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L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/27

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Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 190-192).


CHAPITRE XXVII.

QUE L’AMOUR DE SOI EST LE PLUS GRAND OBSTACLE QUI EMPÊCHE L’HOMME DE PARVENIR AU SOUVERAIN BIEN.

1. J.-C. Il faut, mon fils, que vous vous donniez tout entier pour posséder tout, et que rien en vous ne soit à vous-même.

Sachez que l’amour de vous-même vous nuit plus qu’aucune chose du monde.

On tient à chaque chose plus ou moins, selon la nature de l’affection et de l’amour qu’on a pour elle.

Si votre amour est pur, simple et bien réglé, vous ne se rez esclave d’aucune chose.

Ne désirez point ce qu’il ne vous est pas permis d’avoir, renoncez à ce qui occupe trop votre âme et la prive de sa liberté.

Il est étrange que vous ne vous abandonniez pas à moi du fond du cœur, avec tout ce que vous pouvez désirer ou posséder.

2. Pourquoi vous consumer d’une vaine tristesse ? Pour quoi vous fatiguer de soins superflus ?

Demeurez soumis à ma volonté, et rien ne pourra vous nuire.

Si vous cherchez ceci ou cela, si vous voulez être ici ou là, sans autre objet que de vous satisfaire, et de vivre plus selon votre gré, vous n’aurez jamais de repos, et jamais vous ne serez libre d’inquiétude, parce qu’en tout vous trouverez quelque chose qui vous blesse, et partout quelqu’un qui vous contrarie.

3. A quoi sert donc de posséder et d’accumuler beaucoup de choses au dehors ? Ce qui sert, c’est de les mépriser, et de les déraciner de son cœur.

Et n’entendez pas ceci uniquement de l’argent et des richesses, mais encore de la poursuite des honneurs, et du désir des vaines louanges, toutes choses qui passent avec le monde.

Nul lieu n’est un sûr refuge, si l’on manque de l’esprit de ferveur ; et cette paix qu’on cherche au dehors ne durera guère, si le cœur est privé de son véritable appui, c’est-à-dire si vous ne vous appuyez pas sur moi. Vous changerez, et ne serez pas mieux.

Car, entraîné par l’occasion qui naîtra, vous trouverez ce que vous aurez fui, et pis encore.


PRIÈRE
POUR OBTENIR LA PURETÉ DU CŒUR ET LA SAGESSE CÉLESTE.

4. Le F. Soutenez-moi, Seigneur, par la grâce de l’Esprit Saint.

Fortifiez-moi intérieurement de votre vertu, afin que je bannisse de mon cœur toutes les sollicitudes vaines qui le tourmentent, et que je ne sois emporté par le désir d’aucune chose ou précieuse ou méprisable ; mais plutôt qu’appréciant toutes choses ce qu’elles sont, je voie qu’elles passent, et que je passerai aussi avec elles.

Car il n’y a rien de stable sous le soleil ; et tout est vanité et affliction d’esprit[1]. Oh ! qu’il est sage, celui qui juge ainsi

5. Donnez-moi, Seigneur, la sagesse céleste, afin que j’apprenne à vous chercher et à vous trouver, à vous goûter et à vous aimer par-dessus tout, et à ne compter tout le reste que pour ce qu’il est, selon l’ordre de votre sagesse.

Donnez-moi la prudence pour m’éloigner de ceux qui me flattent, et la patience pour supporter ceux qui s’élèvent contre moi.

Car c’est une grande sagesse de ne se point laisser agiter à tout vent de paroles, et de ne point prêter l’oreille aux perfides discours des flatteurs. C’est ainsi qu’on avance sûrement dans la voie où l’on est entré.

RÉFLEXION.

Si peu que l’homme se recherche lui-même, il s’éloigne de Dieu : mais à l’instant le trouble naît en lui car ou il n’atteint pas l’objet de ses désirs, ou il s’en dégoûte aussitôt, toujours tourmenté, soit par ses convoitises, soit par le remords et l’ennui. Il a voulu être riche, puissant, posséder des titres, des honneurs, toutes choses qui ne s’obtiennent guère que par de durs travaux, et qui rarement se rencontrent avec une conscience pure : n’importe, le voilà élevé au faîte des prospérités humaines, rien ne lui manque de ce qu’il enviait ; demandez-lui s’il est satisfait : il ne sortira que des plaintes, des cris d’angoisse et de douleur, de la bouche de cet heureux du monde. Et maintenant, selon la forte expression de l’Apôtre, et maintenant, ô riches, pleurez et poussez des hurlements dans les misères qui fondront sur vous. Vous avez vécu sur la terre dans les délices et les voluptés, vous vous êtes engraissés pour le jour du sacrifice[2]. Ainsi d’un côté, les biens d’ici-bas, ces biens convoités si ardemment, fatiguent l’âme sans la rassasier ; et de l’autre, à moins d’une grâce peu commune, comme Jésus-Christ lui-même nous l’apprend[3], ils la précipitent dans la perte. Au contraire, celui qui s’est renoncé complètement, celui pour qui Dieu seul est tout, jouit d’une paix inaltérable. La souffrance même lui est douce, parce qu’elle accroît son espérance, purifie son amour, et que l’affliction d’un moment enfantera une joie éternelle. Persévérez donc dans la patience jusqu’à l’avénement du Seigneur. Dans l’espoir de recueillir le fruit précieux de la terre, le laboureur attend patiemment les pluies de la première et de l’arrière-saison. Et vous aussi soyez donc patients, car l’avénement du Seigneur approche[4].

  1. Eccle. i, 14.
  2. Jacob. v, 1, 5.
  3. Matth. xix, 23, 26.
  4. Jacob. v, 7, 8.