Discussion:L’Autre (Sand)
Ajouter un sujetÉditions[modifier]
- cf. Henri.Sch Le Figaro [1854], 7 mars 1870 (17e année, 3e série, n° 66 p.2 col.2) — Un article signé A.D. (Alfred d'Aumay?) et intitulé "La Thèse de L'Autre", compare l'ancien texte et le texte modifié de « la principale tirade dite par Berton au dernier acte de l'Autre; les deux textes sont mis en regard
- 1870 Édition Originale : comédie en quatre actes et un prologue ; Paris ; Michel Lévy frères, éditeurs, Librairie Nouvelle; 1870 [1]
- 1870 : 2e édition [2]
- 1870 : 3e édition Livre:Sand - L Autre.djvu
Statistique[modifier]
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Revue de presse[modifier]
- Revue des deux mondes : Chronique de la quinzaine - 28 février 1870
- 15/02/1870 La Fantaisie parisienne [3]
- 27/02/1870 Le Gaulois http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5197510/f1.item
- 7 mars 1870 : Le Figaro [4]
DE
L’AUTREOn sait que, cédant à la dernière heure aux conseils de quelques intimes, George Sand a modifié la principale tirade dite par Berton au dernier acte de l’Autre.
L’illustre écrivain a substitué au développement d’une thèse hardie, d’une idée qui fait partie du fonds de ses doctrines sociales une simple application de cette idée aux personnages de sa comédie.
Le propre du caractère de George Sand est la modestie. Elle a écouté les conseils, craignant de compromettre son succès en accentuant trop sa pensée. Figaro a aujourd’hui la bonne fortune de pouvoir donner l’ancienne tirade, celle qui a été jugée dangereuse et celle que l’auteur a improvisée au dernier moment.
Nous pensons que la comparaison est intéressante. En tous cas, nous croyons bien faire en empêchant par cette indiscrétion qu’une page éloquente de George Sand soit perdue pour ses admirateurs.
A.D.
ANCIEN TEXTE | TEXTE MODIFIÉ | |
Quel intérêt ?… l’intérêt que toute conscience éclairée par la réflexion doit prendre à une question de vie et de mort pour la conscience de tous ! |
Quel intérêt ? L’intérêt du cœur et de la conscience ! | |
Le parjure, avez-vous dit ! -- Oui, une malheureuse femme à qui vous devez la vie, a violé la foi jurée mais qui donc, après lui en avoir donné l’exemple, lui a imposé la triste fatalité de l’abandon ? Savez-vous ce que c’est que l’abandon ? C’est la flétrissure imméritée de la femme, c’est son innocence première révoquée publiquement en doute. C’est le soupçon autorisé, c’est l’appel aux prétentions de tous sur elle, c’est l’audace de tous encouragée ! C’est la détresse, la frayeur. l’égarement et la défaillance de l’être faible à qui son maître, son protecteur assermenté, a dit tout à coup « Reste-là, au milieu du chemin, j’appartiens à un autre amour, et tu me gênes. Garde-toi toi-même ou ne te garde pas peu m’importe. Il me sera même utile que tu sois coupable pour m’autoriser à l’être de plus en plus. Ta pureté me lasse et ta souffrance m’irrite. J’ai besoin du vice, j’ai soif d’impunité ! Va ! perds-toi loin de mes yeux, mais ne fuis pas avec un autre, car je garde en mes mains le bout de ta chaîne, et si je sens qu’elle m’échappe, je la serre et je l’étouffe ! » |
Le parjure avez vous dit ! -- Oui, une malheureuse femme à qui vous devez la vie, a violé la foi jurée ; mais qui donc, après lui en avoir donné l’exemple, lui a imposé la triste fatalité de l’abandon ? Savez-vous ce que c’est que l’abandon ? C’est la flétrissure imméritée de la femme, c’est son innocence première révoquée publiquement en doute, c’est, le soupçon autorisé, c’est l’audace de tous encouragée C’est l’égarement et la défaillance de l’être faible, à qui son maître, son légitime protecteur, a dit tout à coup : Reste-là, au milieu du chemin, j’appartiens à un autre amour et tu me gênes. Garde-toi toi-même ou ne te gardes pas, peu m’importe. Il me sera même utile que tu sois coupable pour m’autoriser à l’être de plus en plus. | |
