La Liberté de conscience (Cinquième édition 1872)/2.IV

La bibliothèque libre.
Hachette et Cie (Cinquième éditionp. 172-183).

CHAPITRE IV.

Analyse de la loi du 12 juillet 1790.


J’ai raconté, en quelque sorte, la naissance de la Constitution civile du clergé, et essayé d’expliquer le phénomène d’une assemblée révolutionnaire et libérale conservant une religion d’État, et n’accordant qu’à grand’peine aux dissidents cette sorte de liberté que comporte un régime de privilège. Je voudrais maintenant, par une analyse plus approfondie de la loi, démontrer qu’elle est oppressive à l’égard des cultes dissidents et du culte catholique lui-même ; qu’elle opprime les cultes dissidents par les privilèges qu’elle assure au clergé catholique, et qu’elle opprime le culte catholique de deux façons, par les droits qu’elle lui ôte, et par les privilèges qu’elle lui accorde.

Il peut paraître étrange d’entendre dire que la Constituante a accordé des privilèges au clergé catholique ; en effet, elle lui en a ôté deux : le droit de se gouverner par ses propres lois, la faculté de posséder ; mais elle lui a accordé des églises, des presbytères, un budget considérable, la qualité, pour ses ministres, de fonctionnaires publics et d’officiers de l’état civil ; c’est-à-dire, si on compare cette situation à celle des églises réformées, de véritables privilèges.

L’Assemblée n’hésita pas à se donner le droit de s’emparer des biens du clergé[1] de lui interdire l’acquisition de propriétés nouvelles, et de charger l’État lui-même de pourvoir aux frais du culte et à la subsistance des prêtres[2]. Ces trois résolutions de la grande assemblée révolutionnaire ont entre elles un lien étroit, sans être absolument dépendantes l’une de l’autre. Elles sont toutes les trois discutables, à des degrés et pour des motifs différents.

Les biens acquis pouvaient être enlevés au clergé, s’ils étaient mal acquis, ou si les conditions de l’acquisition n’étaient pas remplies. Ils pouvaient lui être enlevés moyennant compensation, même s’ils étaient acquis et possédés légitimement, dans le cas où l’existence d’un clergé propriétaire semblerait incompatible avec les intérêts publics. Enfin, après avoir dépouillé le clergé : 1o de ses propriétés ; 2o du droit d’acquérir, on devait se demander si le budget des cultes serait l’indemnité de l’expropriation, ou un salaire, et, dans ce second cas, si ce salaire devrait être payé par les fidèles dans chaque paroisse, ou par l’État.

Je dirai sur-le-champ qu’à mes yeux les biens du clergé étaient, pour la plus grande part, mal acquis ; que les conditions des fondations n’étaient pas observées, ou ne l’étaient que par exception ; qu’un clergé propriétaire dans le sol est un danger pour l’État et pour les familles ; que, par conséquent, le budget des cultes n’était pas une indemnité, mais un salaire ; et qu’enfin, ce n’est pas à l’État, mais aux fidèles, à salarier les ministres du culte et à pourvoir aux frais des cultes.

Au surplus, de quelque façon que ces trois questions soient résolues, elles sont des questions de police, et non des questions de conscience. C’est la loi civile qui règle la propriété, et non la loi religieuse. L’Assemblée constituante, en prenant des résolutions, même sévères, à cet égard, n’attentait pas à la liberté religieuse. Elle y eût attenté seulement si, par ses prohibitions civiles, elle avait rendu le culte impossible.

Elle n’attentait pas non plus à la liberté religieuse quand elle supprimait provisoirement les vœux monastiques[3], ou quand elle faisait fondre et monnayer les cloches[4] ; en effet, le son des cloches est un accessoire du culte, il n’en est pas une partie essentielle ; la suppression des cloches avait pour but l’augmentation du numéraire, et n’était, ni dans l’esprit du législateur ni dans la réalité, une restriction de la liberté religieuse. La suspension des vœux monastiques était, de la part de l’État qui ne peut rien sur le for intérieur, l’accomplissement d’un devoir ; car il devait sa protection aux victimes du fanatisme et de l’avarice : il avait aboli la perpétuité de la puissance paternelle[5], il ne pouvait prêter la main pour en perpétuer les effets. La loi qui défend de prononcer des vœux éternels est tyrannique, parce qu’elle supprime la liberté individuelle ; la loi qui refuse simplement d’en reconnaître les effets est libérale, parce qu’elle permet à chaque citoyen de ne dépendre que de lui-même. Vous avez promis à Dieu de vivre d’une certaine façon, qui n’offense ni les lois ni les mœurs, de renoncer à vos biens, et aux successions qui pourraient vous échoir ? Soit ; vous le pouviez, vous êtes libre. Il ne vous plaît pas de tenir aujourd’hui la résolution que vous avez prise hier ? Cela dépend de vous seul, et ne regarde pas la loi. Vous réclamez une succession à laquelle vous aviez renoncé ? Si vous avez rempli les conditions qui, suivant la loi, rendent votre renonciation définitive, soumettez-vous à la loi et subissez les conséquences de vos actes ; si votre promesse faite à Dieu n’a aucun caractère légal, pourquoi la loi se chargerait-elle de vous obliger à la tenir[6] ?

