Fables canadiennes/03/Les deux contraires

La bibliothèque libre.
C. Darveau (p. 200-202).

FABLE XV

LES DEUX CONTRAIRES

 Chacun agit à sa manière
 Et marche au but tant bien que mal :
 N’étant pas d’humeur chicanière,
 Je dirai que ça m’est égal.
Cependant un conseil ne saurait jamais nuire,
Et l’un seul d’entre vous dût-il en profiter,
 Que je ne saurais hésiter,
 Pour l’instruire,
À vous l’offrir à tous avec mes compliments ;
Tenez-moi compte, au moins, de mes bons sentiments.

 
Deux amis, qui restaient dans le même village,
 N’avaient pas du tout
 Le même goût ;
 Tous deux ils faisaient étalage
 De leurs principes faux
 Qu’ils croyaient sans défauts.

 L’un disait ;

 Que la vie est brève !
 On travaille, on espère en vain :
 Ce n’est rien qu’un beau rêve
 Qui peut finir demain.

Et, se croisant les bras, il restait sans courage,
 Et son ouvrage
 Ne se faisait pas.
Il était indigent et, plusieurs fois l’année,
 Dans la journée,
 Il ne faisait qu’un seul repas.
 L’autre, tout au contraire,
 Était un esprit fort
 Et croyait à la mort
 Toujours se soustraire.
 Il travaillait beaucoup,

Et traitait le bon Dieu comme chose importune…
 Il fit une fortune
 Et mourut tout à coup.


 Voici la leçon qui doit suivre :
Travaillez comme si vous deviez toujours vivre,
Puisqu’ici le travail est un divin impôt,
Mais vivez en pensant que vous mourrez bientôt.