Il est donc respectable, celui qui parle et agit de la sorte ? Et le coupable selon vous, c’est celui qui, rencontrant cette femme brisée, exposée a toutes les insultes, livrée au premier passant que le désir ou la pitié arrêtera, auprès d’elle, la relève, la prend dans ses bras, lui donne sa vie et attend sans crainte que l’époux absent daigne reparaître pour le tuer ? C’est cet homme-là que vous condamnez, et pour vous, celui qui prétend laver, dans le sang d’autrui. son propre crime exerce un droit sacré ? |
Il est donc respectable celui qui parle et agit de la sorte ? Et celui qui, rencontrant cette femme brisée, exposée à toutes les insultes, livrée au premier passant que le désir ou la pitié arrêtera auprès d’elle, la relève, la prend dans ses bras, lui donne sa vie, celui-là, c’est le coupable ? Rien ne l’absoudra ? Ni sa passion, ni sa jeunesse, ni son repentir, ni son sang versé pour elle ? | |
Eh bien, libre à vous de le croire, mais je sens la, moi, contre ce faux droit de l’époux indigne, une révolte brûlante ! C’est assez d’humiliations dévorées en silence, assez de victimes sacrifiées aux lâches compromis de l’égoïsme, assez d’amants égorgés par des maris sans jalousie réelle et sans véritable honneur ! Assez de pères condamnés à voir leur enfant leur jeter la plus lourde pierre ! Assez de mensonges, assez d’hypocrisies ! Il serait temps qu’un homme de cœur et de courage put crier au gardien infidèle de la famille : cette femme que j’ai trouvée sans conseil, sans défenseur et sans appui est à moi, et l’enfant qu’elle m’a donné ne vous plaint pas, ne vous respecte pas ne vous connaît pas et ne vous appartient pas ! |
Eh bien libre à vous de le croire, mais je sens là, moi, contre les arrêts implacables une révolte brûlante, et j’en appelle à la justice de l’avenir. Il faudra bien que la pitié entre dans les jugements humains et qu’on choisisse entre protéger ou pardonner. | |
Mais le monde ne permet pas cela, et sa voix vous parle plus haut que la mienne ! Adieu donc, adieu Hélène ! je vais dire à votre père une parole qui le condamnera à un éternel silence : « Ton enfant te renie ! » Priez Dieu que ce ne, soit pas pour lui un arrêt de mort ! |
Mais le monde ne comprend
pas encore cela, et
sa voix vous parle plus
haut que la mienne !
Adieu donc, adieu Hélène !
Je vais dire à votre
père une parole qui le
tuera peut-être : Ton enfant !
ton enfant te renie ! GEORGE SAND. |
- 12 mars 1870 Le Monde illustré [5]
Je suis en retard pour parler de l’Autre, la dernière pièce de Mme George Sand à l’Odéon. C’est un succès qui promet de rappeler celui du Marquis de Villemer. On ne s’amuse pas beaucoup à l’Autre, je le dis tout net et tout de suite ; — avis aux esprits frivoles qui seraient tentés de passer l’eau, sur la foi des dithyrambes d’une certaine partie de la critique ! Il faut être un peu initié pour goûter du charme au répertoire dramatique de George Sand. Une grande subtilité d’esprit, une morale indépendante, l’affranchissement de tout pacte social, le dédain du rire, un besoin d’émancipation, une ardeur d’absolution générale, le goût des milieux faux, l’amour des caractères exceptionnels, voilà quelques-unes des conditions principales pour être reçu sandiste. Je ne vous dirai pas les épreuves particulières. Un spectateur sain et quelque peu candide se sent effarouché en entrant de plain-pied dans ce sanctuaire de déclassés. L’Autre, par exemple, est un drame en faveur d’un père adultérin. La partie non initiée du public a fait la grimace, -- à ce point que l’auteur a cru nécessaire, ces jours derniers, d’écrire un bout de préface, pour justifier ses intentions.
