La Question morale est-elle une question sociale ?

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La Question morale est-elle une question sociale ?
Revue des Deux Mondes4e période, tome 160 (p. 481-512).
LA QUESTION MORALE
EST-ELLE UNE QUESTION SOCIALE ?

A ceux qui soutiennent, comme M. Ziegler, que la question sociale est une question morale[1], beaucoup de réformateurs répondent : « C’est au contraire la question morale qui est une question sociale. » Les socialistes de l’école matérialiste, renchérissant sur les autres, suppriment entièrement la question morale pour la remplacer par la question sociale, qu’ils réduisent elle-même à la question économique ou, plus précisément, à « une question d’alimentation[2]. » Il importe d’examiner un système sur lequel s’appuient tant de novateurs contemporains. Comment le moraliste pourrait-il se dispenser d’apprécier les moyens par lesquels le marxisme espère rendre la morale elle-même inutile ? Demandons-nous donc s’il n’y a aucune utopie à compter sur le mécanisme social pour produire comme du dehors la moralité, ou même pour la remplacer au cœur des hommes. Élargissant ensuite la question, nous rechercherons la valeur morale de ce système, aujourd’hui trop à la mode, que Marx a proposé sous le nom de « matérialisme économique et historique. »


I

Hegel avait déjà représenté le « système des besoins » comme la base de la société civile. Ce système constitue « l’infrastructure économique » dont parle Marx. Mais Hegel ne voyait là que le premier « moment » d’une dialectique qui doit s’élever peu à peu des fatalités naturelles à la libre vie de l’esprit. Pour le matérialisme de Marx, au contraire, toutes les idées, même morales, sont les masques que prennent les besoins et intérêts. Engels, dans son écrit sur Feuerbach, réduit l’éthique socialiste à la lutte des classes : l’amour du prochain est pour lui une « vieillerie. » Lutte et révolution, voilà la seule méthode raisonnable. « De la révolution, non de la morale, viendra l’égalité. » En appeler à la morale et au droit, « ne nous fait pas avancer scientifiquement d’une seule ligne. » La « science » économique ne peut voir dans l’agitation morale, même si elle est légitime, « aucune raison démonstrative, mais seulement un symptôme. » Et Calwer ajoute : « Ces paroles d’Engels devraient être affichées dans le bureau de rédaction de toute feuille du parti. » La question économique supprimera d’abord la question juridique et rendra les lois inutiles. Selon M. Van Kol, un jour viendra où la société pourra se passer de système juridique, où le communisme devenu anarchique réalisera sur terre la plus complète liberté. L’administration sera confiée aux meilleurs, les chefs représenteront la volonté collective, et tous les citoyens n’auront d’autre but que le bien commun. M. Vandervelde aspire, lui aussi, « à la communauté anarchiste, débordante de fraternité et de richesse, où chacun, faisant ce qu’il voudrait, comme dans l’abbaye de Thélème, donnerait selon ses forces et prendrait selon ses besoins[3]. »

Avec le droit disparaîtra la religion. Un temps viendra, selon Marx, où, la science étant souveraine, le sentiment religieux sera devenu inutile. Le « reflet religieux du monde réel » s’évanouira alors ; mais il ne pourra se dissiper que « lorsque les conditions du travail et de la vie pratique présenteront à l’homme des rapports transparens et rationnels avec ses semblables et avec la nature. » La vie sociale « ne sera dégagée du voile mystique qui en dérobe l’aspect que le jour où s’y manifestera l’œuvre d’hommes librement associés, agissant consciemment et maîtres de leur propre mouvement social. » Pour Engels, la religion n’est qu’une expression poétique des rapports physiques et sociaux ; elle forme « un système préscientifique » qui n’aura plus de raison d’être le jour où la science sera pleinement constituée.

Enfin la morale elle-même, qui est la dernière des religions, deviendra superflue. Selon M. Lafargue, ce qu’on appelle la morale, ainsi que tous les autres phénomènes de l’activité humaine, tombe sous cette loi du matérialisme économique formulée par Marx : « Le mode de production de la vie matérielle domine, en général, le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle. » Il y a bien quelques sentimens dits moraux, comme l’amour maternel, qui ont moins une origine économique que purement physiologique. Avec M. Giard, M. Lafargue pense « qu’une des premières causes de l’instinct maternel chez les mammifères est le besoin organique de se débarrasser du lait qui tuméfie et endolorit les mamelles. » Quoi de plus simple ? Quant aux origines humaines de l’idée de justice, elles sont la passion de la vengeance et le sentiment de l’égalité ; les origines sociales de cette même notion se ramènent à la propriété privée. Ce sont d’ailleurs les besoins économiques qui font naître toutes les idées abstraites, y compris celles de la morale. « Le troupeau fortifia l’idée de nombre et développa la numération ; le partage des terres engendra l’idée de mesure, et le vase, celle de capacité… Les hiéroglyphes égyptiens prennent pour symbole de la justice et de la vérité la coudée, c’est-à-dire l’unité de mesure : ce que les coudées avaient mesuré était juste et vrai. » Voilà l’origine du juste, et en voici le développement : « L’idée de justice, qui, à l’origine, n’est qu’une manifestation de l’esprit égalitaire, va, sous l’action de la propriété qu’elle contribue à constituer, consacrer les inégalités que la propriété engendre parmi les hommes… Ainsi la justice, semblable à ces insectes qui, aussitôt nés, dévorent leur mère, détruit l’esprit égalitaire qui l’a engendrée et consacre l’asservissement de l’homme. » Mais la révolution communiste, en supprimant la propriété privée et en donnant « à tous les mêmes choses, » affranchira l’homme et fera revivre l’esprit égalitaire ; « alors les idées de justice qui hantent les têtes humaines depuis la constitution de la propriété privée s’évanouiront, comme le plus affreux cauchemar qui ait jamais torturé la triste humanité civilisée[4]. »

Selon M. Deville, « les conceptions de justice, de liberté, d’utilité, obéissent aux faits et ne leur commandent pas[5]. » L’intérêt, selon lui comme selon Marx, « est le point de départ réel de tous les actes de l’homme, « il « régit tous les rapports de l’individu avec le milieu ambiant[6]. » La seule transformation à poursuivre, d’après le même auteur, est celle du « mode de propriété. » Il raille donc à son tour « la morale, le progrès et autres grands principes mirobolans[7]. » De même, selon un des principaux épigones du système, le gendre même de Marx, le collectivisme « ne repose sur aucun concept a priori de justice, de liberté, d’égalité ou de fraternité, ces concepts rentrant pour nous dans cette métaphysique dont Voltaire a pu dire, etc. » Le collectivisme ne se réclame pas davantage « des sentimens généreux ou des aspirations vers le bien-être, qui sont de tous les temps sans avoir jamais abouti[8]. » Ce ne sont pas les désirs de l’homme qui mènent le monde, « mais c’est le monde qui, par ses transformations successives, nécessaires, crée nos sentimens, nos désirs, et ce qu’on appelle encore notre idéal. »

Comme il faut cependant, dans la société nouvelle, concilier les intérêts de l’individu et ceux de la collectivité, la dernière ressource du communisme est de soutenir que l’économie capitaliste est la seule cause de l’actuelle contradiction entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif ou le bien universel. D’après Calwer[9], la conciliation des intérêts de l’individu et de la collectivité se fera d’elle-même, par le jeu mécanique de l’évolution et en dehors de toute considération morale. Elle n’est pas un « desideratum éthique ; » elle est le « fruit nécessaire du processus social. » Les « desiderata éthiques » ne sont d’ailleurs que « l’épiphénomène » et le « symbole subjectif » du jeu profond des forces sociales, qui seul est objectif. » Ce qui paraît aux uns moral paraîtra aux autres profondément immoral, vu du point de vue d’un autre milieu social. » Il n’y a qu’une « morale de classes, » et les idées morales ne sont que « les échos des intérêts en conflit. » La question sociale n’est donc à aucun degré une question morale.

Écoutons à son tour le professeur de Padoue, M. Loria. Aujourd’hui, dit-il, pour préserver la société capitaliste d’une dissolution qui, autrement, serait inévitable, on oblige les individus à agir « contre leur propre intérêt, » et l’on parvient à ce but au moyen de la « coercition morale, » qui, en infligeant un dommage aux actions conformes à l’intérêt de l’argent, mais opposées à l’intérêt social, empêche la grande majorité des individus de les accomplir. La coercition morale revêt d’ailleurs des formes différentes avec les phases successives de la société capitaliste. A l’époque de l’esclavage, elle se manifeste surtout par « la terreur ; » dans l’âge du servage, elle s’exprime par la « religion ; » dans l’époque du salariat, où nous avons le malheur de vivre encore, elle s’effectue surtout par l’instrument de « l’opinion publique[10]. » Mais un jour, lorsque le salariat aura fait place à une constitution économique supérieure, « associationniste et égalitaire, » aucune forme de coercition morale ne sera désormais nécessaire, « car, dans ces conditions, où l’intérêt de l’individu coïncidera tout à fait avec l’intérêt collectif, le libre développement de l’égoïsme individuel impliquera par lui-même l’accomplissement des actions les plus conformes à l’avantage de la société. L’antithèse entre l’intérêt individuel et l’intérêt social n’est donc qu’un fait historique, particulier aux sociétés capitalistes[11]. » La religion est un « colossal guet-apens tendu aux hommes pour les induire à l’accomplissement des actions opposées à leur véritable intérêt[12]. » La coercition morale de l’opinion publique n’est elle-même qu’un succédané de la religion, une illusion commune, qui sert à exercer une pression sur les consciences individuelles en vue de leur faire sacrifier leur égoïsme au bien commun. Dans l’Eden socialiste, au contraire, chaque individu n’aura qu’à suivre son intérêt pour réaliser l’intérêt d’autrui. Ainsi, pour M. Loria comme pour tous les marxistes, le droit, la morale et la religion ne sont que des « institutions connectives, » destinées à assurer aujourd’hui le triomphe du capitalisme sur le prolétariat dupé.

