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Histoire de l’Église de Corée/Partie 1/Livre 4/01

La bibliothèque libre.
Librairie Victor Palmé (1p. 243-272).

LIVRE IV

Depuis la fin de la persécution de 1801, jusqu’à l’érection de la Corée en vicariat apostolique.
1802-1831.




CHAPITRE Ier.

État déplorable de la chrétienté. — Lettre des chrétiens de Corée à l’évêque de Péking. — Leur lettre au Souverain Pontife. — Nouveaux martyrs.


Le dernier jour de l’année sin-iou avait encore été ensanglanté par le supplice de plusieurs chrétiens ; avec l’année im-sioul (1802), commença pour l’Église de Corée une ère de tranquillité relative, qui permit aux néophytes de respirer un peu. Ce n’était pas la paix, encore moins était-ce la liberté, mais la violence de la persécution était diminuée, les juges et les bourreaux avaient, pour un temps, cessé de fonctionner.

Il serait difficile d’exposer complètement l’état de désorganisation, de misère et de ruine, dans lequel se trouvait la chrétienté au lendemain de la persécution. Tous les hommes éminents, capables de diriger, d’exhorter, de ranimer leurs frères, avaient été mis à mort. Dans beaucoup de grandes familles, il ne restait que des femmes et des enfants. Les pauvres, les gens du peuple, que la rage des ennemis de la religion avait dédaigné de poursuivre, demeuraient isolés, sans relations entre eux, au milieu de païens hostiles, qui, forts de la loi et de l’opinion publique, ne leur épargnaient aucune vexation, et les traitaient en esclaves. Le très-grand nombre des apostats qui n’avaient renié la foi que de bouche et la conservaient encore dans leur cœur, tremblaient de reprendre leurs pratiques religieuses, et se bornaient à répéter en secret quelques timides prières. Presque tous les objets de piété, presque tous les livres avaient été détruits, et le peu qui en restait était enfoui sous terre, ou caché dans des trous de murailles. Beaucoup de néophytes, encore peu affermis dans la foi, privés de toute instruction, de tout appui moral, se décourageaient, et finissaient souvent par abandonner une religion qui était pour eux la cause de tant de maux.

Le sort de ceux qui avaient été exilés par les tribunaux, ou qui avaient volontairement émigré dans les parties les plus sauvages des provinces éloignées, était plus triste encore. Nous ne pouvons mieux l’exposer qu’en donnant le récit que nous a laissé de ses épreuves Pierre Sin Tai-po, ce courageux chrétien qui fit inutilement tant d’efforts pour approcher du P. Tsiou et recevoir les sacrements[1], et qui, plus tard, obtint, comme nous le verrons, la couronne du martyre. On y trouvera, trait pour trait, le tableau des souffrances de milliers d’autres chrétiens, à cette même époque, et dans les mêmes circonstances.

« La persécution était enfin apaisée, il est vrai, mais nous étions isolés et nous avions perdu les livres de prières. Quel moyen de pratiquer ? J’apprends par hasard que les survivants de quelques familles de martyrs habitent dans le district de Niong-in, je fais tous mes efforts pour les découvrir, et enfin je les rencontre. Il n’y avait que des femmes déjà avancées en âge, et quelques jeunes gens à peine sortis de l’enfance ; en tout, trois maisons liées par la parenté. Ils étaient sans appui et sans ressources, osant à peine ouvrir la bouche avec les étrangers, et ne respirant plus de frayeur quand on commençait à parler de religion. Ils avaient bien quelques volumes de prières et l’explication des Évangiles, mais le tout caché avec le plus grand soin. Quand je demandai à les voir, on me coupa la parole, en agitant les mains en signe de silence ; je ne voulus point insister. Toutefois, ces pauvres femmes étaient dans une grande joie, en apprenant de leurs enfants la présence d’un chrétien, et les convenances ne leur permettant pas de me voir, elles voulaient à tout le moins converser avec moi[2]. Je leur parlai un peu des derniers événements, de l’état de la religion, et de notre position commune, dans laquelle nous ne pourrions ni servir Dieu ni sauver notre âme. Elles étaient vivement touchées ; quelques-unes même versaient des larmes, et témoignaient le désir que nous nous missions en rapports fréquents, pour nous soutenir les uns les autres.

« Je demeurais à quarante lys de là (quatre lieues), et depuis ce temps, tous les huit ou dix jours, nous nous fîmes des visites réciproques. Bientôt notre affection mutuelle fut aussi vive et aussi sincère, que si nous eussions été des membres d’une même famille. Nous commençâmes à reprendre la lecture de nos livres, et à faire les exercices des dimanches et fêtes. Ces personnes avaient reçu les sacrements du prêtre, et quand j’entendis des détails sur lui et ses exhortations, il me semblait le voir lui-même. La joie et le bonheur se répandirent dans mon âme ; c’était comme si j’avais trouvé un trésor. J’aimais tous ces chrétiens comme des anges, mais, de part et d’autre, nous habitions parmi les païens, et de tous côtés leurs yeux étaient sans cesse ouverts sur nous. Je devais faire les quarante lys, de nuit et en secret, pour les éviter. Peu après les païens voisins voulurent savoir mon nom, puis le lieu où j’habitais, et avec qui j’étais en relation. Tout ceci nous déplaisait, et nous conçûmes le plan d’émigrer tous ensemble, et d’aller quelque part former un petit village séparé. Pour moi, je n’avais que mon fils et ma fille ; mais nos cinq familles réunies faisaient un nombre de plus de quarante personnes, et chacun n’ayant pour toute fortune que des dettes, la vente des maisons ne devait pas, les dettes une fois payées, fournir seulement le viatique nécessaire au voyage, car le lieu que j’avais en vue était dans le fond des montagnes de la province de Kang-ouen, où se trouvaient à peine des traces d’hommes. Néanmoins, que la chose dût réussir ou non, l’émigration fut décidée.

« Deux familles avaient leurs maisons entièrement vides, ignorant le matin ce qu’elles mangeraient le soir. Les trois autres vendirent leurs maisons avec le mobilier, et en retirèrent à peine cent nhiangs (environ deux cents francs), sur lesquels il fallait payer beaucoup de dettes. Quand on voulut fixer le jour du départ, chacun dans les cinq familles, prétendait partir le premier, et n’avait qu’une pensée : sortir de cet enfer pour aller chercher un paradis. On se disputait au point d’en venir à des paroles de mésintelligence et de discorde. Grand Dieu ! quelle peine j’eus pour leur faire entendre raison ! Pour moi, je confiai mon fils et ma fille à la charge de mon neveu, et on décida que le départ d’une des familles serait remis à quelque temps. Mais sans parler des enfants, il y avait cinq femmes qu’on ne pouvait absolument pas retarder, et qui, soit à raison de leur âge, soit parce qu’elles n’avaient jamais eu l’habitude de marcher, ne pouvaient aller à pied. J’achetai donc à grand’peine deux chevaux, puis encore un troisième, ce qui épuisa notre petit fonds, et n’ayant plus de ressources, j’allai trouver deux amis riches du village, qui voulurent bien faire préparer cinq litières, et prêter deux chevaux. Nous partîmes dans cet équipage. Les chevaux étaient bons, et les valets remplissaient bien leur office ; et toutefois la première journée se fit difficilement. Notre tournure était fort suspecte. Ce n’était pas un cortège de nobles, ni de roturiers ; mais surtout les chevaux étaient accoutrés d’une manière bizarre. Dès le second jour il fallut changer de système. Nous laissâmes les cinq litières, et les femmes, s’affublant de jupes sur la tête en guise de mantelets, durent aller à cheval. La tournure de notre caravane était devenue à peu près celle des gens ordinaires de la province, ou plutôt des montagnards, et toutefois, les passants et les aubergistes disaient toujours que nous étions de la capitale. Quelques-uns même répétaient avec un sourire méchant : « Voilà certainement des familles de chrétiens. » Nous craignions à chaque instant d’être reconnus et arrêtés.

« Après huit jours de marche très-pénible, nous arrivâmes enfin au but désiré. Nouvel embarras ! pas de maison, et aucune connaissance. Nous parvînmes à emprunter une masure pour loger tout le monde, et, cinq chevaux devenant embarrassants, je vendis de suite le mien pour nous procurer des vivres, et acheter une cabane où les jambes pouvaient à peine s’étendre. Nous devions renvoyer les deux chevaux d’emprunt ; mais, faute d’argent, il nous fallut les garder un mois, et leur nourriture consomma presque le prix d’un cheval. Toutefois, on parvint à les renvoyer, et, au retour, on amena la famille restée en arrière. Sans que nous le sussions, le temps de la culture passait, et l’hiver étant venu, les neiges s’accumulèrent et firent disparaître tous les chemins[3]. Dans les environs, aucune connaissance ; impossible même de communiquer avec nos voisins, et nous étions plus de quarante exposés à mourir de faim. Un cheval qui nous restait avait rongé et presque dévoré son énorme auge en bois ; les enfants criaient sans cesse, demandant à manger ; les grandes personnes elles-mêmes s’inquiétaient et s’impatientaient. Nous n’avions presque plus de provisions ; l’avenir se présentait chaque jour plus sombre, et nous succombions à la tentation de murmurer, de détester notre foi qui était la cause de ces épouvantables souffrances, de nous maudire nous-mêmes pour avoir cru en Dieu.

