Instincts

La bibliothèque libre.
Nouvelle Édition nouvelle, JA Coulange et cie (p. 29-52).

INSTINCTS

à Roger Frêne

Le Boulevard

La fraîcheur vive du boulevard pourri d’automne. Les larges feuilles des platanes dégringolent. C’est un écroulement imprévu et bizarre dans la lumière croisée des lampes à arc. Il tombe une petite pluie menue, serrée, que le vent incline parfois sur les visages. La nuit est parfumée de l’odeur des feuillages gâtés : elle sent encore l’ambre et l’œillet, la poudre, le fard et le caoutchouc des imperméables.

Promenoir

Le promenoir est une avenue : on y foule du pied le tapis vaste, épais, sableux, le beau tapis rouge. On y rencontre des gens qui errent comme vous, qui regardent, qui causent, qui fument ou qui cherchent. Si l’on s’arrête, une femme vous enveloppe. C’est tout un manège, les débutantes sont exclues. Il y a la science du promenoir.

Elle demande un long entraînement. Il faut savoir marcher à petits pas, se cambrer juste et faire valoir. Les femmes évitent de stationner sous la lumière trop dure : elles la traversent. Le coin est là sur un fond chaud de palmes vernies et de velours. Alors, le visage émerge de tout un fouillis, la silhouette est bien posée.

L’homme s’approche. Ils sont nombreux avec le même désir. Ceux qui ont bu, ceux qui n’ont pas bu… Les autres, peu sûrs d’eux mêmes, conduisent une fille dans une loge. Ils envahissent les bars à l’entr’acte et, de leurs hauts tabourets, regardent la foule. La foule ne les regarde pas. La foule s’absorbe dans un intense frémissement.

Le Bar

De grosses tulipes de lumière jaune ruissellent, écrasées dans les glaces. J’aime ce bar de métal clair, d’une ligne sobre et colorée. Des citrons, qu’on épluche, répandent une attirante odeur d’éther. D’autres aromes plus lourds ajoutent à cette odeur et la composent davantage.

Mais, au-dessus du bar, dans une galerie, deux femmes en peignoir annoncent un spectacle :

« Venez voir le nu esthétique, le joli nu, le nu d’la dame, venez voir… un franc, Messieurs ! »

Vraiment cela n’accroche personne. Et les deux femmes allant et venant dans la galerie font un tapage d’oiseaux prisonniers. Elles ont beau laisser tomber assez bas leur peignoir et montrer de grasses et blanches épaules, elles peuvent, acharnées au gain, draper un aspect vivant d’elles-mêmes, et l’offrir pour vingt sous, on ne marche pas…

On ne marche plus, c’est fini, c’est claqué… cette histoire.

…Elles appellent toujours et j’éprouve une joie silencieuse à les entendre se démener en vain… femmes, ô beaux oiseaux fardés et querelleurs enfermés dans une volière charmante.

Quadrilles

Au Moulin Rouge, les huit danseuses du quadrille relèvent la jupe de drap qu’elles tendent sur les hanches. Puis elles repoussent leurs dessous d’un geste professionnel et partent ensemble du même pied.

Je regarde flotter, dans une atmosphère alourdie de vapeurs, de larges et vives retombées de guirlandes, de fleurs et de drapeaux. Un mouvement très lent fait osciller de telles richesses. Les lampes électriques ont des feux diversement colorés : bleu, rouge, orange, émeraude et safran. Mais cela ne donne qu’une intense clarté de saphir, chaude et brillante ou de minces fumées de cigarettes s’embrouillent.

Les danseuses arrivent de front sur le rythme d’instruments aigus. C’est une vague dont l’écume tourbillonne, c’est une vague qui s’épanouit en huit roses blanches aux longs pistils agiles et noirs. La vague retombe sur ses pieds. La silhouette des femmes se détache un moment — nette et cambrée — sur le fond flou.

La Danseuse Nue

Elle est absolument nue dans la lumière… Orchestre. La danseuse lève les bras. C’est une grande femme indifférente qui pose. Ses bras, son ventre, ses cuisses : voilà tout. On constate qu’elle est nue, qu’elle n’a ni bagues, ni sautoir pour son petit chiqué. Les attitudes qu’elle offre au public me sauvent d’un ridicule amer, puisque chacun s’éprend de l’art plastique devant cette femme dévêtue pour son rôle.

