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L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/49

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Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 239-243).


CHAPITRE XLIX.

DU DÉSIR DE LA VIE ÉTERNELLE, ET DES GRANDS BIENS PROMIS A CEUX QUI COMBATTENT COURAGEUSEMENT.

1. J.-C. Mon fils, lorsque le désir de l’éternelle béatitude vous est donné d’en haut, et que vous aspirez à sortir de la prison du corps pour contempler ma lumière sans ombre et sans vicissitude, dilatez votre cour, et recevez avec amour cette sainte inspiration.

Rendez grâces de toute votre âme à la bonté céleste, qui vous prodigue ainsi ses faveurs, qui vous visite avec tendresse, vous excite, vous presse et vous soulève puissamment, de peur que votre poids ne vous incline vers la terre.

Car rien de cela n’est le fruit de vos pensées ou de vos efforts, mais une grâce de Dieu qui a daigné jeter sur vous un regard, afin que, croissant dans la vertu et dans l’humilité, vous vous prépariez à de nouveaux combats, et que tout votre cœur s’attache à moi avec la volonté ferme de me servir.

2. Quelque ardent que soit le feu, la flamme cependant ne monte point sans fumée.

Ainsi quelques-uns, quoique embrasés du désir des choses célestes, ne sont point néanmoins entièrement dégagés des affections et des tentations de la chair.

Et c’est pourquoi ils n’ont pas en vue la seule gloire de Dieu, dans ce qu’ils demandent avec tant d’instance.

Tel est souvent votre désir, que vous croyez si vif et si pur.

Car rien n’est pur ni parfait, de ce qui est mêlé d’intérêt propre.

3. Demandez, non ce qui vous est doux, non ce qui offre quelque avantage, mais ce qui m’honore et me plaît : car, si vous jugez selon la justice, vous devez, docile à mes ordres, les préférer à vos désirs et à tout ce qu’on peut désirer.

Je connais votre désir ; j’ai entendu vos gémissements.

Vous voudriez jouir déjà de la liberté glorieuse des enfants de Dieu ; déjà la demeure éternelle, la céleste patrie où la joie ne tarit jamais, ravit votre pensée. Mais l’heure n’est pas encore venue, vous êtes encore dans un autre temps, temps de guerre, temps de travail et d’épreuves.

Vous désirez être rassasié du souverain bien ; mais cela ne se peut maintenant.

C’est moi qui suis le bien suprême : attendez-moi, dit le Seigneur, jusqu’à ce que vienne le royaume de Dieu[1].

4. Il faut que vous soyez encore éprouvé sur la terre, et exercé de bien des manières.

De temps en temps, vous recevrez des consolations, mais jamais assez abondantes pour rassasier vos désirs.

Ranimez donc votre force et votre courage[2], pour accomplir et pour souffrir ce qui répugne à la nature.

Il faut que vous vous revêtiez de l’homme nouveau[3], que vous vous changiez en un autre homme.

Il faut que souvent vous fassiez ce que vous ne voulez pas, et que vous renonciez à ce que vous voulez.

Ce que les autres souhaitent, réussira : mille obstacles s’opposeront à ce que vous souhaitez.

On écoutera ce que disent les autres : ce que vous direz sera compté pour rien.

Ils demanderont, et ils obtiendront : vous demanderez, et on vous refusera.

5. On parlera d’eux, on les exaltera ; et personne ne parlera de vous.

On leur confiera tel ou tel emploi ; et l’on ne vous jugera propre à rien.

Quelquefois la nature s’en affligera ; et ce sera beaucoup si vous le supportez en silence.

C’est dans ces épreuves et une infinité d’autres semblables, que, d’ordinaire, on reconnaît combien un vrai serviteur de Dieu sait se renoncer et se briser à tout.

Il n’est presque rien qui vous fasse sentir autant le besoin de mourir à vous-même, que de voir et de souffrir ce qui répugne à votre volonté ; surtout lorsqu’on vous commande des choses inutiles ou déraisonnables.