« Enfin, par un prodige de la miséricorde divine, nous sans pouvoir dire comment. L’hiver se passa, et les neiges une fois fondues, il devint possible de circuler et de franchir la montagne. Apprenant qu’un riche bachelier nommé T’soi, vivait à environ soixante-dix lys de nous, je me rendis chez lui, y restai deux jours, et lui ayant fait le tableau de l’horrible misère où se trouvaient nos familles, je pus, par son entremise, obtenir une vingtaine d’hectolitres de riz non épluché. Pour diminuer le prix de transport, j’allai prier les habitants du pays qui s’y prêtèrent avec beaucoup de complaisance, de m’éplucher ce riz ; puis j’en vendis une partie et fis transporter le reste en deux ou trois jours. Tout ce grain était payable à une époque fixée. Ayant ainsi terminé cette affaire, j’essayai de nouveau de consoler tout notre monde, et alors seulement je fus écouté ; la joie et la charité fraternelle reparurent. Nos différents emprunts s’élevaient déjà à plus de cent nhiangs, mais je n’avais pas le courage d’y faire allusion ; car, quand je parlais d’être sur nos gardes et d’épargner les vivres, tous les visages prenaient un air sombre et désolé. »

Tel était le sort de presque tous les chrétiens qui avaient cherché un refuge dans les montagnes et les forêts, surtout au nord-est du royaume. Mêmes fatigues, mêmes misères, et aussi, hâtons-nous de le dire, même protection de Dieu. Le sort des exilés était encore plus déplorable, car ils étaient privés de leur liberté, placés sous la surveillance d’une police ombrageuse, et quelquefois même séparés violemment de ceux de leurs proches qui les avaient suivis pour leur adoucir un peu les souffrances de l’exil. Et cependant, dans les desseins de la Providence, ces exilés, ces réfugiés étaient, sans le savoir peut-être, des apôtres. Leurs maisons sont devenues des villages, leurs familles sont devenues des chrétientés nombreuses et florissantes, et ont fait connaître l’Évangile dans les coins les plus reculés de la Corée.


Nous n’avons presque point de détails sur les années qui suivirent la persécution. Le gouvernement laissait les néophytes à peu près tranquilles, bien convaincu que c’en était fait de leur religion, et que la nouvelle secte, noyée dans le sang, s’éteindrait d’elle-même en peu de temps. On cite cependant quelques arrestations dans les provinces. En 2804, Tsio Siouk-i, l’un des parents de Justin Tsio, fut saisi dans le district de Nie-tsien. En 1805, d’autres chrétiens furent emprisonnés à Hai-mi. Ces derniers furent relâchés quelque temps après, on ne sait trop comment. Mais Tsio Siouk-i, conduit au tribunal de Iang-keun, fut condamné à mort. Dans les tourments, il avait eu d’abord la faiblesse d’apostasier et de dénoncer Jean Ni Ie-tsin-i, cousin de Pierre Sin, dont nous venons de parler. Jean Ni fut saisi sur cette dénonciation, mais Pierre, qui craignait le même sort, accourut à la capitale, et fit tant par ses démarches, par des présents donnés à propos, qu’il parvint à obtenir l’élargissement de Jean ; Dieu le permettant ainsi, sans doute, pour le plus grand bien de la chrétienté, à qui Jean devait bientôt rendre d’importants services. Avant de quitter la prison, Jean pardonna à Tsio Siouk-i, et réussit à lui inspirer un vif regret de sa faute, et à lui rendre le courage de mourir pour la foi. On raconte que lorsque Siouk-i se rendait au lieu du supplice, Jean Ni se trouva sur son chemin, et d’un coup d’œil lui montra le ciel ; le martyr répondit par signe qu’il le comprenait. Il fut décapité à Iang-keun.

Cette exécution isolée n’ayant pas eu d’autres suites, les chrétiens commencèrent peu à peu à sortir de leur stupeur, et à reprendre leurs pratiques religieuses. Pendant bien longtemps, ils n’avaient osé ni se réunir, ni même se parler, et c’est à peine s’ils se saluaient de loin en se rencontrant dans les rues ou dans les chemins. Ils se mirent alors à renouer des relations, à se chercher, à se compter, à se réunir ; c’était une fête pour eux quand ils rencontraient un frère qu’ils avaient cru mort ou en exil ; quand des parents, des connaissances qui s’étaient perdus de vue au milieu des désastres de la persécution, se retrouvaient de nouveau. On se consolait mutuellement ; on se racontait les scènes d’horreur ou d’édification dont on avait été témoin ; on s’aidait à retrouver quelques livres, quelques objets de religion ; on s’encourageait à reprendre les anciennes pratiques avec une ferveur nouvelle.

Tous savaient tirer de leur pauvreté quelques secours pour ceux de leurs frères qui étaient dans un dénûment absolu ; les veuves, les orphelins, étaient recueillis, et jamais, on peut le dire, la charité fraternelle ne fut plus grande que dans ces temps malheureux. Les vieillards qui en ont été témoins assurent qu’alors tous les biens étaient réellement mis en commun. Les plus instruits parmi les néophytes se faisaient un devoir d’enseigner les prières, les vérités fondamentales de la religion aux ignorants de leurs familles ou du voisinage. Enfin, quelques-uns plus dévoués, profitant de l’influence que leur science, leur caractère, ou leur réputation leur avaient acquise, obéissaient à l’impulsion de la grâce divine, en se dévouant entièrement à l’œuvre difficile de la réorganisation de l’Église coréenne.

Parmi ces derniers, nous devons citer d’abord Jean Kouen Kei-in-i, neveu du martyr Ambroise Kouen. Il s’était caché pendant la persécution, mais sans quitter la capitale, aidant secrètement les prisonniers de son argent et, autant qu’il le pouvait, s’occupant nuit et jour de leurs affaires et de celles de leurs familles. La persécution terminée, il lutta de toutes ses forces contre le découragement général, allant de côté et d’autre exhorter les chrétiens, secouer leur apathie, dissiper leurs craintes, et les ramener à leurs exercices de piété.

Dans la province de Nai-po, Maur T’soi Sing-tok-i, de la famille des T’soi de Tarai-kol, homme instruit, fervent et résolu, exerça le même ministère de charité. Non content de rétablir les communications entre les chrétiens des divers villages, il multiplia de sa propre main les copies de livres de religion, afin de procurer à tous le moyen de s’instruire, et contribua plus que tout autre à remettre sur pied cette importante chrétienté.

Signalons encore, comme ayant pris une part active à ce mouvement de rénovation : Jean Ni Ie-tsin-i, son cousin Pierre Sin Tai-po, Hong ou Song-i, fils de Luc Nak-min-i, et Jean Tieng Iak-iong, qui avait eu la faiblesse, d’apostasier pendant la persécution, mais qui, touché d’un sincère repentir, travaillait à expier son crime en se dévouant de toutes ses forces à l’œuvre commune. Leurs efforts ne furent pas inutiles. Non-seulement les chrétientés se reformèrent peu à peu, non-seulement le très-grand nombre des apostats vinrent à résipiscence, mais la propagation de l’Évangile reprit une nouvelle vigueur ; les conversions de païens recommencèrent, et de nouveaux fidèles comblèrent bientôt, et au delà, les vides faits par la persécution.

Ce premier pas une fois fait, la grande pensée, le principal désir de tous, fut d’obtenir de Péking un nouveau pasteur. Ceux qui avaient eu autrefois le bonheur de participer aux sacrements, se rappelaient la force que l’âme y puise, et les consolations qu’elle y éprouve. Ceux qui n’avaient jamais pu jouir de cette faveur, pressés d’une sainte jalousie, voulaient, à leur tour, obtenir le pardon de leurs péchés, et prendre place au banquet du Seigneur. Tous, en un mot, sentaient vivement le besoin d’un prêtre, et appelaient son arrivée de tous leur vœux. L’entreprise présentait de grandes difficultés. Jean Ni s’offrit pour courir les chances et subir les fatigues du voyage de Péking. Il se résolut à déguiser son rang de noble, et à se mêler aux marchands ou aux valets qui accompagnaient l’ambassade, malgré toutes les avanies et tous les mauvais traitements auxquels il devait s’attendre en conséquence. Rendus plus prudents par les désastres et les trahisons des années précédentes, les principaux chrétiens s’arrangèrent de façon à cacher le plan et les détails de cette nouvelle tentative à la majorité des néophytes. Mais il fallait de l’argent, et l’argent manquait. On essaya d’abord de s’en procurer en plaçant quelques fonds dans une entreprise commerciale qui promettait de larges bénéfices ; mais cette entreprise manqua, et les avances furent perdues. On fit appel à la générosité des chrétiens de la capitale et des provinces, et, enfin, après des retards interminables, tout fut prêt pour envoyer des lettres à l’évêque de Péking, vers la fin de 1811[4].

Outre les chrétiens influents nommés plus haut, on cite comme ayant pris une grande part à cette affaire : Justin Tsio Tong-siem-i, qui y contribua du fond de son exil, et Thomas Han, du district de Mien-tsien dans le Nai-po, qui fournit une assistance matérielle relativement considérable.

Deux lettres furent donc rédigées, l’une à l’évêque de Péking, pour lui raconter tout ce qui s’était passé, et le supplier d’envoyer un prêtre au secours de ses enfants de la Corée, et l’autre au souverain Pontife. On croit que ce fut Jean Kouen qui les écrivit au nom de tous les chrétiens. Elles sont signées : François et autres…, probablement un nom d’emprunt, pour dérouter les recherches des mandarins dans le cas où ces lettres eussent été saisies en route.

Chargé de ces dépêches, Jean Ni, accompagné d’un autre chrétien dont nous ne connaissons pas le nom, se mit en route à la suite de l’ambassade, et arriva heureusement à Péking. Mais il ne savait où trouver les chrétiens, et n’osait adresser de questions à personne. Se souvenant alors que le mode de préparation du tabac avait été introduit en Chine par les missionnaires, et que dans le commencement, c’étaient des chrétiens qui en faisaient le commerce, il se mit en quête d’un marchand de tabac. La Providence permit qu’il rencontrât une de ces boutiques, sur la porte de laquelle n’étaient peints aucuns caractères superstitieux. Il y entra avec confiance, et après une courte conversation, découvrit que le marchand était chrétien. Il se fit reconnaître lui-même comme tel, et demanda à être conduit près de l’évêque.