Des gens s’ennuient correctement.

…Elle avance d’un pas, se cambre pour enfler sa poitrine régulière. On la voit mieux. C’est énervant ! Des jets de lumière tiède s’écrasent sur les épaules de cette femme. Elle joint les mains derrière la tête : le ventre monte, genoux collés. Les seins tendus s’épanouissent.

Gommeuses

Il n’y a pas de promenoir. Les loges sont rudimentaires. Voilà : on s’installe comme au café.

— Garçon !

— Monsieur, nous avons plusieurs débuts : Collette, Paulette Violette…

Dans la lumière stridente et les vives ritournelles des violons, celle-ci — gommeuse — va, vient et brûle les planches. L’écume vivante, l’écume folle des dentelles où les cuisses minces donnent leur effet !

Tu peux l’avoir si tu la veux, car elle cherche son prix.

… Une autre est mal fardée. La troisième est par trop maigre.

La toile tombe :

On est prié de renouveler les consommations.

Madame Carmen

« Même lorsqu’elle danse, on dirait qu’elle marche. »

Car, par dessus la rampe allumée, cette femme, qu’un grand élan surexcite, cambre et détend les reins et vous jette un si violent appel en ouvrant les jambes que chaque homme en devient sérieux.

Mais elle est affreusement parée de maquillage noir et blême, sans rouge, les cheveux nattés sur les tempes. Les muscles font des nœuds sous sa peau. Elle les disjoint comme on écarte un poids et se renverse en vraie putain.

Ody Drassati

Voici la plus angoissante des poupées. L’artifice qu’elle déploie me tourmente, mais ma chair vit à l’aise. Ody Drassati ! Je pense que son sourire s’écaillera. Mais non. Posé sur nous (il semble qu’un pur prodige va s’accomplir), ce sourire devient impérieux. Il est un masque étrangement fixe.

La poupée danse toute raide, cassée en deux par les saluts. Elle sautille sur deux pointes qui cognent le bois. Les bras marchent aussi comme animés par des ficelles.

Un lent vertige… Dans le silence colossal, le temps s’arrête, un bec acétylène claque.

…Ody ! Ody !

La poupée envoie des baisers.

Nous nous rassemblons alors dans une affreuse et consciente minute, comme si nous allions nous lever tous ensemble, comme si nous allions, tous ensemble, briser ce joujou poignant et cruel, ce joujou-supplice auquel nos nerfs ne sont pas faits.

Mais, dans la salle, une petite fille éclate de rire.

Le Beau Couple

Le beau couple tourne, il tourne lentement, selon la cadence, ou bien file tout droit — l’homme à reculons — d’un angle à l’autre de la salle. Là, il vire sur lui-même et reprend sa marche souple jusqu’à l’angle prochain qu’il évite par une volte-face savante. Au milieu des danseurs, il garde un souci de la mesure vraiment admirable. Quel mépris pour le trottin écervelé qui tourbillonne et gâche tout, pour le calicot valseur.

L’homme, un couvreur aux pantalons à la hussarde, au chapeau morès des nervis, tire à lui la fille : il l’étend en travers, sur sa poitrine : étreinte amoureuse et plastique. Emmanchés de la sorte les deux amants accompliront leur joie rythmée par l’orchestre. Et, tout autour, dans ce bal des Folies-Gauloises, les couples s’entrechoquent : ils s’enfoncent et se désunissent.

Bob et Marie-la-thune, très beaux, très sveltes et sobres, dansent sous la lumière électrique de la salle irrégulière.

Intérieur

Des voyous éteints par la noce, des filles plâtrées s’accoudent au zinc. Ah ! vieux métier qui les dégoûte ! On trouve dans ces visages une telle détresse, des yeux si pauvres !

Dehors, c’est la pluie. C’est la pluie lâche, malsaine, intarissable. Elle glisse confusément. Parfois, le vent la secoue contre les boutiques luisantes ou bien l’épanouit dans les vitrages brumeux du bar.