« Quelques personnes ont cru voir ici une thèse, — dit Mme George Sand ; — le mot est trop ambitieux pour moi ; j’accepte celui de proposition. Or, je propose d’absoudre le mal qu’on n’a pas voulu empêcher. Absoudre n’est peut-être pas le mot non plus, il faut dire pardonner, comme dans la pièce. Si l’on s’obstinait à y voir un plaidoyer en faveur de l’adultère, je protesterais contre l’intention cachée qui ne peut être imputée à mon caractère, lequel manque absolument de finesse et d’habileté, et j’en appellerais au calme de la lecture. La thèse contraire, si thèse il y a, est plaidée durant toute la pièce par tous les personnages, par la femme coupable qui meurt de chagrin, par la fille qui renie et maudit presque son père illégitime, par le fiancé qui le soupçonne et l’insulte, par le précepteur qui n’admet pas d’excuse à la faute commise. Mais le pardon est invoqué par le coupable qui a expié, et le pardon tombe de la bouche la plus pure, celle de l’aïeule qui n’a jamais fait que le bien. Je crois que celle-ci est dans la vraie morale et dans la vraie réligion ; et, si l’on m’assurait qu’il faut punir à outrance et sans retour le mal que l’on a autorisé, j’avoue que je ne le croirais pas. »
C’est déjà quelque chose que d’avoir obtenu ces explications de Mme George Sand. D’ordinaire, elle en agit plus cavalièrement avec le public et la critique. Ainsi elle écrivait en tête de son Molière, un Molière bien à elle, en effet : « Depuis quelque temps, j’ai lu avec assez d’attention, pour en faire consciencieusement mon profit, ce qui a été écrit sur mes essais dramatiques. Mais, à mon grand regret, je n’y ai trouvé aucun profit. » Soit. De mon côté, je ne me laisse point prendre à ses prétendues théories et à ses soi-disant systèmes. Des indiscrétions nous ont renseigné sur sa façon de travailler : son ouvrage terminé, elle en commence immédiatement un autre. Voici les rames de papier immaculées, voici les plumes taillées fraîchement. À l’ouvrage ! Cela vient abondamment, ou cela vient lentement, mais cela vient toujours ; cela est du génie, ou cela est du talent ; cela est de la sensibilité comme le Mariage de Victorine, ou de l’esprit comme le Démon du foyer ; cela est du pastiche comme les Vacances de Pandolphe, ou du caprice historique comme les Beaux Messieurs de Bois-Doré ; cela est de la passion comme Flaminio, ou de la grâce comme le Pavé ; cela est de la sincérité comme Maître Favilla, ou de la manière comme les Don Juan de village, -- à moins que cela ne soit du parodoxe lugubre comme l’Autre.
En cette dernière pièce, Mme George Sand s’est montrée ce qu’elle est trop souvent : un Marivaux cruel.
CHARLES MONSELET.
- Le Petit journal [6] 27/02/1870
THÉÂTRES
Odéon, L’Autre, comédie en quatre actes et un prologue, de George Sand
On disait que cet ouvrage est l’apologie de l’adultère c’est seulement son excuse dans certain cas et surtout dans la circonstance présente. Un écrivain de la valeur de George Sand a trop le respect du public et de lui-même pour oublier que sa plume doit chercher à moraliser et non à pervertir.
L’adultère peut-il jamais trouver une excuse ? Assurément non, et l’auteur le dit par la bouche de son personnage le plus sympathique, par la bouche d’Hélène de Mérangis, qui, malgré la pureté de sa personne et de son âme, comprend et juge non en pensionnaire naïve, mais en jeune fille que des événements malheureux font réfléchir et qui, sans tout savoir, a l’intuition de bien des choses.
George Sand plaide seulement les circonstances atténuantes en faveur d’Elsie Wilmore, qui fut infidèle, et nul doute que le jury (vous lecteurs et les spectateurs de l’Odéon) lui en accordent le bénéfice.
Mariée à un marin français, Elsie Wilmore reste abandonnée dans le manoir de Linsdale, pendant que le comte de Mérangis subit au loin l’ascendant d’une certaine Hilda Sinclair, et elle finit par céder à un amour né d’attendrissement et de pitié. Lorsque le comte daigne revenir en Écosse, avec Hilda Sinclair il apprend sans irritation apparente qu’un enfant naquit en son absence. Sa conscience lui dit bien que le premier coupable c’est lui, mais il faut venger l’honneur il se battra avec Maxwell et la preuve vivante de son déshonneur, la petite Hélène de Mérangis, sera envoyée en Provence, chez la comtesse sa grand’mère. Quant à Elsie, sa santé fortement ébranlée pourra-t-elle résister à la douleur de se voir séparée de son enfant !
Le comte ne le pense pas, et Hilda Sinclair voudrait bien s’appeler à son tour « comtesse de Mérangis »
Vingt ans nous séparent de ce prologue et nous voici au château de Mérangis. Hélène est une belle jeune fille que sa grand’mère a élevée avec la sollicitude la plus affectueuse et qui est l’objet des respects et de l’admiration de tous. Maxwell n’habite plus l’Écosse ; établi en Provence, où il exerce la médecine avec distinction, il se montre fort assidu chez la vieille comtesse, en dépit de Marcus, le cousin et le fiancé d’Hélène. Maxwell est un homme encore jeune, et ses soins et ses attentions pour Mlle de Mérangis peuvent sembler suspects, bien que la situation du docteur vis-à-vis d’Hélène soit connue des uns et devinée par les autres.