Telles sont les théories du collectivisme matérialiste, qui, comme on le voit, supprime purement et simplement la question morale avec la morale même.

Dans ces diverses théories, dont l’inspiration est commune, le collectivisme nous semble révéler nombre de défauts et d’inconséquences. En premier lieu, c’est un mélange contradictoire d’absolu pessimisme à l’égard de la société actuelle et d’absolu optimisme à l’égard de la société future ; je dis contradictoire, car, si la société actuelle est tellement mauvaise, comment espérer qu’elle va produire une société si parfaite ? Cette antithèse en accompagne une autre, qui est la plus familière de toutes aux socialistes : le contraste aigu des deux classes capitaliste et prolétaire. Du côté du capitalisme, tous les vices et tous les maux ; du côté du prolétariat, toutes les vertus et tous les biens. Il n’y aura donc qu’à transformer la société capitaliste en société populaire pour changer du même coup la face du monde. C’est le dogme de l’infaillibilité du Peuple. Et ainsi nous arrivons à une troisième illusion, non moins « simpliste » que les précédentes : il suffira de changer les institutions pour métamorphoser les hommes. Comme si les institutions étaient indépendantes des hommes et pouvaient valoir ce que ne valent pas les hommes ! comme s’il n’y avait pas action réciproque entre l’extérieur et l’intérieur, entre le social et le moral ! Le collectivisme, on le voit, a conservé la méthode « catastrophique, » chère à tous les prophètes qui prédisent la fin d’un monde et le passage soudain à un autre.

Selon nous, il est difficile de concevoir une plus prodigieuse méconnaissance de la nature humaine ; les espérances ultra-terrestres n’ont rien de plus mystique que cette espérance terrestre du socialisme prétendu scientifique, que cette foi en une société où il suffira d’abolir la propriété individuelle pour rendre tout le monde parfait et heureux. Nous ne pensons pas qu’aucune communauté de moines ait jamais fait songe plus surhumain ; et c’est une preuve de ce qui a été plus d’une fois soutenu : le collectivisme, si dédaigneux des religions et des « reflets surnaturels, » est lui-même une nouvelle religion, qui exige une crédulité aussi forte que ses devancières. Le dogme fondamental, c’est qu’il suffira à l’égoïste d’être transporté dans une société communiste pour que son vice devienne une vertu et son intérêt du désintéressement !

Une des principales formes de l’égoïsme est la paresse ; par quel miracle, fût-ce dans une communauté collectiviste, la paresse se trouvera-t-elle en harmonie avec l’intérêt commun ? Si le laboureur dort au lieu de travailler la terre, comment la terre produira-t-elle ses fruits ? Et que deviendront certains services industriels particulièrement pénibles ou repoussans[13] ? Les anciens communistes nous avaient représenté la coercition pénale, exercée par la collectivité, comme capable d’assurer le travail de tous les membres ; tout au moins, à défaut du fouet, de la prison ou de la privation de nourriture, ils nous représentaient l’opinion publique comme contraignant chacun à travailler par honneur. Et maintenant l’opinion publique elle-même, avec son souci arriéré de moralité, n’est plus nécessaire ! Il suffit à chacun de suivre sa pente et de pratiquer la paresse pour que la besogne collective se trouve faite.

M. Lafargue, en effet, dans son opuscule sur le Droit à la paresse, réfutation du droit au travail de 1848[14], prend pour devise ce mot, qu’il attribue à Lessing : « Paressons en toutes choses, hormis en aimant et en buvant, hormis en paressant ; » et il déclare qu’une « étrange folie « possède les classes ouvrières : « cette folie est l’amour du travail. » Dans notre société capitaliste, le travail est « la cause de toute dégénérescence intellectuelle, de toute déformation organique. » Comparez « le pur sang des écuries » à la « lourde brute des fermes normandes, qui laboure la terre ! » Quand on veut retrouver une trace de la beauté native de l’homme, « il faut l’aller chercher chez les nations où les préjugés économiques n’ont pas encore déraciné la haine du travail ; » et M. Lafargue nous donne pour modèle l’Espagne. Le prolétariat, « trahissant ses instincts, méconnaissant sa mission historique, » s’est laissé pervertir « par le dogme du travail. » Rude et terrible a été son châtiment. « Toutes les misères individuelles et sociales sont nées de sa passion pour le travail. Le résultat du travail a été la surproduction, le vice de l’épargne. » Il faut désormais « obliger les ouvriers à consommer leurs produits. » Consommation immédiate, universelle et obligatoire ! Cependant, comme la société humaine n’a pas encore le bonheur dont jouissent les bancs d’huîtres : recevoir sa nourriture toute préparée de l’océan par le simple mécanisme du flux, il faudra se résigner à travailler encore un peu, mais en vue de « paresser. » M. Lafargue vaticine que, quand le collectivisme sera organisé, les ouvriers ne travailleront plus que trois heures par jour. Stiegler, dans ses Quatre écoles d’économie sociale[15], adopte le même chiffre fatidique.

En réponse à ces utopies, on peut constater avec M. Gide que, si les produits industriels croissent notablement avec les progrès de la science, les grandes découvertes scientifiques et leurs applications n’ont encore pu augmenter que très peu la production dans les industries qui répondent aux besoins premiers de l’espèce humaine. L’industrie agricole, qui est fondamentale, n’est d’ailleurs susceptible que d’un développement modéré ; l’industrie de l’édifice, si nécessaire pour la santé et pour la vie, est loin de se développer selon les besoins. Les difficultés de la production pour les choses utiles à la subsistance, c’est-à-dire pour les matières que l’organisme humain peut chimiquement s’assimiler, n’ont, sinon aucune tendance, comme le soutient M. Nitti, du moins qu’une faible tendance à diminuer. Ce fait maintiendra longtemps intense l’effort de la production, à moins que la science ne fasse quelque découverte inattendue pour fabriquer des alimens en abondance. Mais suffira-t-il, sous le régime communiste, pour faire surgir cette découverte, de la commander à l’escouade des chimistes travaillant trois heures par jour « en vue de la paresse » et de la « bombance ? »

Sous le régime de la liberté, tout fruit de l’épargne est un moyen de travailler qui engendre bientôt une nécessité de travailler, car la richesse inerte diminue progressivement et finit par devenir pauvreté. Le capital est donc constamment obligé de reproduire la richesse et, en conséquence, il est essentiellement producteur. Il n’est pas essentiellement consommateur, ni, comme on l’en accuse, « jouisseur. » L’abus accidentel, si fréquent qu’il soit, ne doit pas voiler l’usage essentiel. Au contraire, dans une société collectiviste, il y aura toujours des riches relatifs, mais en quoi consistera leur richesse ? En bons de « jouissance, » par conséquent en objets de consommation, alimens, vins, vêtemens, bijoux, etc. C’est alors que vous aurez des « jouisseurs, » puisque jouir sera le seul emploi possible de la richesse et de la vie même. Il est douteux qu’un pareil idéal soit vraiment celui de l’humanité. Supprimer l’épargne ou ne la laisser subsister que pour des bombances prochaines, c’est faire rétrograder l’homme vers l’animal : ne pouvant faire l’ange, il fera la bête. La dignité humaine disparaît dans une forme de collectivisme qui ramène tout à une question d’estomac. L’un des chefs ne disait-il pas, en France : « Nous sommes le parti du ventre[16] ? »

Moins utopiste au fond que nos communistes actuels, Fourier admettait la perpétuelle nécessité du travail, mais il espérait le rendre pour tous et toujours « attrayant ; » lui aussi aboutissait à remplacer le devoir moral par la jouissance. Il partait de ce principe que « le travail fait les délices de diverses créatures, comme castors, abeilles, guêpes, fourmis, qui sont pleinement libres de préférer l’inertie (!) » Puis donc que les castors travaillent par pur plaisir, pourquoi l’homme ne travaillerait-il pas de même ? Le moyen est bien simple : il n’y a qu’à varier le travail et à changer d’occupation dix fois par jour. Voici la journée du riche « Mondor. » Après s’être couché à 10 heures du soir, il se lève à 3 heures et demie du matin ! Vous trouvez l’heure un peu matinale, mais Fourier était tellement persuadé que le travail deviendrait un plaisir, qu’il en tirait cette conclusion : — Le travail ne fatiguera plus, il reposera plutôt ; on n’aura donc guère besoin de sommeil ! C’est pourquoi, dans son monastère, il sonne le réveil universel à 3 heures et demie du matin. O illusion des systèmes qui croient commander à la nature ! A 4 heures, Mondor est déjà au « cours du lever public » et il écoute « la chronique de la nuit ! » A 4 heures et demie, premier repas, suivi de la « parade industrielle ; » à 5 heures et demie, séance au groupe de la chasse ; à 7 heures, au groupe de la pêche ; à 8 heures, déjeuner et lecture des gazettes ; à 9 heures, séance à un groupe de « culture sous tente ; » à 10 heures, séance à la «messe » phalanstérienne ; à 10 heures et demie, séance au groupe de la faisanderie ; à 11 heures et demie, bibliothèque ; à 1 heure, dîner ; à 2 heures et demie, séance au groupe des serres fraîches ; à 4 heures, au groupe de plantes exotiques ; à 5 heures, séance des viviers ; à 6 heures, goûter à la campagne ; à 6 heures et demie, séance au groupe des mérinos ; à 7 heures, séance à la Bourse ; à 9 heures, souper ; à 9 heures et demie, cours des arts, concerts, bal, spectacle, réception ; à 10 heures et demie, coucher, et bon somme ! Voilà le moyen d’être heureux. Quant à « Lucas, » qui est relativement « pauvre, » — car il y a encore des riches et des pauvres, — il ne sera pas moins heureux en ne dormant lui aussi que cinq heures et demie pour travailler presque sans discontinuer à une dizaine d’occupations différentes, qui changeront son cerveau en kaléidoscope tournant : il devra interrompre sans cesse sa besogne commencée pour éprouver les difficultés d’un nouvel entraînement à une nouvelle occupation. Nous rions de ces utopies ; ne rira-t-on point un jour des utopies de nos collectivistes contemporains ? Fourier méconnaissait assurément une des grandes lois du travail : pour être productif, tout travail doit être régulier, continu et spécialisé. Celui qui « papillonne » ne produira rien de valable. Si Mondor ou Lucas change dix fois par jour d’occupation, il fera dix fois une besogne médiocre.