Nous écoutons le monotone frémissement d’averse. Il ne fait plus très clair. L’alcool augmente le spleen. Une fille s’en va, paisible, et laisse traîner, derrière elle, un amer parfum d’ambre.

Aix-en-Provence

Aix musicale et belle avec la fièvre aux joues…
E. SICARD

Les platanes, troués de soleil, s’immobilisent dans le soir. Rien ne bouge. La ville se recueille et s’il est ailleurs des boulevards et des faubourgs encombrés, ici on peut se retrouver dans le silence. Le café lui-même dispose à ces méditations : il offre ses longs fauteuils de rotin clair et ses absinthes qui, dans des gobelets de cristal, semblent condenser tout un ciel de rêveries précieuses. Mais quelle langueur vous pénètre, quel chaud à l’âme vous engourdit et vous accoude au bras bienveillant des chaises longues ! Il ne faut plus bouger : il ne faut plus remuer seulement la main. Il ne faut même pas abaisser une paupière.

Ma pipe couve.

Et toujours sous le dôme — or et vert amortis — des platanes, la statue du bon roi René. On entend aussi les fontaines harmonieuses dans le soir. Une buée les enveloppe. Ce sont des fontaines d’eau chaude et d’eau froide. Le crépuscule accuse maintenant la musicalité compliquée des lignes, des formes, des attitudes : car tous les gestes sont influencés par l’heure. Des chevelures tordues vont se détendre, s’écrouler fabuleusement dans un éclat brusque de lumière sur des épaules de femmes attentives. Et quel frisson les secouera ? Elles se blottiront alors davantage au creux des fauteuils, souples, très pâles, très lentes, un peu crispées, elles qui, comme moi, devant des gobelets de rêve échafaudèrent de dédaigneuses imaginations.

Des roses de septembre s’effeuillent au corsage des femmes et les arbres atteints, eux aussi, par la rêverie du soir et de l’automne, laissent par intervalles s’éparpiller des traînes de feuilles…

Voici que tout s’efface dans les fumées : on a l’impression d’être noyé de songe. Et c’est une paresse triste. Nous sommes le soir et c’est nous qui nous dispersons avec chaque feuille, lorsque dans le chavirement dernier de la lumière à l’horizon, des cloches sur la ville sonnent l’Angelus.

Le Cabaret

Les tables de bois noirci luisent avec les gobelets de cristal teinté, avec l’eau des carafes et le liquide obscur des bouteilles. Les cuillers donnent un éclat blanc et les glaces épaissies de cendre ont des clartés droites et nues qui s’enfoncent. Le cabaret s’endort. On entend le faubourg qui meurt difficilement : chaque rumeur, comme une belle Inconnue — pourtant familière — avance dans sa robe silencieuse de nuées. Magicienne experte à prolonger en nous l’impérieux malaise de sa beauté, nous la voyons qui abaisse vers nos fronts un sourire immobile. Elle disparaît dans les lignes de ce sourire. Ainsi la pierre, jetée dans un bassin profond, glisse entre les rides circulaires qu’elle provoque. C’est que l’ombre a gagné l’humble salle aux miroirs troubles : elle s’y déploie avec lenteur. Sa fantaisie décore la vitre à peine claire. Je saisis des spirales, des volutes, de longues chevelures qui s’ouvrent et se partagent. Cela se déchire sans heurt et l’on a cependant les nerfs brisés de sentir le bruit de soie qui jaillirait soudain. Le plafond descend peu à peu : il est mouvant et fabuleux. Sa lourde masse oscille, et, avec elle toute la maison feutrée de mystère, la maison aux étages ramassés et serrés où sont les chambres gorgées de nuit, bourrées d’une odeur d’amour et de parfums, car dans toutes je t’ai conduite n’est-ce pas ? et dans toutes je t’ai renversée voluptueusement pour t’adorer, comme tu l’exiges, avec ma bouche passionnée.