Mgr de Govéa était mort le 6 juillet 1808. Plusieurs années auparavant, Mgr Joachim de Souza-Saraiva avait été sacré évêque de Tipase, in partibus, et coadjuteur de Péking ; mais la persécution étant survenue en 1805, il fut impossible d’obtenir pour lui la permission de se rendre à cette capitale. Aussi, quoiqu’il fût devenu évêque titulaire de Péking par la mort de Mgr de Govéa, il ne put jamais pénétrer dans sa ville épiscopale, et mourut à Macao, le 6 janvier 1818. D’un autre côté, Mgr Pires, lazariste portugais, missionnaire à Péking, qui avait été sacré évêque de Nanking par Mgr de Govéa, ne put jamais non plus, à cause des persécutions, se rendre dans sa ville épiscopale de Nanking. Il fut obligé de rester à Péking, où il exerçait les fonctions épiscopales, et dont il reçut du Saint-Siège l’administration, après la mort de Mgr de Souza-Saraiva. Mgr Pires vécut jusqu’au 2 novembre 1839. C’est lui qui, dans la suite de cette histoire, est désigné souvent sous le titre d’évêque de Péking. C’est à lui que notre courrier fut conduit, et qu’il remit les lettres suivantes :


Lettre des chrétiens de Corée à l’évêque de Péking.

« Moi François, et autres chrétiens de Corée, quoique nous ne soyons que de misérables pécheurs, néanmoins le cœur brisé de douleur, le front en terre devant le trône épiscopal, nous présentons avec respect notre écrit au maître de la religion.

« L’énormité de nos péchés est à son comble ; nous avons perdu la sainte grâce du Seigneur. Ô désolation ! ô douleur ! nos crimes sont la cause de la mort de notre Père spirituel ! La tristesse et l’affliction ont dispersé les uns, éteint ou affaibli dans les autres tout sentiment de religion. Il y a déjà onze ans que nous avons perdu tous ceux dont le zèle et les talents étaient de quelque ressource. La rigueur avec laquelle nous sommes sans cesse surveillés, nous a empêchés de vous faire parvenir plus tôt nos humbles supplications. Tout ce qu’on dit des saints de l’antiquité qui soupiraient tant après la venue du Messie, tout ce que la sainte tradition nous enseigne de la bonté avec laquelle Notre Sauveur veut bien condescendre aux vœux ardents de ses saints ; tout cela nous prouve assez que, comme dans l’économie animale, il existe un rapport exact et infaillible entre l’aspiration et la respiration, de même, une prière fervente, qui part du fond du cœur, est un moyen sûr de toucher le Seigneur et d’en être exaucé.

« En réfléchissant sur l’énormité de nos péchés qui est parvenue à son comble, nous reconnaissons humblement qu’ils ont fermé la porte aux effets de la miséricorde de Dieu, qu’ils en ont arrêté le cours. Sa justice a éclaté d’une manière si épouvantable, que nous sommes devenus semblables à un enfant qui, surpris par la foudre, est saisi de frayeur et ne peut trouver où se cacher, semblables à un troupeau attaqué, qui, privé de son pasteur, fuit, s’égare, reste sans ressources et sans aucun moyen de salut. Eh ! quelle peut être la cause de nos désastres, sinon nos iniquités ? Notre cœur est cruellement serré, notre esprit est abattu par la violence de notre douleur ; elle a pénétré jusqu’au fond de nos entrailles, elle nous a fait verser des larmes de sang. Néanmoins, quelque énormes que soient nos péchés, la miséricorde de Dieu est infiniment plus grande. Oh ! si le Seigneur daignait suspendre les coups de sa justice, nous supporter encore, nous attendre à pénitence ! Oh ! s’il lui plaisait de nous prêter une main secourable pour nous aider à sortir de l’état déplorable auquel nous sommes réduits. C’est ce que nous lui demandons jour et nuit, sans pouvoir contenir nos larmes et nos sanglots. Si nous désirons échapper à une mort prochaine, c’est uniquement pour avoir le bonheur d’assister au saint sacrifice et de confesser nos péchés ; dussions-nous mourir aussitôt après, nous serions satisfaits et transportés de joie.

« D’ailleurs, lorsque nous pensons que la sainte Mère de Dieu daigna autrefois se rendre propice à un pécheur qui avait signé son apostasie de son sang, et que nous nous rappelons la conversion éclatante du prince impie qui fut miraculeusement touché par la présence du Saint-Sacrement[5], quelque grands pécheurs que nous soyons, nous espérons aussi que la Mère de miséricorde apaisera peu à peu la colère de Dieu, et tempérera les effets de sa justice, en sorte que nous puissions participer au bienfait des sept Sacrements, et trouver un asile assuré dans les cinq plaies du Sauveur. Prosternés aux pieds de notre pasteur, qui est revêtu de l’autorité de Dieu même, nous espérons que, réfléchissant sur le redoutable emploi dont il est chargé, il se laissera toucher par la douleur dont la vue de nos péchés nous pénètre et nous accable, et que, par un effet extraordinaire de compassion, il nous procurera au plus tôt le secours du saint ministère. Nous nous confions pour cela en la sainte grâce de la Rédemption, commune à tout le genre humain ; nous l’espérons par le saint nom de Dieu et la gloire des martyrs de notre royaume. Ainsi soit-il. »

Vient ensuite une relation abrégée de tout ce qui était arrivé depuis la mort du roi en 1800, et une courte notice sur chacun des principaux martyrs. Après quoi, la lettre continue ainsi :

« Il y en a encore un grand nombre d’autres qui, s’efforçant de correspondre à la grâce du Seigneur, ont, par son secours, également consommé leurs mérites par le martyre. Leurs familles ont recueilli ce qui les concerne. Quand un missionnaire viendra en Orient, on pourra faire un recueil de tout, à commencer par Paul Ing-tchi-tchung (Paul Ioun Tsi-tsiong-i, martyrisé en 1791).

« Jésus-Christ a dit : « Mon Père, vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents du siècle, et vous les avez révélées aux petits (St. Matth. xi, 25). » Cette sainte parole doit s’accomplir à la lettre, de génération en génération. Elle se vérifie maintenant dans notre patrie. Parmi les grandes et nobles familles depuis longtemps célèbres, parmi les descendants des mandarins, ou ceux qui sont actuellement en charge, on trouve un certain nombre d’hommes bien disposés en faveur de la religion ; mais ils sont retenus par le désir de parvenir, de s’avancer dans le monde, ou par la crainte de s’exposer à la raillerie. Parmi les riches, c’est la soif de l’or qui étouffe la voix de la conscience. Ceux qui se tournent du côté de la religion et cherchent la justice, sont de ces personnes que la pauvreté et la misère accablent, qui manquent de toutes ressources. D’ailleurs, suivant les mœurs du pays, presque tous les genres de commerce et d’associations sont remplis de superstitions ou d’injustices. Les chrétiens qui voudraient s’y livrer pour gagner leur vie en sont par là même exclus. Aussi les chrétiens riches sont devenus pauvres ; les pauvres sont réduits à mendier, à errer de tous côtés sans trouver d’asile, ils ont toutes les peines du monde à subsister. Cependant on ne les entend ni murmurer ni se plaindre. Ils sont contents d’errer et de souffrir, pour pouvoir observer la religion. N’est-ce pas une faveur toute particulière du Seigneur qui nous anime et nous soutient ? Nous en sommes indubitablement redevables à la protection des anges, des saints et de toute l’Église qui intercèdent pour nous.

« Ceux d’entre nous qui avaient des talents pour les affaires sont tous morts dans la grande persécution. Ceux qui ont échappé aux supplices, et ceux qui se sont cachés, sont saisis de frayeur ; la terreur a comme paralysé leurs âmes. Ayant perdu tout leur patrimoine et tout ce qu’ils possédaient, ils n’ont plus de ressource que dans la mendicité. Il n’en est pas un qui puisse se suffire à lui-même. D’ailleurs, tant de souffrances ont fait changer de disposition à plusieurs qui sont devenus craintifs et soupçonneux. Mais dix ans se sont écoulés depuis cette violente tempête ; les circonstances ont changé, et la crise est moins violente. Peu à peu les esprits peuvent se ranimer, les choses reprendre leur cours. Si nous avions la grâce des sacrements, la religion pourrait bientôt briller d’un nouveau lustre. Mais nous n’avons plus d’hommes de talents ; il ne nous reste guère que des hommes simples et grossiers. Nous formons bien des désirs, mais nous n’avons aucun moyen à notre disposition ; quand même on rencontrerait quelqu’un qui pût traiter les affaires, nos maisons étant vides, nos bourses sans argent, ne sachant où tendre la main, que pourrions-nous faire, sinon pleurer, gémir et nous affliger ?

« C’est la raison pour laquelle, depuis dix ans, nous n’avons envoyé personne à Péking. En vain nous élevions la tête, nous nous levions sur la pointe de nos pieds ; en vain nous regardions vers le nord, nous pleurions, et nous poussions des cris. Nous n’aurions point été arrêtés par la difficulté des routes ; le danger pour nos vies ne nous eût point effrayés ; mais nous ne pouvions ramasser quelques centaines de taëls pour le viatique des députés. Dans le commencement on avait construit des corps de garde de tous côtés pour surveiller le pays. Les sentinelles étaient aussi près l’une de l’autre que les arbres dans une forêt. Les plus petits villages, sur les frontières, étaient gardés comme des villes en temps de guerre. Depuis quelque temps, on s’est relâché de cette sévérité ; l’état des choses permettait d’agir : mais d’un côté notre indigence nous laissait sans ressource ; d’un autre, étant dispersés au loin, nous ne pouvions nous réunir et suivre notre désir. Le cœur navré de douleur et rempli d’amertume, nous ne pouvions que gémir sans savoir que faire.