Il y a pourtant, en ce rêve, un fonds de vérité : c’est que l’avenir verra l’alternance, non pas de dix ou douze métiers par jour, mais d’une certaine série d’heures de travail avec des heures de loisir de plus en plus nombreuses. Encore faudra-t-il travailler. Eût-on mis, selon l’espoir d’un chimiste, la nourriture en pilules, il resterait à la préparer, à s’instruire, à étudier, à produire mille objets utiles, à soigner les enfans, à soigner les vieillards, à soigner les malades ; toutes choses qui ne se font pas sans quelque effort du vouloir. On aura beau perfectionner l’industrie, la plupart des travaux industriels conserveront un caractère pénible, et ils contiendront même des élémens de risque. Les machines à vapeur tuent plus d’hommes que n’en ont tué les guerres les plus cruelles[17]. Chaque kilomètre de chemin de fer coûte, en moyenne, une vie humaine. Si l’on consulte le tableau de tous les métiers, dressé par l’Empire allemand pour servir de base à l’assurance obligatoire, on voit que tous ceux des métiers qui ont un caractère vraiment productif ont aussi un caractère pénible et entraînent des risques sérieux[18].

Loin de compter sur la diminution de l’effort moral dans les sociétés futures, sur la spontanéité absolue du travail et de toutes les vertus, rappelons-nous, au contraire, que le sentiment du devoir perd de sa force à mesure que s’élargit, s’éloigne et devient plus abstraite la société envers laquelle l’individu se sent obligé. Tel homme, par exemple, qui aurait travaillé au sein d’une petite association et sous une surveillance immédiate, ne travaillera plus, s’il voit son effort perdu dans une collectivité trop vaste, pour un résultat trop lointain. Les crimes et délits de toutes sortes augmentent dans les villes, où l’on se sent comme isolé, protégé contre l’œil des voisins et contre l’opinion de tous. Les crimes augmentent aussi dans les pays d’émigration. Voyez encore avec quelle facilité tel homme, incapable de voler cinq centimes dans la poche de son voisin, volera par fraude cent francs ou mille francs dans la poche de l’État ! Demandez aux grandes entreprises industrielles ce qu’elles pensent du phénomène appelé familièrement coulage. A mesure que l’objet de l’obligation s’impersonnalise, si on peut parler ainsi, l’obligation elle-même perd de sa netteté et de sa force. La morale nous ordonne avec raison d’aimer notre « prochain, » mais ce qui est plus beau encore et plus difficile, c’est d’aimer son « lointain, » un Cafre par exemple ou un Maori. Un Anglais même se prétend si loin d’un Boer !

On a remarqué que, jusqu’ici, les seules sociétés communistes qui aient existé et surtout réussi n’ont été que de petites associations, notamment dans les États-Unis d’Amérique[19]. Le moine travaille bien pour son couvent, — d’autant plus qu’il espère gagner le paradis à la fin de ses jours, — mais si le couvent devient la terre entière, sans autre paradis que ladite terre, le zèle risque fort de faiblir. M. F.-S. Nitti a calculé que, dans une nation parvenue à un régime communiste parfait et comprenant vingt millions d’ouvriers qui travaillent huit heures par jour, chaque heure de travail d’un ouvrier représentera un 160 millionième de la production quotidienne. Dans ce cas, la tentation de perdre une heure sera bien séduisante, si l’on a pour tout mobile le désir d’apporter son 160 millionième à l’œuvre totale, et si ce mobile se trouve mis en échec par une bonne occasion de s’amuser, de boire, de causer, ou simplement de se reposer. Même chez les collectivistes, si l’esprit est fort, la chair est faible, — d’autant plus qu’on la considère comme le tout de l’homme.

Quand même, dans la Salente collectiviste, la paresse ne serait plus à craindre, il n’est pas un seul des autres péchés capitaux, comme disent les théologiens, qui n’y trouvât encore ample matière à s’exercer. Empêcherez-vous jamais celui qui a ou croit avoir une supériorité naturelle ou acquise d’éprouver de l’« orgueil ? » Et, s’il n’a pas cette supériorité, l’empêcherez-vous de porter « envie » à ceux qui la possèdent ? — Les biens étant communs, on n’aura plus, dites-vous, à envier son voisin. — Mais d’abord, si communs que soient les instrumens de travail, les fruits du travail ne pourront être distribués également, même à ceux qui n’auront pas travaillé. Il y aura donc encore des individus plus riches en « bons de jouissance, » des « Mondors » qui seront pour les « Lucas » des objets d’envie. De plus, il y aura des individus plus intelligens que les autres, ou plus forts corporellement, ou plus beaux, qui plairont mieux aux femmes. De là des rivalités, des haines plus ou moins sourdes, des luttes plus ou moins ouvertes. Comment les supprimerez-vous, alors que toute coercition morale, même celle de l’opinion, aura disparu, et que la devise universelle sera, nous dit-on, celle de l’abbaye de Thélème perfectionnée : « Fais ce qui te plaît, tu feras par là même ce qui plaît aux autres ? » La «luxure, » la « gourmandise » et l’ivrognerie, qui sont des formes d’égoïsme, deviendront-elles des vertus civiques dans la cité collectiviste ? La « colère, » avec la violence qu’elle entraîne, n’aura-t-elle plus où s’exercer parce que la terre sera commune et que les mines ou usines appartiendront à l’État ? Une fois toute a crainte, » toute « foi religieuse » et toute « opinion morale » disparues, les hommes seront-ils du coup changés en brebis dans le pâturage idyllique du communisme ? Si, de nos jours, des ouvriers se disputent dans une usine capitaliste, en viennent aux coups et blessures, parfois même au meurtre, cela tient-il uniquement à ce que, sur la porte, on lit le nom d’un individu, et suffîra-t-il au fonctionnaire peintre d’enseignes, pour tout changer, d’inscrire : République universelle : liberté, égalité, fraternité ? De même, dans l’ordre intellectuel, les gazetiers d’alors n’auront-ils que des complimens pour ceux qui ne sont pas de leur opinion ? les Libre Parole ou les Aurore de ces siècles bénis seront-elles pleines de madrigaux à l’adresse des contradicteurs ? L’humanité a vu bien des utopies : nous ne croyons pas qu’elle en ait vu de plus forte, et le mystère de la transsubstantiation n’est qu’un jeu au prix du mystère de la communion collectiviste. Si encore vous n’aviez que les Français à sanctifier ! Mais il faudra persuader tous les Européens, tous les Américains, les Asiatiques même et les Africains de renoncer à l’économie actuelle, d’établir le collectivisme, de ne plus se faire concurrence et de ne plus nous faire concurrence. Embrassement général ! Car il est bien évident qu’un pays ne peut se faire collectiviste avec des voisins qui ne le sont pas, à moins de s’enfermer dans une muraille de Chine. C’est donc bien la perfection universelle et le règne universel des bonnes volontés que le nouvel Évangile croit pouvoir réaliser à coups de décrets sur la terre, par l’abolition de la morale même et du droit.

Ou plutôt, il n’y aura pas même besoin de bonnes volontés : les intérêts s’harmoniseront tout seuls. Selon M. G. Deville, en régime socialiste, « les conditions matérielles à réaliser pour atteindre le bien-être individuel seront aussi les conditions du bien-être social. » Il y aura, en d’autres termes, concordance entre l’intérêt personnel et l’intérêt universel. — Mais, de deux choses l’une : ou cette concordance ne sera encore vraie qu’en moyenne et d’une façon générale ; alors, les antagonismes particuliers n’auront pas disparu et il restera possible de chercher son bien propre aux dépens du bien de tous. Ou la concordance sera une complète identité ; mais alors vous retombez dans les rêves paradisiaques qui rendraient la « morale » absolument inutile. Dans cette seconde hypothèse, nous n’aurions pas même de choix à faire ni d’initiative à prendre : notre bien serait toujours un avec le bien universel ; toute tendance centripète coïnciderait ipso facto avec la tendance centrifuge. Cette astronomie sociale est fantastique, et nous doutons que le fiat collectiviste opère le miracle de la réaliser.

On a raison, assurément, de vouloir « l’affranchissement des travailleurs ; » mais, dès aujourd’hui, pour les affranchir, il y aurait une chose bien plus simple que de bouleverser la société de fond en comble. M. de Laveleye a établi qu’avec les sommes consacrées par les ouvriers à s’intoxiquer, ils pourraient en vingt ans acheter toutes les usines et se délivrer du patronat[20]. Cette révolution morale vaudrait bien une révolution sociale. — Mais, répondez-vous, comment changer tout d’un coup les mœurs des ouvriers et les rendre tempérans du jour au lendemain ? — Comment, à votre tour, espérez-vous, par un automatisme social, les rendre tous tempérans, chastes, laborieux, justes, aimans, dévoués au bien commun ? Votre utopie n’est-elle pas mille fois plus grande ?