La Goule

Cheveux chargés d’une dorure brutale, j’ai vu les goules attendre dans la nuit. Le vent secouait leurs jupes. Il inclinait parfois la flamme rouge des becs de gaz sur leurs visages de craie. Cela descendait comme une ombre, une ombre brusque, une ombre de sang et, derrière les silhouettes, d’étranges formes sautaient sur le mur. Puis les ténèbres devenaient compactes.

Dernières banlieues, abattoirs, usines, casernes ! Les quais sont morts. Les grands peupliers sinistres craquent de toutes leurs vertèbres tourmentées. C’est une bien frissonnante musique dans ce décor. On croirait à de grinçantes apparitions, à de mauvais fantômes, à des squelettes qui claquent.

Le vent durcit la neige boueuse.

À nouveau les petites flammes du gaz se convulsent dans leurs cages de verre.

Mais les ombres sont lasses de s’étirer en élastiques rapides : elles voudraient dormir au pied des arbres et des poteaux, se recroqueviller menu par ce grand vent d’hiver qui les cogne entre elles et les fait tourbillonner en hâte sur les talons des goules éreintées.

Printemps

à Mario Meunier

Sur l’herbe mince du talus déjà vert elle s’étend. Son corsage de soie rouge, loque haillonneuse et splendide, est gonflé par la poitrine abondante, déjetée vers les aisselles. L’étoffe colle aux seins démolis et forts, à l’épaule puissante, aux reins superbes qui s’étirent. Car il fait bon s’étendre à plat ventre, les coudes crevant les touffes de gazon maigre.

La fille est tombée à genoux, puis longuement elle se couche, les mains en avant pour adoucir la chute. Un moment la croupe eut des remous de chair profonde. Maintenant les reins arqués pressent le sol.

Jouisseuse épaisse, rougeaude d’auberge à plaisir, elle est plus une bête qu’une fille, même vulgaire. Les maxillaires durs en font une brute. La lourde tignasse brune pend sur l’oreille et les ongles noirs fouillent la broussaille chevelue : ils y grattent avec délices, irritant d’un insaisissable chatouillis le derme gras.

Aux pentes des collines infléchies la lumière ondoie. Braise verte, bistre, rouge, elle se tord et ruisselle sur les pâtures vivaces, les terreaux féconds ou les basses tuilées des fermes. Le bourg envahit la combe de sa lèpre multicolore et mouvementée : maisons dorées, éboulis de toitures capricieuses, éclats d’azur aux vitres miroitantes, humble et grouillant effort des choses quotidiennes que ce printemps tourmente, tout cela comble la profondeur des inclinaisons souples où sinue le fleuve, tout cela s’éparpille et grimpe à l’assaut des collines luisantes comme des croupes animales.

Des brises passent. À fortes humées la fille agrée l’offrande. Ne lui doit-on pas l’odeur fière de cette matinée ? Les narines plissées, elle quête la fraîcheur des berges fleuries de jonquilles et de lys d’eau : elle rumine la vireuse douceur des plates-bandes retournées à la bêche ou des guérets entamés jusqu’au tuf. La haie d’un enclos voisin est assaillie par un flot vif de roses. Le vent secoue cette orgueilleuse draperie.

Lilas sensuels sous la vague qui les courbe, sureaux amers crépitant du vol des cétoines, feuillées ivres d’une ardeur de sève, les odeurs mélées arrivent. Des souffles inclinent les orties gracieuses et les dernières tiges des lianes.

Oh ! ne sera-t-elle pas conquise jusqu’au plus intime de sa chair ! n’aura-t-elle pas ce cri definitif d’amoureuse ! Faunesse aux senteurs fortes, ne bondira-t-elle pas, crevant soudain la jupe dérisoire, nue comme les premières et chaudes compagnes du bouc ?

… Devant le paysage frémissant, la fille fixe l’azur altier et se fait saigner les gencives avec une paille.

Sérénité du Soir

J’aime les siestes au bord du fleuve. Mon passé connut la jouissance d’un somme ivre de paresse et de grave orgueuil poétique. L’ombre des saules, fouillis menu défend mal du soleil. Sur le dos, je mesure le ciel creux sans un nuage. L’eau n’est qu’une croûte d’azur : elle luit, elle est dure, elle est épaisse et difficile. Je me couche sur le ventre et je mâche une queue sucrée d’herbe sauvage. Je pense à un poème que j’écrirai sur la Garonne avec ma volupté sage de dormeur. Puis je me reprends. Tout à l’heure je vais m’éloigner. Je me vois, debout, regardant le paysage qui s’est levé avec mes yeux.