Mais l’Assemblée constituante ne se maintint pas dans son rôle politique ; elle blessa la liberté religieuse, quand elle décida que les bulles, rescrits et brefs émanés du Saint-Siège apostolique ne seraient reçus en France qu’après avoir obtenu l’approbation du Corps législatif et la sanction royale[7], et quand, se transformant en concile, elle procéda, sans le concours de l’autorité religieuse, à remanier les circonscriptions diocésaines et curiales, à transformer la hiérarchie ecclésiastique et à changer le mode de nomination des pasteurs.

On n’aperçoit pas d’abord la gravité de la première mesure, parce qu’elle ne nous est pas nouvelle. La nécessité d’une approbation pour tous les actes de la cour de Rome fait partie des libertés de l’Église gallicane[8]. L’Église gallicane l’a demandée, l’Église romaine y a consenti. Ce n’en est pas moins une contradiction formelle de tous les principes catholiques, et l’introduction d’un pouvoir purement laïque en matière essentiellement religieuse. En effet, quelle est, dans chaque Église, l’autorité compétente en matière de foi ? C’est l’autorité que cette Église elle-même désigne. Dans l’Église catholique, c’est le pape, ou le concile, ce n’est pas un simple fidèle. À plus forte raison, ce n’est pas, ce ne peut pas être un magistrat ou un corps, institué sans aucune intervention de l’Église, et qui peut être composé d’indifférents, d’incrédules, de schismatiques, d’hérétiques. Cela tombe sous le sens. Charger des hommes qui peuvent être des protestants de régler la foi catholique, c’est, autant que les hommes peuvent le faire, supprimer la foi catholique. Les en charger directement, ou les charger seulement d’accepter ou de refuser les décisions de l’autorité spirituelle compétente, n’est-ce pas la même chose au fond, sous une forme différente ? L’acceptation par la cour de Rome du droit conféré à nos parlements et à nos rois d’admettre ou de rejeter tous ses actes, même spirituels, est assurément un des faits les plus étranges et les plus inconcevables de l’histoire du catholicisme. Au moins, du temps de nos anciens rois, la cour de Rome acceptait le contrôle d’un pouvoir essentiellement catholique ; et comme elle restait de son côté maîtresse d’accorder ou de refuser la consécration des évêques, elle pensait avec raison qu’elle avait des armes pour se défendre, et des armes qui, à la longue, devaient lui assurer le dernier mot. Mais tout était changé sous la Constituante. Il ne s’agissait plus d’un parlement catholique, contenant même des clercs dans son sein, ni d’un roi fils aîné de l’Église. Le roi n’était plus qu’un pouvoir subordonné, une sorte de garde des sceaux couronné de l’Assemblée constituante. L’Assemblée, qui siégeait par la seule volonté du peuple, pouvait si bien n’être pas catholique, qu’il fut très-évident, avant la fin de sa législature, qu’elle ne l’était pas. Elle fut présidée par un pasteur protestant. En un mot, elle ne dépendait plus en rien de la cour de Rome, qui aurait perdu plus que l’Assemblée et la France à mettre la France en interdit. Ce droit d’accepter ou de refuser tout ce qui venait de Rome, inconciliable en tout temps avec la liberté de conscience, en était devenu la négation la plus complète et la plus formelle.