« Tout le royaume a pris part à la grande persécution ; elle faisait la matière de toutes les conversations. L’excellente doctrine et les bons exemples des chrétiens remplissaient tous les yeux et toutes les oreilles ; leurs discours pathétiques touchaient tous les cœurs. On s’étonnait de voir combien la religion est supérieure à la science du monde ; on admirait la charité des chrétiens ; presque tous les cœurs en étaient attendris. On condamne comme injuste la mort de ceux qui ne sont plus ; on a compassion de ceux qui restent. Non, la lumière du ciel ne peut s’éteindre, le cri de la conscience ne s’étouffe point. Ce sentiment est commun à tous les hommes ; mais, faute des secours que procurent les sacrements, rien dans l’intérieur n’excite et n’anime la volonté. Bafoués, vilipendés, ayant sans cesse devant les yeux la mort et les tourments, nous sommes à l’extérieur sous l’oppression. Le cœur est toujours le même, mais on craint de se déterminer imprudemment ; on désire entendre, mais personne n’indique ce qu’il faut faire ; c’est vraiment un état digne de compassion. Toutefois l’occasion présente est favorable ; vous ne refuserez pas de nous procurer un si grand bien.

« Nous avons entendu dire qu’en 1804, il y a eu une violente persécution à Péking ; que l’entrée des églises avait été interdite très-rigoureusement ; que beaucoup de chrétiens avaient été mis à mort, et les missionnaires européens emprisonnés. Cette nouvelle a répandu parmi nous la plus grande consternation, et nous a causé la douleur la plus amère. Jusqu’à présent, nous n’avons pu nous assurer de la vérité de ces bruits ; cela nous met dans la plus grande inquiétude. Nous vous supplions de nous éclaircir sur ce point ; ce sera pour nous une grande consolation. L’église de Péking étant elle-même très-rigoureusement surveillée, et nos affaires extérieures exigeant ! le plus grand secret, nous vous prions de nous indiquer ce qu’il y a de mieux à faire dans les circonstances présentes. Nous implorons le secours du Seigneur, et nous vous conjurons de penser à trouver un moyen efficace pour nous tirer de l’état affreux où nous nous trouvons.

« Depuis la grande persécution, tout ce qui concerne la religion, ses lois et sa doctrine, est connu dans tout le royaume. En vain voudrait-on cacher ou dissimuler les lois qui défendent de sacrifier aux ancêtres et aux idoles. Celles qui prescrivent les jeûnes et les abstinences font aussi reconnaître les chrétiens. Or quant au premier commandement de Dieu et à ce que la religion prescrit rigoureusement, dût-il en coûter la vie, il n’est jamais permis de l’enfreindre. Il n’en est pas de même des lois qui prescrivent les jeûnes et les abstinences ; nous avons vu qu’on en dispense souvent. Pourrait-on accorder une dispense générale aux voyageurs et aux domestiques ?

« Les livres et objets de dévotion qui ont été portés aux tribunaux inférieurs, ont été la proie des flammes. Ce qui était au tribunal King-fou (Keum-pou), a été mis sous clef pour être conservé, lien a été de même des écrits du missionnaire et d’Alexandre (Hoang) dont nous avons parlé ; tout cela est dans le palais du roi. Les chrétiens n’ont pu conserver intact presque aucun des livres de religion. On ne retrouve aujourd’hui que des lambeaux ou des feuilles séparées. Les images du père, ses livres, son calice, tout a disparu. Il ne reste de ses livres que deux petits volumes qui sont entre les mains d’une chrétienne. Les livres imprimés en Chine, que nous avons vus, sont en grand format, et pour cela difficiles à cacher. Si vous les faisiez imprimer en petit format, vous pourriez nous les envoyer plus facilement, et il nous serait plus aisé de les cacher. Nous vous prions d’avoir égard à cette demande.

« Maintenant que nous n’avons aucun moyen de recevoir les sacrements, c’est une chose bien fâcheuse pour nous de manquer de secours à l’article de la mort. Si nous pouvions avoir des choses saintes, auxquelles fussent attachées des indulgences plénières, elles serviraient à nous animer et à fortifier en nous la foi, l’espérance et la charité.

« Comme, depuis dix ans, nous n’avons pu avoir aucune communication avec vous, nous ignorons le nom du souverain Pontife ; depuis combien d’années il gouverne l’Église ; nous ignorons également ce qui regarde les prêtres de l’église de Péking ; combien il y en a, outre l’évêque ; quels sont les progrès de la religion en Chine ; combien il y a de royaumes en Orient où la religion est prêchée et exercée publiquement. Nous vous prions de nous donner quelques détails sur ces différents points.

« Personne d’entre nous, qui avons survécu à la persécution, n’est bien instruit des affaires qui furent traitées secrètement en l’année kang-chen (1800). Simon King et Yu-tsien-si[6] nous écrivirent, il est vrai, de leur prison ; mais ils ne nous dirent que des choses générales, et n’osèrent entrer dans aucun détail. Ils nous apprirent qu’au bout de dix ans il devait venir un grand vaisseau ; que les nombreux sectaires de Nanking causaient de grands troubles. Ils nous donnèrent l’assurance que des prêtres de l’église de Péking avaient résolu de venir en Orient pour travailler au salut de nos âmes. Mais, la grande persécution nous a empêchés d’aller recevoir ces missionnaires ; nous en avons ressenti la douleur la plus amère, et nous sommes inconsolables d’ignorer ce qu’ils sont devenus. Si le Seigneur les a conservés sains et saufs, lorsqu’ils verront les députés que nous envoyons à Péking, ils penseront sans doute à accomplir leur promesse. Nous les en prions avec les plus vives instances ; nous les désirons avec autant d’ardeur qu’un enfant soupire après la mamelle. Prosternés en terre, nous implorons surtout la miséricorde et la bonté infinie de Dieu, qui est notre unique appui. Nous espérons de la vertu et du zèle des pères, que les paroles du salut nous parviendront avec la rapidité de l’étoile filante, et nous rendront à tous la vie. Si l’on réparait la boutique qui était près de la porte d’une des maisons que les Européens ont à Péking, il nous serait plus aisé de communiquer avec l’église de Péking. Nous demandons humblement qu’on veuille bien nous procurer cette commodité.

« L’année sin-iou (1801), après que le prêtre et un grand nombre de chrétiens eurent été mis à mort, notre gouvernement en informa l’empereur de Chine. L’église de Péking en aura sans doute appris quelque chose. Depuis ce temps, il est arrivé plusieurs fois que quelques-uns de nos compatriotes, feignant d’être chrétiens, sont allés pour espionner. Ce sont des apostats, des traîtres à la religion, qui prétendent par ce moyen faire preuve de loyauté, pour obtenir quelque récompense. Nous espérons que vous aurez découvert leur malice, et que vous n’en aurez pas été dupes. Si la communication entre vous et nous est entravée, ne serait-il pas à propos de convenir d’une maison chrétienne de la ville, dans laquelle serait le rendez-vous ?

« Notre roi est très-grièvement malade ; la vie semble être usée en lui, et les remèdes n’ont aucun effet. Nous prions notre propre église (l’église de Péking) de demander à Dieu qu’il le protège et lui rende la santé.

« En écrivant au Souverain-Pontife, nous avons grandement passé les bornes de notre condition. Forcés par les circonstances fâcheuses où nous nous trouvons, nous n’avons pu faire autrement. Nous vous prions de traduire notre lettre et de la lui faire parvenir. C’est un léger témoignage de l’affection que, dans notre petitesse, nous présentons à celui qui sur la terre est le vicaire de Dieu et la cause de notre bonheur. Nous souhaitons que notre affaire lui soit communiquée et fidèlement détaillée, dans l’espoir qu’il sera touché de compassion pour nous.

« Nous aurions encore à dire une infinité de choses que nous ne pouvons mettre sur la soie. Le porteur pourra, jusqu’à un certain point, y suppléer.

« Nous vous supplions de penser à nous, de prendre au plus tôt un parti, et de nous donner votre bénédiction, par le saint nom de Dieu et les mérites de la Rédemption. Ainsi soit-il.

« Le 3 de la onzième lune de l’année sin-ou (18 décembre 1811). Dans leur lettre au pape, les néophytes exposent leur triste situation, et sollicitent des secours spirituels, d’une manière plus énergique encore.


Lettre des chrétiens de Corée au souverain Pontife.

« François et les autres chrétiens de Corée prosternés en terre, nous frappant la poitrine, offrons cette lettre au Chef de toute l’Église, père très-haut et très-grand.

« C’est avec la plus grande instance, la plus vive ardeur que nous supplions Votre Sainteté d’avoir compassion de nous, de nous donner des preuves de la miséricorde qui remplit son cœur, et de nous accorder le plus promptement possible les bienfaits de la rédemption. Nous habitons un petit royaume, et avons eu le bonheur de recevoir la sainte doctrine, d’abord par les livres, et dix ans plus tard, par la prédication et la participation aux sept Sacrements. Sept ans après, il s’éleva une persécution, le missionnaire qui nous était arrivé fut mis à mort avec un grand nombre de chrétiens, et tous les autres, accablés d’affliction et de crainte, se sont dispersés peu à peu. Ils ne peuvent se réunir pour les exercices de religion, chacun se cache. Il ne nous reste d’espérance que dans la très-grande miséricorde divine, et la grande compassion de Votre Sainteté, qui voudra bien nous secourir et nous délivrer sans retard ; c’est l’objet de nos prières et de nos gémissements. Depuis dix ans, nous sommes accablés de peines et d’afflictions ; beaucoup sont morts de vieillesse ou de diverses maladies, nous n’en savons pas le nombre ; ceux qui restent ignorent quand ils pourront recevoir la sainte instruction. Ils désirent cette grâce, comme dans une soif brillante on désire de quoi se désaltérer ; ils l’appellent, comme dans un temps de sécheresse, on appelle la pluie. Mais le ciel est très-élevé, on ne peut l’atteindre ; la mer est très-vaste, et il n’y a pas de pont au moyen duquel nous puissions aller chercher du secours. Nous avons lu quelque chose des livres saints. La sainte religion a été prêchée dans tout le monde ; il n’y a que dans notre royaume oriental, qu’elle ait été annoncée sans missionnaire et seulement par les livres. Cependant plusieurs centaines de martyrs ont donné leur vie pour Dieu, avant et après l’arrivée du missionnaire, et les convertis, actuellement existants, ne sont pas moins de dix mille.

