Fables canadiennes/04/Les deux cultivateurs

La bibliothèque libre.
C. Darveau (p. 252-255).

FABLE XIII

LES DEUX CULTIVATEURS

Deux honnêtes voisins du produit de leurs fermes
 Vivaient dans un de nos cantons ;
L’un était endetté, payait fort mal ses termes,
 Mangeait, comme on dit, des croûtons,
 Et l’autre vivait dans l’aisance.

 — N’aurais-tu pas la complaisance
De m’apprendre comment arrivent tes succès ?

 Dit le maître du pauvre friche
 À son voisin l’habitant riche ;
Puis il continua : Je ne fais point d’excès ;
Je sème le printemps, qu’est-ce que je récolte ?
 Un peu de grain, et du mauvais ;
 Oui vraiment cela me révolte.

 — Je pensais que tu le savais
Ce secret merveilleux qui féconde ma terre,
 Car je n’en fais pas un mystère,
 Reprit l’autre cultivateur ;
 Je le tiens d’un économiste
 Qui l’avait appris d’un chimiste
 Qui l’acheta d’un enchanteur :
Il s’agit de changer, par un truc bien facile,
 En grains d’or pur les grains de blé.

— Tu me prends, je le vois, pour un fier imbécile.

— Mais pas du tout.

 — Alors il faut être endiablé.

 — Mais non ! rien de plus simple ; écoute
 Et tâche de bien retenir ;

 
Si tu fais comme moi, je n’en ai pas de doute,
 La fortune va te venir.
Il faut premièrement engraisser ta prairie,
 Car c’est dans le fumier
Que se trouve cet or qu’on nomme or du fermier.
Fais un labour égal. C’est la sorcellerie
 Qui le veut de cette façon.
 Or, cela s’apprend sans leçon.
Tu sèmes du grain net, avec soin tu le herses,
 Et c’est tout, mon ami. Sois sans anxiété ;
S’il ne t’arrive pas de chances trop adverses
 Pendant l’été,
 La moisson sera bonne
 À l’automne ;
 Et, lorsque tu battras ton grain,
 Tu trouveras, j’en suis certain,
 De l’or en abondance :
Si tu n’en trouvais pas n’accuse point les cieux,
 Ce serait imprudence,
Mais recommence encore et fais de mieux en mieux.

Le simple paysan se promit bien de suivre
 De son voisin le bon conseil.
Quand il battit ses blés, à l’époque du givre,
 Il ne trouva rien de pareil

Aux grains d’or qui devaient se détacher des gerbes,
 Mais des moissons superbes
 Couvrirent ses clos tous les ans ;
Il devint riche un jour parmi les paysans.


Faites votre travail avec intelligence,
 Vous en avez tous les moyens,
Et vous verrez bientôt s’enfuir votre indigence,
 Ô mes braves concitoyens.