La vérité philosophique, selon nous, c’est que la racine du mal est dans le cœur humain. Elle est dans l’animalité qui est inhérente à l’humanité même. Et la racine du bien est dans la raison, dans la volonté tendant à l’universel. La lutte de ces deux principes ne semble pas près de cesser.

Quelque perfectionnée que soit la société collectiviste, elle ne pourra empêcher l’effet des lois de l’hérédité ; or, il résulte de ces lois des différences individuelles qui aboutissent à l’infériorité morale ou, si vous préférez, à l’infériorité sociale des uns par rapport aux autres. Car les uns naissent avec des penchans sensuels et grossiers, ou avec des penchans violens que n’ont pas les autres au même degré. Bien plus, il naîtra sans doute toujours des hommes plus ou moins « anti-sociaux, » vrais déshérités de la nature ; il naîtra des hommes atteints de dégénérescence, malgré les soins d’une hygiène meilleure ; il y aura des enfans disposés au vol, d’autres au viol, d’autres à toutes les formes de la violence physique et de la brutalité. Même sans tares maladives, les caractères natifs seront plus ou moins favorables à la vie sociale. Croire que, chez tous, des mécanismes sociaux remplaceront les consciences, c’est imaginer pour les sociétés un mouvement perpétuel plus chimérique que celui dont les mathématiciens démontrent l’impossibilité dans la nature. La moralisation universelle par simple abolition de la propriété, de la « crainte du pouvoir, » de la « religion, » de « l’opinion publique, » et enfin de la morale même, est encore plus contradictoire que la quadrature du cercle.


II

Engels, après la mort de Marx, sentit le besoin de compléter le système marxiste par une doctrine de la famille ; mais comment la faire rentrer dans le matérialisme économique ? — En disant que, si celui-ci étudie la production de la vie matérielle, il doit aussi étudier la reproduction de l’espèce. Grâce à ce jeu de mots sur la reproduction comparée à la production, Engels semble ne pas sortir du système primitif ; il en sort en réalité. Il admet, comme la montré M. G. Sorel, des rapports affectifs à côté des rapports économiques et juridiques[21]. En fait, la question de la famille n’est pas seulement une question sociale, ni juridique, ni surtout économique, ni surtout ouvrière ; c’est essentiellement une question psychologique et morale. Nous ne voulons pas, certes, nier ici le rôle énorme des rapports de droit et des rapports d’intérêt au sein de la famille, ni l’influence déplorable d’un système économique où le mari est d’un côté tandis que la femme est d’un autre, et où les efforts des deux ont peine à faire vivre les enfans. Tout ce que les socialistes pourront dire à ce sujet est juste, excepté quand ils placent le remède dans « l’indépendance économique de la femme, » devenue rivale de l’homme en tout métier. Mais, une fois la famille réformée socialement aux points de vue juridique et économique, la question affective et morale subsistera encore tout entière. L’amour, le respect, la fidélité, l’harmonie des volontés en toutes choses, spécialement pour l’éducation des enfans, demeureront toujours nécessaires et ne pourront sortir des arrangemens extérieurs.

Les collectivistes, en général, demandent que les enfans soient élevés par l’État, et ils espèrent, grâce à ce moyen, faire disparaître de la famille, avec l’autorité maritale, les froissemens mutuels. Nouvelle utopie ! Les enfans ne peuvent être bien élevés que par leur mère, et ce n’est pas l’autorité sociale, c’est la moralité et l’affection mutuelle qui amèneront la paix dans les rapports des époux. De la liberté nécessaire à la femme, on ne saurait conclure à « l’amour libre, » à la dissolution de la famille même, à l’union accidentelle et animale (encore y a-t-il des animaux qui font exception). La famille exigera toujours l’amour constant, et, à côté de l’amour, le devoir, avec le prétendu « cauchemar » de la justice.


III

Non moins que les vertus dites privées, les vertus publiques seront toujours indispensables. Quelque perfectionné que soit l’ordre social, justice et bienfaisance subsisteront sous leur forme morale, avec la liberté et la responsabilité qu’elles impliquent. Une des conséquences les plus funestes de l’intervention de l’État, quand elle dépasse les limites de la nécessité, c’est précisément de diminuer la responsabilité individuelle. On peut en voir des exemples dès aujourd’hui, quand il s’agit du contrat de travail. Si l’entrepreneur est gêné par une réglementation étroite, il se trouve enclin à rejeter sur l’Etat toute la responsabilité dont il était forcé auparavant d’assumer une partie. Les résultats de la loi Plimsoll en sont, — parmi cent autres lois, — une preuve convaincante. La loi Plimsoll fut établie en Angleterre pour protéger la vie des marins contre le danger que leur faisaient courir des armateurs. Ceux-ci se montraient trop portés à diminuer, par les moyens les plus condamnables, le prix du fret, en employant des navires mal construits ou trop chargés. Aucune intervention, assurément, n’était mieux fondée. Or, il résulte des enquêtes faites par le Board of Trade que cette loi a présenté, dans la pratique, plus d’inconvéniens que d’avantages. Elle a supprimé complètement la garantie de responsabilité, — si restreinte qu’elle fût, — des armateurs. Cette responsabilité, en l’absence de loi interventionniste, aurait pu, par une sévère administration de la justice, être rendue plus réelle et plus efficace. La loi Plimsoll, en outre, n’a pu être intégralement appliquée, par suite du contrôle plein de menus détails qu’elle exigeait. Il eût fallu, pour la faire observer dans sa lettre, une armée de fonctionnaires[22]. On voit combien il est difficile d’assurer la plus simple justice sociale ; que serait-ce donc si l’Etat prenait à sa charge l’administration de tous les biens et intérêts collectifs, la surveillance de tous les travaux, la distribution de tous les produits ?

La justice pénale, elle aussi, ne serait pas sans courir des dangers sous un régime de communisme plus ou moins absolutiste, qui supprimerait la question morale au profit de la question sociale. M. E. Ferri a donné dans un Congrès l’aperçu de la justice « psycho-anthropo-sociologique » qui, selon lui, remplacera la magistrature actuelle sous le régime socialiste. « La justice de l’avenir, dit-il, n’aura pour objet que de constater que le prévenu est l’auteur du crime découvert ; » alors, dans les « commissions permanentes, » viendra « la discussion scientifique sur les conditions personnelles et sociales du criminel ; » classé dans telle ou telle catégorie anthropologique, on lui assignera « une forme spéciale de ségrégation indéterminée. » Ainsi chaque citoyen qui aura enfreint une loi pénale sera exposé à être renfermé sans débats, — car « les logomachies brillantes et habiles entre l’accusation et la défense » sont condamnées à disparaître ; et ce citoyen sera enfermé pour un temps indéfini, selon le bon plaisir de cette « commission permanente. » Celle-ci, par rapport audit citoyen, appréciera souverainement « les conditions pathologiques, ataviques et tératologiques de sa personnalité physico-psychique, qui en font une variété anthropologique bien caractérisée. » Il est à craindre que l’individu, sous ce régime pseudo-scientifique, ne soit complètement à la discrétion de l’État, de ses mandataires, de ses formules. Il aura sans doute la consolation d’être déclaré, en noms savans, irresponsable, malade, fou, dégénéré, psychopathe, etc ; mais la prison n’en sera pas moins au bout !

Si l’État doit toujours avoir pour principal rôle d’assurer et de sanctionner la justice, il ne supprimera pas pour cela la nécessité de la bienfaisance privée, ni, par conséquent, la vertu morale de la charité ou de la fraternité. Quelque parfaite que soit la société collectiviste, elle aura toujours des maux à soulager. « Il ne faut pas, dit un communiste, « consoler les souffrans ; » il faut « supprimer la souffrance. » Vous en parlez à votre aise ! Supprimez donc aussi la mort. De cette façon, vous n’aurez pas à consoler une mère de la perte de ses enfans. Le rêve du bonheur parfait et de la parfaite tranquillité sur la terre est l’oubli des conditions mêmes de l’agitation terrestre. Tout comme le vieux poète indien, les poètes de la société nouvelle devront dire : « Nous sommes la voix du vent errant, qui pleure pour le repos, et ne peut jamais le trouver. »

Il est très vrai que la pure philanthropie, qui ne s’occupe que de la « superstructure » et laisse les fondations telles quelles, demeure elle-même superficielle et trop souvent infructueuse : la justice complète, non la simple charité, doit être la maîtresse de la vie sociale. Mais il reste à savoir si le collectivisme se fait une idée exacte de la justice, surtout quand il la nie. Autre chose est de faire la critique des maux actuels, tâche facile, autre chose de dessiner la société future. Les maux du présent n’impliquent pas que le remède soit de tout bouleverser, ni de tout remettre à l’Etat, et de supprimer la bienfaisance privée. En France, aujourd’hui, c’est elle qui soulage la plupart des misères. En Angleterre, la taxe des pauvres a représenté annuellement jusqu’à 250 millions à payer par les contribuables, sans grand résultat pour les malheureux ; en France, le budget de l’Etat ne contient que quelques millions pour le même objet, et les communes, en dehors de Paris, pour subvenir aux dépenses des bureaux de bienfaisance (analogues à celles auxquelles pourvoit la taxe anglaise des pauvres), ne déboursent sur leurs propres fonds que 12 millions environ. Et cependant la lutte contre la misère est chez nous très grande. C’est dire que, dans notre pays, où l’on est trop prompt à se dénigrer, le pauvre est le plus souvent soulagé par les institutions de charité libres et par les simples citoyens, qui accomplissent leur devoir. C’est un grand honneur pour notre pays et l’un des traits qui donnent le plus de confiance « en sa bonne santé morale[23]. »