« Nous, pauvres pécheurs, ne pouvons exprimer à Votre Sainteté avec quelle sincérité, avec quelle ardeur nous désirons recevoir son assistance. Mais notre royaume est petit, éloigné, situé dans un coin de la mer, il ne vient ni vaisseaux ni voitures au moyen desquels nous puissions recevoir vos instructions et vos ordres, et quelle est la cause d’une telle privation, sinon notre peu de ferveur et l’énormité de nos péchés ? C’est pourquoi maintenant, nous frappant la poitrine avec une crainte profonde et une douleur sincère, nous prions très-humblement le grand Dieu qui s’est incarné, qui est mort en croix, qui a plus de sollicitude pour les pécheurs que pour les justes, et Votre Sainteté qui tient la place de Dieu, qui a soin de tout le monde, et délivre véritablement les pécheurs. Nous avons été rachetés, nous avons quitté les ténèbres ; mais le monde afflige nos corps ; le péché, la malice oppriment nos âmes. Nous n’avons pas de moyen de recevoir le bienfait du baptême[7] et de la confession ; nous ne pouvons participer au sacrifice du très-saint Corps de Jésus-Christ ; notre désir est grand, mais quand sera-t-il rempli ? Nos larmes et nos gémissements, nos afflictions sont de peu de valeur, mais nous considérons que la miséricorde de Votre Sainteté est sans bornes et sans mesure, qu’en conséquence elle aura compassion des ouailles de ce royaume qui ont perdu leur pasteur, et qu’elle nous enverra des missionnaires, le plus tôt possible, afin que les bienfaits et les mérites du sauveur Jésus soient annoncés, que nos âmes soient secourues et délivrées, et que le saint nom de Dieu soit glorifié partout et toujours.

« 1o Anciennement, nous n’avions rien entendu dire de ce qui appartient aux autres nations, mais, depuis quelques années, à l’occasion de la propagation de la sainte Religion, nous avons eu connaissance des choses d’Europe. Nous avons beaucoup de plaisir à en parler entre nous. Tout notre royaume admire la science des Européens dans les mathématiques, et l’habileté de leurs artistes. D’ailleurs, depuis quelque temps la population avait augmenté, et en conséquence la pauvreté, la famine, et la misère. Excepté quelques docteurs entêtés, ennemis de la religion ; excepté quelques prosélytes de Fo également opiniâtres, tout le monde, fatigué de tant de calamités, gémissait et désirait être instruit de la sainte Loi. Cependant par l’effet de la faiblesse naturelle, et le défaut de moyens, la religion n’avait pas fait beaucoup de progrès, lorsque tout à coup s’éleva la grande persécution. Tous les plus instruits et les plus vertueux furent mis à mort. L’affliction que les autres en ressentent fait voir que leurs sentiments n’ont pas changé, mais la prohibition légale, les tourments, la mort dont ils sont menacés, et dont ils ont vu de terribles exemples, les effrayent. S’il paraissait un homme de courage pour les animer, il semble certain qu’ils s’empresseraient de pratiquer la religion ; ils s’y porteraient avec ardeur, comme les eaux qui, descendant des montagnes, se précipitent dans les vallées,

« 2o Notre royaume, limitrophe de l’empire de Chine dont il est tributaire, est situé à l’extrémité du monde ; il a des mœurs particulières auxquelles il est très-attaché. La sortie et l’entrée sont strictement défendues, surtout depuis la persécution ; les sentinelles veillent avec cent fois plus d’attention qu’auparavant. Nous avons appris d’ailleurs qu’il y a aussi une persécution à Péking. Si donc on veut délivrer nos âmes, il faut nous envoyer le remède par mer, il n’y a pas d’autre voie sur laquelle on puisse compter. Notre royaume n’est abordable par terre que vers le Nord, les trois autres côtés sont entourés par la mer. De nos rivages à la province de Chang-tong en Chine, il n’y a pas cent lieues, de sorte que quand le vent souffle de cette partie, nous pourrions quasi entendre le chant du coq. La partie méridionale de notre royaume n’est éloignée de la province de Nanking que de quelque mille lys (quelques centaines de lieues), et par conséquent de trois cents ou quatre cents lieues seulement de Macao, où la sainte religion est publique. Si de Macao l’on expédiait un vaisseau qui passât entre la province de Nanking et l’île de Liéou-kiéou, prenant au nord, en peu de jours il pourrait arriver à notre côte méridionale. De là à notre capitale, il n’y a pas plus de dix lieues. Quoique cette mer occidentale soit peu profonde, les petits navires peuvent y passer ; nous ne pouvons donc attendre de secours que de ce côté ; c’est pourquoi nous supplions humblement Votre Sainteté de s’occuper promptement de l’objet de notre demande.

« 3o Lorsque de gros temps obligent quelques navires étrangers à toucher nos côtes, on ne leur permet pas d’y demeurer. On a soin de ne pas les laisser seuls ; on veille continuellement sur eux ; et on les force à partir le plus promptement possible. C’est pourquoi il faudrait que sur le vaisseau que nous demandons, il y eût un homme prudent, capable, expérimenté, sachant bien écrire les caractères chinois, afin que nous puissions, par ce moyen, nous entendre avec lui. En outre, il convient que le Souverain-Pontife et le Roi[8], envoient des présents et des lettres pleines d’honnêteté à notre roi. Ils feront bien de dire dans ces lettres, que leur unique intention est qu’on n’adore qu’un seul Dieu, que la sainte religion soit annoncée, que tous les hommes soient libres, que les royaumes se conservent, et que la paix règne parmi les peuples. Il faudrait aussi expliquer très-clairement la doctrine du christianisme, et persuader avec toute sincérité et de la meilleure manière possible, que les prêtres ne cherchent point à conquérir le royaume, mais qu’ils viennent uniquement pour exercer la charité. Peut-être que, par ce moyen, nos compatriotes ouvriraient les yeux, sentiraient leurs soupçons se dissiper, et verraient la vérité. Ils savent depuis longtemps que les Européens excellent dans les arts, les sciences, la prudence et les autres talents. Ils n’ont garde de se mesurer avec eux, ou de les offenser. Ils savent très-bien que les prédicateurs européens parcourent tout le monde, sans qu’aucun d’eux pense à s’emparer des royaumes étrangers. Mais notre petit royaume est rempli de soupçons et de crainte. Il ne pourra se déterminer de lui-même ; certainement il enverra à Péking, pour avertir l’empereur et recevoir ses ordres, afin de s’assurer la protection dudit empereur, et afin d’éviter d’être puni. Or, comment l’empereur pourrait-il obliger notre gouvernement à ne pas recevoir quelqu’un qui vient le complimenter et lui faire des présents ? Notre roi et ses ministres n’auront donc rien à craindre, et ne manqueront pas de faire bon accueil à cet envoyé.

« 4o Dans la mer méridionale de la Corée, qui est près de la province de Nanking et non éloignée de Macao, on rencontre beaucoup d’îles, qui n’appartiennent à personne, et qui sont cultivables et habitables. Notre royaume n’a de communication avec d’autres contrées, ni par terre, ni par mer[9] ; c’est pourquoi nous sommes grossiers et faibles. Ayant peu de talents et de connaissances, nous n’entreprenons point de naviguer dans les pays éloignés. C’est même une malédiction proverbiale parmi nous, que de dire à quelqu’un : « Va en mer. » On pourrait donc envoyer un navire de Macao pour examiner ces îles abandonnées, et s’établir dans quelques-unes de celles qui sont les plus convenables ; ou, si l’on y trouve quelques habitants, les convertir, et les faire chrétiens. Par ce moyen nous pourrions arriver peut-être à sortir de notre triste position ; mais c’est là un remède désespéré, parce qu’il demande beaucoup trop de temps. Le meilleur est de nous expédier un vaisseau directement et promptement.

« 5o On a dans ce royaume bien peu de capacité, bien peu d’intelligence. Nous sommes bien éloignés d’avoir les talents des autres peuples ; les choses les plus nécessaires pour se procurer la subsistance, tels que les instruments d’agriculture et de tissage, ne valent rien ; notre pauvreté est extraordinaire. Ni les nobles, ni le peuple n’ont de ressources assurées qui puissent leur procurer de quoi se nourrir et se vêtir lorsque, par suite des sécheresses ou des inondations, survient une année de famine. Quant aux chrétiens, à cause de la persécution, ils courent en confusion tantôt à l’orient, tantôt à l’occident ; ils ne peuvent demeurer en paix nulle part, ni profiter des ressources telles quelles qu’ils auraient d’ailleurs pour subsister. Aussi, sont-ils presque tous réduits à l’état de mendicité. Ordinairement l’âme gouverne le corps, et le corps aide l’âme ; cette corrélation est naturelle. Mais maintenant, nos corps manquent des moyens nécessaires pour conserver la vie, nos âmes manquent des remèdes indispensables pour ranimer les vertus. Ceux qui étaient instruits et avaient le don de la parole, sont tous morts dans la persécution, et il ne s’en est pas converti d’autres capables de les remplacer. Il n’y a plus que des femmes, des enfants, et des hommes si ignorants qu’ils ne savent pas distinguer les deux lettres lou et you[10]. Quelque grand que soit le nombre des chrétiens, ils ne sont pas suffisamment instruits ; ils savent qu’il y a un Dieu, une âme, une récompense et un châtiment ; pour les autres articles de religion, ils ne les connaissent guère ; ils ne peuvent ni les enseigner, ni les expliquer. D’ailleurs, ils sont retenus par la crainte de la persécution et le respect humain. Tourmentés par la faim et le froid, accablés de travaux, ils ne peuvent s’aider les uns les autres ; ils sont dispersés comme des brebis qui ont perdu leur pasteur, ils ont fui de tous côtés, ils ne peuvent se réunir pour les exercices de la religion, mais tous espèrent que le Seigneur aura pitié d’eux et ne les abandonnera pas.

