Fables canadiennes/05/La belette et le hibou

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C. Darveau (p. 303-305).

FABLE VI

LA BELETTE ET LE HIBOU

Un hibou vaniteux, reployant sa grande aile,
 Vint s’arrêter près d’un ruisseau :

— Si le miroir de l’onde est aujourd’hui fidèle,
 Je suis, pensa-t-il, vraiment beau.

Et, comme il s’admirait, rajustant sa toilette,
 Une belette
 Se glissa parmi les roseaux
 Et vint boire aux limpides eaux.

 
 — Belette, mon amie,
 Lui cria le hibou,
Combien triste pour toi doit paraître la vie !
Tu rampes sur la terre et n’habites qu’un trou.
Je maudirais le sort si j’étais à ta place,
Et, loin de m’admirer dans ce calme miroir,
 Je me noierais de désespoir !

 — Je vous répondrai sans fallace,
 Dit, en levant son fin museau,
 La belette au vilain oiseau ;
 Je n’ai point d’ailes, point de plume ;
N’en ayant jamais eu je n’en ai pas besoin :
 Au reste je n’ai pas coutume
 De chercher le bonheur bien loin.
 Puis dans le danger je me sauve
 Mieux que l’oiseau, mieux que le fauve,
 Voyez : un chasseur vient, adieu !

 Se fourrant au milieu
 De l’épaisse fougère,
 La belette légère
 À ces mots disparut.

 
Aussitôt le hibou, hâtant son vol austère,
 S’éleva de terre,
Mais par malheur pour lui le chasseur accourut.


Gardez-vous d’offenser par des paroles vaines
 Ceux qui sont moins doués que vous ;
Ce qui fait notre orgueil devient souvent pour nous
 Une source de peines.