires, il en est de longs et il en est de brefs, mais l’ensemble de ces travaux se présente avec une diversité très éloignée de l’unité de la Glossa. Pour cette raison, H. -H. Glunz ne veut pas reconnaître comme ancêtres de la Glose les manuscrits cités par Samuel Berger, ils n’ont avec elle que peu de rapports ; on pourrait, dit-il, en trouver d’autres semblables, et il cite de son côté une glose marginale du psautier, ms. 20 de Boulogne-sur-Mer, écrit à Saint-Bertin à la fin du x c siècle, qui est la reproduction du Breviarium in Psalmos de saint Jérôme. P. L., t. xxvi, col. 823. Pour annuler les derniers arguments en faveur de Strabon, on peut ajouter que le texte de Notker est tellement vague qu’on n’en peut rien conclure. D’autre part, dans la Glossa, les références explicites à Strabus sont fort rares et les citations de Raban Maur bien qu’assez nombreuses ne lui font certainement pas cette situation privilégiée qu’on lui a attribuée. En conclusion aucun sondage ne permet d’attribuer à la Glose une origine plus ancienne que la seconde moitié du xiie siècle. Elle est essentiellement une œuvre scolaire, élaboration d’éléments anciens, mais qui ne se présentaient pas sous la forme précise que prit la Glossa ordinaria. Continuant sa recherche, H. -H. Glunz se sent porté à attribuer l’œuvre au Maître des Sentences lui-même, à Pierre Lombard. Attribuer à Pierre Lombard la totalité de la Glose de l’Écriture paraîtra peut-être un peu excessif ; le P. de Ghellinck, dans l’art. Pierre Lombard, ici, t. xii, col. 1974, suite des nombreuses études de l’auteur sur le Maître des Sentences et le xiie siècle, a établi que Pierre est bien l’auteur de diverses gloses sur les psaumes, les épîtres de saint Paul, etc., mais non pas de « la Glose ». Depuis longtemps, on reconnaissait qu’Anselme de Laon était pour beaucoup dans le développement et la diffusion de la Glose : il composa lui-même des gloses sur le psautier, sur saint Paul, et sans doute aussi sur saint Marc, saint Luc, et saint Jean. Il fallait donc chercher aussi de son côté. De 1935 à 1939, diverses études parues dans les Recherches de théologie ancienne et médiévale ont éclairé peu à peu le problème, en particulier deux articles de Miss B. Smalley : Gilbertus Universalis, bishop oj London and the problem oj the « Glossa ordinaria », op. cit., 1935, p. 235-262 ; 1930, p. 24-60 ; et La Glossa ordinaria, quelques prédécesseurs d’Anselme de Laon, ibid., 1937, p. 365-400 ; à quoi il faut ajouter son article du Cambridge hist. Journ., 1938, p. 103-113 : À collection oj Paris Lectures oj the later Vilh centurg in the Ms. Pembroke Collège Cambridge 7. Nous pouvons résumer ainsi les conclusions de l’auteur. La Glose est une œuvre complexe élaborée progressivement par divers compilateurs cependant le plan a été conçu par une seule personne, Anselme de Laon, vraiment figure centrale : lui-même a compilé le psautier et saint Paul, son frère Raoul probablement saint Matthieu. Gilbert dit l’Universel a travaillé à une partie de l’Ancien Testament : Pentateuque et prophètes, Alhéric de Bcims a peut-être glosé les Actes, et d’antres dont la part fut moindre. C’est la première (’tape de l’histoire de la Close. La seconde chipe est l’adoption à Paris de l’œuvre d’Anselme comme manuel : ici nous rencontrons le patronage de Pierre Lombard et les conclusions de Miss Smalley rejoignent en partie celle de Clunz : h’Maître des Sentences, s’il n’est pas l’auteur de la Classa, en fut le propagateur : la (dose devint un véritable manuel seripturaire au même titre que les Sentences. Il y eut alors des eommen

taires sur la Glose, comme il y eut des commentaires sur les Sentences. "Voir — en tenant compte des travaux plus récents que nous venons de signaler — La renaissance du XIIe siècle, les écoles et l’enseignement, par G. Paré, A. Brunet, P. Tremblay, Ottawa, 1933, c. v, L’enseignement scripluraire : techniques et méthodes, p. 229. Ainsi se trouve écarté complètement le nom de Walafrid Strabus comme auteur de la Glossa ordinaria.

