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Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Humilité

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Éd. Garnier - Tome 19
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HUMILITÉ[1].

Des philosophes ont agité si l’humilité est une vertu ; mais, vertu ou non, tout le monde convient que rien n’est plus rare. Cela s’appelait chez les Grecs ταπείνωσις ou ταπείνωμα. Elle est fort recommandée dans le quatrième livre des Lois de Platon ; il ne veut point d’orgueilleux, il veut des humbles.

Épictète en vingt endroits prêche l’humilité. — Si tu passes pour un personnage dans l’esprit de quelques-uns, défie-toi de toi-même. — Point de sourcil superbe. — Ne sois rien à tes yeux. — Si tu cherches à plaire, te voilà déchu. — Cède à tous les hommes ; préfère-les tous à toi ; supporte-les tous.

Vous voyez par ces maximes que jamais capucin n’alla si loin qu’Épictète.

Quelques théologiens, qui avaient le malheur d’être orgueilleux, ont prétendu que l’humilité ne coûtait rien à Épictète, qui était esclave ; et qu’il était humble par état, comme un docteur ou un jésuite peut être orgueilleux par état.

Mais que diront-ils de Marc-Antonin, qui, sur le trône, recommande l’humilité ? Il met sur la même ligne Alexandre et son muletier.

Il dit que la vanité des pompes n’est qu’un os jeté au milieu des chiens ; — que faire du bien et s’entendre calomnier est une vertu de roi.

Ainsi le maître de la terre connue veut qu’un roi soit humble. Proposez seulement l’humilité à un musicien, vous verrez comme il se moquera de Marc-Aurèle.

Descartes, dans son Traité des passions de l’âme, met dans leur rang l’humilité. Elle ne s’attendait pas à être regardée comme une passion.

Il distingue entre l’humilité vertueuse et la vicieuse. Voici comme Descartes raisonnait en métaphysique et en morale :

« Il n’y a rien en la générosité qui ne soit compatible avec l’humilité vertueuse[2], ni rien ailleurs qui puisse changer : ce qui fait que leurs mouvements sont fermes, constants, et toujours fort semblables à eux-mêmes. Mais ils ne viennent pas tant de surprise, pour ce que ceux qui se connaissent en cette façon connaissent assez quelles sont les causes qui font qu’ils s’estiment. Toutefois on peut dire que ces causes sont si merveilleuses (à savoir la puissance d’user de son libre arbitre, qui fait qu’on se prise soi-même, et les infirmités du sujet en qui est cette puissance, qui font qu’on ne s’estime pas trop), qu’à toutes les fois qu’on se les représente de nouveau, elles donnent toujours une nouvelle admiration. »

Voici maintenant comme il parle de l’humilité vicieuse :

« Elle consiste principalement en ce qu’on se sent faible et peu résolu, et comme si on n’avait pas l’usage entier de son libre arbitre. On ne se peut empêcher de faire des choses dont on sait qu’on se repentira par après. Puis aussi en ce qu’on croit ne pouvoir subsister par soi-même, ni se passer de plusieurs choses dont l’acquisition dépend d’autrui ; ainsi elle est directement opposée à la générosité, etc. »

C’est puissamment raisonner.

Nous laissons aux philosophes plus savants que nous le soin d’éclaircir cette doctrine. Nous nous bornerons à dire que l’humilité est la modestie de l’âme.

C’est le contre-poison de l’orgueil. L’humilité ne pouvait pas empêcher Rameau de croire qu’il savait plus de musique que ceux auxquels il l’enseignait ; mais elle pouvait l’engager à convenir qu’il n’était pas supérieur à Lulli dans le récitatif[3].

Le révérend P. Viret, cordelier, théologien et prédicateur, tout humble qu’il est, croira toujours fermement qu’il en sait plus que ceux qui apprennent à lire et à écrire ; mais son humilité chrétienne, sa modestie de l’âme, l’obligera d’avouer dans le fond de son cœur qu’il n’a écrit que des sottises. Ô frères Nonotte, Guyon, Patouillet, écrivains des halles, soyez bien humbles ; ayez toujours la modestie de l’âme en recommandation.



  1. Questions sur l’ Encyclopédie, septième partie, 1771. (B.)
  2. Descartes, Traité des passions. (Note de Voltaire.)
  3. Il ne pouvait qu’imiter ce récitatif, créé par Lulli, et qui lui semblait parfaitement adapté à notre prosodie française. « Toujours occupé, dit-il, de la belle déclamation et du beau tour de chant qui règnent dans le récitatif du grand Lulli, je tâche de l’imiter, non en copiste servile, mais en prenant, comme lui, la belle et simple nature pour modèle. » (Préface de l’opéra des Indes galantes.) (K.)


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