Aller au contenu

L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre quatrième/08

La bibliothèque libre.
Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 302-304).


CHAPITRE VIII.

DE L’OBLATION DE JÉSUS-CHRIST SUR LA CROIX ET DE LA RÉSIGNATION DE SOI-MÊME.
Voix du bien-aimé.

1. Comme je me suis offert volontairement pour vos péchés, à mon Père, les bras étendus sur la Croix, et le corps nu, ne réservant rien, et m’immolant tout entier, pour apaiser Dieu : ainsi vous devez tous les jours, dans le sacrifice de la Messe, vous offrir à moi, comme une hostie pure et sainte, du plus profond de votre cour, et de toutes les puissances de votre âme.

Que demandé-je de vous, sinon que vous vous abandonniez à moi sans réserve ?

Tout ce que vous me donnez, hors vous, ne m’est rien, parce que c’est vous que je veux, et non pas vos dons.

2. Comme tout le reste ne vous suffirait pas sans moi, ainsi aucun de vos dons ne peut me plaire si vous ne vous donnez vous-même.

Offrez-vous à moi, donnez-vous pour Dieu, tout entier, et votre oblation me sera agréable.

Je me suis offert tout entier pour vous à mon Père ; je vous ai donné tout mon Corps et tout mon Sang pour nourriture, afin d’être tout à vous, et que vous fussiez à jamais tout à moi.

Mais si vous demeurez en vous-même, si vous ne vous abandonnez pas sans réserve à ma volonté, votre oblation n’est pas entière, et nous ne serons pas unis parfaitement. L’oblation volontaire de vous-même, entre les mains de Dieu, doit donc précéder toutes vos œuvres, si vous voulez acquérir la grâce et la liberté.

S’il en est si peu qui soient éclairés de ma lumière, et qui jouissent de la liberté intérieure, c’est qu’ils ne savent pas se renoncer entièrement eux-mêmes.

Je l’ai dit, et ma parole est immuable : Si quelqu’un ne renonce pas à tout, il ne peut être mon disciple[1]. Si donc vous voulez être mon disciple, offrez-vous à moi avec toutes vos affections.

RÉFLEXION.

On n’aurait qu’une idée bien faible et bien incomplète du sacrifice de la Croix, si l’on n’y voyait que ce qui paraît, pour ainsi dire, aux sens. Jésus-Christ a offert non seulement son corps sacré, en proie à toutes les souffrances et à toutes les angoisses que peut en durer la nature humaine, mais encore son âme sainte étroitement unie au Verbe divin, toutes ses douleurs, toutes ses affections, toutes ses volontés, et l’agonie et le délaissement qui tira de son cœur ce dernier cri : Mon Père, pourquoi m’avez-vous abandonné[2] ? En cet état il représentait l’humanité entière condamnée à mourir, et l’homme en effet fut frappé de mort jusque dans les plus secrètes profondeurs de son être. Alors tout fut consommé[3], et le supplice et la rédemption. Or, chaque fois que le prêtre, montant à l’autel, y renouvelle, selon l’institution divine, cet ineffable sacrifice, chaque fois que le fidèle participe à la victime immolée, et le fidèle et le prêtre doivent s’offrir ainsi que Jésus-Christ s’est offert lui-même : car, nous aussi, nous sommes attachés à la Croix, et avec Jésus Christ, et en Jésus-Christ nous souffrons pour nous, pour nos frères, pour les vivants, pour les morts, pour toute la grande famille humaine ; ce qui fait dire à l’apôtre saint Paul ces étonnantes paroles : Je me réjouis de mes souffrances à cause de vous ; et ce qui manque à la Passion de Jésus-Christ, je l’accomplis en ma chair, pour son corps qui est l’Église[4] ; non sans doute que la Passion du Sauveur ne fût plus que surabondante pour ôter le péché du monde[5] et satisfaire à la justice de Dieu ; mais parce que chacun de nous doit la reproduire en soi, et parce qu’étant les membres d’un seul corps, qui est le corps du Christ[6], tout ce que nous souffrons, il le souffre avec nous, de sorte que nos souffrances deviennent comme une partie de sa Passion propre. O Jésus ! je m’offre avec vous, je m’offre tout entier ; me voilà sur l’autel : frappez, Seigneur, achevez le sacrifice ; détruisez tout ce qui en moi est de l’homme condamné, ces désirs de la terre, ces affections, ces volontés, ces sens qui me troublent, ce corps de péché ; et, les yeux fixés sur votre Croix, je dirai : Tout est consommé ?

  1. Luc. xiv, 33.
  2. Matth. xxvii, 47.
  3. Joann. xiv, 30.
  4. Coloss. i, 24.
  5. Joann. i, 29.
  6. I Cor. xii, 27.