Aller au contenu

La pépinière/Préface

La bibliothèque libre.
Masson et Cie éditeurs (p. v-x).

Préface


La Pépinière, c’est l’école de la Plante, c’est en quelque sorte la nourrice des végétaux, le laboratoire où semences, greffes et boutures trouvent la vie et la protection du premier âge.

Entourés de soins paternels, nos jeunes élèves se transforment, s’émancipent, font leur entrée dans le monde et deviennent un des principaux éléments de la fortune publique.

Grâce à la pépinière d’élevage, les nouveaux venus pourront désormais peupler bois et forêts, une richesse nationale, composer des vergers qui alimenteront les marchés, ou encore, plus intimes, embellir nos demeures de parcs ombreux et fleuris et fournir à nos cités de puissants réservoirs d’hygiène et de salubrité.

Et le vignoble en détresse, son appel à l’art du pépiniériste ne lui a-t-il pas rendu son énergie vitale et sa fécondité ?

Et nos colonies, ces terres lointaines avides de civilisation, n’ont-elles pas, à leur tour, réclamé des Jardins d’essai, des Pépinières de propagande, de quoi faire jaillir de leurs flancs les richesses si précieuses à notre hémisphère ?

N’y a-t-il pas là une solution du fameux problème de la culture intensive, ce levier actionné par un labeur incessant et soulevant les grandes questions internationales, économiques, financières… et humanitaires, oserons-nous dire ?

Aussi n’est-il pas surprenant que, dans les derniers siècles, des ministres tels que Sully, Colbert, Turgot, François de Neufchâteau, Chaptal, aient ordonné l’organisation de pépinières officielles, chargées surtout d’approvisionner la plantation des routes et des vergers, et de réparer les désastres des grands hivers[1].

En même temps, le Jardin des Plantes de Paris recevait la mission de recueillir et de répandre les végétaux d’utilité ou d’ornement, indigènes ou exotiques.

Entraînée dans le mouvement cultural et commercial, l’initiative privée créait et développait, lentement et méthodiquement, des champs de production arbustive qui se firent connaître et apprécier dans toutes les régions de la France, même hors frontière. Témoin la renommée toujours justifiée des pépinières d’Orléans, de Vitry-sur-Seine, de Metz, de Lieusaint, d’Angers, d’Annonay, de Tarascon, de Bollwiller, de Méry-sur-Seine, qui publièrent les premiers catalogues, après toutefois la célèbre pépinière des Frères Chartreux[2].

Et combien de services rendus au pays par les cultivateurs d’arbres fruitiers, de plants forestiers, d’arbres d’avenue, d’arbres à cidre, d’arbrisseaux et arbustes de toute sorte disséminés un peu partout, dans les terrains les plus variés, les climats les plus divers, alors que les relations entre confrères et la rapidité des correspondances ou des moyens de transport n’existaient pas comme aujourd’hui.

Mais cette profusion de beaux arbres qui animent et enrichissent nos campagnes, ne sont-ils pas les témoins vivants et plantureux des efforts de nos aînés et des services immenses qu’ils ont rendus à la Patrie ?

Depuis cette période fondamentale, d’importantes modifications se sont introduites dans la culture libre ou abritée des végétaux. Des explorateurs ont rapporté de tous les points du globe des plantes remarquables ; tandis que, dans la métropole, des semeurs patients, des fécondateurs habiles et persévérants se livraient, de leur côté, à la recherche de l’inconnu.

Il a fallu étudier ces conquêtes nouvelles, en poursuivre l’acclimatement, en chercher les procédés de multiplication pour les conserver et les propager.

D’autre part, les grandes assises de l’Horticulture et de savantes publications ont singulièrement stimulé le cultivateur dans son travail, tout en l’instruisant.

À cette phase nouvelle vient s’ajouter l’action du Gouvernement, qui inscrit l’enseignement de l’Horticulture au programme des Écoles d’Agriculture, à tous les degrés. Il admet la Pépinière à ses concours généraux ou régionaux ; il crée l’École nationale d’Horticulture de Versailles, véritable pépinière intellectuelle de jeunes hommes destinés aux exploitations de rapport, aux chaires de démonstration et, plus récemment, le Jardin colonial, institué pour vulgariser dans nos possessions d’outre-mer les principes de culture perfectionnée capables d’enrichir aborigènes et colons.

C’est la loi du Progrès.

N’oublions pas de rendre hommage aux administrations forestières, vicinales et communales. Elles aussi ont compris l’importance de la pépinière et son rôle dans leurs services respectifs, lui accordant terrains spéciaux, personnel d’élite, matériel et crédits suffisants.

Cependant, en dehors des professionnels, le travail du pépiniériste est peu connu, ses multiples détails étant le fruit de l’expérience raisonnée — sans médire du hasard — et de l’observation comparée des effets et de leurs causes.

Cette œuvre qui manque à la bibliothèque rurale, nous voulons l’aborder.

Né et élevé au milieu des pépinières de nos ancêtres, représentant au moins dix générations, ayant nous-même plus d’un demi-siècle d’études et de travaux pratiques, encouragé par le bienveillant accueil fait à nos essais sur ce sujet inépuisable, nous voulons répondre au désir de nos amis et réaliser dans l’âge mûr un rêve de jeunesse.

Merci aux confrères qui ont bien voulu nous seconder dans cette tâche laborieuse. Merci aux éditeurs et aux artistes qui en ont facilité la publication !

Charles Baltet
  1. La « plus considérable » des pépinières départementales était, d’après Calvel, celle de Guerrapain, dans l’Aube ; elle fut anéantie par l’invasion de 1814, au terrible combat de Méry-sur-Seine, et les survivants en furent ramenés à Troyes.

    Un autre enfant de l’Aube, Moreau, avait fondé à La Rochette, près de Melun, une pépinière de 500 arpents (plus de 200 hectares) qui distribuait gratuitement, aux frais de l’État, « les arbres fruitiers aux gens de la campagne, et les autres à tous ceux qui s’occuperaient de faire des plantations ». Des millions de plants furent ainsi répartis.

    Les travaux en étaient confiés à des escouades d’enfants assistés, sous la conduite d’un maître pépinier. Mais, en 1780, le ministre Necker, en retirant le patronage officiel, fit sombrer cette colossale entreprise philanthropique.

  2. Dispersée à la Révolution, les débris de la pépinière furent recueillis par ordre du Directoire (an III) et transportés dans les jardins du Luxembourg, sous la surveillance de Cels (Jacques-Martin) et de Vilmorin (Philippe-Victoire).