Nous entrons dans une série d’événements qui eussent pu fournir un mélodrame fort noir, mais dont George Sand se sert avec une grande sobriété et qui, pour la plupart, se passent dans la coulisse. Elsie morte, Hilda Sinclair s’est fait épouser par le comte de Mérangis, qui meurt aussi, après avoir, sur les instances de sa seconde femme, déshérité Hélène, s’appuyant sur les preuves de l’infidélité d’Elsie. Ces preuves, Hilda les a conservées précieusement : elles ne laissent aucun doute sur l’origine de celle qu’on appelle Mlle de Mérangis.
Tout à l’heure, Marcus apprenait que son patrimoine se trouvait englouti dans une faillite et il voulait rendre sa parole à Hélène. Voici maintenant qu’Hélène ne possède plus rien et n’a pas même de nom ; à son tour, elle refuse d’attacher Marcus à son triste sort. Combat de générosité entre ces deux jeunes gens qui s’estiment encore plus qu’ils ne s’aiment, et désespoir de Maxwell, qui doit d’autant plus veiller sur Hélène qu’elle reste désormais sans appui, et que la vieille comtesse elle-même se refroidit lorsqu’elle sait que le sang des Mérangis ne coule pas dans les veines de la jeune fille. Mais comment la protéger sans se trahir ? Il faut bien qu’il parle à la fin, car Marcus le provoque, le croyant toujours son rival.
Après bien des péripéties, Hélène connaît le secret de sa naissance ; son esprit se reporte en Écosse, à l’époque du duel du comte et de Maxwell dans le parc de Linsdale. Ce tableau fantastique qui lui apparaît souvent, comme dans un mirage, d’un homme étendu et blessé aux pieds d’un autre homme armé ; ce tableau qui se déroulait la nuit à la lueur des torches, et dans lequel elle figurait aussi, penchée par sa nourrice sur l’homme étendu et blessé, c’était donc un souvenir réel !
La pauvre Hélène, dont l’honnêteté se révoltait à l’idée qu’on pût excuser une femme coupable, la pauvre Hélène acceptera-t-elle les souffrances de sa mère en expiation de sa faute et la première comtesse de Mérangis sera-t-elle pardonnée par sa fille ?
Mais « l’autre, quel est-il, direz-vous ? Comment le titre se justifie-t-il ? L’autre, n’est pas le père devant la loi ; c’est le vrai et ce n’est pas le vrai ; ce n’est pas le père, ce n’est pas le mari c’est l’autre !
À la donnée intéressante, même pour ceux qui ne partagent pas les idées émises par l’auteur, il faut ajouter le charme d’un style élevé, des scènes d’une simplicité ravissante, de fortes situations, des mots spirituels et bien venus, et l’attrait d’une magnifique interprétation qui peut revendiquer sa part dans ce beau succès. Aussi les applaudissements ont-ils éclaté bien souvent, chaleureux et unanimes, plusieurs fois enthousiastes. Berton, très bien dans je rôle de Maxwell Pierre Berton, superbe dans celui de Marcus, et Raynard, qui font, chacun dans son genre, des progrès très remarquables Mlle Sarah Bernhardt, d’une ingénuité pleine de naturel et de grâce, et d’un sentiment parfait de toutes les nuances de son personnage, et Mlle Page, dans un rôle qu’elle joue par condescendance pour l’illustre auteur, ont été rappelés par toute la salle.
- 1870 : Mignon-programme [7]
THÉÂTRE DE L’ODÉON
L’AUTRE
PREMIÈRE REPRÉSENTATION, VENDREDI 25 FÉVRIER 187O
« Mon cher ami,
« Me gardez-vous le mois de février, comptez-vous sur moi, dois-je compter sur vous ?
« J’ai un travail à vous lire et je ne puis aller à Paris avant le mois de janvier. Ce serait trop tard pour faire des remaniements, s’il y en a d’importants à faire. Voulez-vous me donner cette parole d’honneur que mon manuscrit ne sera lu que par vous, Duquesnel et une troisième personne, sûre, à votre choix ? et que jusqu’à ce que nous soyons d’accord sur la réception de la pièce, personne au monde ne saura que j’ai une pièce entre vos mains ? Si vous ne me donnez pas votre parole, je ne puis agir. Si vous me la donnez, je vous enverrai le manuscrit.
« La pièce que je vous offre est de moi seule, elle n’a été lue qu’à mes enfants. Je n’en ai même dit un mot à qui que ce soit. S’il y a une indiscrétion, elle viendra donc de l’Odéon, et je vous demande le secret jusqu’à nouvel ordre.
« Réponse tout de suite et à vous de cœur. G. SAND.
« Nohant, 12 décembre, 1868. »
C’est par cette lettre que l’illustre auteur du Marquis de Villemer annonçait à M. de Chilly le beau drame que chaque soir le public de l’Odéon acclame.