III. Œuvres. — 1° Œuvres scripturaires. — Une fois enlevée à Walafrid la Glossa ordinaria, il lui reste assez peu de choses : quelques commentaires, particulièrement des résumés des commentaires plus importants de Raban Maur, de petits ouvrages de caractère indéterminé que les éditeurs anciens qualifient d’homélies et c’est tout. Dom Bernard Pez découvrit dans la bibliothèque de Reichenau un commentaire sur les 76 premiers psaumes. Il ne jugea pas à propos de publier tout le manuscrit et fit entrer seulement le texte des vingt premiers au t. iv de son Thésaurus novissimus anecdotorum, Augsbourg, 17211729. Migne reproduit le texte de Pez, t. cxiv, col. 751-794. Ce commentaire assez abondant ne semble pas beaucoup se préoccuper du sens littéral. D’après Samuel Berger, op. cit., p. 134, le ms. découvert par Pez existe encore, partie à Karlsruhe, Aug. 192, partie à Saint-Gall, n. 313. Samuel Berger signale également un commentaire sur le Pentateuque, en partie résumé de Raban ; il est conservé à Saint-Gall dans le ms. 283 (ixe s.) ; de ce commentaire, seule la partie concernant le Lévitique a été publiée par Colvener parmi les œuvres de Raban Maur. Migne l’a reproduite à sa vraie place parmi les œuvres de Strabon ; une préface indique, en effet, nettement l’auteur et son but. P. L., t. cxiv, col. 795850. Ce commentaire sur le Lévitique ainsi que ceux des deux autres livres du Pentateuque ont été utilisés souvent à défaut de commentaires de Raban sur ces livres. Nous avons vu plus haut comment le ms. 69 de la bibliothèque de Tours donne, à la suite des commentaires de Raban sur la Genèse et l’Exode, le Lévitique de Strabus préfacé comme nous avons dit, puis du même Strabus un commentaire sur les Nombres, suivi du catalogue des stations du peuple de Dieu dans le désert, et enfin un commentaire sur le Deutéronome.

Les Homélies de Walafrid sont au nombre de deux. La première, une explication très allégorique de la généalogie selon saint Matthieu, est reproduite par Migne d’après Pez qui l’avait découverte, Thésaurus, t. n ; P. L., t. cxiv, col. 949 à 962 ; l’autre, sur la ruine de Jérusalem où le récit de Josèphe est largement mis à contribution, P. L., t. cxiv, col. 965974, a été découverte par Canisius et publiée par lui dans ses Lectiones antiquæ, édit. de 1725, t. il. Il n’y a pas de raison, semble-t-il, d’attribuer à Walafrid V Expositio in quatuor evangelia, réflexions assez décousues sur des phrases ou des mots tirés des quatre évangélistes que Migne donne à la suite de l’homélie sur la généalogie, col. 862.

De rébus ecclesiasticis.

