Aller au contenu

La Peinture en Belgique/Le Maître de la Légende de sainte Lucie

La bibliothèque libre.
G. van Oest (volume 1 : les créateurs de l’art flamand et les maîtres du XVe siècle ; Écoles de Bruges, Gand, Bruxelles, Tournai.p. 109-112).

xin

Le Maître de la Légende de sainte Lucie

L'église de Saint-Jacques à Bruges possède un tableau en longueur représen- tant les scènes du martyre de sainte Lucie (Fig. LXXIV). L'œuvre se divise en trois parties ; à droite, la sainte parlant avec sa mère et faisant entrer chez elle un groupe de pauvres ; au centre, sainte Lucie comparaissant devant le consul Paschasius ; à gauche la sainte traînée par les boeufs. Au-dessus de la partie centrale on lit « Dit • was • ghedaen • int • jaer • M • CCCC • ende • LXXX • » « Ceci fui exécuté en l'année 1480. " — Dans le fond de la scène de gauche, on aperçoit Bruges, dominée par les Jours de Saint-Sauveur et de Notre-Dame (i). Le tableau, malheureusement fendu dans le sens horizontal, se rattache à la fois à l'atelier de Bouts et à celui de van der Goes. Les gueux qui viennent demander l'aumône ont cette réalité populaire introduite dans l'art par les bergers du Retable de Portinari. La scène de la comparution fait penser plutôt à Bouts. Mais le coloris, harmonisé par des teintes assez sombres, la dureté des types masculins, l'insuffisante intelligence des formes corporelles contrastant avec l'exécution précise des plantes, des étoffes et des archi- tectures, constituent les caractères déterminés d'un maître de second ordre appartenant au dernier quart du XV" siècle. Enfin il faut noter particulièrement la présence des tours de Bruges '

On voit de même apparaître deux tours brugeoises dans un tableau du Musée

(M Cf. la description que Jdintx Weal« donne de celte txuvrc dans ton GuiJt d« Rmfcf, pp. 146 et 147. 110

ci w que de Pise que j'ai signalé depuis langfampt et que ?1. Jacobsen a dâ reg^trétr assez superpcidlemciit pour y voir des réminiscences du paeudo-Blcs (t). C'est m retable en forac de triptyque dédié à sainte Catherine; noos en r cp rod n i- soas la partie centrale (F^. LXXV). Le pannea u de droite r eprésen te le Mariage de la saiute; celui de poche la Sainte parmii les dodemrs. An centre sainte Cathe- rine debout tient d'une nain son missel, de l'autre l'épée, et foule aux pieds le tyran armé d'un sceptre ou d'une masse. Ces trois conqmrtiments. de grande dii

sont surmontés de ty mpans qui montent : celui du centre Jésus bémissaut la sainte; cdai de puche : l'Auge de rAumomcialiom ; celui de droite : la Vierge. Au bas du t rip tyq u e est une ptéddk avec sept scènes de la vie de sainte Catherine. Le panneau central est une peinture remarquable ; le tyran, sons les pieds de la sainte, fait penser à certains types de la Légende de sainte Lude ; les brocarts de sainte Cathe- rine rappellent par l'ejcécutîon ceux du consul Paschasius: les fleurettes et les archi- tectures du tableau de Pise sont d'une exécution minoticnse comme celles du tableau de Saint-Jacques; enfin les vigoureuses oppositions de coloris et la reproduction de deux tours de Bruges — cette fois c'est le clocher de Notre-Dame et le Beffroi qui ont tenté l'artiste. — comfriétent la plausibilité d'une assimilation des deux rdaUes (z). Indépendamment de son mérite artistique, le tableau de Pise constitue un document préôenx sur l'architeânre du XV' siècle à Brag^, et nous ap pr en d quelle était, à cette époque, la physionomie du Beffroi. Noos voyons qu'au-dessus de la petite galerie ajourée, flanquée de quatre tourelles en poivrière, s'élève une partie, hexi^onate percée de f enê t r e s cintrées et conromécs par un toit aigu. On distii^;ue dans la ville de nombreux |Mgnons i redent, des tourelles po in t u e s et légères, de formes variées. Dans le fond s'étend une campagne riante, coupée de bosquets, mame- lonnée de légères collines, dont l'une e<t garnie d'un chlteau et d'une église.

Avant qu'on eût remarqué ks tours bn^coises dans k tableau de Pise, la critique avait rattaché cette oeuvre i un gr oupe de peintures attribuées à un artiste tipagno l assez m y s t é r i eux, Bariholomé Vermeio. Né à Cordooe, ce peintre apparait en 1494 comme LES PRIMITIFS FLAMANDS I t 1

dessinateur à la cathédrale de Barcelone. Dans la maison du Chapitre il existe une Pictà peinte par lui en 1490; dans une autre église, près de Barcelone, est une Véronique de sa main et on lui donne aussi un Saint Michel de la collection de sir Julius Wernher et une Sainte Engracia de la collection de M" Gardiner, à Boston. Sous la Pielà de Barcelone, on lit ' Opus Bartholomei Vermeio Barcinonensis

archidiaconi absolutum XXIJl aprilis anno salutis chrislianae M. CCCC LXXXX. ' ; et sous le Saint Michel on découvre une signature qui a longtemps intrigué - " Bar~ tholomeus rubeus » et qui est évidemment la forme latinisée de Vermeyo ou Bermeyo (rouge) (1).