Pourquoi l’Assemblée l’avait-elle conservé ? Le pape était son ennemi, elle le sentait, elle le savait ; ennemi de ses principes religieux et de ses principes politiques. Ce droit ne donnait pas à une assemblée purement politique, dans un peuple sans religion d’État, une autorité spirituelle. Voulait-on, par ce retour aux anciennes formes de l’Église gallicane, empêcher le pape de modifier la foi ? Qu’importait à l’Assemblée constituante ? Où étaient son droit, sa compétence ? Cela est absurde. Voulait-on empêcher une propagande politique sous couleur de religion ? On avait les lois ordinaires. On pouvait déférer aux tribunaux un écrit séditieux, quoique promulgué sous l’anneau du pécheur. De quelque côté qu’on le regarde, le décret de l’Assemblée était odieux et inutile.

La loi du 12 juillet était une atteinte bien plus directe et sinon plus profonde, au moins plus manifeste, à la liberté religieuse des catholiques. Elle comprenait quatre titres. Le premier réglait le nombre, la circonscription et le mode d’administration des évêchés et des paroisses. La France, avant la Révolution, avait dix-huit archevêques et cent vingt et un évêques ; ces cent trente-neuf diocèses étaient singulièrement inégaux en étendue, en population et en revenus. Le diocèse de Bethléem, entre autres, n’était qu’une des paroisses de la petite ville de Clamecy. Les paroisses, comme les diocèses, étaient situées et divisées capricieusement. La loi, conformant la division ecclésiastique à la division administrative qui venait d’être établie, réduisit le nombre des évêques à quatre-vingt-trois, fixa leur résidence au chef-lieu du département, et donna les limites mêmes du département pour limites à la juridiction épiscopale. Une réforme analogue fut accomplie pour les paroisses. C’était à coup sûr une mesure excellente, si elle avait été prise avec le concours du Saint-Siège ; mais qu’une assemblée laïque, qui pouvait être non catholique, fixât ainsi le partage du troupeau entre les pasteurs, cela paraissait au plus grand nombre des fidèles une véritable usurpation. Les évêques ne sont point des administrateurs ; ce sont des pasteurs ayant charge d’âmes. Ils n’exercent pas leur ministère en vertu d’une commission, mais en vertu d’une consécration. Ils sont, dans la doctrine mystique de l’Église, les époux de leurs diocèses, et les pères de leurs ouailles. Comment pouvaient-ils, par une loi de l’État, se considérer, ici comme déchargés, là comme investis de l’autorité épiscopale ?

L’article 5 du titre premier était ainsi conçu : « Il est défendu à toute église ou paroisse de l’Empire français et à tout citoyen français de reconnaître, en aucun cas et sous quelque prétexte que ce soit, l’autorité des évêques ou métropolitains dont le siège serait établi sous la domination d’une puissance étrangère, ni celle de ses délégués résidant en France ou ailleurs. » Cette réforme, comme les précédentes, était fort raisonnable en elle-même. Plusieurs diocèses étaient français dans une partie seulement de leur territoire, hollandais ou allemands pour le reste. Par exemple, l’archevêché de Cambrai comprenait une partie française et une partie allemande ; et l’archevêque, quoiqu’il fût nommé par le roi, ne faisait pas partie du clergé de France[9]. Il en résultait de nombreux abus qu’il était bon de prévenir. Cet article, qui a pour effet de rendre l’Église plus essentiellement nationale, parut, non sans raison, menaçant pour la juridiction de l’évêque de Rome.

Enfin l’article 15 restreignait l’étendue de la puissance épiscopale, en obligeant l’évêque de se soumettre à l’avis de son conseil, dont il n’était plus que le président. Ainsi les évêques, qui prétendaient tenir leur institution du pape et leur pouvoir de Dieu même, se trouvaient subordonnés à un conseil de vicaires et de directeurs d’écoles ecclésiastiques. Toutes ces modifications, qui eussent paru si simples et si justes en toute autre matière, altéraient le sens mystique de la hiérarchie, et étaient à l’Église le caractère d’institution divine sans lequel elle n’est plus rien.

Le titre II rendait électives toute les fonctions épiscopales et curiales. Ici encore, il y avait à la fois application d’un principe juste, et abus de pouvoir manifeste. L’élection des évêques et des curés n’était pas une innovation ; c’était au contraire un retour aux anciens usages de l’Église. On eût compris à la rigueur que le pape, se considérant comme l’unique pontife, eût transmis l’exercice local du pontificat à des pasteurs choisis par lui sous l’inspiration du Saint-Esprit : une telle doctrine, contraire à la tradition et féconde en abus, eût été du moins conforme au système du catholicisme ; mais que les princes dans leurs États fussent investis du droit de choisir les évêques, sous la seule condition de l’institution papale, c’était une organisation contraire à toute doctrine qui, dans la réalité, rendait un prince laïque dispensateur de l’autorité spirituelle. On ne peut nier que des rois nommant des évêques ne fussent un précédent tout fait pour l’Assemblée constituante ; elle aurait pu, sur ce précédent, nommer elle-même les évêques : elle faisait mieux, elle revenait à la tradition et aux principes en les rendant électifs. Mais l’absurdité de la constitution civile du clergé, quoique inférieure à l’absurdité des concordats, n’en était pas moins une absurdité.

