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L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre quatrième/02

La bibliothèque libre.
Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 283-287).


CHAPITRE II.

COMBIEN DIEU MANIFESTE A L’HOMME SA BONTÉ ET SON AMOUR DANS LE SACREMENT DE L’EUCHARISTIE.
Voix du disciple.

1. Plein de confiance en votre bonté et votre grande miséricorde, je m’approche de vous, Seigneur ; malade, je viens à mon Sauveur ; consumé de faim et de soif, je viens à la source de la vie ; pauvre, je viens au Roi du ciel ; esclave, je viens à mon Maître ; créature, je viens à celui qui m’a fait ; désolé, je viens à mon tendre consolateur. Mais qu’y a-t-il en ce misérable, qui vous porte à venir à lui ? Que suis-je pour que vous vous donniez vous-même à moi ?

Comment un pécheur osera-t-il paraître devant vous ? et comment daignerez-vous venir vers ce pécheur ?

Vous connaissez votre serviteur, et vous savez qu’il n’y a en lui aucun bien qui mérite cette grâce.

Je confesse donc ma bassesse, je reconnais votre bonté, je bénis votre miséricorde, et je vous rends grâces, à cause de votre immense charité.

Car c’est pour vous-même et non pour mes mérites que vous en usez de la sorte, afin que je connaisse mieux votre tendresse, et que, embrasé d’un plus grand amour, j’apprenne à m’humilier plus parfaitement, à votre exemple.

Et puisqu’il vous plaît ainsi, et que vous l’avez ainsi ordonné, je reçois avec joie la grâce que vous daignez me faire : et puisse mon iniquité n’y pas mettre obstacle !

2. O tendre et bon Jésus ! quel respect, quelles actions de grâces, quelles louanges perpétuelles ne vous devons nous pas, pour la réception de votre sacré Corps, si élevé au-dessus de tout ce que peut exprimer le langage de l’homme !

Mais que penserai-je en le recevant, en m’approchant de mon Seigneur, que je ne puis révérer autant que je le dois, et que cependant je désire ardemment recevoir ? Quelle pensée meilleure et plus salutaire que de m’abaisser profondément devant vous, et d’exalter votre bonté infinie pour moi ?

Je vous bénis, mon Dieu, et je veux vous louer éternellement. Je me méprise et me confonds devant vous dans l’abîme de mon abjection.

3. Vous êtes le Saint des saints, et moi le rebut des pécheurs.

Vous vous inclinez vers moi, qui ne suis pas digne de lever les yeux sur vous.

Vous venez à moi, vous voulez être avec moi, vous m’invitez à votre table. Vous voulez me donner à manger un aliment céleste, le pain des Anges, qui n’est autre que vous même, ô pain vivant, qui êtes descendu du ciel, et qui donnez la vie au monde ![1]

4. Voilà la source de l’amour et le triomphe de votre miséricorde. Que ne vous doit-on pas d’actions de grâces et de louanges pour ce bienfait !

O salutaire dessein que celui que vous conçûtes d’instituer votre Sacrement ! ô doux et délicieux banquet, où vous vous donnâtes vous— même pour nourriture !

Que vos œuvres sont admirables, Seigneur ! que votre puissance est grande ! que votre vérité est ineffable !

Vous avez dit, et tout a été fait[2], et rien n’a été fait que ce que vous avez ordonné.

5. Chose merveilleuse, que nul homme ne saurait comprendre, mais que tous doivent croire ; que vous, Seigneur mon Dieu, vrai Dieu et vrai homme, vous soyez contenu tout entier sous la moindre partie des espèces du pain et du vin, et que, sans être consumé, vous soyez mangé par celui qui vous reçoit.

Souverain maître de l’univers, vous qui, n’ayant besoin de personne ; avez cependant voulu habiter en nous par votre Sacrement : conservez sans tache mon âme et mon corps, afin que je puisse plus souvent célébrer vos saints mystères, avec la joie d’une conscience pure, et recevoir pour mon salut éternel ce que vous avez institué principalement pour votre gloire, et pour perpétuer à jamais le souvenir de votre amour.

6. Réjouis-toi, mon âme, et rends grâces à Dieu d’un don si magnifique, d’une si ravissante consolation, qu’il t’a laissé dans cette vallée de larmes.

