L’Inde après le Bouddha/Livre 3/Chapitre 1

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Livre III

LIVRE III
Entre Açoka et Kanishka.
CHAPITRE PREMIER
LE PREMIER ÂGE DU BOUDDHISME ALLIÉ À LA MYTHOLOGIE DE L’INDE

Nous avons déjà cité Ougagoupta fils d’un vendeur de parfums, comme patriarche bouddhiste du temps d’Açoka ; il avait succédé dans cette dignité à Chanavika qui lui-même aurait succédé à Çoudatrou le fils. Ce fut, sous lui, dit l’historien Indien Darnata que l’on érigea les premiers temples bouddhistes et que l’on eut l’idée d’élever des statues à Bouddha. Il se transporta et s’établit à Matoura et en acheva la conversion commencée par Bouddha lui-même qui y avait trouvé en vigueur le culte de Krichna. Son successeur, le patriarche Ditika convertit Bactra que l’on relia à Kachemir par une route. C’était une œuvre si considérable, à cause de la distance et des montagnes à franchir, que l’on doit douter de l’exactitude de l’historien à moins d’attribuer au roi de Kachemir une très grande puissance qui n’a rien d’invraisemblable.

Les rois de Bactra, Minara et son fils édifièrent plus de 50 temples. Ditika propagea aussi le Bouddhisme vers l’Est à Kamaroupa, et au sud dans le royaume de Malva où régnait le Brahme Adarpa qui offrait des hommes en sacrifice. Il mourut dans le royaume d’Oudjaiana et eut pour successeur Çoudarchana, natif du Baroukatcha et de la race des Pandavas. Celui-ci convertit la contrée de Sindou où l’on faisait des sacrifices humains au Rakshaka Khingalatchi. Il visita toutes les parties de l’Inde méridionale, les pourvut de temples et y installa des Religieux. Ce fut sans doute un grand missionnaire ou apôtre dont la légende aura fait un patriarche.

Le renoncement bouddhique, défini comme nous l’avons vu, l’abandon de tous les biens pour des œuvres méritoires, c’est-à-dire de charité ou d’utilité religieuse ou publique, mit à la disposition de la communauté bouddhiste d’immenses ressources, comme (cela a encore lieu aujourd’hui en Birmanie). Ainsi que dans toutes les religions sévères, le Judaïsme, le Mahométisme etc., le culte était très simple, mais les monuments où il s’exerçait furent magnifiques et le sentiment religieux fut interprété presque exclusivement par un seul art, l’architecture qui n’entre pour rien dans le culte védique et pour très peu sans doute dans le Brahmanisme avant Bouddha. On lit dans Manou que les sacrifices se faisaient dans une enceinte pareille à celle des temps védiques, c’est-à-dire formée de pieux juxtaposés. Ce fut le Bouddhisme qui donna à l’Inde une véritable architecture religieuse. Partout les ruines les plus vastes et les plus anciennes proviennent de lui. On sait les merveilles que les Bouddhistes ont laissées au Cambodge. Les temples souterrains sont leur ouvrage et leur marque se retrouve dans les substructions de presque tous les sanctuaires de l’Hindouisme. Les Brahmes ont pris au Bouddhisme tout ce qui, chez eux, n’est pas terre à terre. Ils leur ont emprunté l’architecture et la sculpture religieuses, et maintenant l’Inde est couverte d’un nombre immense de pagodes monumentales ; aucune ne paraît ancienne, sauf celles qui ont une origine Bouddhiste, origine qui n’a jamais été considérée comme une tache ou une souillure, tandis que le contact des musulmans a été regardé comme une profanation. Les sculptures et les bas-reliefs des temples bouddhiques témoignent d’un art remarquable aujourd’hui disparu de l’Inde, sans doute avec le Bouddhisme. Les artistes étaient ou des Grecs Baktriens ou même des religieux bouddhistes de race Aryenne, doués par conséquent du sentiment du beau. Dans les premiers temps, le Bouddhisme brilla par l’imagination dans la littérature comme dans l’architecture.

Aujourd’hui les Brahmes savants prétendent que ce sont les Bouddhistes qui ont introduit l’idolâtrie dans l’Inde ; ils rappelent qu’il n’est pas question d’idoles dans les Védas ni dans Manou et qu’on n’a pas trouvé de représentations de dieux hindous aussi anciennes que les idoles Bouddhistes. Mais comment Bouddha aurait-il pu sanctionner l’idolatrie, si elle n’existait pas avant lui ? Et comment aurait-il pu l’établir alors qu’elle était contraire à son enseignement. Même aujourd’hui, à Ceylan, bien qu’on y trouve beaucoup de statues de Bouddha, le refuge aux trois joyaux constitue le seul acte de foi.