On avait d’avance crié à l’apologie de l’adultère. Il n’en est rien. La pièce ne quitte pas les hauts et salutaires sommets de l’humanité et de la justice. Georges Sand se contente de plaider les circonstances atténuantes, en développant cette phrase brutalement vraie, que M. A. Touroude, jetait l’autre jour au public par la bouche de son Bâtard : « On est le père des enfants qu’on aime bien plus que des enfants qu’on fait !... »
Le succès a couronné son entreprise. Les acteurs ont tenu à se montrer dignes de l’œuvre qu’ils étaient chargés d’interpréter. Les deux Berton et Raynard rivalisent de talent et de verve ; Mme Sarah Bernhart, Adèle Page, M. Colombier et Davril rivalisent de naturel et de grâce.
- 28/02/1870 : Journal des débats... [8]
FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS
DU 28 FÉVRIER 1870.
{
LA SEMAINE DRAMATIQUE.
THÉÂTRE DE L’ODÉON : L’Autre, drame en quatre actes (un prologue), par George Sand. -- Les acteurs. -- Personnages du prologue : Maxwell, le comte de Mérangis, Elsie Wilmore, comtesse de Mérangis ; Hilda Sinclair, Jeanne, Meg, Dick. -- La scène du prologue est en Écosse, au manoir de Linsdale.
Donc la scène est sombre; au dehors la neige, au dedans l’inquiétude et toutes ses mis&res. Le maître du logis, le comte de Mérangis, oublieux de tous ses devoirs, s’en ’vient dans cette maison de la désolation pour signifier à son épouse abandonnée qu’à cette heure il faut se résigner quitter pour jamais une enfant de douze à quinze ans, ’611e de l’adultère. Hâtons-nous il faut que l’enfant parte et que la mère coupabie obéisse au mari qui se venge. Hélas! la t’emme amoureuse en dehors~iesloiscon- jugales avait tant de motifs pour se venger de son époux inndèle Elle était belle, il l’a trahie; elle ét’ait honnête, il l’a déshonorée; et, fidèle, il en a fait une vaine idole, ou- blieuse de cette grande parole : << Le triomphe de la modestie et la dernière perfection de l’honnêteté dans une femme est de ne pas se laisser voir. Mais quoi ces grands auteurs dramatiques mêlent si habilement avec le vice une si agréable couleur de vertH, ils savent si bien emprunter le mas- que et le fard d’une habile hypocrisie, et tant et tant ils entourent leurs fantômes de cette gloire usurpée, que les plus honnêtes ~pestateurs se laissent prendre à toutes ces déceptions’ Cette, humble femme, Elsie Wilmore, avait un mari et un amant; elle a trahi l’un, elle a sacrifié tout a l’aK~’ë. Ah! cet autre, il est le roi de ces maisons dés- honorées, il est le dieu de ces femmes per- dues, il est la consolation de ces miséra- bles, il est le père des enfans qui viennent au monde en dépit de la loi commune. Honte a l’un haine et mépris pour l’<ïM~’c et pour toutes ces créatures dédaigneuses des sentiers frayés )
Pendant que la femme légitime du comte de Mérangis hésite et se trouble en appre- nant que son mari la demande a ceUe heure de la imit, dans ce coupe-gorge, et tui veut présenter sa rivale, lady Ililda Sincla:r, une iutrii-rante du grand monde, MérangtS est en proie aux remords. Plus il est amou- reux de l’autre et plus il se traite lui- même avec le mépris qu’)l mérite. Alors vous verriez cette horrible Ililda Sinclair frassurez-vous, nous ne la verrons qu’au prologue) rechercher daus leur cachette les lettres de §~ rivale adressées au docteur
Maxwell. Elle veut des preuves de l’adultère, elle les achète à un petit Ecossais nommé Dick... chez les écossais. Ce petit drôle et sa complice obéissent à des passions moins traitables que des bêtes farouches. A la fin, la maîtresse du comte de Mérangis est partie empor- tant ces témoignages de la plus infâme servitude. Et l’amoureux Maxwell ne sa- chant plus que faire <~t que devenir « Ah dit-il, est-ce un homme assez dés- honoré, ce comte de Mérangis, il ne veut pas se battre pour protéger l’honneur de sa femme et son honneur conjugal )’ A ces mots, qui le tirent de sa torpeur, se réveille en sursaut le comte de Mérangis Va, dit- il à son rival trop heureux, ce Français philosophe dont tu te moques aime ailleurs. Il se contentera de répudier le souvenir de cette femme infidèle; elle se repent; il ne veut ni la diffamer ni la tuer. Mais il ne te M.