Le titre exact et complet

est celui-ci : De ecclesiasticarum rerum exordiis et incrementis. Cet ouvrage, depuis Margarin de la Bigne, en 1575, figure dans les éditions de la Bibliotheca Patrum et Migne n’a fait que reproduire le texte du t. xv de l’édition de Lyon. Cet opuscule mérite, en effet, d’être conservé et d’être étudié. Les prétentions de l’auteur sont modestes, il les annonce dans sa préface : les ouvrages traitant de ces questions ne manquent pas, mais certains problèmes ont été sinon omis, du moins traités trop sommairement au gré d’un certain Reginbert pour qui il écrit ; il veut donc essayer de combler quelques lacunes et en particulier,

dans la mesure où les documents le permettent, indiquer les origines et le développement des choses et des usages. Le point de départ est donc concret : il faut expliquer les choses, c’est-à-dire les objets qui servent pour" le culte, à commencer par les églises, les rites, les cérémonies, les costumes. L’auteur en donne un éclaircissement sommaire, mais le plus souvent très pertinent ; et, ce qui est remarquable, il a le souci historique : de quand date telle manière de faire, et surtout de quel principe procède-t-elle ? Ainsi de l’ordre concret nous passons à la théologie, à propos, par exemple, du baptême des enfants, du sacrifice de la messe, de la querelle des images, etc. Dans un article des Recherches de sciences religieuses, octobre 1939 : Le développement du dogme d’après Walafrid Strabon, à propos du baptême des enfants, le P. de Ghellinck dit très bien ce qui fait pour nous l’intérêt de cet ouvrage : il laisse entrevoir « des vues originales et un fond de réflexion, on serait porté à dire de sens scientifique, qui le mettent fort en avance sur la plupart des auteurs de son époque ». Outre l’édition de Migne, il en existe deux autres, l’une dans les Mon. Germ. hist., Capiiularia regum Francorum, t. ii, p. 474-516 ; et une autre de A. Knoepler : Walafridi Strabonis liber de exordiis et incrementis quarumdam in observationibus ecclesiasticis rerum, Munich, 1899.

Hagiographies et biographies.

À vrai dire il ne

s’agit pas ici d’œuvres originales composées de première main, mais de remaniements ou d’éditions d’ouvrages plus anciens. Les deux livres de la Vita sancti Galli, fondateur et premier abbé du monastère qui porte son nom, furent rédigés sur un texte déjà existant, à la demande de Gozbert, abbé de Saint-Gall, entre 817 et 837. P. L., t. cxiv, col. 975-1030. La Vita sancti Othmari, abbé de Saint-Gall, mort en 759, se présente dans des conditions analogues. P. L., col. 1030-1042. Plusieurs autres Vies édifiantes sont rédigées en vers, nous les retrouverons. Notons cependant que la Vie de saint Gall, en vers, d’après le texte en prose, n’est pas de Walafrid, quoiqu’il ait manifesté le désir de la rédiger ; elle est l’œuvre d’un disciple. On doit à Walafrid l’édition de la Vita Ludovici par Thégan, chorévêque de Trêves, P. L., t. cvi, col. 405 ; Walafrid, qui a été lié d’amitié avec Thégan et partageait son admiration et sa compassion pour l’empereur Louis le Pieux, présente l’ouvrage dans une préface et le fait précéder d’une table des chapitres. Il revit également la Vita Caroli d’Éginhard et l’accompagna d’une notice sur Éginhard lui-même. Jaffé, Bibliotheca rerum german., t. iv, Berlin 1867 ; L. Halphen, Éginhard, Vie de Charlemagne, dans Les classiques de l’Histoire de France au Moyen Age, Paris, 1923.

