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L’Instant éternel/La contrainte

La bibliothèque libre.
E. Sansot et Cie (p. 78-80).


LA CONTRAINTE


Au seul calme des nuits mon âme le raconte
Cet amour que, sur moi, le ciel versa, soudain,
Cet amour lumineux et merveilleux qui monte
Comme une lune neuve à travers un jardin.

En gouttes de cristal il court sur ma main nue,
Il a la tiède odeur du fruit qui va mûrir,
Il a, dans sa noblesse et sa grâce ingénue,
L’émouvante beauté du lis qui va fleurir.

Il est venu vers moi, pensif et volontaire,
Il m’a dit : « Me voici… Prends-moi contre ton cœur,
Vis-moi parmi le sacrifice et le mystère,
Chéris-moi… Je te paye en t’offrant la douleur.

Sache me dérober dans ta robe profonde,
Meurs si je pèse trop, mais ne me livre pas,
Délicate et farouche, à jamais, crains le monde,
Que tes doigts seuls essuient tes larmes d’ici-bas.


On t’accorde le pain, le vin que tu consommes,
Mais un beau rêve vrai ne peut être ton bien ;
Oh ! le rire cruel et trop joyeux des hommes
Qui vivent de la vie et qui ne savent rien !…

Épuise, obscurément, le haut tourment de l’âme,
Austèrement, poursuis ton but indéfini,
Et reste toujours seule, ardente et douce femme,
Toi qui veux de l’amour pour tout ton infini.

Garde ton cher secret… Souffre… Je t’encourage…
Que ton front ne soit pas, devant l’homme, abattu,
Ne laisse pas tes yeux rêver sur ton visage,
Que l’orgueil soit sur toi comme de la vertu.

Et si c’est trop poignant… ah ! fuis… Je t’accompagne…
Va vers les arbres verts et le bruit des torrents,
Cherche la solitude et l’eau de la montagne
Et la lente douceur des nuages errants.

Pleure tes pleurs chéris dans un désert immense,
Et dans l’air seulement peuplé par le ciel bleu,
Partout où l’Infini fait venir du silence,
Car tu n’as pas besoin de te cacher de Dieu.


Ah ! contrainte, à jamais, obligée et cruelle,
Vie opprimante et triste et qui pèse si fort…
Mais, va, quelque grand soir, j’ouvrirai toute l’aile
Et tu sauras quel geste accueillant a la mort… »