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L’Inde après le Bouddha/Livre 2/Chapitre 3

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CHAPITRE III
ZÈLE DU ROI. LÉGENDE DE VITHAÇOKA

Le roi ordonna que ces édits qui étaient de véritables instructions morales seraient lus au peuple tous les 4 mois au moins par l’Assemblée des Religieux, et, dans l’intervalle par un seul Religieux isolément de telle sorte, que le peuple les sût par cœur. Un édit prescrivait une confession générale tous les 5 ans et enjoignait d’y procéder sans déranger le peuplée de ses travaux. Par là fut établie, en ce qui concerne les laïques, la règle de la confession et elle eut le caractère d’une fête quinquennale, à la fois d’expiation et de bienfaisance, qui a été vue et décrite par le pèlerin Chinois Hiouen-Thsang. Inutile d’ajouter que dans ces termes, elle n’était nullement une direction de conscience ; elle n’était même pas exclusivement bouddhiste.

Pour diminuer, le prestige des Brahmes dont l’influence lui portait ombrage, sans rompre ouvertement avec eux, Açoka témoignait en toute occasion et voulait qu’on témoignât un respect sans limites aux Religieux Bouddhistes. Chaque fois qu’il en rencontrait un, il se prosternait devant lui. Son ministre Yacas, quoique converti lui-même, lui représenta qu’il avilissait la dignité royale, en mettant sa tête aux pieds de mendiants sortis de toutes Castes. Quelques jours après, le roi le chargea de faire vendre des têtes d’animaux et une tête humaine et de lui dire les prix de vente. Yakas ne trouva pas d’acheteur pour la tête humaine. Pourquoi ? lui demanda le roi.

Parce qu’elle est un objet sans valeur. Est-ce que toutes les têtes humaines sont sans valeur ? interrogea encore le roi ? Certainement. — Et la mienne ? Aussi dut répondre Yakas.

Et si ma tête, cet objet sans valeur, rencontre quelque occasion de se purifier, qu’y a-t-il de contraire à l’ordre ? Tu regardes la Caste dans les Religieux de Çakya et tu ne vois pas les vertus. On s’enquiert de la Caste pour une invitation ou un mariage ; mais les vertus ne s’inquiètent pas de la Caste. On méprise un homme de haute naissance pour ses vices, et on honore un homme de basse extraction pour sa vertu.

Le héros compatissant des Çakyas (Bouddha) a dit : Pour les sages, les choses sans valeur sont précieuses. Celui qui est éclairé par le sage aux dix forces, ne fait pas de différence entre le corps d’un prince et celui d’un esclave. Ce qui est essentiel en ce monde, ce que les sages doivent honorer, peut se trouver dans un homme vil. »

Il fit des Religieux de ceux de ses fils qui ne devaient point régner. Par là, il relevait et s’attachait les religieux Bouddhistes. — En même temps il préservait les jours de ces enfants menacés dans l’avenir par l’usage des princes orientaux d’immoler leurs frères à leur propre sécurité.

Il restait à Açoka un seul frère nommé Vitaçoka. Pour qu’il ne pût devenir un prétendant, il le força à se faire moine. Là nous retrouvons sous une forme Indienne l’histoire de l’épée de Damoclès. Sous le prétexte que Vitaçoka avait essayé les ornements royaux pour les porter un jour, Açoka le remit aux mains du bourreau ; puis feignant de céder aux prières de ses ministres, il lui accorda la vie pour sept jours, pendant lesquels il jouirait de tous les privilèges et plaisirs de la royauté. Chaque soir, le bourreau rappelait à ce roi éphémère le compte de ses jours. Le 7e jour, il fut conduit devant Açoka qui lui demanda quel plaisir il avait pris aux chants, aux danses, au concert des instruments, aux acclamations de la foule, etc.

Vithaçoka répondit : Je n’ai rien vu que les exécuteurs assis à ma porte, avec leur vêtement bleu ; rien entendu que le son de leur cloche ; je n’ai pas connu le sommeil, j’ai passé mes jours et mes nuits à songer à la mort.

Alors Açoka lui dit : « Si la crainte de perdre une seule vie, péril toujours suspendu sur un roi, t’a empêché de jouir des plaisirs de la royauté, comment crois-tu que les religieux envisagent les tourments des lieux où l’on peut renaître ; les flammes de l’enfer, les terreurs et les déchirements des animaux qui s’entredévorent, les poignantes inquiétudes et les vains efforts des hommes sur la terre, la crainte qui assiège les dieux de perdre la félicité des sièges fortunés, ces cinq causes de misères qui enchaînent les trois mondes ? Les Religieux voient des bourreaux dans les attributs de l’existence, des brigands dans tous les objets, dans le corps une demeure incendiée.

Comment la délivrance n’appartiendrait-elle pas à ceux qui ne désirent qu’elle, qui se détournent de l’existence, et dont le cœur ne s’attache pas plus aux causes de plaisir que l’eau à la feuille du lothus ?

Vitaçoka, adhérant aux trois joyaux, demanda à son frère la permission de se faire religieux mendiant, et de se retirer à la campagne au-delà des frontières. Il y fut atteint de la lèpre et eut beaucoup de peine à s’en guérir.

En ce temps-là, dans la ville de Pundra, un habitant et un mendiant brahmanique brisèrent une statue de Bouddha. Le roi les fit mettre à mort ainsi que les habitants de Pundra au nombre de 18,000 en un seul jour.

Le même attentat contre la statue de Bouddha fut commis dans la capitale Pataliputra. Le roi fit brûler l’auteur du crime, ainsi que ses parents et amis, et, ne trouvant pas la punition suffisante, il mit à prix la tête des mendiants brahmaniques.

On voit que le Bouddhisme n’avait point adouci les supplices, ni supprimé les responsabilités injustes. La même barbarie se retrouve encore de nos jours en Chine et au Thibet.

Vitaçoka s’était retiré pour une nuit dans la cabane d’un pasteur. Comme il relevait de maladie, il n’avait pu prendre soin de sa personne ; le désordre de sa barbe, de ses cheveux, de ses vêtements, lui donnait l’aspect d’un mendiant brahmanique. Le pasteur s’y trompa et pour obtenir la récompense promise, il lui coupa la tête et l’apporta au roi qui, l’ayant reconnu, tomba évanoui. Lorsqu’il revint à lui ses ministres lui dirent ; « Tes ordres ont occasionné la mort d’un Sage exempt de passions, révoque-les donc et rends le repos au peuple. »

Le roi, dit la Légende, défendit qu’à l’avenir, on mît personne à mort.

Ce qui est certain, c’est qu’il entoura des plus grandes précautions le jugement des criminels. Nous l’avons vu dans ses Édits se montrer charitable en les condamnés à mort. Il veut trois jours de sursis entre la sentence et l’exécution, afin que par le repentir, des aumônes ou des jeûnes, ils puissent adoucir les châtiments qui les attendent dans une autre existence.