4° Œuvres poétiques. — Walafrid écrivait en vers avec une extrême facilité et cela dès sa prime jeunesse. On se reportera à l’analyse détaillée faite par Ebert dans son Histoire générale de la littérature du Moyen Age en Occident, traduction Aymeric, Condamin, Paris, 1884, t. ii, p. 164 sq. Une bonne partie de ses vers se rapporte à la cour d’Aix-la-Chapelle et à ses principaux personnages : en premier lieu la famille impériale, Louis le Pieux et ses trois premiers fils, Lothaire, Louis et Pépin ; Judith et son fils Charles. Les vers de Walafrid témoignent d’une réelle sincérité dans l’admiration et la reconnaissance, d’un sentiment juste de l’idée impériale : Strabus resta toujours fidèle à ses bienfaiteurs et il eut à en souffrir. Autour de ces personnages principaux gravitent d’autres d’importance moindre, auxquels notre auteur adresse de petits poèmes sérieux ou plaisants, religieux ou profanes, parfois de simples jeux d’esprit. Parmi un très grand nombre de poésies sacrées, traductions de passages bibliques, inscriptions pour peintures religieuses, hymnes à la Vierge ou aux saints, exhortations pieuses, quelques pièces retiennent l’attention. La première, intitulée De visionibus Wettini, est la mise en vers par Walafrid d’un récit composé précédemment en prose par Hatton, abbé de Reichenau, P. L., t. cv, col. 770 ; Wettin, moine de Reichenau et maître très aimé de Walafrid, est censé raconter ce qu’il a vu dans l’autre monde, enfer, purgatoire, paradis ; c’est une occasion de reprocher leurs fautes aux prêtres, aux moines, aux évêques, aux moniales, aux fonctionnaires, à Charlemagne lui-même et d’exhorter avec vigueur les vivants à se corriger ; les personnages visés sont indiqués par des acrostiches ; esquisse, si l’on veut, de la Divine Comédie, mais nous sommes loin du chefd’œuvre, le souffle manque. Vient ensuite la Vie de saint Blatmaïc, environ 200 vers ; un saint irlandais, fils de roi, désireux d’ascétisme et même du martyre, se retire dans_l’île de Hy en Ecosse, exposée aux incursions normandes, et réalise son désir du martyre. La Vita sancti Mammæ, 650 vers, est un essai d’épopée chrétienne ; on y raconte les exploits d’un chrétien de Césarée de Cappadoce, martyr sous Aurélien. Ces légendes hagiographiques, pleines de ce merveilleux dont s’enchantaient les moines du Moyen Age, nous laissent sceptiques et le ton épique n’est pas pour nous réconcilier avec elles. Walafrid n’est pas l’auteur d’une Vita Beati Leudegarii en deux livres, que Migne donne en appendice de ses œuvres d’après dom Pitra, qui d’ailleurs ne se prononce pas avec certitude sur l’auteur. Dom Pitra, Histoire de saint Léger, Paris, 1846, p. 464.

Parmi les petits poèmes de Walafrid, il faut faire une place particulière à son Hortulus ou De cultura hortorum, description poétique du petit jardin médical d’un monastère. Bien qu’il soit loin d’être unique en son genre, cet Hortulus se distingue de ses congénères par sa sensibilité, le sentiment délicat de la nature et la connaissance des maîtres de la médecine ancienne. Walafrid, on ne peut le nier, est vraiment poète. L’édition la plus récente est celle du D r Henri Leclercq, Le petit jardin, texte latin et traduction française avec introduction et commentaire, Paris, 1933.

Les éditions des divers ouvrages ont été indiquées au cours de l’article. Les œuvres poétiques de Walafrid ont été rassemblées par Dummler dans les Mon. Germ. hist., l’oetw latinl œvi carolini, t. h. La Visio Wettini est précédée du texte en prose de Hatton. La Vita saneti Galli, d’un disciple de Walafrid, d’après le texte en prose de celui-ci, est donnée en appendice.

Outre les ouvrages déjà cités, voir dom Ceillier, Hist. yen. des auteurs sacrés et ceci., édition Vives, t. xii ; Manitius, Gesch. der latein. Literatur des M. A., t. i, p. 302 ; M.-L.-W. Laistner, Thought ami letters in Western Europe A. D., 600-900, Londres, 1931 ; J. de Ghcllinck, S. !., Littérature latine au Moyen Age, t. 1, Paris, 1939 ; dom Philibert Schmitz, Histoire de l’ordre de Saint-Iienoît, t. ii, Maredaous 11112.

H. Peltier.