Quand l’assistance oblige seulement l’Etat et prend pour l’individu la forme du simple droit social à l’assistance, sans devoir moral corrélatif, elle ne donne que de médiocres résultats, parce qu’elle favorise l’imprévoyance et la paresse. On a constaté que, plus les œuvres aumônières se développent dans un pays, plus la mendicité augmente. Lorsque Bonaparte supprima à Rome les confréries qui se vouaient aux œuvres d’assistance, on vit immédiatement travailler des gens qui, la veille, tendaient la main ou se confiaient à l’Eglise et au couvent. En Suède, plusieurs districts, où l’assistance en nature et en argent était considérable, avaient fini peu à peu par abandonner la culture des champs. La population tout entière, sans avoir lu M. Lafargue, avait renoncé au travail, aimant mieux se faire entretenir et nourrir par les hospices et les paroisses que de peiner pour gagner sa vie. On supprima les secours ; le travail reprit, et avec lui la prospérité reparut. Bunsen raconte qu’il fut témoin à Rome d’un grand incendie que la foule contemplait sans remuer. « Vite de l’eau, des échelles ! » s’écrie-t-il ; on lui répond : « Adressez-vous au gouvernement. On fera de même, dans une société collectiviste, en face des misères à soulager. En Angleterre, où nous venons de voir que l’assistance est obligatoire pour l’État, il arrive souvent que les travailleurs courageux entretiennent un grand nombre de parasites. Dans certains comtés, le nombre des assistés est de un sur dix et même de un sur sept.

Dans les œuvres d’assistance de l’avenir, les deux parties. État et individu, devront apporter leur part proportionnelle. La société a certainement le droit et le devoir de diminuer le plus possible le paupérisme et le nombre des non-valeurs, qui sont pour elle « un poids mort » entravant sa marche. On impose aux citoyens des charges pour la défense des frontières ; on leur impose, en temps d’épidémie, des obligations nouvelles à remplir. En tout temps, pour en faire des électeurs plus indépendans et plus éclairés, on exige d’eux un minimum d’instruction. Pourquoi ne leur imposerait-on pas, dans l’intérêt supérieur du pays, un minimum de prévoyance, principalement sous la forme de l’assurance obligatoire ? Les collectivistes combattent avec acharnement l’idée d’assurance, car elle renverse leur plan de campagne : le jour où l’ouvrier sera assuré contre les désastres matériels qui compromettent son existence, il sera bien plus difficile à enrôler dans l’armée révolutionnaire. Il n’en est pas moins légitime d’imposer l’assurance à ceux qui, par ignorance, indifférence ou mauvais vouloir, ne s’y seraient point soumis.

Mais l’Etat aura beau intervenir de plus en plus, nul mécanisme collectif ne pourra suppléer « l’altruisme » de l’individu. Un socialiste anglais, plus avisé que bien d’autres de notre pays, a proposé pour devise : « Faites d’abord des altruistes pour faire des socialistes. » L’Anglais, qui voit fonctionner la taxe des pauvres, a trop de sens pratique, il subsiste en Angleterre (quelque juste sévérité qu’on doive avoir pour la politique impérialiste) un trop grand respect des idées morales et surtout des idées religieuses, pour que les réformateurs d’outre-Manche se laissent séduire aux utopies de nos révolutionnaires et à leurs systèmes destructeurs de toute moralité. Dans la réforme sociale, a dit un autre socialiste d’Angleterre, le caractère est « la condition des conditions. » Par malheur, les réformateurs français, surtout ceux qui suivent avec servilité le marxisme allemand, s’occupent exclusivement du mécanisme de la vie économique : ils oublient ou nient l’importance morale du caractère.


IV

On a dit des révolutionnaires qu’ils sont des verges aux mains de la justice, et cela est exact alors même qu’ils en viennent à nier toute justice. L’ « âme de vérité » contenue au fond du collectivisme, c’est que, dans la pratique, l’amélioration morale de l’individu est elle-même subordonnée à ses conditions sociales d’existence. Une moyenne s’établit, selon la loi des grands nombres, qui met en lumière l’effet de ces conditions. De même qu’il y a, bon an mal an, tel nombre moyen de lettres jetées à la poste sans adresse, de même il y a, dans telle classe ou tel milieu, tant de vols, tant d’abus de confiance, tant d’attentats aux mœurs, tant de meurtres, etc. Faut-il aller jusqu’à dire, avec Aristote, qu’une certaine richesse est une condition de la vertu ? — Non, mais c’est au moins une aide qui rend certaines vertus faciles, comme aussi quelques autres difficiles ! Il faut donc perfectionner les conditions sociales d’où certaines mœurs dérivent presque directement. S’il ne saurait suffire de modifier les arrangemens sociaux pour moraliser du même coup tous les individus, s’il est nécessaire pour chacun d’avoir des idées et des convictions, loin de nous la pensée d’amoindrir pour cela la part des agens économiques. Il y a certainement des vices intellectuels et moraux qui sont logiquement liés aux principes de l’industrie capitaliste et à la pratique de la concurrence sans frein. Quand la femme, par exemple, quand la mère est détournée de son rôle domestique par des servitudes industrielles, comment le contre-coup ne se ferait-il pas sentir dans la criminalité des enfans et des adolescens ? L’insalubrité, l’incommodité, l’insuffisance des logemens ne jouent-elles pas un rôle considérable dans l’extension du vagabondage ? Quand on nous rappelle que, dans les quartiers ouvriers de Londres, la cherté des loyers force toute une famille à s’entasser en un étroit espace et même à y introduire des pensionnaires étrangers, comment ne conclurions-nous pas que la promiscuité engendrera nécessairement le vice ? Quand on nous montre encore la femme employée dans une manufacture, le mari dans une autre, les enfans livrés à eux-mêmes, comment n’accorderions-nous pas que « prêcher à ces pauvres gens le goût du foyer domestique et l’amour du home, » c’est hypocrisie ou dérision[24] ? Outre le défaut d’éducation domestique et de vie « ménagère, » l’infériorité même ou l’absence des moyens de transport ne contribue-t-elle pas à déterminer l’abandon du foyer, la fréquentation des cabarets, les progrès incessans de l’alcoolisme ? Oui, les réformes économiques doivent être poursuivies, en France comme chez toutes les autres nations ; oui, elles peuvent avoir une influence énorme sur la constitution de la famille, qui, chez nous comme ailleurs, est de capitale importance. Si la réforme de l’école est désirable, celle de la famille l’est encore plus, puisque la famille est la première et la vraie école. Il est donc clair qu’on pourrait supprimer, avec la misère économique, bien des misères morales, soit dans la famille, soit dans la nation entière.

Il faut aussi accorder au socialisme scientifique, quoiqu’il ne mérite guère lui-même le nom dont il se pare, que les améliorations sociales devront être de plus en plus œuvre de science. Ne nous faisons pas illusion : dans l’ordre moral et social, — un nouveau Socrate n’aurait pas de peine à nous le montrer, — nous sommes tous de grands ignorans. Les problèmes d’ordre économique, juridique et politique deviennent, avec la civilisation croissante, d’une telle complication et d’une telle implication que la sagesse de nos plus grands sages y est « courte » par tous les endroits ensemble. C’est que cette sagesse n’est pas science, et que, avec les siècles, toute sagesse pratique, surtout d’ordre collectif, est obligée de se faire science. L’industrie devient de plus en plus scientifique ; de même pour le commerce, de même pour la défense nationale et pour la guerre. On reconnaît volontiers que, en 1870, nous avons été battus par de plus savans et de plus savamment organisés, contre lesquels fut impuissant tout notre courage ; mais on se persuade non moins volontiers que, dans le domaine moral et social, chacun se tire d’affaire avec de la bonne volonté et un bon cœur ; ou encore, selon les adorateurs des « Anglo-Saxons, » avec une volonté énergique, brutale même. Rien n’est plus faux. La bonne volonté, d’ailleurs, n’est-elle pas la volonté droite, et cette droiture, cette direction vers le but véritable table à travers les moyens véritables, ne devient-elle pas œuvre de connaissance et de science, non plus simplement d’intention ni d’énergie ? On a justement demandé s’il suffit d’avoir de bonnes intentions ou des intentions énergiques pour résoudre les problèmes du travail et du capital, du crédit, des manufactures et de la grande industrie, de la crise agricole, enfin du libre-échange ou du protectionnisme. Et tous ces problèmes sont unis à la question sociale, qui elle-même se montre nécessaire à la solution progressive de la question morale.


V

Ce n’est pas une raison pour soutenir, avec le matérialisme historique, que la question morale est seulement une question économique. Cette thèse, nous allons le voir, est fausse pour le passé, fausse pour l’avenir.

