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L’Au delà et les forces inconnues/Comment on devient un occultiste

La bibliothèque libre.
Société d’éditions littéraires et artistiques (p. 309-313).


COMMENT ON DEVIENT UN OCCULTISTE


(STANISLAS DE GUAITA)


Un Paracelse moderne. — Deux sortes de mysticisme. — L’influence d’Eliphas Levy. — L’occultisme ramène au catholicisme.


M. Stanislas de Guaita qui est mort prématurément en 1897, doit être considéré comme une des têtes du mouvement dit « occultiste ». Il vivait relativement isolé et non sans quelque mystère. Quoiqu’il fût le chef de la société des Roses-Croix reconstitués et qu’il présidât aux initiations, il jouissait d’une réputation peu étendue. Quelques articles de polémique, dirigés contre lui à propos de la mort du Dr Boullan, le mirent plus en relief que ses gros livres. Il a laissé plusieurs épais volumes d’érudition sur les superstitions et l’occultisme, où il traite avec un soin particulier la magie noire et le problème du mal. Sa taille plutôt élevée complétait une allure un peu hautaine, que soulignait la pâleur du teint. Volontiers, il fuyait la foule, retiré soit dans son petit rez-de-chaussée tendu de rouge où lui-même s’enveloppait d’une simarre de même couleur, et où les livres précieux et en grand nombre avoisinaient les cornues et les athanors des anciens alchimistes, — soit dans son château d’Alteville en Lorraine ([1])…

Voici les extraits les plus remarquables d’une lettre inédite de M. Stanislas de Guaita ; elle est datée de son château d’Alteville ; elle touche au mysticisme et a son développement actuel, dans la littérature, l’art et la science :


« Le mot Mysticisme prête à confusion : des fous dangereux et d’inoffensifs utopistes se sont fait appeler « mystiques » ; le charlatanisme aussi S’est fréquemment prévalu de ce terme un peu vague. Si, par là, vous désignez la tendance qu’auraient certains esprits, à substituer, dans le domaine même des sciences physiques et naturelles, l’imagination à l’étude et la fantaisie à l’expérience, je crois ce mysticisme néfaste. — Si vous nommez « mystiques » tels philosophes ou tels savants contemporains, parce qu’impatients de briser les catégories étroites de l’enseignement officiel, et le rempart du matérialisme sectaire, ils s’efforcent d’élargir indéfiniment la sphère du connaissable, en refoulant à mesure les frontières de l’Inconnu, j’applaudis à ces mystiques-là : loin de contester les droits de l’expérience, ils voient en elle une si précieuse pierre [de touche que du monde matériel où ce critérium a pris naissance, ces progressistes s’empressent de le transporter dans le monde psychique, dont nos contemporains semblent faire la découverte. Ce mysticisme-là est la science même.

» Quant à l’orientation mystique dont la littérature et l’Art seraient susceptibles, je crois fécondes ces tendances, tout exclusivisme à part. D’ailleurs, — est-ce impuissance de cette fin de siècle ou incompréhension du véritable mysticisme, — les essais qui ont été faits dans ce sens paraissent misérables et débiles, à quelques notables exceptions près…

« Comment je suis devenu occultiste ?

« Vers 1882 ou 1883 M. Catulle Mendès, qui avait bien voulu encourager mes premiers essais poétiques, (il faut vous dire qu’à cette date je me croyais poète pour tout de bon), M. Mendès me nomma un jour Eliphas Levy… « Lisez-le donc, il en vaut la peine : c’est un penseur à idées singulières, d’essor inégal et de style négligé, mais un prodigieux artiste en ses bonnes pages. » Ainsi, je lus d’abord Eliphas, comme on dit, pour la beauté de la forme ! Mais le fond me passionna bien davantage, moi, matérialiste à cette époque… Le Dogme et Rituel, la Clef des grands mystères furent une révélation pour moi. De ce moment, je me vouai sans réserve à l’occultisme ; je me mis à rechercher et à lire tout ce qui a été écrit sur les sciences occultes. Que de précieuses découvertes… Mais à travers quel fatras !… Je fis, quelque temps après la connaissance de Péladan, puis successivement de Barlet, de Papus et beaucoup d’autres. Enfin, j’écrivis en 1883 et publiai en 1886 mes premiers Essais de Sciences maudites… »

Stanislas de Guaita.


Il est étrange de constater que si le spiritisme généralement éloigne du catholicisme, l’occultisme y ramène, quoique par des chemins longs, difficiles et détournés. Le plus grand des occultistes modernes, j’ai nommé Eliphas Lévy, dans ses derniers moments adhéra de toute son intelligence et en pleine liberté à l’Eglise dont il avait, reçu les ordres mineurs et qu’il avait ensuite désertée. Son disciple, M. Stanislas de Guaita en a fait autant. Dans les douloureuses journées qui précédèrent sa mort, il fit appeler un prêtre et reçut les derniers sacrements. Un autre mage, Albert Joanet, s’est converti et Jules Doinel qui fut patriarche de l’Eglise gnostique, s’est éteint en bon chrétien, un chapelet entre les doigts…


  1. J’ai parlé de cette personnalité fort intéressante avec beaucoup plus de détails dans le Monde Invisible.