Il est certain que, pendant plusieurs siècles après sa mort, Bouddha ne fut pas représenté corporellement.

Les sculptures de Baruth qui datent du second siècle avant J.-C. et celles encore plus récentes de l’entrée monumentale de Sanchi, quoiqu’elles représentent plusieurs scènes où Bouddha intervient, ne nous montrent aucune image de Bouddha lui-même. Ainsi elles représentent les rois Ajatu-Satru et Prasenagit se rendant près de Bouddha, comme il est dit dans sa biographie. Il y a aussi des bas-reliefs représentant Rama et d’autres dieux, des Yaksas, des Nagas, mais nullement le Bouddha. Sans doute, à cette époque, on ne reproduisait que les dieux secondaires, la divinité suprême étant considérée comme impersonnelle et le Bouddha également par sa doctrine.

Selon Cuningham, il n’y a dans les sculptures de Bharuth comme objets de révérence que des arbres Bodhi, des roues, des symboles du Tri-ratna, des Stupas et des impressions de pieds. Il en est de même pour les bas-reliefs des balustrades du temple de Bouddha Gaya qui sont un peu antérieurs. Les édits d’Açoka ne prescrivent d’honorer que l’arbre Bodhi.

Pourtant, on ne peut nier que dans les premiers siècles de notre ère les représentations du Bouddha et des Bodhisattvas ne soient devenues très communes dans toute l’Inde parmi les Bouddhistes.

Une des plus anciennes statues de Bouddha est celle qui figure au musée de Calcuta, extraite des ruines de l’ancien temple de Budda-Gaya et qui porte en inscription la date 142 après J.-C. On remarque les lèvres épaisses et l’attitude qui est celle de la démonstration et de l’enseignement.

La statue trouvée par Cuningham à Çravasti est de la même époque.

Il est très remarquable que Bouddha ait, plus qu’aucun dieu ou personnage, de représentations de toutes sortes, et dans toutes les attitudes. Les images, statues, statuettes, bas-reliefs, peintures etc., qui lui sont consacrées sont innombrables et il en est de même de la représentation de tous objets ayant rapport à lui.

C’est la preuve de l’immense prestige qu’il a exercé pendant sa vie et qu’il a su transmettre après sa mort, comme idéal de sagesse, de sainteté et de bonté suprêmes. C’est par l’effet de ce prestige et du mode de renseignement que toutes les sectes Bouddhistes vivent dans une union fraternelle, si opposées que soient leurs doctrines que toutes font remonter jusqu’à Bouddha et s’efforcent de relier entre elles comme les membres d’un seul corps.

Ces représentations ne furent originairement pour les religieux que des objets de souvenir ou de vénération ; pour le vulgaire, par la tendance naturelle à la superstition, elles devinrent plus ou moins, après plus ou moins de temps, objets d’adoration et favorisèrent la pente au Théisme.

On eut d’abord dans quelques temples des représentations du Bouddha qu’on prétendit s’être produites d’elles-mêmes, puis on leur attribua le pouvoir de produire tous les miracles. Fahien et Hiouen Tsang ne se lassent point d’en raconter.

La forme et le caractère des représentations du Bouddha dépendent de l’époque et de la contrée auxquelles elles appartiennent, mais partout elles restèrent humaines. Bouddha n’est jamais nu. Sa robe est jetée gracieusement sur ses épaules comme une toge ; cependant l’épaule droite était nue dans les circonstances officielles. Selon Monier Villiam, dans les statues Indiennes la robe est quelquefois figurée comme s’appliquant si juste au corps que celui-ci paraît sans vêtement ; la présence de la robe n’est indiquée que par une ligne allant diagonalement sur la poitrine de l’épaule gauche au-dessous du bras droit. Dans celle que j’ai rapportée pour le musée de Chalons-sur-Marne, on distingue, outre cette ligne diagonale, des franges qui terminent la robe en haut au cou et en bas au ventre ; celle-ci est transparente au point de laisser apercevoir sur la pierre le bout des seins.

Les images indiennes ont, pour la plupart, l’épaule droite nue, même lorsqu’elles représentent des religieuses ; celles des pays froids ont les deux épaules couvertes. Devadata est toujours représenté nu, au moins jusqu’à la ceinture.

