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Histoire véritable de la conversion et repentance d’une courtisane vénitienne

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Histoire veritable de la conversion et repentance d’une courtisanne venitienne.

1608



Histoire veritable de la conversion et repentance d’une courtisane venitienne, laquelle, après avoir demeuré long-temps souillée dans les lubricitez et ordures de son peché, Dieu a faict reluyre dans son ame les rayons de son amour et l’a retirée à soy.
Traduit d’italien en françois. À Paris, chez Guillaume Marette, ruë Sainct Jacques, au Gril.
1608. — In-8º.

Entre tous les vices et pechés qui se sont enracinez dans le cœur des hommes et qui plus manifestent l’ire de Dieu, ç’a esté la paillardise : car Dieu a fait pleuvoir feu et foudre pour advertissement d’un si enorme et detestable peché devant sa divine Majesté. Quelle chose est sous le ciel plus abominable et plus digne de hayne que ce vice, qui est la source et fontaine de tous maux ? Certains auteurs remarquent qu’il n’y a rien au monde qui offence plus le corps et l’esprit, et qui nuise plus à la santé corporelle et spirituelle, qui engendre plus de maladies interieures et exterieures, qui rende l’homme plus brutal et insensé que ce mechant acte voluptueux qui tue le corps et l’ame. Tous les livres des anciens et des modernes sont si remplis d’infinis exemples, que, si nous les feüilletons, nous verrons les punitions, misères et malheurs qui l’accompagnent. Les enfans d’Hely nous ont servi d’exemple de la divine vengeance, et ceux qui estoient du temps de Noë, comme parle nostre Seigneur en son Evangile. Valère1, livre 9, chapitre 12, nous en fournit assez quand il parle du poëte lascif et vilain qui mourut où il se plaisoit tant. Mais nous nous arresterons seulement pour le present à la recerche curieuse de la vie, meurs et façons de ceste Leonor Venitienne, issuë de riches et fameux personnages dont je tais le nom, à laquelle Nature avoit desparti tous ses dons et graces, et l’avoit doüée de parfaicte beauté, enrichie dès son commencement de vertus requises à une damoiselle bien née comme elle estoit.