-sera point afficher la possession d’un vivant témoignage de ta victoire sur elle. L’enfant est partie, ne courons pas après elle! allons! battons-nous sans témoins, dans ce parc, et sur l’heure de minuit. Telle est cette exposition violente et pleine de dangers, ces deux bomm’3S..qui se rencontrent l’épée a la main. Ce n’est pas un duel, c’est un égorgemem, comme on l’apprend a la fin du deuxième acte de cette abominable histoire « II faisait une nuit sombre, enrayante! on s’était battu à la. lueur d’une torche plantée dans la neige;
la flamme, rabattue par le vent, éclairait votre visage livide. vos traits contractés par l’agonie; vous respiriez encore, j’eus peur et pitié. vous étiez si jeune pour mourir !... »
Premier acte. -- Entre le prologue et ce premier acte quatorze années se sont passées ; la jeune fille enlevée aux hivers de l’Ecosse est devenue une demoiselle à marier. Elle est jeune et belle, et parfaitement ignorante du mystère de sa naissance et des dangers qui l’entourent. Elle habite en ce moment le château des Mérangis, sous la loi paisible et clémente de sa vieille grand’mère. Heureuse vie, amitié fidèle, serviteurs dévoués, belles régions doucement éclairées des astres du Midi ; enfin, pour mettre le comble à la sécurité de la jeune fille, est venu s’établir à la porte du château le docteur Maxwell, non plus le Maxwell d’autrefois, pauvre, inconnu, sans force, inutile à lui-même et pleurant ses amours perdus ; à présent le docteur Maxwell fait un grand bruit dans le monde, il a des cliens nombreux, chacun recherche avec ardeur la science de Maxwell ; la fortune et l’honneur se présentent, d’eux-mêmes à cette porte bénie, à cette doctrine libérale, une vertu sévère, constante, inflexible, allant à ses fins par les sentiers connus, en trois mots, c’est Maxwell tout entier. Voila comme il a conquis le nom et la dignité d’homme de bien.
En même temps, dans le château de Mérangis nous retrouvons, – c’est l’usage heureux de George Sand, – toutes sortes de bonnes gens : le vieux médecin, le vieux notaire, et le jeune Castel, le fils quelque peu naturel du bon Césaire, le maître de musique. Enfin ces vieux bonshommes Bartès et le docteur Pons ; n’oublions pas... le jeune amoureux Marcus de Mérangis, une digne création de l’éloquente George Sand. Elle hait de toutes ses forces les petits jeunes gens mal élevés, les petits scélérats sans humeur et sans honneur. C’est pourquoi, tout d’abord, qui ne l’eût pas connue eût pensé que George Sand allait traiter le beau Marcus de Turc More... Au contraire, elle a pour ce petit jeune homme une véritable indulgence.
MARCUS, à la jeune Hélène.
« Tu gais que je se suis pas comme beaucoup de nos provinciaux, ni coureur de lointaines aventures, encore moins un viveur de province que je ne singe pas les beaux petits messieurs de Paris ; que je trouve le vice bête, que je hais la pose, et que je suis enfin un brave garçon sans reproche et sans peur. Tel que je suis, me tiendras-tu compte, je ne dis pas de mes brillantes qualités, je n’en ai pas, mais de l’absence de défauts choquans et insupportables ? >>
Peu de vertus, peu de vices !
Vraiment cela lui plaît à dire, et nous autres nous sommes contens. Il entre en effet dans le plan de George Sand de proclamer le bon sens, de nous défendre de l’enthousiasme et d’entrer dans les droits sentiers sans précipices à droite et sans ridicules à gauche.
« ... Il faut qu’une femme puisse aimer sérieusement son mari, ou l’estimer sans réserve, pour rester invulnérable aux dangers de la vie. »
Or, telle est, au fond de son âme, l’opinion du jeune Marcus il a côtoyé les grandes passions, il ne s’est laissé dominer par aucune ; il ne sera jamais coupable du crime d’adorer les idoles et de brûler trop d’encens sur les autels des Amathontes vulgaires ; même il se moque agréablement de l’idolâtrie enthousiaste du docteur Maxwell...