Les caractères des plus anciennes statues de Bouddha sont : des traits d’une impassibilité et d’une sérénité absolues qui expriment le triomphe complet sur les passions et le calme parfait ; le cercle ou le petit globe, ou le lotus, ou quelque marque de bon augure sur la paume ou les paumes des mains ouvertes et tournées en dessus et aussi sur les plantes des pieds, sur la tête, au lieu de cheveux, une sorte d’assemblage de têtes de petits clous (voir à la vie du Bouddha, Gautama coupant sa chevelure) réunis en boucles et rappelant la coiffure de Siva ; souvent, au sommet de la tête, une sorte de protubérance arrondie. Cette excroissance se trouve toujours dans les images apportées de Siam ; elle est en forme de corne ou de pointe ou d’hémisphère. On dit que cette excroissance est conservée comme relique dans une ville de l’Afghanistan près de Jallalabard. D’autres fois cinq flammes sortent au sommet de la tête pour indiquer l’expansion de la lumière et de la sagesse de Bouddha dans tous les mondes.

Dans beaucoup de représentations du Bouddha, un Nimbus ou auréole de gloire encercle la tête ; dans quelques-unes des rayons de lumière jaillissent de tout son corps. Monier Villiam a vu dans un temple de Ceylan une image de Bouddha avec un halo autour de la tête.

Les images représentant Bouddha, son écuelle à aumônes à la main, sont communes au Népaul et rares ailleurs.

Les représentations sont généralement en pierre ou en marbre, quelquefois en métal ou en bois, quelquefois moulées avec de l’argile. Leur hauteur varie de 2 pouces à 60 pieds (20 mètres).

Les Bouddhistes croient généralement que les statues de 5 à 6 mètres reproduisent la taille véritable du Bouddha. Il n’avait évidemment que la plus haute de sa race, soit au plus deux mètres.

Dans un temple près de Colombo, des bas-reliefs montrent Bouddha entouré d’un petit nombre de personnages qui tiennent un dai en guise d’ombrelle au-dessus de sa tête, c’est la naissance de Bouddha. Elle se trouve dans les sculptures et bas-reliefs, mais jamais elle ne forme un tableau ou groupe isolé. Bouddha s’élance du flanc de sa mère, Brahma reçoit le nouveau-né. Indra est debout à droite et Gautami la tante de Gautama à gauche. Cette scène est pour les Bouddhistes ce qu’est pour nous le crucifiement.

Quelques représentations ou formes du Bouddha, comme celle d’Amitabha le montrent émergeant d’une fleur de lotus et assis sur un piédestal formé de feuilles de lotus, fleur qui est le symbole de la perfection.

Dans chaque pays les images du Bouddha reproduisent généralement le type ou caractère local. Ainsi le contour et l’expression de la figure sont différents à Ceylan, en Birmanie, à Siam, au Thibet, en Mongolie, en Chine et au Japon, quoique partout les traits expriment le calme, la douceur, la méditation, l’absence de passion.

En Birmanie où on est gai, les images ont quelquefois un clignotement dans les yeux et le sourire aux lèvres.

En Chine il y a des spécimens de Bouddha libertin facile, et d’autres qui lui prêtent un air farouche.

Presque en même temps que Vigatachoka fils de Kunala et successeur d’Açoka, Daranata mentionne le roi Viracema qui honora le Bouddhisme ; on est incertain si ce ne fût pas Vigatachoka lui-même sous un autre nom ou son successeur. Après lui, son fils Nanda régna 29 ans ; sous lui vécut Panini le premier grammairien et peut-être aussi le premier qui ait introduit l’écriture dans l’Inde.

À Nanda, succéda son fils Makhapadma qui régna à Koumouçapoura et protégea le Bouddhisme. Il fut contemporain des deux grands disciples de Panini, Badra et Vararoutchi. C’est alors que l’on rencontre la première mention de la littérature sous forme écrite. Il est dit que Vararoutchi fit préparer un grand nombre d’exemplaires du Vihacha et les distribua aux religieux enseignants. Pour concilier cette version avec la donnée que la collection appelée Vibacha ne fut faite qu’à l’époque du concile de Kanichska, il faut admettre que le mot Vibacha est générique et s’applique à tous les ouvrages de la nature de ceux qui composèrent la susdite collection.

Au commencement de l’année 1886, M. Sénart a lu à l’Académie des Inscriptions un intéressant mémoire consacré à la chronologie du développement linguistique et de l’histoire littéraire de l’Inde. Il estime qu’il est possible de tirer à cet égard des monuments épigraphiques des lumières précises et il résume de la manière suivante les conclusions générales qu’il lui paraît d’ores et déjà possible d’établir :

1° En ce qui concerne la langue Védique et religieuse, les Inscriptions de Pyadaci témoignent indirectement qu’elle était, vers le commencement du iiie siècle avant notre ère, l’objet d’une certaine culture.