« 6o Nous avons entendu dire qu’en règle générale quand il y a plus de mille chrétiens dans un endroit, on doit y envoyer un prêtre, et que quand il y en a plus de dix mille, on doit y envoyer un évêque. Il est vrai que nous sommes peu instruits de la religion ; nous savons seulement jeûner et réciter des prières, et, en vérité, nous sommes indignes d’être appelés chrétiens. Cependant nous sommes plus de dix mille qui connaissons Dieu, et nous n’avons pas encore obtenu d’être gouvernés par un évêque. Nous sommes accablés de douleur, en pensant que l’objet de notre espérance est si éloigné ; nous demandons avec la plus grande instance par la miséricorde de Jésus-Christ, que Votre Sainteté nous envoie le plus promptement possible un maître spirituel pour délivrer nos âmes.

« 7o Il n’y avait pas vingt ans que nous étions convertis à la foi ; et il n’y avait pas sept ans que le missionnaire était arrivé, lorsque s’éleva la grande persécution. Dans celles qui précédèrent, nous avions eu peu de martyrs. Mais celle qui commença en 1801 fit beaucoup de bruit, et la sainte religion parut avec plus d’éclat. Il y eut alors plus de cent martyrs[11], près de quatre cents exilés. Le bienfait spirituel des Sacrements et l’augmentation de la grâce divine leur avaient donné la force. Quant aux prisonniers peu instruits, et qui avaient peu récité les prières, comme c’étaient des gens grossiers du peuple, on jugea que peu importait qu’ils fussent ou ne fussent pas chrétiens, et on les mit en liberté. Ils sortirent comme les poissons les uns après les autres ; on n’en sait pas le nombre. On ignore aussi le nombre de ceux qui n’ayant pas eu de relations personnelles avec le missionnaire, et n’ayant pas été dénoncés, prirent la fuite, se cachèrent, et sont encore errants, sans maison, sans famille. Ayez pitié de tant d’âmes qui, privées de tout moyen de salut n’ont que la mort à attendre. Si en Europe on n’a pas compassion de nous, si on ne nous envoie pas du secours, et si nous n’en pouvons attendre de Péking, nous tombons dans le désespoir, et tout sera fini. Si le secours tarde un jour, nous souffrons un jour ; s’il tarde deux jours, nous souffrons deux jours ; si nous ne voyons arriver un vaisseau d’Europe, il en sera du précepte de Jésus-Christ, d’enseigner et de baptiser toutes les nations, il en sera des paroles du saint Évangile sur l’amour du prochain et le zèle du salut des âmes, il en sera de tout cela comme d’un vieux chapeau et d’une guenille inutile. Nous perdrons toute espérance, ainsi que l’homme qui, tombé dans l’eau, fait d’abord des efforts pour ne passe noyer, dans la confiance qu’on viendra à son secours, et enfin se voit tromper dans son attente. Nous supplions Votre Sainteté de nous pardonner ces cris inconvenants, ces paroles désordonnées, cet égarement que nous occasionne la vue du péril. Comme ceux qui tombent dans l’eau ou dans le feu, nous ne sommes plus maîtres de nous-mêmes et nous perdons la tête.

« 8o L’état de persécution permanente nous oblige d’écrire cette lettre sur de la soie, afin que le porteur puisse la cacher dans ses vêtements. Le danger de perdre la vie est, pour lui, de dix mille contre un. C’est pourquoi nous ne pouvons envoyer à Votre Sainteté des livres volumineux. Nous envoyons seulement les actes du martyre du missionnaire, de la catéchiste Colombe, et de quelques autres, environ dix en tout ; avec les noms et surnoms de quarante-cinq qui se sont le plus distingués. Leurs actes remplissent plusieurs volumes que nous prendrons humblement la liberté de vous faire parvenir à la première occasion ; car nos concitoyens martyrs, quoique d’un pauvre royaume étranger, ont eu le bonheur d’être admis dans la sainte religion, leurs noms et leurs mérites sont écrits dans le livre de ceux qui sont morts pour la justice. Ils sont véritablement agréables à Dieu ; ils sont aimés de la sainte Vierge, et des saints anges ; ils ne seront pas moins agréables à Votre Sainteté qu’ils le sont à Dieu. Par les mérites de nos martyrs, nous espérons recevoir au plus tôt le secours spirituel que nous demandons avec mille et dix mille larmes de sang.

« Le 24 de la dixième lune de l’année sin-ou (9 décembre 1811). »


En lisant ces lettres des chrétiens de Corée, l’histoire de leurs martyrs, l’exposé des souffrances des néophytes, leurs instantes supplications pour obtenir un pasteur, l’évêque et les quelques missionnaires qui étaient encore avec lui, versèrent d’abondantes larmes. Malheureusement il était impossible de satisfaire à ces ardents désirs des Coréens, et de leur envoyer un prêtre. L’église de Péking elle-même, privée à la suite de la Révolution française, de presque tout secours d’Europe, en butte à la persécution qui renversait les églises, massacrait ou exilait les missionnaires et les prêtres indigènes, et venait de détruire le séminaire, l’église de Péking, disons-nous, pouvait à peine se suffire ; et l’évêque, le cœur brisé, dut renvoyer Jean Ni Ie-tsin-i, sans même lui faire aucune promesse pour l’avenir.

Le voyage toutefois eut un heureux résultat. Les rapports avec la Chine étaient rétablis, et des précautions prises pour les rendre désormais plus réguliers et plus faciles ; cela seul était un encouragement et une espérance pour les pauvres fidèles de Corée, qu’un isolement absolu aurait réduits au désespoir. Jean Ni emporta à son retour, un grand nombre de chapelets, médailles, images et autres objets de religion, que l’on dut vendre à très-haut prix, pour couvrir les frais du voyage, et payer les dettes contractées à cet effet. Il fut même impossible de faire présent de quelques-uns de ces objets à ceux qui avaient d’avance contribué aux dépenses de l’expédition, et l’homme étant toujours homme, plusieurs eurent la faiblesse de se trouver offensés de ne pas recevoir cette petite récompense qu’ils avaient bien méritée, et se laissèrent aller à de fâcheux murmures et à des querelles regrettables.

L’évêque de Péking envoya en Europe la lettre adressée au souverain Pontife par les Coréens, et le pape la reçut dans sa prison de Fontainebleau. Qui nous dira les sentiments douloureux qui déchirèrent son cœur en lisant ce touchant appel de ses enfants les plus lointains et les plus abandonnés, et en se voyant dans l’impossibilité de leur venir en aide ? Le domaine de Saint-Pierre venait d’être confisqué ; le clergé de France commençait à peine à se recruter, et les nombreux vides faits par les échafauds, les pontons, et l’exil, étaient loin d’être comblés ; presque partout, les ordres religieux avaient été anéantis ; l’œuvre rédemptrice de la Propagation de la Foi n’existait pas encore ; à peine si de loin en loin surgissait quelque vocation de missionnaire ; en un mot, dans le monde entier, l’Église subissait le terrible contre-coup de la Révolution, et semblait menacée même dans son existence. Que pouvait faire le Vicaire de Jésus-Christ, que de prier, d’en appeler à Dieu, et, du fond de sa prison, de verser des gémissements dans le cœur de Jésus crucifié et délaissé. Il est écrit que la prière de celui qui s’humilie, pénètre le ciel ; bien plus encore la prière de celui qui est écrasé par le malheur, qui souffre persécution pour la justice. Aussi Dieu exauça-t-il la prière de son Pontife. Il multiplia ses grâces aux néophytes de la Corée, pour que leur Église, formée jadis et agrandie sans le secours des prêtres, pût se reconstituer et se développer seule, sans appui extérieur, par l’influence directe du Saint-Esprit. Il fit plus, et pour rendre manifeste à tous que la propagation de l’Évangile dans ce pays est son œuvre, et que cette œuvre est indestructible, il permit, comme nous le verrons bientôt, que de nouveaux orages vinssent l’affermir au lieu de l’ébranler.


Les deux ou trois années qui suivirent l’envoi des lettres à l’évêque de Péking et au souverain Pontife, furent comparativement assez tranquilles. Il n’y eut pas de persécution générale. Cependant, comme les lois de proscription contre les chrétiens n’avaient pas été rapportées, le sort des néophytes restait livré à l’arbitraire des autorités locales, et il y eut quelques martyrs dans les diverses provinces. Dieu voulait rappeler aux fidèles que le repos dont ils avaient joui depuis dix ans, n’était qu’une trêve, qu’ils devaient se considérer comme une armée en pays ennemi, toujours exposée et harcelée, et se tenir prêts en conséquence.