« Vous êtes encore jeune monsieur Maxwell, et avec cela vous êtes du pays des lacs brumeux et des manoirs romantiques votre grave profession, vos graves talens, devant lesquels je m’incline, ne vous empêchent, pas d’exhaler encore un parfum de lis sauvage et de clair de lune de Walter Scott et de bourgeon de sapin. >> Vous le voyez, notre ami Marcus est un joli caractère enivré de toutes les libertés de la jeunesse, et, vraiment nous sommes bien heureux de rencontrer pour la jeune Hélène un amoureux d’un si bon naturel. C’est si rare, en effet, le bon sens préconisé dans un drame amoureux ! Si rare en même temps cette aimable Hélène oublieuse et négligent de tous les
détails des amours vulgaires « Amoureux et frivole >>, disait Maxwell « Il n’est que gauche, ajoutait Césaire ; il ne comprend pas d’emblée les choses difficiles. Il craint un peu la peine ; il n’a jamais connu ça, lui ! Ce n’est pas un cerveau primesautier comme celui d’Hélène, qui, par vaillance naturelle, franchirait des abîmes... Elle rêve peut-être un paladin de l’Arioste... Vous me l’avez un peu gâtée, un peu exaltée Monsieur Maxwell. >> Il parle d’or, ce jeune homme, et cependant comme il se moquerait davantage s’il voyait à quel point les yeux du philosophe Maxwell sont encore pleins d’adultère ! Oculos adulterii plenos.
Hélène, heureusement, est plus intelligente que son autre père ; à quinze ans déjà elle aimait ce jeune Marcus, son camarade ; elle ne savait rien de plus beau et de plus charmant ; elle lui pardonnait toutes ses négligences, et maintenant qu’un revers de fortune a brisé l’avenir du jeune homme, Hélène est si contente et si fière de l’aimer toujours ! Elles sont très jolies ces innocentes amours. Hélène en ce moment joue un jeu dangereux ; mais plus elle dissimule et plus nous sommes contens de la trouver si clémente. « Ah ! mon pauvre Marcus, mon ami d’enfance, esprit fidèle et cœur généreux ! Que nous veut ce docteur sinistre avec son enthousiasme ? » Oui-da, tous les docteurs d’ici-bas en savent moins long qu’une fille amoureuse ! Ainsi, pour le spectateur qui s’attendait à rencontrer dans cette aimable fille une belle ténébreuse, la surprise est égale au contentement, et c’est grand plaisir de voir peu à peu tomber l’écorce sous laquelle était enfouie cette jeune âme.
Et maintenant revenons à notre analyse, à des amours plus faciles, à Césaire, à Mlle Jeanne. Il est un peu timide le bon Césaire ; elle est raisonnablement taquine la belle Jeanne. On voit cependant qu’ils finiront par s’entendre
Nous étions trois, elle, l’amour et moi,
L’amour était d’intelligence.
Ainsi va le drame, et tant qu’il n’est pas question de la grande faillite et de la ruine du jeune Marcus, pas d’obstacle. Nous appartenons tout entiers aux picoteries de Mlle Jeanne, à l’innocence de Césaire, aux murmures de Marcus. Cependant, laissons venir à nous, bienveillante, accorte et charmante, la vieille douairière comtesse de Mérangis ; elle est malade ; elle se meurt d’un mal sans nom, le mal d’un fils ingrat qu’elle ne doit plus revoir. Déjà, à la fin du second acte, on voit la bonne dame expirer doucement dans une syncope. On la croit morte, et c’est alors que le docteur Maxwell, à genoux devant cette créature expirante, imagine de lui faire sa confession in extremis : « Pardonnez, Madame, celui qui a pris l’honneur de votre fils ; il lui a livré sa vie ; et cette main qui touche la vôtre ne s’est pas levée contre lui ! Pardonnez à celui qui n’a pu empêcher l’enfant étranger de devenir votre enfant ! Vous l’aimiez tant !... il vous l’a laissée, il a béni votre cœur tous les jours de sa vie, et maintenant que vous voilà endormie dans la mort, il peut oser vous dire que, lui aussi, il vous adorait, douce et noble femme. »
Certes, l’idée est belle et dramatique. Hélas ! pauvre femme abandonnée ! oreille fermée, vous entendiez toute chose, et, regard éteint, vous avez vu la pâleur de cet homme ; intelligence endormie, ô mon Dieu ! vous avez compris toutes ces misères. « Voyez, dit Hélène, elle a souri ! » Le second acte finit là.
À l’acte suivant, nous retrouvons la comtesse de Mérangis à demi ressuscitée. Elle joue avec des roses, elle parle à graud’peine ; elle reconnaît, mais si peu, sa petite fille Hélène agonie un peu longue..., on n’y voudrait rien retrancher. Notre blâme, en e8et, n’est pas là, mais ces détails de testament, de procédure et de faillite, enfin la substitution du jeune homme à la jeune fille, évidemment nous sommes attristés de ces petites misères et de cette intrigue inquiétante autour d’un lit funèbre. Heureusement la scène à la fin se relève, et maintenant voici Marcus, le jeune homme, et Maxwell, l’enthousiaste, qui finissent par s’entendre.