2° En ce qui concerne le sanscrit classique, son élaboration dans l’École, fondée matériellement sur la langue Védique, provoquée en fait par la première application de l’écriture aux dialectes populaires, doit se placer entre le iiie siècle avant J.-C. et le ier siècle de notre ère. Son emploi littéraire ou officiel s’est répandu à la fin du siècle ou au commencement du iie.

Il est, à priori, certain qu’aucun ouvrage littéraire classique ne saurait être notablement antérieur à cette époque.

3° Pour ce qui est du sanscrit mixte, appelé : dialecte des Gathas, il n’est qu’une manière d’écrire le Prâkrit, en se rapprochant autant que possible de l’orthographe et des formes étymologiques connues par la langue religieuse. Son usage né spontanément et développé peu à peu, stimule la codification d’une langue inspirée par le même penchant, mais plus raffinée, plus, conséquente, à savoir, le sanscrit profane. Pour nous, il en mesure approximativement le progrès. Répandu avant celui du sanscrit littéraire, son usage ne se généralise que sous le règne d’un des grands souverains bouddhistes. Kanischka assure sa survivance à titre de dialecte littéraire dans certaines écoles du Bouddhisme.

4° En ce qui touche les Prâkrits, la constitution antérieure du sanscrit en détermine la réglementation grammaticale. C’est au iiie siècle de notre ère qu’elle s’accomplit ; aucune des grammaires qui enseignent les Prâkrits grammaticaux, aucun des livres rédigés dans un quelconque de ces dialectes, y compris le pâli, ne peut être considéré comme antérieur à cette date.

Il faut rapporter à cette période d’élaboration les premiers Sutras développés, ceux dont le merveilleux, comme dans le Lalita Vistara est védique et brahmanique et qui ont un caractère plutôt poétique que scholastique. Les Sutras développés postérieurs ont un caractère opposé ; leur merveilleux est surtout bouddhique ; il évoque les saints du Bouddhisme, les cieux d’Occident, la Cosmogonie bouddhiste etc. Tel est de Lotus de la bonne Loi.

Il faut admettre avec M. Sénart que le Lalita Vistara considéré comme canonique par les Bouddhistes du Nord et si souvent cité dans notre vie du Bouddha est l’expression de la légende de Bouddha déjà formée dès le iiie siècle avant Jésus-Christ, avant qu’on eût fait la distinction entre les Bouddhistes du Nord et ceux du Sud, légende qui encadrait les événements de la vie de Bouddha dans un fonds mythologique, moitié védique, moitié héroïque, réunissant la théorie de Vichnou-soleil à celle des incarnations en Rama et Kritchna inventées avant la venue de Çakia Mouni. Nous partageons complètement les opinions de M. Sénart sur l’origine védique ou brahmanique de l’arbre Bodhi, l’arbre cosmogonique, de la roue de la Loi (cercle de Souria ou Çakra de Vichnou, sur les gopies, les Maras, les Cravartins etc).

Déjà dans notre livre publié en 1867 et écrit auparavant dans l’Inde, nous avons exprimé l’opinion que Siva, Vichnou et Kritchna étaient des dieux des peuples conquis adoptés par les Brahmes et identifiés par eux à dessein avec ceux des dieux Védiques auxquels ils ressemblaient ; d’où la conclusion conforme à l’opinion de M. Sénart que le naturalisme de ces cultes est ancien et non une corruption des symboles védiques ou brahmaniques, que ce sont au contraire les Aryens qui, par la poésie ou la philosophie religieuse, ont relevé ces dieux et ces cultes et ont idéalisé, sinon spiritualisé Vichnou, Siva et Kritchna. Malheureusement, cet effort n’était fait que par les Aryens et pour eux seuls, puisque les livres sacrés étaient interdits aux Soudras et plus tard, les brahmes, pour étouffer le Bouddhisme, encouragèrent le naturalisme dans les sectes hindoues et le systématisèrent.

Le merveilleux des légendes bouddhiques primitives a recueilli les mythes Aryens qui correspondent à cet effort poétique et religieux. Pour donner un corps à cette pensée, M. Sénart a ramené le Lalita Vistara à un mythe solaire aussi gracieux qu’ingénieux qui figure la part capitale qu’ont eue dans les premières biographies de Çakya Mouni les croyances Aryennes qui formaient encore, selon lui, un cycle bien coordonné, héritage faiblement altéré d’un long passé de traditions. Ce sont ces éléments mythologiques qui, populaires au moment où s’établit le bouddhisme, firent corps avec lui et en sont restés un des éléments caractéristiques. Nous citons textuellement l’essai sur la légende de Bouddha (1882, page 432) qui divise sa vie en douze époques, entre lesquelles il est de tradition chez les Bouddhistes de la répartir :


I. Résolution de quitter le ciel. — Le Bouddha, avant sa naissance, est un dieu, le chef des dieux[1] ; à vrai dire, il ne naît point, il s’incarne parmi les hommes en vue de leur bien et de leur salut.