Le matérialisme économique des Allemands est un souvenir incomplet et une reproduction « unilatérale » des théories dues aux réformateurs français. Saint-Simon réunissait les deux points de vue, le physique et l’intellectuel, dans une doctrine large et compréhensive ; selon lui, pour expliquer les changemens sociaux, il fallait tenir compte, d’une part, des idées communes à une époque, d’autre part, de l’état économique et social, notamment du rapport des classes, qui lui-même se rattache aux modes de production et de distribution de la richesse, comme aux croyances religieuses et politiques du temps. C’était la vérité même. Mais voyez comme il est difficile à l’esprit humain de s’en tenir à une vue synthétique des choses ! Auguste Comte ne tarda pas à exagérer l’influence de l’intelligence et de la science : son positivisme, dans la philosophie de l’histoire, se fit surtout intellectualisme. Bien plus étroit encore fut le système de Louis Blanc : écartant l’influence des idées, il ne vit guère que dans l’organisation économique la cause profonde des événemens historiques. C’est lui qui formula la fameuse loi de la « lutte des classes. » Les Allemands n’ont fait ici que découvrir la Méditerranée. Mais, selon leur habitude, ils ont su pousser la théorie jusqu’aux extrêmes limites que peut atteindre l’esprit de système : Marx et Engels en sont venus à prétendre que l’évolution historique dépend de raisons économiques et n’exprime qu’un conflit d’intérêts de classe.

Tout peut se soutenir ; disons mieux : tout doit se soutenir, — à la condition que l’on y ajoute les restrictions et délimitations nécessaires ; mais c’est ce dont se gardent les auteurs de systèmes : l’étroitesse fait leur force. Qu’y avait-il de vrai dans le matérialisme économique ? — La grande part attribuée, sous le nom d’infrastructure, à l’infraconscient, qui, jouant un rôle énorme chez l’individu, ne peut pas ne pas jouer un rôle énorme dans la collectivité. Le Primo vivere sera toujours vrai des sociétés comme des hommes ; or, la plupart des fonctions vitales s’exercent en dehors et au-dessous de la conscience claire ; elles engendrent des besoins primordiaux de l’ordre matériel, qui retentissent ensuite dans la conscience sous la forme de sensations et d’émotions, faim, soif, désir de mouvement ou de repos, etc. Des connexions s’établissent dans les organes par l’habitude et par l’hérédité, et ces connexions aboutissent à des tendances fatales, que la conscience constate, qu’elle peut jusqu’à un certain point contre-balancer et diriger, mais dont elle n’est pas l’auteur. La morale est précisément la législation rationnelle des tendances primitivement irrationnelles, la suprastructure élevée par l’intelligence sur l’infrastructure organique. Transportez ces vérités dans l’ordre social, elles y reparaîtront agrandies. Le rôle de l’inconscient et de l’organique s’y montrera considérable, surtout dans l’enfance des sociétés, tout comme il l’est dans l’enfance des individus. Famille, propriété, droit, mœurs, religion, politique, s’organiseront en grande partie sous la poussée des besoins primordiaux de la vie ; et, comme la science économique a surtout pour objet la satisfaction de ces besoins par l’action de l’homme sur le milieu, elle se présentera tenant à la main la clef d’une multitude de problèmes historiques.

Ce n’est pas assez pour soutenir, avec Marx, que cette clef ouvre toutes les portes. La transformation des moyens de production et de la « technique » n’a été qu’une des conditions des métamorphoses sociales ; elle n’en fut jamais la cause suffisante, constante et universelle. Même quand il s’agit d’expliquer les formes successives du droit de propriété, si étroitement liées à l’économique, les formes de la production ne suffisent pas. Ce n’est point un « progrès technique » qui a changé la propriété collective de la gens en propriétés individuelles, ni les latifundia en propriétés parcellaires. Les institutions de la féodalité n’obéissaient pas seulement à ce que Marx appelle la « pression des rapports économiques ; » elles cédaient à l’influence des souvenirs romains[25]. Si plus tard un moment vient où ces institutions tombent, comment expliquerons-nous leur ruine ? Par des procédés techniques ? Ce sont bien plutôt des idées égalitaires qui l’ont amenée. M. Barth a insisté avec raison sur ces idées et, plus récemment, M. Bougie a fait voir quelle influence décisive elles ont acquise de nos jours[26].

Un autre exemple frappant a été mis en lumière et tiré du droit pénal[27]. Quand il s’agit simplement du droit civil, les matérialistes ont plus de facilité à réduire les formes du droit à celles de « l’intérêt économique ; » mais, quand il s’agit du droit criminel et, par exemple, de l’adoucissement des peines, il faut bien faire intervenir la force des idées et des croyances, soit religieuses, soit philosophiques, soit scientifiques et sociologiques. Les convictions relatives à la responsabilité, à l’individualité, à l’égalité des sanctions pour les délits égaux, quels que soient les coupables, à la suppression de la torture comme psychologiquement absurde et moralement inique, etc., ne sont pas des idées industrielles et techniques : on ne voit guère ici l’influence du « moulin à eau » ou celle de la « machine à vapeur. » — La question juridique n’est pas une question économique.

De même, l’évolution des sciences domine, loin de la subir, l’évolution économique. Si l’industrie humaine, par exemple, est allée « de la manufacture à la machinofacture, » comme Marx le soutient avec tous les économistes, c’est que la découverte des machines par les savans a rendu ce progrès possible. A l’exemple de Napoléon, les marxistes n’ont jamais assez de dédain pour ce qu’ils appellent, eux aussi, l’idéologie ; mais remonter à l’histoire des idées, à leur suite logique, aux inventions mêmes qui produisent tout d’un coup du nouveau en se servant de l’ancien, ce n’est pas « s’agenouiller devant le mystère. » Il n’y a aucun mystère dans la série des découvertes mathématiques, et cependant, sans Leibnitz et Newton, le calcul infinitésimal n’aurait pas été inventé au XVIIe siècle, quel qu’en fût l’état social. Les sciences physiques et naturelles ne se sont-elles développées que selon les lois de la « technique » propre à satisfaire nos besoins ? L’invention de la photographie n’était pas possible, à coup sûr, chez les Romains, encore moins chez les Perses ; elle exigeait certaines conditions de milieu ; mais suffit-il de décrire, avec Marx, les nouveaux procédés de production pour rendre compte d’une telle découverte ? Niepce de Saint-Victor et Daguerre n’y sont-ils pour rien par leurs observations et par leurs raisonnemens ? — La question scientifique n’est pas une question économique.

Les religions et leur histoire, non moins que le développement des sciences théoriques, sont la grande pierre d’achoppement du matérialisme de Marx. Comment ce matérialisme nous expliquera-t-il, par de simples besoins économiques plus ou moins transformés, qu’à un certain moment de l’histoire, des hommes sont allés prêchant par le monde : « Le Christ est mort pour ouvrir aux hommes la vie éternelle ? » Comment expliquera-t-il le dévouement des martyrs, l’histoire de Paul de Tarse, les luttes religieuses, le triomphe des croyances et des idées relatives à la vie future ? Le lien avec la technique industrielle est ici bien lâche et bien éloigné. Tout se tient dans l’univers, mais ce principe, bon à tout, n’explique rien en particulier.

Les religions primitives elles-mêmes n’ont nullement pour contenu des idées économiques concernant les rapports de production ou d’échange dans le monde humain : ces rapports, comme M. Durckheim l’a fait voir, ne sont pas alors développés ; le monde économique existe encore à peine[28]. Ce qui existe, ce qui attire l’attention des tribus sauvages ou barbares, ce qui excite leurs craintes ou leurs désirs, c’est le monde matériel et le monde animal, c’est la Nature avec ses forces ou ses êtres, les uns bienfaisans, les autres malfaisans, avec ses phénomènes de lever ou de coucher des astres, de tempête, d’orage et de foudre, avec tout ce qui est journalier ou exceptionnel.

L’influence des idées religieuses s’est d’ailleurs montrée hors de proportion avec le côté « économique » que peuvent offrir les religions elles-mêmes. Si, au moyen âge, l’Eglise a possédé un tiers des biens fonciers, la moitié des revenus et le tiers des capitaux, ce fait prouve-t-il, comme le croient les marxistes, qu’il y a « une infrastructure économique jusque sous la religion ? » On leur a répondu qu’il y a là plutôt une preuve, fournie par les faits économiques eux-mêmes, de la puissance des idées.

Pour rattacher le sentiment religieux à l’évolution économique, on a prétendu que ce sentiment était le « besoin économique renversé. » Le sentiment religieux varie, dit-on, en raison inverse du bien-être matériel : on est d’autant plus mystique qu’on est plus misérable ; les périodes de calamité sont des périodes de foi ; le sentiment religieux est donc « le substitut du besoin économique[29]. » — Non, mais ce sentiment est une consolation de la misère, laquelle enveloppe toujours une forte part d’injustice sociale ; les âmes cherchent alors tine compensation idéale aux souffrances matérielles, une raison d’espérance au milieu de la réalité désespérante ; quoi de plus simple psychologiquement ? Ce n’est pas un motif pour changer le besoin d’idéal en besoin économique, pas même en « substitut » de ce besoin. En dépit du matérialisme historique, les hommes ne sont pas seulement unis ou divisés par des intérêts de production ou de consommation ; ils sont unis ou divisés par des « idées. » De leurs croyances dérivent des modes particuliers de groupemens, souvent plus forts et plus durables que ceux qui naissent de besoins matériels. Une association de puritains est aussi sociale et l’est même plus qu’une association coopérative de boulangerie. — La question religieuse n’est pas une question économique.

Le développement de l’esthétique et celui de la philosophie sont encore plus impossibles à expliquer par le matérialisme de Marx : l’art et la spéculation métaphysique ont, en effet, un caractère essentiellement désintéressé. Aussi doutons-nous que M. Kautsky, le marxiste bien connu, ait logiquement déduit les croyances pessimistes de Schopenhauer de sa condition de « rentier inquiet et poltron ; » tout comme il est douteux que M. Lafargue ait solidement rattaché le dogme de l’Immaculée Conception à l’infrastructure économique. Un marxiste réformé, M. Labriola, s’est écrié dans un moment de franchise : « Seuls les niais pourraient réduire l’histoire des arts à l’arithmétique commerciale et croire qu’ils interprètent la Divine Comédie en l’illustrant avec les factures des marchands florentins. » La question esthétique n’est pas une question économique.