MAXWELL.
Oh ! ne me dites plus rien, ses larmes m’en disent assez, je l’adore, c’est mon droit, je suis son père ! (Ils se jettent dans les bras l’un de l’autre, et cette fois encore c’est l’autre qui a raison).
Cette dernière scène a tout emporté de vive force. Et maintenant il nous reste à obtenir le pardon de la grand’mère. Il n’y a rien de plus éloquent.
HÉLÈNE, à genoux.
... Hélas ! vous, ma Providence endormie et ma lumière voilée ma sainte mère et mon doux enfant, vous dont j’ai volé l’amour, mais à qui je l’ai si ardemment rendu ! Vous, si grande et si tendre, et qui, n’ayant jamais commis ni seulement connu le mal, avez seule le droit de l’absoudre, si vous vouliez me répondre, vous me traceriez mon devoir, et, me voyant tant souffrir, vous m’aimeriez peut-être encore.
LA COMTESSE.
... Tu es l’enfant de mon cœur. Nos vrais enfans et nos vrais parens sont ceux qui nous aiment. >>
Quand la grand’mère a parlé, tout est dit ; c’est un oracle, et, les yeux pleins de larmes, nous n’irons pas nous jeter dans les mystères du père que démontrent les justes noces, et de l’autre père, indiqué par la voix du sang. « Du bon sens, ma mère ! >> disait Figaro, à la scène de la reconnaissance.
Ainsi se termine en indulgence, en bonté, ce premier couplet du cantique des cantiques. « Mon bien-aimé est venu, dit l’épouse regardant par les fenêtres, guettant par les treillis. >> Enfin (ne vous étonnez pas, je vais dire une énormité), à mon sens, voici la morale en tout ceci : Partez du pied droit, sinon vous allez à l’abîme ; ne dédaignez pas les petits désordres, c’est par là que les grands commencent. L’adultère est un crime. Il y avait une pécheresse éloquente entre toutes, elle disait si bien :
Mais les baisers de l’autre, il les verra.
Ça se voit et ça finit toujours par se savoir. Voilà la peine et voilà le châtiment. Poëtes et philosophes, païens et chrétiens n’en savent pas de plus cruels.
Je vous ai dit de mon mieux en reconnaissant le côté faible et déclamatoire, et mot à mot, tout ce drame ingénieux, éloquent, œuvre intéressante, une imagination toujours en éveil. Et tantôt on écoute avec respect, et tantôt avec une joie infime, un si bel esprit que rien ne lasse. Ah ! la vaillante femme ! Au lever du rideau, chacun disait le nom de George Sand, chacun savait sa fable nouvelle et son nouveau paradoxe. Évidemment, elle est toujours un peu gênée, adoptant pour son roman nouveau la forme et l’accent dramatique. Même dans les instans les plus vifs, soudain la voilà qui s’arrête, oublieuse qu’il ne s’agit plus de raconter, mais d’aller en avant, jusqu’au but. Heureusement, le peuple est avec elle. Elle commanda, il obéit ; il la suit dans sa marche ; il l’arrête en son repos. Quoi qu’elle démontre, il est de son avis. Il eût été aussi volontiers pour l’un, c’est-à-dire, pour le mari, que pour l’autre, à savoir l’amant adultère, et quand elle a fini par conclure que l’autre avait tort, ou, si mieux vous l’aimez, qu’ils avaient tort tous les deux, le parterre a battu des mains. Elle a raison, raison, toujours raison, disait Figaro à Marceline. En même temps, que de louanges unanimes ! quelle fête à l’entendre, et quel succès, digne d’un travail et d’un talent que rien n’a pu lasser !
Naturellement, la pièce est jouée avec beaucoup de zèle. Ils sont tous pénétrés de leur rôle. Inconnus ou célèbres, ils ont vaillamment combattu : Mlle Sarah Bernhardt dans le grand rôle, et M. Berton, le héros, l’autre, et surtout Mlle Page. Elle a de si beaux yeux ! Elle dit si bien ces douces paroles ! Elle a le charme ! Aussi bien les uns et les autres ont eu leur part du succès.
Maintenant nous attendons deux pièces nouvelles : Fernande, au Gymnase ; à l’Ambigu-Comique, un drame espéré depuis longtemps, Henri de Lorraine, et cette fois encore nous retrouverons le mouvement, l’intérêt, la curiosité, les passions énergiques de l’illustre auteur du Fils de la Nuit et de Richard III. Nous reverrons aussi, empruntée à la Porte-Saint-Martin, Mlle Rousseil, espoir du drame à venir.
JULES JANIN.