On voit ordinairement qu’en un bel arbre fruitier il y a quelques branches qui sont pourries et mortes, et que, si on ne les coupoit, elles gasteroient tout l’arbre ; de mesme les parens de ceste Leonor, qui estoient beaux arbres florissans et eslevés en haut, enracinez en la vertu, produirent une branche, de commencement verdoyante, et qui, petit à petit, comme elle croissoit, elle se pourrissoit : car, dès que l’amour aveugle eut decoché ses flèches dans son cœur, elle aperceut des nouveaux traitz et desirs d’aimer, qui sont les enfans et avant-coureurs d’Amour, qui luy firent clorre les yeux de chasteté pour ouvrir ceux de lubricité : car ayant atteint l’aage de quinze ans, lors vray miroir de vertu et beauté, et estant delaissée orpheline depuis deux ans et unique heritière des biens paternels, fust recherchée de plusieurs braves cavaliers, qui, espris de ses beautez, ne pouvoient respirer que l’air de ses bonnes graces ; et comme la coustume de ces païs porte que les filles soient retirées des compagnies, principalement de celles des hommes ; mais elle estoit maistresse de soy-mesme et se laissoit aller où sa volonté et plaisirs la poussoient. Elle attiroit par sa beauté les cœurs de ceux qui la regardoient, et, en la regardant, l’admiroient, entre autres le cavalier Lysandro, qui, jà long-temps auparavant, avoit esté adverti des beautez de ceste damoiselle, estant envoyé à Venise pour l’estude des sciences et exercices de noblesse, tascha par subtils moyens de pouvoir treuver lieu, temps et heure commodes pour offrir et sacrifier les veux de son service sur l’autel des merites de ceste beauté, et ne pouvant treuver telle commodité comme il desiroit, il se delibera de l’aller voir à son logis, accompagné d’un homme seulement, et là estant, la treuva aussi gratieuse que belle ; incontinant luy commença à descouvrir la douleur qu’il avoit enduré dès que les rayons de sa beauté eurent penetré son cœur, et qu’il la supplioit et conjuroit d’alleger le tourment de son mal. Tous deux au mesme instant furent comblez d’heur et desir, comme ils souhaitoient ; il ne manque point tous les jours en après la voir ; enfin tous deux sont embrasés de l’amour de l’un et de l’autre. Et ainsi passionné luy donna à entendre, comme la coustume est, qu’il la prendroit pour sa loyale espouse, et que cependant elle esteint les feux ardens d’amour qui le brusloient. Alors les parens de l’un et de l’autre, estans advertis du faict, firent moyen de les separer et esloigner, afin d’esteindre le feu et la fumée du bruit qui estoit semé d’eux par la ville. Mais Lysandro, qui ne desiroit plus belle occasion que celle, afin d’eviter les rets où il estoit pris s’il ne s’en retournoit à la maison de son père, la quitte, ayant assoupi ses lubricitez l’espace d’un an ; et ainsi elle demeura grosse d’une fille. Je ne vous pourrois representer les douleurs et afflictions accompagnez de souspirs et repentirs de ceste pauvre Leonor, qui au premier commancement avoit gouté les fruicts de l’amour si doux, et maintenant luy sont si amers ! La voilà delaissée et abandonnée d’un chacun, reputée pour une autre Laïs, fameuse putain, qui, estant morte, afin de faire revivre sa memoire, fut mis sur son tombeau une lionne qui esgratignoit un belier par les fesses, pour designer que le belier estordy, à sçavoir, l’homme, se laisse piper à la femme, qui luy tire le sang et luy oste la laine. Elle est contraincte en après de poursuivre comme elle avoit commencé, et s’addonne tellement à toutes sortes de lubricitez, qu’au lieu que c’estoit un miroir de vertu et chasteté, ce n’est que le receptacle des vices : sa beauté et elegance de son corps estoit flestrie, sa conscience offencée, laquelle l’epoinçonnoit ordinairement avec des vives attaintes d’un repentir ; son nom tout difamé, sa vie abregée, le cœur et l’ame perduë. Mais Dieu, qui ayme les siens, et qui ne cerche la mort du pecheur, fit reluyre peu à peu les effects de son amour dans le cœur de ceste creature, afin de la retirer des ordures et saletés du peché où elle estoit plongée ; si bien que le 26e jour du mois de mars, entendant la predication d’un R. P. de l’ordre S. François, qui avoit prins pour thème de son sermon la conversion de la Magdaleine, luy esmeut et incita une telle ardeur de l’amour divin, accompagné d’un repentir et remord de conscience d’avoir offencé un si long temps celuy qui l’avoit creée à son image, qu’incontinant que le père fut descendu de la chaire, elle se prosterna à ses pieds, luy demandant humblement pardon, le priant de vouloir entendre une confession auriculaire de tous ses pechés, qu’elle vouloit faire. C’estoit auparavant une Laïs, maintenant c’est une autre Magdelaine, que les souspirs et pleurs qu’elle respand pour ses pechés passés, et la penitence qu’elle a commencée luy acquerront les cieux. Cependant elle s’est retirée à un couvent des religieuses de S. François, où elle vit avec telle penitence, jeusnes et oraisons ; ayant party tout le reste de ses biens paternels, et ceux que la lubricité lui avoient acquis, aux pauvres et au couvent, remit sa fille à la suitte d’une grande dame.

Cest escrit m’estant tombé entre les mains, j’ay desiré le mettre d’italien en françois, afin d’emouvoir et inciter un chacun à fuïr et avoir en horreur ce vice et peché si enorme devant la divine Majesté, et conjurer ceux qui ont esté seduits et attrapez par les retz et filetz que le diable, ennemy immortel, leur prepare tous les jours, de tascher par tous moyens de s’en delivrer, car toujours il a esté divinement puny. Qui pourroit donc mettre en registre tant de villes ruinées, saccagées, apauvries et desolées par ce malheureux vice ? Les monarchies des Perses, Assyriens, Mèdes, Macedoniens, Troiens, Romains, les florissantes cités de Lacedemone, Thèbes, Athènes et autres, ont esté perdues par ce monstre detestable. Je serois trop prolix de deduire les malheurs qui l’accompagnent, mais cecy servira de miroir et vray exemple de chasteté, afin que ces belles ames ne se viennent à souiller, fletrir et secher par les retz de l’ordure de ce péché : car, ayant ce lustre si resplendissant, on reluyra de tous costez, rejettent ceste insatiable volupté, qui ameine avec soy un repentir qui mord et pince la conscience ordinairement, et engendre en l’esprit une douleur perpetuelle, et faict oublier le doux pour succer l’amer, et depeint en nous une infamie ; et comme dit le poète,

Ô passion dissoluë !
Ô volonté trop gouluë !
Plus l’hydropique met peine
De succer une fontaine,
Plus il creuse son tombeau, etc.



1. Valère-Maxime.