Quant à la morale, objet principal du débat, elle renferme une partie philosophique et esthétique en même temps que religieuse ; elle a une portée universelle et désintéressée qui l’élève encore plus que tout le reste au-dessus des besoins matériels. Les marxistes répondent : — Une idée morale ne peut agir dans le monde d’une manière réelle et efficace que « le jour où l’application de l’idée contraire apparaît comme odieuse par suite d’abus atroces.[30] » — De là on veut conclure que l’économie politique a un double rôle. D’une part, elle fournit les phénomènes où éclate « le conflit qui va donner lieu aux nouvelles combinaisons morales ; » on peut donc dire que « les préformations économiques » sont une condition de tout changement moral. D’autre part, l’économique nous impose un certain nombre de jugemens élémentaires tout faits ; ce sont ceux qui constituent « le système des idées morales justificatrices des conditions les plus communes de notre existence matérielle. » — Nous répondrons à notre tour : 1° les phénomènes de conflit moral ne sont pas tous, ni toujours, des phénomènes économiques ; la haine d’un individu contre un autre, par exemple, la jalousie, la violence, l’égoïsme, etc ; 2° ce n’est pas l’économie politique qui, à elle seule, impose un certain nombre de jugemens élémentaires justifiant les conditions élémentaires de la vie en commun, car il y a bien d’autres conditions de vie commune à considérer que celles de la production ou de l’échange. Enfin, ce n’est pas au nom de la production en tant que telle qu’on loue ou blâme certains modes de production comme moraux ou immoraux, justes ou « odieux. » De ce que la morale s’applique à des conditions sociales et même matérielles, conclure qu’elle rentre elle-même dans le matérialisme économique, c’est faire un paralogisme. Il est temps d’abjurer l’idolâtrie de l’économie politique : ce sont les relations sociales les plus simples qui ont donné lieu aux relations morales les plus simples, mais ces relations ne concernent pas nécessairement la production, l’échange ou la consommation. La sympathie, l’intérêt de la défense commune, les rapports de la mère à l’enfant, ceux des enfans entre eux ne sont pas des relations économiques, à moins que, par un abus de mots vagues, on ne fasse tout rentrer dans l’économie politique. De nos jours, ce qui a porté au premier rang la question sociale, c’est le progrès accompli par le sentiment de la dignité humaine et de l’égalité humaine, bien plus encore que la condition économique des ouvriers, qui n’est pas pire qu’autrefois, tout au contraire !

Où les socialistes ont raison, c’est quand ils soutiennent que la morale agit rarement par sa propre vertu et que l’idée de justice, à elle seule, est trop souvent impuissante contre les intérêts avec lesquels elle entre en lutte. « Depuis quand, dit éloquemment M. G. Sorel, a-t-on reconnu l’immoralité des abus des fabriques ? Depuis que les prolétaires ont été assez forts pour avoir droit à la morale[31]. » Et le même auteur ajoute que des personnes « considérées comme hautement morales » emploient encore toutes sortes de moyens pour se soustraire aux lois protectrices de la femme et de l’enfant. Mettons donc la force du côté du droit, sans soutenir pour cela que la force ou l’intérêt crée le droit.

La politique même n’a pas été exclusivement dirigée par l’économie politique ; elle a subi, elle subira de plus en plus l’influence des idées morales. Quel est le peuple qui, sans changer ses idées directrices, a pu changer ses institutions et son mode de civilisation ? L’histoire ne nous en révèle aucun. Faut-il rappeler une fois de plus aux marxistes comment les idées philosophiques du XVIIIe siècle, jointes sans doute aux abus de l’ancien régime et aux souffrances qui en résultaient, ont dirigé la Révolution, transformé le régime juridique, économique, social ? Tout est-il faux dans la théorie de Taine qui fait sortir en grande partie la Révolution française, en ce qu’elle a d’intellectuellement caractéristique, d’une notion abstraite et universelle de « l’humanité ? » Il oublie d’ailleurs d’y ajouter l’idée inséparable d’une justice humaine, qui, s’appliquant à des hommes en société, ne peut pas ne pas être une justice sociale. Nous ne méconnaissons point que, si la Révolution fut une révolte de la conscience, elle fut aussi une révolte des intérêts et même, si l’on veut, des estomacs ; mais quel moraliste a jamais prétendu séparer la justice d’une certaine distribution équitable des charges sociales et des intérêts sociaux ? On n’est pas juste abstraitement, on est juste dans le domaine des intérêts, là où se trouve une occasion d’exercer la justice aux dépens de l’égoïsme.

Au reste, par une sorte d’inconséquence finale, Marx dit lui-même, dans les Annales franco-allemandes de 1844, que le degré représenté chez un peuple par une certaine structure économique peut être représenté chez un autre, à défaut d’une structure aussi avancée, par un système philosophique, — sans doute le sien ou, tout au moins, celui de Hegel ! — Il veut ainsi faire admettre que l’Allemagne, grâce à ses philosophes et malgré son état social actuel, est mûre pour la grande Épiphanie collectiviste ; mais, au fond, il renie son propre système, en renversant l’ordre des facteurs et en plaçant l’idée avant le fait.

La vérité est que l’histoire, à l’origine des grands changemens accomplis dans la civilisation, nous montre des prêtres, des prophètes, des philosophes, des moralistes, des légistes, des savans de tout genre, des inventeurs d’idées et des inventeurs d’institutions conformes à ces idées. Ihering a dit, — et Marx eût applaudi à ses paroles : — « Personne ne saurait plus songera tirer dialectiquement les lois de l’histoire d’une Raison intemporelle qui n’aurait ni faim ni soif, ni chaud ni froid ; » mais, ajouterons-nous, on ne doit pas non plus prétendre tirer les lois de l’histoire d’un appétit étranger à tout idéal, qui ne connaîtrait que la faim et la soif, le chaud et le froid.

Si l’explication du passé que nous propose le matérialisme économique est inacceptable, combien sont plus fausses encore ses prédictions pour l’avenir ! Il est une loi de l’histoire qui nous montre l’humanité se dégageant de plus en plus du milieu matériel dont l’animal demeure esclave. Le mérite même de Marx est d’avoir prouvé que l’ensemble des instrumens et outils imaginés par le travail humain constitue un « milieu nouveau » entre la nature et la pensée. Pourquoi donc Marx s’arrête-t-il en chemin ? De même que l’homme s’est de plus en plus affranchi du milieu naturel, de même il s’affranchit progressivement du milieu artificiel qu’il a lui-même créé par sa technique ; il s’affranchit aussi du milieu économique pour s’élever peu à peu dans un domaine tout intellectuel. Plus la société humaine avance, moins elle subit la domination des besoins industriels et de la technique destinée à les satisfaire, plus il devient vrai que les idées ne sont pas seulement créées par des intérêts, mais, selon l’expression de M. Tarde, « créatrices d’intérêts nouveaux ; » et c’est là précisément, selon nous, ce qui fait leur « force. » Comment cette grande loi de l’histoire ne se vérifierait-elle pas dans l’humanité, alors que les sociétés animales elles-mêmes ne sont pas explicables par des raisons de pur intérêt économique, alors que la sympathie, l’attrait du semblable pour le semblable, l’imitation et la tradition, parfois même l’invention et l’initiative jouent déjà un si grand rôle chez les castors, les abeilles ou les fourmis ? Ici encore, le matérialisme de Marx veut faire descendre l’homme au-dessous de la bête.

Concluons que les mouvemens sociaux et les idées morales ou religieuses s’aident mutuellement et contribuent réciproquement à leurs progrès, mais que la morale, pas plus que la religion, ne saurait être un simple « reflet » de l’économique.


VI

Le vice moral du communisme matérialiste, c’est qu’il ne poursuit, au fond, que l’enflure de l’individu, la « légalisation de ses appétits, » la divinisation de ses jouissances. Les anciens subordonnaient l’individu à l’Etat ; le communisme marxiste subordonne finalement l’Etat aux individus ; essentiellement individualiste dans sa fin, il n’est socialiste que dans ses moyens. Pour faire le bonheur des hommes, il croit que l’on ne peut compter sur les individus mêmes, sur leur libre développement selon les règles communes de la morale et du droit. Il leur dit : la fin est votre liberté individuelle de vivre et de jouir ; mais, en attendant, le moyen est l’autorité collective, qui vous saisira et vous enveloppera de ses prescriptions ; elle fera votre bonheur malgré vous et sera votre providence.

L’individualisme communiste, — car tel est son vrai nom, — se forme ainsi un idéal inférieur du bien de l’humanité. Le placer, avec Bentham, dans le plus grand bonheur du plus grand nombre d’individus, c’est supposer résolue la question morale en faveur du pur hédonisme ou du pur utilitarisme ; c’est admettre que l’idée de perfection supérieure n’a rien avoir dans notre conduite ; c’est laisser en suspens le problème des rapports entre bonheur et perfectionnement. De plus, le bonheur même reste sans définition ; comment donc savoir si le vrai bonheur est uniquement « individuel ? » Les socialistes devraient être les premiers à reconnaître que la félicité enveloppe une partie sociale, universelle même ; que les individus ne valent pas seulement par ce qui les pose en eux-mêmes et les oppose aux autres, par ce qui en fait des unités séparées, des monades isolées, mais, au contraire, par ce qui les rapproche et les unit. Or, ce qui les fait penser ensemble, c’est la science et la philosophie ; ce qui les fait sentir ensemble, c’est l’art ; ce qui les fait vouloir et agir ensemble, c’est la morale. Ne sont-ce pas là des valeurs supérieures à l’intérêt de l’individu, au plaisir même du plus grand nombre d’individus ? Si, fidèle à sa propre définition, le socialisme prenait pour but les biens vraiment sociaux et même universels, — vérité, beauté, moralité, souci de l’idéal, préoccupation de l’univers et de la destinée universelle, — il reconnaîtrait que le problème de la distribution égale des richesses, quelque important qu’il soit, n’est cependant pas le premier de tous, qu’il emprunte sa valeur à l’idée de justice, que l’idée même de justice emprunte sa valeur à des idées tout autres que celles d’intérêt et de plaisir ; d’où il suit que la question économique des intérêts individuels doit être subordonnée à la question morale des biens vraiment universels.