La ville est à gauche : elle dresse vingt clochers tièdes et des cheminées vers le soleil qui tombe. Une poussière d’or jaillira du fleuve aux rives déchaussées. Les racines sèches ont soif : l’eau se rétrécit contre les pierres découvertes car le moulin d’en haut a baissé les vannes pour faire son plein.

Mon ventre chaud contre la terre absorbe la vie. Je me roule et je tombe la face dans l’herbe fraîche. Une pointe chatouille mes narines heureuses. J’ai les mains blanches, grasses, je me sens libre comme une femme sans corset et je touche mes seins fermes et doux, mes joues bonnes, mes cheveux lourds…

Mais je rentre vers la table du poète qui m’héberge depuis trois jours. Il ne saura rien car ma pâleur et mes yeux troubles seront dans un visage calme et aussi parce que je lui réciterai cet élégie que j’ai commencée pour lui :

« O Virgile, ce son d’eglogue t’appartient. »

La nuit sent l’herbe que j’ai quittée…

Paresse

L’humble décor de pommiers fleuris et d’aubépines, s’émeut d’une si légère matinée de printemps. Le soleil glisse entre les branches gonflées : il tombe dans les orties les ronces et les viornes extravagantes. L’auberge est vide. Sa blanche façade aux volets verts égayés de lumière m’invite. J’entre et je trouve une salle aux tables qui luisent. Les murs crépis à la chaux ne s’ornent que d’une haute horloge de campagne dont le balancier retentit. Sur la cheminée il y a une glace carrée dans un cadre de bois rouge et deux de ces statuettes en plâtre doré que vendent les Italiens.

La servante arrive, déhanchée, chaussée de savates crevées et me sert. J’apprécie, sans élan, la gorge flasque, le chignon gras qui dégringole et la vigueur des reins qu’elle fait rouler pour me séduire. Mais je mange et je bois sans m’occuper d’elle. Quand j’ai fini, je bourre de gros tabac ma pipe douce et je reste une heure entière allongé sur un banc, heureux du balancier qui bouge et du soleil qui, par la croisée, me chauffe le ventre.

Hymne

Le paysage étend ses lignes sensibles au large azur qui choit des cieux. Quel beau soleil baise les versants ! Les courbes évoluent sous la lumière qui les contient pour ne pas troubler un ordre aussi pur. Mais le flot arrondi des luzernes arrive jusqu’à la plaine féconde et grasse. Il sourd, frange d’une mince écume de haies en fleurs, et fermente, adoré par les brises. La rivière s’arrête sous les hauts peupliers des bords. Son eau pénètre la terre immobile et sacrée.

— Je porte en moi des destinées éternelles comme cette terre magnifique. Rivages battus par l’océan débonnaire, prairies calmes, montagnes et fleuves, j’ai votre simplicité. Vos attitudes — orgueuil serein — sont les bornes de mon instinct. Ah ! n’est-ce pas assez de vous avoir drapés comme une flamme sur mes reins, et que mon visage vous traduise avec ses yeux gavés d’azur, ma bouche qui respire et mes joues qui sont mon être vivant et charnel ? La sève est forte comme l’alcool, je sais ! L’amour tourmente mes flancs et me laboure d’élancements obscurs, c’est bien. Mais je vous tiens dans mon regard et si je veux arrêter mon souffle, court, sur mes dents, vous criez et vous êtes affolés d’une épouvante mortelle.

La voilà donc l’horreur qui vous commande d’être à genoux devant moi. Je ne vous accorde que les libertés d’esclave. Et si, sur la paille éblouie d’une meule, je trousse une fille, ce sera mon suprême triomphe. Vous êtes cette fille qu’on viole, et je vous vois tourner dans mes prunelles brouillées, — car vous jouissez où je me vautre.