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L’Instant éternel/La plus douloureuse

La bibliothèque libre.
E. Sansot et Cie (p. 213-214).


LA PLUS DOULOUREUSE


« Mon bien-aimé mourut, me dîtes-vous, un soir… »
Petite fiancée à jamais veuve et blanche,
Ce mot fit plus désert encore le dimanche
Comme planait la nuit sur votre balcon noir.

« Il est mort… » dîtes-vous… Votre ombre fut plus vague,
Et l’anneau de la lune, il sembla, s’amincit,
De même que le cercle étroit de votre bague…
« Il est mort… » Et je dis : « Le mien est mort aussi… »

« Il est mort… » dîtes-vous de votre voix lointaine ;
Le tilleul s’agita dans tous ses rameaux verts,
Le cœur de la pitié cria dans la fontaine,
Ce fut sur nous un bleu désespéré des airs…

Petite amie, hélas ! que vous étiez petite,
Et comme vous souffriez !… Vous dîtes : « Je l’aimais… »
Votre peine tombait comme une marguerite
De vos tendres doigts joints… Vous dîtes : « Plus jamais !… »


« Jamais plus !… » dîtes-vous… et vous restiez sans âme,
Vos beaux yeux contemplant l’invisible Sentier…
Mais votre teint, pourtant, reprit un peu de flamme :
« Il m’aimait, dîtes-vous… Il n’est pas mort entier…

« Près de moi je le sens… à peine, s’il est autre,
« Il effleure mon front, il marche dans mes pas…
« Et le vôtre ?… » — « Le mien est plus mort que le vôtre.
« Il rit, il chante, il vit… Mais il ne m’aime pas… » —