En 1812, à Hong-tsiou, eut lieu le martyre de Paul Ni Ie-sam-i. Exilé pour la foi en 1802, il venait d’obtenir sa grâce et de rentrer dans son pays natal, lorsque, pour des causes que nous ignorons, le mandarin fit saisir quelques-uns de ses parents. Ceux-ci le dénoncèrent, et l’un d’eux même conduisit les satellites au village de Kai-tsi-ki, district de Keum-san, province de Tsien-la, où Paul s’était réfugié ; c’était la troisième fois qu’il tombait entre les mains des persécuteurs. Sa volonté tint ferme dans les supplices ; il répondit avec courage aux diverses interrogations du mandarin, et celui-ci, voyant qu’il ne pouvait le faire apostasier, le condamna à mort. On n’a conservé aucun détail sur les diverses tortures qu’il eut à subir pendant six mois qu’il fut en prison à Hong-tsiou. Plusieurs fois des païens de ses amis l’engagèrent à se conserver la vie par quelques paroles de soumission et de complaisance ; mais il répondit constamment qu’il était décidé à mourir pour Dieu. À la fin, un jour de marché, pendant la onzième lune, le mandarin résolut de se débarrasser de lui, et commanda à deux vigoureux fustigateurs de le frapper avec le bâton triangulaire. Après une longue bastonnade, Paul demeurant étendu sans mouvement, le mandarin dit de voir s’il était encore en vie ; les bourreaux répondirent qu’il était presque mort. Mais soudain, à la grande surprise de tous, Paul se releva, s’assit convenablement sur les talons, ainsi qu’il est d’usage pour une cérémonie solennelle, et demanda de l’eau qu’on lui apporta de suite. Puis, comme il n’était encore que catéchumène, il fit un grand signe de croix, et se versa l’eau sur la tête pour se conférer le baptême[12]. Après quoi, tournant les yeux vers le mandarin stupéfait, il lui dit : « Je suis un grand pécheur, et si vous me battez seulement comme vous l’avez fait, ma mort est encore bien éloignée ; si vous voulez que je meure, frappez ici, » et de sa main il montrait un point sur le côté du corps. Deux coups donnés comme il l’avait indiqués, furent suffisants, et il rendit le dernier soupir. Il était âgé alors d’environ quarante-trois ans.

On raconte qu’au moment où il consommait son martyre, trois jeunes gens, passant non loin de là, virent une lumière brillante qui s’élevait jusqu’au ciel. Ils se disaient entre eux : « Qu’est-ce donc que cela ? Ce n’est pourtant pas du feu. C’est singulier ! » et ils continuèrent leur route. L’un d’eux, qui était chrétien, de retour chez lui, apprit, trois jours après, la nouvelle de la mort de Paul, et, calculant le jour et l’heure, il reconnut que l’apparition de cette lumière coïncidait exactement avec le martyre, et dans sa joie, il se mit à louer Dieu de ce prodige. Les parents et amis païens de Paul retirèrent son corps pour lui rendre les honneurs de la sépulture ; mais ils furent bien étonnés de voir que ce corps flagellé et déchiré n’avait aucune trace de blessures, et semblait au contraire tout rayonnant. L’un d’entre eux, frappé de cette circonstance si étrange, se convertit, et devint dès lors un fervent chrétien. Un témoin oculaire de la lumière qui apparut au moment du martyre de Paul, vit encore aujourd’hui, ainsi que plusieurs autres personnes qui en entendirent parler le jour même, et l’on a reçu tout dernièrement le témoignage d’un païen dont le père et la mère avaient vu le corps intact quand on lui donna la sépulture. Le nom de le-sa-mi est longtemps resté proverbial parmi les satellites de Hong-tsiou. Ils disaient aux chrétiens dans les supplices : « Il faut supporter les coups comme Ie-sa-mi ; » et après la mort des confesseurs, ne voyant pas de lumière extraordinaire, ils répétaient : « Celui-ci, sans doute, ne vaut pas Ie-sa-mi. »

L’année suivante (1813), nous trouvons, dans la ville de Kong-tsiou, trois nouveaux martyrs.

Le premier est Paul Hoang, qui avait eu la gloire de confesser une première fois le nom de Jésus-Christ, en 1794. On assure que même auparavant, il avait déjà subi une rude persécution dans sa propre maison. Son père, ennemi acharné du nom chrétien, alla dit-on, jusqu’à lui mettre des charbons ardents entre les doigts, et sur les parties du corps les plus sensibles, sans pouvoir obtenir son apostasie. Paul Hoang fut arrêté dans le district de Po-rieng, le 15 de la quatrième lune, et conduit au tribunal de Hai-mi. Beaucoup d’autres chrétiens furent pris à cette même époque et emprisonnés avec lui. Interrogé par le mandarin sur son maître de religion et sur ses complices, il répondit : « Celui-qui m’a enseigné la religion est mort, et ceux que vous appelez mes complices, sont tous ici avec moi. » Peu satisfait de cette réponse, le mandarin le pressa de dénoncer les chrétiens qu’il connaissait, et lui fit subir, par trois fois, le supplice de l’écartement des os des jambes et de la puncture des bâtons. Dans cette horrible torture, il tint ferme et confessa généreusement sa foi. Il fut donc déposé à la prison, et, après quelques mois de souffrances, fut, à la huitième lune, transporté au tribunal du gouverneur à Kong-tsiou. Dans les prisons de Kong-tsiou, il rencontra plusieurs autres chrétiens, entre lesquels Pierre Ouen et Mathias Tsiang.

Pierre Ouen était du village de Tek-meri, au district de Kiel-sieng. Il vivait de son travail dans une poterie païenne de ce pays, lorsqu’il se convertit avec son frère aîné. Afin de pouvoir pratiquer plus librement la religion, les deux frères émigrèrent d’abord au district de Hong-tsiou, dans une autre fabrique païenne où ils furent saisis par le mandarin et mis à la torture. Puis ayant été relâchés, ils se réfugièrent à Eu-sil, district de Ien-san, dans une fabrique chrétienne. La persécution ayant éclaté, et les chrétiens de cette fabrique ayant été dénoncés, les deux frères s’enfuirent au district de Tsin-tsaen. Là, ils furent arrêtés de nouveau, conduits à la préfecture de Ien-san, et après un premier interrogatoire, envoyés au juge criminel de Kong-tsiou. L’aîné eut la faiblesse d’apostasier et fut condamné à l’exil ; mais Pierre Ouen, traduit devant le gouverneur, souffrit de cruelles tortures dans trois interrogatoires, sans faiblir un seul instant, et mourut glorieusement en prison, la nuit qui suivit la dernière question, environ quinze jours après son arrivée à Kong-tsiou, dans les premiers jours de la dixième lune.

Mathias Tsiang Tai-ouen-i, était aussi du village de Tek-meri. Ses parents étaient très-pauvres, et, lorsqu’il les perdit, étant encore païen, il entra d’abord comme domestique ou homme de peine dans différentes maisons ; puis, lassé de sa misère, finit par se joindre à une troupe de comédiens ambulants. Mais ayant eu le bonheur d’embrasser la religion, il quitta de suite sa vie licencieuse, renonça à ses mauvaises habitudes, particulièrement à l’ivrognerie, et alla travailler à la fabrique chrétienne de Sol-tei, au district de Keum-san, où il pratiqua pendant quelque temps avec beaucoup de ferveur. Il était ensuite tombé dans le relâchement, il avait même pris une concubine sans cesser toutefois entièrement ses pratiques religieuses, lorsque sa femme légitime étant venue à mourir, il se maria avec sa concubine, et se remit avec zèle à l’exercice de la prière quotidienne, faisant une sévère et continuelle pénitence de ses égarements passés. Il fut pris, vers la huitième lune, à Eu-sil, district de Ien-san, où il avait fui, et conduit à Kong-tsiou. Il supporta courageusement de violents supplices, et quoique les tortures de la faim et de la soif, lui eussent arraché, un instant, quelques signes d’apostasie, il se rétracta presque aussitôt, grâce aux exhortations de ses compagnons de captivité, et redevint plus ferme que jamais.

Réuni dans la prison à Paul Hoang, il partagea les mêmes souffrances, et tous deux méritèrent d’être ensemble condamnés à mort. Quand ils se rendirent au supplice, la foule les poursuivait de sarcasmes et de plaisanteries grossières ; mais Mathias, sans changer de couleur, et sans perdre son calme, leur répondit à haute voix : « Vous ne devriez pas rire, mais bien plutôt pleurer, car c’est votre sort et non pas le nôtre qui est réellement misérable. » Tous deux furent décapités ensemble, le 19 de la dixième lune de cette année kiei-iou, 1813. Paul avait cinquante-neuf ans.

À ces trois noms, il faut ajouter celui d’un autre confesseur de la foi, auquel Dieu n’accorda pas la palme du martyre. Ioun Saing-ouen de famille noble, qui commençait à peine à pratiquer la religion, et n’avait encore appris que l’Angélus, fut aussi arrêté à la même époque, au district de Ien-san, et transféré à Kong-tsiou. Aucun supplice ne put lui arracher une parole d’apostasie, et il aurait dû partager le sort des précédents ; mais comme il s’était fait un nom par une piété filiale tout à fait extraordinaire, le gouverneur dut, d’après les usages du pays, diminuer sa peine, et le condamna seulement à l’exil dans une province du Nord. Il y resta jusqu’en 1832 ; à son retour il s’instruisit à fond de la vraie doctrine, et la pratiqua fidèlement jusqu’à sa mort.

Tous les autres chrétiens prisonniers ayant été relâchés ou exilés, cette affaire n’eut pas d’autres suites.


Le peu de succès du précédent voyage de Péking avait affligé les chrétiens, sans leur ôter l’espérance, et les principaux d’entre eux voulaient, à l’ambassade suivante, faire une nouvelle tentative. Mais, plusieurs personnes qui avaient contribué à la première, refusèrent cette fois leur concours, et la difficulté de se procurer des fonds occasionna un retard considérable. Toutefois, en frappant à de nouvelles portes, tant à la capitale que dans les provinces, on parvint à recueillir de quoi subvenir aux frais d’une seconde expédition, et Jean Ni Ie-tsin-i, s’exposa de nouveau aux fatigues et aux périls de cette longue route. Il partit à la fin de l’année 1813, et cette fois encore, par une protection spéciale de Dieu, il arriva sans accident à Péking. Mais les désirs de la chrétienté coréenne ne purent être satisfaits. L’évêque de Péking était toujours dans les mêmes embarras qu’auparavant, et non-seulement il ne put pas envoyer de prêtre, mais il n’osa pas même en promettre un pour plus tard.