II. — Conception. — Sa génération est toute miraculeuse ; il n’a point de père : sa descente du ciel s’opère sous les symboles d’un dieu lumière voilé dans le sein de sa mère ; il révèle sa présence par ses premiers rayons qui appellent tous les dieux à la prière, les rendent à la vie.

III. Naissance. — Il naît en héros lumineux et igné, de l’arbre producteur du feu, par le ministère de Maya ; cette mère virginale qui représente à la fois la puissance créatrice souveraine et la déesse à demi ténébreuse des vapeurs atmosphériques, périt dès la première heure, dans le rayonnement même de son fils. En réalité, elle survit sous le nom de Pradjapati (la créatrice), la nourrice de l’Univers et de son Dieu. Le jeune héros plein de force, irradie dès sa naissance ; s’avance dans l’espace, illuminant le monde, proclamant sa suprématie à laquelle tous les dieux font cortège et rendent hommage.

IV. Épreuves. — Il grandit au milieu des jeunes filles de l’athmosphère parmi lesquelles sa puissance est pour un temps dissimulée ou méconnue et ne se révèle que par de rares échappées. Un jour vient pourtant où il se dévoile, s’essaie aux premières luttes contre ses ennemis ténébreux, et brille sans rival.

V. Mariage et plaisirs du Harem. — Avec lui ont grandi les jeunes Nymphes ; les compagnes de ses jeux deviennent ses femmes, ses amantes ; le dieu s’attarde dans les palais célestes parmi les délices du gynécée nuageux.

VI. Sortie de la maison paternelle. — Cependant, son heure est venue, il s’échappe violemment, miraculeusement de sa splendide prison : le coursier céleste franchit les murailles des forteresses démoniaques et traverse le fleuve athmosphérique.

VII. Austérité. — Dès ce moment, la lutte commence : le héros s’attarde au matin, errant qu’il est dans les forêts de l’espace ; mais bientôt il reprend ses forces dans les pâturages célestes ; il boit l’ambroisie et se baigne dans l’eau d’immortalité.

VIII. Défaite du démon. — Il est mûr pour sa mission prédestinée, la conquête de l’Ambroisie et, de la Roue, de la pluie et de la lumière féconde. Il prend possession de l’arbre divin. Le démon orageux accourt le lui disputer ; le héros bienfaisant reste vainqueur ; la sombre armée de Mara, rompue, déchirée, se disperse,

Les Âpsaras filles du démon, les dernières vapeurs qui montent au ciel, essaient en vain d’enlacer et de retenir le triomphateur ; il se dégage de leur étreinte ; elles se tordent, se défigurent, s’évanouissent.

IX. L’illumination parfaite. — Il paraît alors dans toute sa gloire, dans sa splendeur suprême ; le dieu a atteint alors le milieu de sa course.

X. Mise en mouvement de la Roue. — Libre de tout obstacle, il met en mouvement à travers l’espace son disque aux mille rayons, vengé des entreprises de son éternel ennemi.

XI. Nirvana. — Un peu plus tard, il touche au terme de sa carrière ; il va s’éteindre victime prédestinée du sanglier démoniaque et ténébreux ; mais, auparavant, il voit disparaître dans la mêlée sanglante des nuages du soir, toute sa race, tout son cortège lumineux.

XII. Funérailles. — Il disparaît lui-même dans l’Occident embrasé de ses derniers rayons comme dans un bûcher gigantesque et le lait des vapeurs peut seul éteindre à l’horizon les dernières flammes de ses diverses funérailles.


Impossible de mieux imaginer et de mieux dire. On croirait lire un hymne à Adithya, cette divinité solaire universellement adorée dans le Nord-Ouest de l’Inde lors de la visite des deux pèlerins Chinois et qui tient une si grande place dans la fête bouddhique quinquennale que Hiouen Tsang vit célébrer à Praya, au confluent sacré de la Jumna et du Gange.

  1. M. Senart a un peu forcé la note afin de se rapprocher de Vichnou-Soleil. Ce n’est que, dans le développement extrême du Bouddhisme que Bouddha a été considéré comme un dieu par une partie des Bouddhistes.