Aller au contenu

Français, reprenez le pouvoir !/Partie 1/Chapitre 1

La bibliothèque libre.
◄  LE POUVOIR CONFISQUÉ Le sursaut populaire du 29 mai Le couvercle sur la marmite  ►


Puis il y eut le 29 mai, historique: avec près de 55 % de « non » au traité, soixante-deux millions de Français désavouaient leurs sept cent trente représentants égarés, qui prétendaient quelques mois plus tôt leur tenir la main dans l’isoloir. Une claque historique pour ceux qui avaient oublié leur devoir vis-à-vis de la France et du peuple français!

En ce jour où l’establishment piqua du nez à l’unisson, le regard plein d’incompréhension et de ressentiment mêlés, les Français avaient décidé, avec fracas, de reprendre ce pouvoir que leurs élites s’ingéniaient à leur confisquer depuis de si longues années. Quel courage, face au déchaînement médiatique organisé par les euro-béats! Quel magnifique sursaut d’orgueil!

La campagne référendaire avait été dure mais belle. Dure, car nous, les partisans du « non », avions dû nous battre à mains nues contre cet establishment armé de tous les pouvoirs. Un pouvoir prêt à toutes les intimidations pour parvenir à ses fins: nous prédisant tout à la fois l’engloutissement de l’Europe, les affres de l’isolement et la fin des haricots si les Français rejetaient le traité constitutionnel. Mais belle, aussi, cette campagne de France car, dès le début, nous avions senti le peuple avec nous: on ne lui referait pas deux fois, après Maastricht, le coup du grand rêve européen qui finit en cauchemar à vingt-cinq sans que personne ne puisse arrêter la fuite en avant. Je me souviens de ces automobilistes qui doublaient notre caravane du « non » en nous applaudissant! Je revois encore les maquilleuses des émissions de télévision qui nous encourageaient discrètement, dans les coulisses: « Nous pensons comme vous, nous sommes avec vous. »

La pression médiatique, cette campagne inouïe de propagande furent d’ailleurs si indécentes, si grossières qu’elles se retournèrent comme un boomerang contre leurs instigateurs et exécutants. À plusieurs reprises, sur les plateaux de télévision, j’ai pu en mesurer l’ampleur et la virulence. Lors d’un débat au journal de 13 heures sur France 2, j’ai fini par laisser éclater mon indignation, accusant de propagande un journaliste qui avait fait une présentation particulièrement tendancieuse de la Constitution, censée selon lui contenir nombre d’« avancées sociales ». En sortant du studio, j’étais certes soulagé d’avoir enfin pu réagir, mais j’avais bien conscience qu’une telle sortie risquait de me fermer, à l’avenir, les « portes » de l’antenne. Peu après, le journaliste dont j’avais mis en cause les propos revenait à la charge dans l’émission du médiateur de France Télévisions, mettant à l’index mon « intolérance », ainsi qu’il la qualifia. Pourtant, le nombre de courriers électroniques d’encouragement, et de soutien de téléspectateurs exaspérés par la partialité de l’audiovisuel public dans le débat référendaire, me convainquit de la justesse de ma réaction. Les belles promesses et les arguments d’autorité tombaient désormais à côté de la plaque car nos compatriotes se souvenaient très bien avoir été trompés lors du référendum précédent, celui de Maastricht.

Quand Jacques Chirac croyait impressionner les foules en invitant Gerhard Schroeder à Nancy, nos concitoyens ne s’en laissaient pas conter: ils se documentaient eux-mêmes. En France, tous les livres présentant la Constitution furent des succès de librairie.

Quand Jack Lang et François Hollande rassemblaient le gratin du Tout-Paris à la Maison de l’Amérique latine, les syndicalistes luttaient sur le terrain contre les effets ravageurs du moins-disant social sur des entreprises toujours plus nombreuses à délocaliser. Quand les grands éditorialistes rivalisaient de langue de bois, dans des tribunes enflées de condescendance à l’égard du petit peuple qui ne comprenait décidément rien à rien, c’est alors que l’armée des ombres des militants, des citoyens et des patriotes se mobilisait fiévreusement sur le web. Contrairement à ce que l’on a voulu faire croire, en votant « non », le peuple français a fait preuve de maturité et d’intelligence démocratiques, sanctionnant à juste titre l’inconséquence, la démagogie fébrile et le cynisme de ses dirigeants depuis vingt ans.

Quelques mois plus tôt, malgré des sondages alors très défavorables, j’avais compris que la victoire du « non » demeurait possible en apercevant à la télévision François Hollande, bombardé de boules de neige à Guéret par les défenseurs des services publics. Les Français n’étaient pas dupes. Ils ne supportaient plus ce jeu de rôles convenu entre une droite et une gauche qui mènent la même politique de démission[1]; ils rejetaient le double langage permanent. Ils avaient compris notamment que la disparition de nos services publics était la conséquence directe de la politique de renoncement de Jacques Chirac comme de Lionel Jospin, par exemple au sommet de Barcelone, peu avant le premier tour de l’élection présidentielle de 2002…

Nos compatriotes ont refusé cette Constitution qui consacrait le renoncement à nos exigences républicaines, verrouillait le dispositif de dépossession démocratique et signait non seulement la fin du modèle national que nous nous sommes historiquement donné, mais la mort de notre pays comme entité souveraine, libre de choisir son avenir. Ils n’ont pas rejeté l’Europe elle-même mais, d’une part, la dérive de son fonctionnement depuis l’Acte unique, les traités de Maastricht, d’Amsterdam et de Nice dans un contexte d’élargissement non maîtrisé et, d’autre part, ses objectifs économiques et sociaux de plus en plus incompatibles avec l’idée que nous nous faisons, en France, de l’homme et de la vie en société.

Le temps de cette campagne, comme par miracle, le cœur des Français avait recommencé de battre au rythme d’une « certaine idée de la France ». Notre pays, à nouveau, décidait librement de son propre destin, dans le respect de son identité particulière, de son tempérament et de ses valeurs. Ce réveil venait du tréfonds de l’Histoire, des profondeurs d’un peuple qui n’a jamais abdiqué sa liberté et qui voulait enfin renouer avec une volonté collective.

C’est pourquoi, loin d’être un coup d’arrêt, je considérais et je considère toujours ce vote comme un bon point de départ, un essai qui demande à être transformé pour redonner un sens, une ambition à notre nation, en vue de réorienter la construction européenne sur des bases conformes à ce qui s’est exprimé le 29 mai.


  1. Comme de Gaulle le constatait amèrement dans ses Mémoires d’espoir, « pour l’école dirigeante de chaque parti politique, l’effacement de notre pays est devenu une doctrine établie et affichée. […] De là, l’adhésion à “l’Europe” vue comme une construction dans laquelle des technocrates formant un “exécutif” et des parlementaires s’investissant du législatif auraient qualité pour régler le sort du peuple français.» (I, « L’Europe », Plon, 1970, p. 180.)