Car toutes les fois qu’on célèbre ce mystère, et qu’on reçoit le corps de Jésus-Christ, l’on consomme soi-même l’ouvre de sa rédemption, et on participe à tous les mérites du Christ. Car la charité de Jésus-Christ ne s’affaiblit jamais, et jamais sa propitiation infinie ne s’épuise.

Vous devez donc toujours vous disposer à cette action sainte par un renouvellement d’esprit, et méditer attentivement ce grand mystère de salut,

Lorsque vous célébrez le divin sacrifice, ou que vous y assistez, il doit vous paraître aussi grand, aussi nouveau, aussi digne d’amour que si, ce jour-là même, Jésus-Christ descendant, pour la première fois dans le sein de la Vierge, se faisait homme, ou que, suspendu à la croix, il souffrît et mourût pour le salut des hommes.

RÉFLEXION.

L’apôtre saint Jean, ravi en esprit dans la Jérusalem céleste, vit, au milieu du trône de Dieu, un Agneau comme égorgé, et autour de lui les sept esprits que Dieu envoie par toute la terre, et vingt-quatre vieillards ; et ces vieillards se prosternèrent devant l’Agneau, tenant dans leurs mains des harpes et des coupes pleines de parfums, qui sont les prières des Saints : et ils chantaient un cantique nouveau à la louange de celui qui a été mis à mort, et qui nous a rachetés pour Dieu, de toute tribu, de toute langue, de tout peuple, et de toute nation : et des myriades d’anges élevaient leurs voix, et disaient : L’Agneau qui a été égorgé est digne de recevoir puissance, dignité, sagesse, force, honneur, gloire et bénédiction ! et toutes les créatures qui sont dans le ciel, sur la terre, sous la terre et dans la mer, et tout ce qui est dans ces lieux, disaient : A celui qui est assis sur le trône et à l’Agneau, bénédiction, honneur, gloire et puissance dans les siècles des siècles ![3] Voici maintenant un autre spectacle. Ce même Agneau qui reçoit, sur le trône éternel, l’adoration des Anges et des Saints, qu’environne toute la gloire des cieux, vient à nous plein de douceur[4], et, voilé sous les apparences d’un peu de pain, il se donne à ses pauvres créatures, pour sanctifier notre âme, pour la nourrir, et notre corps même, par l’union substantielle de sa chair à notre chair, de son sang à notre sang, s’incarnant, si on peut le dire, de nouveau à chacun de nous, et y accomplissant, d’une manière incompréhensible, en se communiquant à nous selon tout ce qu’il est, le grand sacrifice de la Croix. O Christ, fils du Dieu vivant, que vos voies sont merveilleuses ! et qui m’en développera le mystère impénétrable ? Si je monte jusqu’au ciel, je vous y vois dans le sein du Père, en éclatant de sa splendeur. Si je redescends sur la terre, je vous y vois aussi dans le sein de l’homme pécheur, indigent, misérable ; attiré en quelque sorte et fixé par l’amour, aux deux termes extrêmes de ce qui peut être conçu, dans l’infini de la grandeur et dans l’infini de la bassesse ; et comme si ce n’était pas assez de venir à cet être déchu quand il vous désire, quand il vous appelle, vous l’appelez vous-même le premier, vous l’appelez avec instance, vous lui dites[5] : Venez, venez à moi, vous tous qui souffrez, et je vous soulagerai : venez, j’ai désiré, d’un grand désir de manger cette Pâque avec vous[6]. C’en est trop Seigneur, c’en est trop ; souvenez-vous qui vous êtes : ou plutôt faites, mon Dieu, que je ne l’oublie jamais, et que je m’approche de vous comme les Anges eux-mêmes s’en approchent, en tremblant de respect, avec un cœur rempli du sentiment de son indignité, pénétré de vos miséricordes et embrasé de ce même amour inépuisable, immense, éternel, qui vous porte à descendre jusqu’à lui !

  1. Joann. vi, 48, 50, 54.
  2. Ps. cxlviii, 5.
  3. Apoc. v.
  4. 2. Matth. xxi, 5.
  5. Matth. xi, 28.
  6. Luc. xxii, 15.