Et, parce qu’assujetti à un supérieur vous n’osez résister à son autorité, il vous semble dur d’être en tout conduit par un autre, et de n’agir jamais selon votre propre sens.

6. Mais, pensez, mon fils, au fruit de ces travaux, à leur prompte fin, à leur récompense trop grande[4] ; et loin de les porter avec douleur, vous y trouverez une puissante consolation.

Car, pour avoir renoncé maintenant à quelques vaines convoitises, vous ferez éternellement votre volonté dans le ciel.

Là, tous vos vœux seront accomplis, tous vos désirs satisfaits.

Là, tous les biens s’offriront à vous, sans que vous ayez à craindre de les perdre.

Là, votre volonté ne cessant jamais d’être unie à la mienne, vous ne souhaiterez rien hors de moi, rien qui vous soit propre.

Là, personne ne vous résistera, personne ne se plaindra de vous, personne ne vous suscitera de contrariétés ni d’obstacles ; mais tout ce qui peut être désiré étant présent à la fois, votre âme, rassasiée pleinement, n’embrassera qu’à peine cette immense félicité.

Là, je donnerai la gloire pour les opprobres soufferts, la joie pour les larmes, pour la dernière place un trône dans mon royaume éternel.

Là, éclateront les fruits de l’obéissance : la pénitence se réjouira de ses travaux, et l’humble dépendance sera glorieusement couronnée.

7. Maintenant donc, inclinez-vous humblement sous la main de tous, et ne regardez point qui a dit ou ordonné cela.

Mais si quelqu’un demande ou souhaite quelque chose de vous, qui que ce soit, ou votre supérieur, ou votre inférieur, ou votre égal, loin d’en être blessé, ayez soin de l’accomplir avec une affection sincère.

Que l’un recherche ceci, un autre cela ; que celui-là se glorifie d’une chose, celui-ci d’une autre, et qu’il en reçoive mille louanges ; pour vous, ne mettez votre joie que dans le mépris de vous-même, dans ma volonté et ma gloire.

Vous ne devez rien désirer, sinon que, soit par la vie, soit par la mort, Dieu soit toujours glorifié en vous[5].

RÉFLEXION.

On ne saurait trop le redire, le premier et le dernier précepte, celui qui les comprend tous, est l’entier renoncement de soi-même et la conformité parfaite de notre volonté à celle de Dieu. Ainsi, bien qu’il nous soit permis et même commandé d’aspirer à la béatitude céleste, et de gémir sur la longueur de notre exil[6], néanmoins nous devons le supporter avec une grande patience, et nous complaire dans les épreuves que la Providence nous envoie, parce qu’elles sont tout ensemble utiles à notre salut, et l’un des moyens que Dieu a choisis pour satisfaire sa justice, et pour manifester en nous sa miséricorde et sa gloire. Pécheurs, nous devons participer aux souffrances de celui qui nous a rachetés ; disciples de Jésus, nous devons marcher à la suite de notre maître et de notre modèle en portant la Croix, et, comme lui, épuiser le calice d’amertume. Nul n’est couronné, s’il n’a combattu[7]. Heureux donc l’homme qui endure la tentation, parce qu’après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie que Dieu a promise à ceux qui l’aiment[8]. Attendons le moment qu’il a marqué, et poursuivons en paix notre pèlerinage. Tout ce qui finit est court, et rien n’est pénible à celui qui espère. Que cette pensée ranime notre langueur, quand nous nous sentons abattus. « Au milieu de ce grand naufrage du monde, dit saint Chrysostome, une main propice nous jette d’en haut le câble de l’espérance, qui peu à peu retire des flots des misères humaines et soulève jusqu’au ciel ceux qui s’y attachent fortement[9]. »

  1. Luc. xxii, 18.
  2. Josue i, 6.
  3. Eph. iv, 24 ; I Reg. x, 6, 9.
  4. Genes. xv, 1.
  5. Philipp. i, 20.
  6. Ps. cxix, 5.
  7. I Cor. ix, 25. 4.
  8. Jacob. i, 12.
  9. Ps. cxviii, 32.