Ces biens universels n’ont point leur unique ni leur plus sûr asile dans les masses : ils doivent se réaliser avant tout dans les consciences individuelles ; et c’est précisément cette réalisation qui constitue la moralité. La moralité est donc personnelle, en définitive ; elle est œuvre de l’individu en collaboration avec les autres, mais agissant cependant par lui-même et sur lui-même. Le premier bien de la société étant ainsi la moralité, et la moralité étant individuelle par son centre, quoique universelle par son objet, il en faut conclure que l’action collective ou sociale a pour but, non de se substituer à l’action individuelle, mais de la susciter, au contraire, et de mettre la coopération de tous au service de l’initiative de chacun.

L’autorité sociale existe déjà ; son extension progressive n’est qu’une question de degré, de compétence, d’utilité et d’efficacité. Le collectivisme n’a de distinctif que son « exclusivisme ; » il n’a rien découvert de neuf. C’est le vieux moyen de la contrainte sociale qu’il veut simplement pousser à l’extrême. Mais cet exclusivisme est sa condamnation. Les institutions administratives ou gouvernementales, en effet, seront toujours mises en pratique par des hommes ; elles ne marcheront pas toutes seules comme une horloge une fois montée. Dès lors, elles ne vaudront que ce que vaudront les hommes ; on ne peut donc, par des considérations purement mécaniques ou purement économiques, prévoir leurs résultats. Les facteurs premiers, ici, sont psychologiques et, en conséquence, moraux. Quelque indispensable que soit la réforme des institutions, elle présuppose celle des consciences, qu’elle aide, mais qu’elle ne remplace pas.

S’il en est ainsi, il est également faux de supprimer la question morale au profit de la question sociale, la question sociale au profit de la question morale ; de méconnaître la valeur de l’individu ou la valeur de la société, qui a ses fins propres et plus qu’individuelles. Ne nous laissons pas séduire à la mythologie des abstractions, dont se leurrent les systèmes. Dans l’astronomie, le mouvement de la terre est solidaire du mouvement de tout le système solaire ; il n’en est pas moins vrai que, si vous supprimez la terre et son action propre, puis Vénus, puis Mars et les autres planètes, où sera le système solaire ?

Le communisme marxiste, en définitive, est aussi faux que l’individualisme exclusif. Ne parlant que d’intérêt et de plaisir, il décapite l’homme intellectuellement et moralement :


 O curvæ in terras animæ et cœlestium inanes !


Il a beau nous promettre la satisfaction de tous nos appétits, des jouissances croissantes au sein d’une société toujours plus puissante sur la nature, il ne fera jamais monter vers les nues un édifice solide avec des matériaux sans consistance ; il ne construira pas une société heureuse, savante et forte, avec des individus sans moralité. Le communisme matérialiste porte « son ennemi avec soi ; » il veut unir les hommes par ce qui précisément les désunit : à savoir leurs besoins individuels et matériels. Il se persuade que le « système de ces besoins, » notamment ceux qui viennent de l’estomac, finira par donner un jour à l’humanité un même cœur. C’est vouloir, sur le principe de la haine, fonder l’amour ; sur le principe de la guerre, fonder la paix perpétuelle. Un publiciste, M. Adolphe Prins, a dit avec raison : « Toute civilisation qui multiplie les richesses sans multiplier les liens sociaux et les devoirs sociaux produit plus de mal que de bien[32]. » Si ces paroles s’appliquent aux excès actuels du régime capitaliste, elles ne s’appliqueraient pas moins à un régime communiste qui prétendrait multiplier les richesses et jouissances sans multiplier les liens moraux, ou même en supprimant toute moralité. Pour fonder une société supérieure, il faut d’abord habituer les hommes à vivre, non en eux-mêmes et pour eux-mêmes, mais en autrui et pour autrui : in aliis vivimus, movemur et sumus.


ALFRED FOUILLEE.

  1. Ziegler, La question sociale est une question morale, Paris, Alcan, 1889. Voyez aussi Ch. Secrétan, la Civilisation et la Croyance, Paris, Alcan, 1889.
  2. Prof. Talamo, Rivista internazionale di scienze sociali, janvier 1899.
  3. Le socialisme en Belgique, p. 283.
  4. Recherches sur l’origine de l’idée de justice et de l’idée du bien. Paris, Giard et Brière, 1899.
    Dans ses Pamphlets socialistes, M. Lafargue écrit : « Pour qu’il parvienne à la conscience de sa force, il faut que le Prolétariat foule aux pieds les préjugés de la morale chrétienne, économique, libre penseuse ; il faut qu’il retourne à ses instincts naturels, qu’il proclame les Droits de la paresse, mille et mille fois plus nobles et plus sacrés que les phtisiques Droits de l’homme, concoctés par les avocats métaphysiciens de la révolution bourgeoise ; qu’il se contraigne à ne travailler que trois heures par jour, à fainéanter, à bombancer le reste de la journée et de la nuit. » Sans attacher la plus légère importance philosophique aux écrits d’agitateurs révolutionnaires, il est cependant permis au philosophe d’y rechercher les ressorts sur lesquels on compte pour entraîner le peuple à fonder une société nouvelle.
  5. Philosophie du socialisme, p. 15.
  6. Le Capital, de Karl Marx, résumé et accompagné d’un aperçu sur le socialisme scientifique, p. 15, 1883.
  7. Ibid. p. 40.
  8. M. Guesde, Le Collectivisme, conférence de 1891, p. 3.
  9. Einfuhrung in den Socialismus, 1899.
  10. Loria, Les bases économiques de la constitution sociale, Paris, Alcan, 189 8.
  11. Revue internationale de sociologie, 1899, p, 498.
  12. Id., p. 50.
  13. Selon un des plus libéraux parmi les collectivistes, le recrutement d’un certain nombre de services industriels « serait assuré par un procédé analogue au service militaire. » A quoi on a répondu ; — C’est l’antique corvée ou, si l’on préfère, ce sont les travaux forcés. (Voir M. G. Richard, le Socialisme et la Science sociale, Paris, Alcan, 1897).
  14. Bruxelles, Mahen.
  15. Genève, 1890.
  16. M. G. Deville (Principes socialistes, p. XXIII) dit avec raison qu’il ne faut pas attacher trop d’importance théorique au mot fameux de M. Guesde, qui, selon lui, n’avait d’autre but que d’agir sur le peuple en lui parlant le langage propre à l’entraîner. « Il n’y a, dans la phrase reproduite plus haut, que l’indication du mobile jugé de nature à avoir action sur la masse à mouvoir. » Nous craignons que M. Deville et M. Guesde ne calomnient involontairement le peuple, surtout le peuple français (celui dont Heine disait qu’il fut toujours mené par des idées), s’ils croient que le grand procédé de l’éloquence est de s’adresser à son ventre. S’il en était vraiment ainsi, comment le règne collectiviste du peuple serait-il, comme on nous le promet, je ne dis pas celui de la fraternité et de la justice, mots « vieillis, » mais celui de la paix et de la félicité ?
  17. Voyez Nitti : Le travail humain et ses lois, dans la Revue internationale de sociologie, 1895.
  18. Quand même l’humanité future aurait, grâce aux Berthelot de l’avenir, de quoi alimenter une population toujours croissante, il resterait à savoir où elle la logerait. On a calculé que, au taux d’accroissement de 1 pour 100, la terre porterait, dans douze cents ans, un homme par mètre carré. Il faudrait donc conquérir les airs et multiplier les tours de Babel, ce qui sans doute exigerait quelque labeur au milieu de la grande orgie collectiviste.
  19. Voir James, Communism in America.
  20. M. Coste, dans son récent volume : l’Expérience des. peuples (Paris, Alcan, 1900), montre que, si nos quatre millions d’ouvriers industriels, qui dépensent bien plus de 100 francs par an en liqueurs fortes, mettaient chaque année 100 francs de côté, ils pourraient, en seize ans, acheter la plupart des actions de la grande industrie et y devenir les maîtres.
  21. Voyez la remarquable étude de M. Sorel, l’Éthique socialiste, Revue de métaphysique et de morale, mai 1898, et Morale sociale, Paris, Alcan, 1899.
  22. Voyez M. André Liesse, La Question sociale.
  23. M. Aynard.
  24. M. Lévy-Bruhl. Questions sociologiques, Revue Bleue, juin 1895.
  25. Barth, Die Philosophie der Geschichte als Sociologie. — Voyez l’appréciation de ce livre par M. Bouglé, Année sociologique, Paris, Alcan, 1897.
  26. Les idées égalitaires, Paris, Alcan, 1900.
  27. Barth, ouv. cité.
  28. La Division du travail social, Paris, Alcan, 1890. — Cf. Guyau, l’Irréligion de l’avenir, livre I.
  29. Lacour, De l’Histoire considérée comme science, p. 126.
  30. M. G. Sorel, Devenir social, 1897, p. 757.
  31. Devenir social, id., p. 756.
  32. L’Organisation de la liberté.