Nous pensons que le tableau de Pise, comme celui de Saint-Jacques, à Bruges, n'est point une création du peintre catalan, bien que la sainte Catherine évoque Bartho- lomé par la facture. Il ne serait évidemment pas impossible que Vermejo fût venu étudier à Bruges et qu'il eût fixé dans l'un de ses tableaux le souvenir de ce séjour dans la grande cité flamande (2). Mais nous pensons que c'est en Belgique même qu'il faut chercher d'autres œuvres du peintre de Sainte-Lucie et de Sainte~Catherine. Nous croyons pouvoir en signaler une dans la chapelle du Saint-Sang. Il s'agit d'un pan- neau représentant deuN scènes d'une légende inconnue (Fig. LXXVI). Empruntons i M. Weale la description qu'il en donne dans son Guide de Bruges (p. 167) : « A l'intérieur d'une ville fortifiée, on voit, 3 gauche, un souverain entouré de quatre per- sonnages qui semblent appartenir à la cour ; il reçoit une lettre que lui présente un homme richement vêtu, mettant un genou à terre. A droite, à l'entrée d'un édicule qui paraît être un oratoire, on voit une princesse suivie de trois dames d'honneur, dont l'une porte un coffret précieux; elle est sur le point de franchir le seuil du portail de l'édicule, mais se retourne pour répondre à un personnage barbu qui est le même que celui qui reçoit la lettre dans la scène précédente. " Les jeunes femmes font immédiatement penser à la sainte Catherine de Pise et les figures d'hommes laissent apparaître l'influence de Bouts dans la mesure où elle pénètre l'auteur de la Légende de sainte Lucie. Au Musée de Bruges est un panneau représentant des scènes de la Vie de saint Georges qui a de nombreux points de ressemblance avec les tableaux du Saint-Sang et de Saint-Jacques. Un triptyque du Musée de Gand retraçant la Légende de sainte Anne {n° Sz) semble sortir du même atelier; mais

(1^ Pour 1.1 que^lio^ B.ir!, Vtrnwyo c(. : Clauui! Puium, Da/Jy Ttlrgrapb, ij décembre I9«4 ; Hathos» Cuau.». Veu de Cjfulunyï', aoûl i<)o5; HEitii«>T CocK, IdtiUfUaUen c{ an «orly tpaniicb Matltr, Batilngtom MofOXiiM, mtvtm- bre 1905; Walth» DowDiis>f ill, .In^lbtr palnttng iy Bartbolomi Vermcyo, Burllnglcn Hofaitnt. i9»6; Fi<ux>-C«vacvt, Va Sainte Cjlberlne Je Pise. Cbronique des urlt, i3 janvier 1906; F. or MriY, Baribolomeui Kiifrnu «J SaHbclamt* Vermty». X««r de V.irt anaien et nioderne, avril 1907.

(1) C(. l'excellent article de T. de Mély lile plut hiut. ttZ LES PRIMITIFS FLAMANDS

depuis il a malheureusement séjourné dans l'atelier d'un restaurateur impudent...

On signale encore du même maître des scènes de la Vie de sainte Dymphne (à Tongerloo), qui, pour certains, sont supérieures comme exécution aux scènes de la Vie de sainte Lucie. M. Ch.-L. Cardon possède un diptyque avec revers qui appar- tient également au même groupe (Fig. LXXVIl). Les caractères des œuvres de Bouts et de van der Goes s'y combinent. La Légende de l'Empereur Othon revient immé- diatement à la mémoire en présence de ce diptyque, comme aussi l'épisode de la comparution dans la Légende de sainte Lucie.

Pour nous résumer, nous pensons que le maître de la Légende de sainte Lucie a débuté à Bruges vers 1475 et que le panneau du Saint-Sang pourrait être de cette époque. Le tableau de Saint-Jacques peint en 1480 marque un grand progrès, et le tableau de Pise, en sa partie achevée, est une œuvre magistrale. Si ces rapproche- ments ne sont point arbitraires, il est à remarquer que cet artiste manifeste une pré- dilection pour les scènes de l'hagiographie féminine. Le nom de Goswijn van der Weyden a été avancé pour les scènes de la Vie de sainte Dymphne. L'avenir nous dira si le Maître de la Légende de sainte Lucie doit être identifié avec le petit-fils de l'illustre pourtraiteur de Bruxelles.