Depuis son retour de ce voyage, Jean Ni Ie-tsin-i ne paraît plus d’une manière saillante dans l’histoire de la chrétienté. Il avait eu l’honneur de renouer les relations avec l’église de Chine. Là, semble-t-il, s’est bornée sa mission, et désormais il n’aidera plus ses frères que par ses exemples et ses exhortations. Dieu, pour augmenter sa vertu, permit qu’il fût cruellement éprouvé en 1815, où il perdit coup sur coup, dans l’espace de trois mois, sa mère, sa femme, son frère, sa belle-sœur et un neveu. Il mourut tranquillement en 1830, à Eug-i, district de Iang-tsi.

Jean Kouen Kei-in-i qui avait, lui aussi, fait tant de démarches, pris tant de soins, et subi tant de fatigues pour procurer de nouveaux prêtres à la Corée, fut vivement affecté de l’insuccès de ce second voyage. « C’est de ma faute, disait-il souvent ; je suis un trop grand pécheur, je ne puis attirer les regards favorables de Dieu, et il refuse d’écouter mes continuelles prières. » Il était allé s’établir dans les montagnes, pour pouvoir plus librement s’occuper des affaires de la chrétienté. Quelque temps après le retour de Jean Ni, il dit à ceux qui étaient près de lui : « Je ne suis pas loin de ma dernière heure. » En effet, il tomba bientôt gravement malade, et mourut à la troisième lune de l’année kap-sioul (1814), à l’âge de quarante-sept ans.

Cette même année, Pie Kim Tsin-ou termina son orageuse carrière. Né à Sol-moi, au district de Mien-t’sien, d’une famille honnête, il s’était livré passionnément aux superstitions, à la magie, et à la géoscopie. Il avait environ cinquante ans quand il entendit parler de la religion chrétienne pour la première fois ; mais son cœur, uniquement désireux des honneurs, des richesses et des plaisirs de ce monde, resta alors sourd à la voix de la grâce. Ayant obtenu une petite fonction près du gouverneur de la province, il résista encore longtemps aux sollicitations de son propre fils. À la fin cependant, son âme fut gagnée à Jésus-Christ ; il donna sa démission, rompit avec ses amis païens, et se mit à pratiquer avec ferveur. Traduit une première fois devant les tribunaux, en 1791, il confessa courageusement la foi. Ayant échappé alors, on ne sait trop comment, il fut successivement repris et relâché quatre ou cinq fois, et eut à subir des interrogatoires et des tortures à Hong-tsiou, à Tsien-tsiou et à Kong-tsiou. On croit que pendant la grande persécution, il n’évita la mort qu’en prononçant la formule d’apostasie.

Envoyé en exil à cette époque, il fut, peu après son retour, arrêté de nouveau en 1805, et conduit à la préfecture de Hai-mi, où, cette fois, il se conduisit en véritable chrétien. Il ne fut pas condamné à mort, mais les affaires traînant en longueur, il resta en prison, sans jugement, pour un terme indéfini. Son caractère grave et digne lui attira le respect et l’estime des prétoriens et des geôliers, et il pratiquait sa religion au su de tout le monde. Enfin, après dix ans de réclusion supportée avec une patience exemplaire, il mourut à l’âge de soixante-seize ans, le 20 de la dixième lune. On ne sait pas au juste s’il succomba de maladie, de faim, ou sous les coups ; mais les longues persécutions qui avaient précédé sa mort, ont rendu son souvenir cher à toute la chrétienté. Parmi ses descendants nous compterons plusieurs martyrs, entre autres le premier prêtre coréen André Kim.

Mentionnons aussi la fin édifiante de Siméon Iou Koun-mieng-i, noble de province, originaire de So-iak-kol, au district de Mien-t’sien. Son caractère était naturellement doux et bon. Il parlait peu, et n’avait jamais à la bouche de paroles inutiles et mondaines ; aussi l’appelait-on l’excellent homme, ou, encore, le fils pieux, à cause de sa belle conduite envers ses parents et des soins assidus qu’il leur prodiguait. Après leur mort, aux jours marqués pour les sacrifices, il redoublait de zèle, et tous les voisins disaient : « Il n’y a personne pour remplir, comme lui, les devoirs de la piété filiale. » Ayant émigré à Hoang-mo-sil, district de Teksan, il y fut instruit de la religion et l’embrassa, à l’âge de cinquante-neuf ans. Depuis ce jour, il abandonna les superstitions païennes, et ne sut plus que servir et honorer Dieu. Baptisé par Louis de Gonzague Ni Tan-oueni, qui faisait alors l’office de prêtre au Nai-po, il se montra toujours le modèle de ses frères, partageant tous ses revenus avec les pauvres et les malheureux. Il donna la liberté à ses esclaves, et fit sa principale occupation d’instruire et d’exhorter les nombreux chrétiens qui venaient chez lui. Il fut pris à la cinquième lune de l’année sin-iou (1801), et mis plusieurs fois à la torture, qu’il supporta avec constance. Plus tard, il eut la faiblesse de déclarer où étaient ses livres de religion ; mais il ne voulut jamais dénoncer aucun chrétien, et refusa jusqu’à la fin de donner le moindre signe d’apostasie. Condamné à l’exil dans une province éloignée, il resta fidèle à ses exercices, témoignant seulement le regret de n’avoir plus aucun livre de religion. Enfin, après de longues souffrances courageusement endurées, il mourut en faisant sa prière, à genoux, assis sur ses talons, à la grande surprise et admiration des habitants du lieu. Il avait quatre-vingt-deux ans.

Telle est l’histoire des treize années qui suivirent la première persécution générale. Dans cet intervalle, l’Église de Corée s’est reformée ; les fidèles presque anéantis, se sont relevés ; ils ont recommencé à s’instruire, à s’organiser ; ils ont donné au ciel de nouveaux martyrs ; ils ont renoué les relations avec le clergé de Chine, et avec le Saint-Siège ; enfin ils ont conquis de nouveaux frères et solidement établi l’Évangile dans des provinces où il était auparavant inconnu, dans le Kang-ouen, et surtout dans le Kieng-siang. Cette dernière province, l’une des plus riches du pays, souvent nommée par les indigènes la base et le fondement du royaume, est en même temps le foyer des superstitions antiques, nées du mélange du culte des ancêtres et des pratiques de la doctrine de Fo. Dans les desseins de Dieu, le temps était venu pour ces chrétientés nouvelles de recevoir le baptême de sang ; aussi, tandis qu’en 1801, la persécution avait eu pour théâtre les trois provinces de Kieng-kei, T’siong-t’sieng et Tsien-la, qui étaient alors les principaux centres des chrétiens, cette fois nous allons voir la violence de l’orage tomber tout spécialement sur les néophytes du Kang-ouen et du Kieng-siang.

  1. Voir plus haut, p. 77 et 78.
  2. En pareil cas, pour satisfaire aux exigences de l’étiquette et conserver le décorum, on se place dans des chambres voisines, et on communique à travers une grille ou une toile, à peu près comme font les religieuses cloîtrées.
  3. Dans la province de Kang-ouen, les neiges tombent avec une abondance effrayante. Non-seulement les routes sont interceptées, mais souvent on ne peut avoir de rapports entre maisons d’un même village. Ceux qui n’ont pas de provisions meurent de faim ; si l’on ne prenait de continuelles précautions, les habitations seraient ensevelies sous la neige, et on y périrait étouffé.
  4. Mgr Daveluy penche à croire qu’il y a là une erreur, et que les lettres écrites vers la fin de l’année kieng-o (1810-1811) arrivèrent à Péking au commencement de 1811. En cela, il se trompe, car non-seulement toutes les copies existantes de ces lettres sont datées de l’année sin-ou (1811-1812) mais l’arrivée des deux néophytes de Corée, n’est mentionnée que dans la lettre écrite en décembre 1812 par M. Richenet, lazariste français, à M. Chaumont, supérieur du séminaire des Missions-Étrangères. Une lettre de l’année précédente, du même au même, n’en parle pas.
  5. Allusion à la conversion de saint Théophile et à celle de saint Guillaume, duc d’Aquitaine, lesquelles sont racontées dans une Vie des Saints, traduite du chinois en coréen.
  6. C’étaient les deux derniers courriers envoyés en Chine par le P. Tsiou. Ils furent saisis à leur retour de Péking, et l’on trouva sur eux la réponse de l’évêque.
  7. Il est évidemment question ici du baptême solennel.
  8. Le roi de Portugal de qui dépend Macao.
  9. La Chine n’est pas exceptée, parce que les communications entre elle et la Corée sont très-limitées. Elles se bornent, comme nous l’avons vu, à quelques ambassades officielles, et à une ou deux foires par an, sur la frontière, lors du passage des ambassadeurs.
  10. Expression proverbiale pour signifier une grande ignorance, car il est très-facile de distinguer ces deux lettres d’une de l’autre.
  11. Nous avons vu plus haut que le nombre réel fut beaucoup plus considérable, et s’éleva à deux cents au moins. Dans l’état de dispersion et d’isolement auquel étaient réduits les chrétiens, on s’explique facilement que les auteurs de cette lettre n’aient pas pu connaître alors le chiffre exact.
  12. Il est inutile de faire remarquer ici que ce prétendu baptême était nul, et qu’on ne peut se baptiser soi-même. Mais Paul était dans la bonne foi. Il ne pouvait manifester d’une manière plus vive son désir du sacrement, et l’Église nous enseigne que, dans le cas d’impossibilité absolue, le désir seul suffit. À plus forte raison, quand au baptême de désir se joint le baptême de sang.