Il faut dire aussi que le principe de l’élection était singulièrement appliqué. Par qui étaient nommés les évêques ? Parle conseil épiscopal ? Non. Par les évêques de France ? Non. Par le clergé, par les fidèles du diocèse ? Non : par les électeurs du département. Entendez bien que la carte d’électeur donnait droit également à nommer le représentant du peuple et l’évêque. Et pour obtenir cette carte et en user dans les élections religieuses, il n’était pas nécessaire d’être catholique. Les protestants étaient électeurs depuis le 24 décembre 1789, et les juifs le devinrent le 28.

Au reste, l’Assemblée était conséquente en cela. Elle faisait des lois d’organisation intérieure et de juridiction spirituelle pour l’Église catholique, sans être catholique ; elle pouvait donc, de la même façon, permettre à des protestants, à des juifs, de concourir à la nomination des pasteurs catholiques. Ces deux énormités tenaient à la même erreur. Seulement, après s’être ainsi transformée en concile de sa propre autorité, comment l’Assemblée pouvait-elle voir dans une religion autre chose qu’un rouage politique ? Et si la religion, au lieu d’être une institution divine, n’était plus qu’un moyen de police, comment l’Assemblée admettait-elle la pluralité des cultes ? Où prenait-elle le principe de la liberté de conscience ? Si l’Assemblée admettait qu’une religion pût être vraie, elle se rendait sacrilège en se substituant, sans mission et sans compétence, à l’autorité religieuse ; si elle était indifférente, comment, ne croyant à rien, et réglant un culte, apparemment pour empêcher des troubles dans l’État sous prétexte de religion, en laissait-elle subsister la cause la plus grave, et la seule grave peut-être dans un État où le pouvoir est bien organisé, à savoir la pluralité des cultes ? Cet acte de l’Assemblée constituante qui fut préconisé, et qui l’est encore par certains esprits, est un acte sans foi, sans doctrine, même politique, et sans habileté.

Je n’insiste pas sur le titre III qui fixe les salaires, parce que c’est le droit de l’autorité civile, dès que l’Église lui demande des salaires, et qu’elle consent à lui en donner, d’en faire elle-même la distribution. Le titre IV rendait la résidence obligatoire, et, disposition assez conforme au reste de la loi, mettait les fonctionnaires ecclésiastiques sous la dépendance et l’autorité des municipalités.

Voilà la constitution civile du clergé, à la confection de laquelle concoururent de grands esprits, dont plusieurs étaient bons théologiens ; mais ces derniers avaient été accoutumés par l’usage de ces deux compromis célèbres, les concordats et les libertés de l’Église gallicane, à ne plus discerner clairement les droits de l’État et ceux de la conscience. Leur plus grande contradiction consista à faire une constitution civile du clergé après avoir proclamé la liberté des cultes ; car la liberté des cultes est la séparation du spirituel et du temporel, ou elle n’est rien, La discussion dura du 29 mai au 12 juillet ; c’était, pour un concile, aller vite en besogne. L’Assemblée, prenant au sérieux jusqu’au bout son rôle théologique, ordonna que tous les ecclésiastiques prêteraient serment à la Constitution, et que les insermentés seraient immédiament remplacés dans leurs emplois[10]. En même temps, elle décréta qu’il leur serait alloué une indemnité[11]. Le décret du 2 novembre 1789, qui avait supprimé les biens du clergé, celui du 28 octobre qui avait suspendu les vœux monastiques, avaient été le signal d’une vive agitation, qui ne fit que s’accroître après la promulation de la Constitution civile, et à laquelle la loi du 29 novembre (celle qui prescrivait le serment) mit le comble. La plupart des évêques publièrent des mandements où ils annonçaient leur résistance et s’en faisaient gloire. Plusieurs ne se contentèrent pas d’attaquer la Constitution civile, et lancèrent l’anathème sur la Révolution et sur l’Assemblée. Il y eut, dans le Midi, de véritables émeutes. Quand les membres du clergé qui faisaient partie de l’Assemblée furent sommés de monter à la tribune pour prêter individuellement le serment, toutes les séances furent pleines d’orages. Le public, gonflé de haine contre les prêtres, et ne voyant dans cette résistance que le regret des richesses perdues, éclatait en provocations et en menaces.

Le roi se fit arracher sa sanction. Il la donna pourtant. Il sentait qu’une plus longue résistance perdrait la cause du catholicisme, et peut-être la royauté ; il fit inutilement supplier le pape, qui se montra inflexible. À peine la sanction fut-elle donnée que le pape reprocha à Louis XVI d’avoir violé son serment et renié sa foi. Des encouragements à la résistance ne cessèrent de venir de Rome. Le pape n’attaquait pas seulement le décret relatif à la religion catholique. Dans une bulle du 10 mars 1790, il condamnait en termes indignés « cette liberté de penser, de dire, d’écrire, et même de faire imprimer impunément, en matière de religion, tout ce que peut suggérer l’imagination la plus déréglée : droit monstrueux, qui paraît cependant à l’Assemblée résulter de l’égalité et de la liberté naturelles à tous les hommes. » Enfin, dans un bref du 13 avril 1791, il condamna définitivement, comme contraire à l’orthodoxie, la Constitution civile du clergé. Dès ce moment, il y eut trois partis en France, en matière de religion : ceux qui ne voulaient plus de religion, ceux qui obéissaient à la loi de l’État en acceptant la Constitution civile du clergé, et ceux qui obéissaient au pape en la rejetant. Ces deux derniers partis, l’un schismatique, l’autre rebelle, se prétendaient l’un et l’autre catholiques. Ils étaient l’un et l’autre partisans du lien indissoluble entre la religion et l’État, les premiers en subordonnant la religion, les autres en subordonnant l’État. Ils pouvaient, de part et d’autre, tolérer des cultes dissidents, mais puisqu’ils demandaient une Église officielle, ils étaient ennemis de la liberté. La liberté de conscience n’avait donc pas de partisans dans cette Assemblée vraiment libérale, et qui mettait la liberté de conscience au nombre des premiers principes du droit public.

Parmi les évêques, quatre seulement acceptèrent la Constitution et conservèrent leurs sièges[12]. L’un d’eux, qui était cardinal, offrit sa démission de cardinal au pape, qui l’accepta. Les autres évêques émigrèrent pour la plupart. Ceux qui restèrent ne tardèrent pas à être persécutés. On peut dire que l’Assemblée constituante et surtout les assemblées qui suivirent, persécutèrent les insermentés par les voies ordinaires de la persécution, la confiscation, l’exil, la prison et la mort, et qu’elles persécutèrent l’Église constitutionnelle en la protégeant, jusqu’au moment où la haine du prêtre prit le dessus, et fit la guerre au principe même de la religion. Ce moment, comme on sait, ne dura que quelques jours.



  1. 2 novembre 1789. — 9 avril 1790.
  2. M. le président Bonjean (Discours prononcé au Sénat le 15 mars 1865) évalue les biens du clergé français avant la Révolution à 119 593 596 livres, soit le dixième du revenu total de la France, sans compter cent millions de dîmes.
  3. 28 octobre 1789.
  4. 1er mai 1791.
  5. 9 juin 1791.
  6. Ce fut seulement la Convention qui admit les ci-devant religieux au partage des successions. Décret du 28 vendémiaire an II (9 oct. 1793).
  7. 12 juillet 1790.
  8. Libertés de l’Église gallicane, par Pasquier, art. 43 et 44.
  9. Mémoires de Barbier, juin 1735.
  10. 27 novembre 1790.
  11. Cette indemnité fut très-généreusement fixée pour les évêques à 12 000 fr. pour le minimum, 30 000 fr. pour le maximum, et 75 000 pour l’archevêque de Paris. (Cf. le décret du 8 février 1791.)
     Voyez sur la Constitution civile du clergé, M. Edm. de Pressensé, l’Église et la Révolution française, in-8o, Paris, Meyrueis, 1864, ch. III ; spécialement, p. 4 22 sqq.
  12. Loménie de Brienne, cardinal, ancien ministre, archevêque de Sens, Talleyrand Périgord, évêque d’Autun, de Jarente, évêque d’Orléans, de Savines, évêque de Viviers.