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Le Bhâgavata Purâna/Livre III/Chapitre 13

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Traduction par Eugène Burnouf.
Imprimerie royale (tome 1p. 216-222).
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CHAPITRE XIII.

VICHṆU SOULÈVE LA TERRE DU FOND DE L’OCÉAN.


1. Çukâ dit : Ayant entendu le discours purifiant du solitaire qui parlait, le descendant de Kuru, plein de respect pour l’histoire du fils de Vasudêva, lui adressa encore la question suivante.

2. Vidura dit : Que fit ensuite, ô solitaire, le monarque souverain Svâyam̃bhuva, fils chéri de Syayam̃bhû, après qu’il eut reçu son épouse bien-aimée ?

3. Raconte-moi, ô le meilleur des hommes, car je possède la foi, l’histoire de ce Râdjarchi, le premier des rois, dont Vichvaksêna était le refuge.

4. Le résultat, le plus justement approuvé par les sages, de tout ce que les hommes n’entendent qu’après un long travail, n’est-il pas l’avantage d’écouter le récit des qualités de chacun de ceux dans le cœur desquels réside le lotus des pieds de Mukunda ?

5. Çuka dit : Ainsi ramené à l’histoire de Bhagavat, le solitaire, frissonnant de plaisir, adressa la parole en ces termes à Vidura, qui embrassait avec recueillement les pieds du Dieu aux cent têtes.

6. Mâitrêya dit : Quand le Manu Svâyam̃bhuva eut été créé avec sa femme, il s’adressa ainsi au Dieu qui est la matrice des Vêdas, les mains réunies en signe de respect, et s’inclinant devant lui :

7. Toi seul es le créateur, le père, le nourricier de tous les êtres ; cependant consens à nous indiquer, à nous qui sommes tes enfants, le moyen de te témoigner notre obéissance.

8. Adoration à toi qui es digne de louanges ! Montre-nous, parmi les actions possibles à notre énergie, celle qu’il faut que nous fassions pour obtenir de la gloire dans l’univers entier et le salut dans le monde futur.

9. Brahmâ dit : Je suis content de toi, mon fils ; que le bonheur vous accompagne tous deux, ô souverain de la terre ! Parce que tu m’as dit de toi-même avec un cœur sincère, Commande-moi !

10. C’est là, illustre Manu, le respect que des enfants doivent témoigner à un père ; exempts de jalousie et ne se laissant pas enorgueillir par leur force, ils doivent accueillir ses ordres avec respect.

11. Mettez tous deux au monde des enfants qui te ressemblent par leurs bonnes qualités ; gouverne la terre avec justice, ô mon fils ; honore Purucha par des sacrifices.

12. Témoigne-moi toujours une entière obéissance, ô roi, en protégeant les créatures, et le bienheureux Hrǐchîkêça sera certainement satisfait de voir en toi le défenseur des êtres.

13. Ceux dont n’est pas satisfait le bienheureux Djanârdana qui a pour attribut le sacrifice, se fatiguent en efforts dont le résultat est stérile, parce qu’ils ne respectent pas celui qui est l’âme même [de toutes choses].

14. Le Manu dit : Puissé-je, ô toi qui détruis le péché, ne pas m’écarter des commandements de Bhagavat ! Daigne cependant, ô Seigneur, m’accorder en ce monde une habitation pour moi et pour les créatures.

15. La terre qui est la demeure de tous les êtres, est submergée dans le grand océan ; fais un effort, ô Dieu, pour que cette divine terre soit retirée de l’Abîme.

16. Mâitrêya dit : Paramêchṭhin ayant vu en effet la terre gisante au milieu des eaux, médita longtemps dans son esprit : Comment la retirerai-je ?

17. Au moment où je veux créer, la terre, submergée par les eaux, est tombée au fond de l’Abîme : que faut-il donc que je fasse, maintenant que je suis chargé de la création ? Que le souverain Seigneur, celui du cœur duquel je suis sorti, me trace ma conduite !

18. Pendant qu’il réfléchissait ainsi, ô sage exempt de péché, il sortit tout d’un coup de la cavité de son nez un petit sanglier de la longueur du pouce.

19. Au moment où Brahmâ le regardait, l’animal qui se tenait suspendu dans l’air, acquit en un instant la taille d’un éléphant : ce fut là, ô descendant de Bharata, un grand prodige.

20. Entouré des Brahmanes dont Marîtchi est le chef, de ses [quatre] fils et du Manu, le Dieu ayant vu cette forme de sanglier, se livra à mille réflexions diverses.

21. Qu’est-ce que cet être divin, déguisé sous l’apparence d’un sanglier, qui est là devant moi ? N’est-ce pas une chose surprenante qu’il soit sorti de mon nez ?

22. Quand je l’ai vu, il n’avait que la longueur du bout du doigt, et voilà qu’en un instant il est devenu semblable à un énorme rocher ; ne serait-ce pas Bhagavat, le sacrifice lui-même, qui se montre ainsi à moi pour troubler mon intelligence ?

23. Pendant que Brahmâ réfléchissait ainsi au milieu de ses fils, Bhagavat, le mâle du sacrifice, semblable au Roi des montagnes, se mit à rugir.

24. Hari, le Souverain de l’univers, porta la joie dans le cœur de Brahmâ et de ses fils les Brahmanes, par son rugissement dont les points de l’horizon répétaient l’écho.

25. Ayant entendu la voix de celui qui avait pris l’apparence illusoire d’un sanglier pour dissiper leur trouble, ces solitaires, qui persistent dans la science, la vérité et les mortifications, se mirent à le célébrer avec les trois [prières] qui donnent la pureté.

26. L’Être dont la forme est décrite dans les Vêdas, ayant entendu, de la bouche de ces sages, la parole sacrée qui développait ses qualités, plongea dans les eaux, semblable au Roi des éléphants au milieu de ses ébats, après avoir fait retentir plusieurs fois son rugissement pour le bonheur des immortels.

27. Traversant le ciel, la queue redressée, ferme de corps, secouant sa crinière, tout hérissé de poils aigus, foulant les nuages sous ses pieds, montrant ses blanches défenses, le regard enflammé : tel parut Bhagavat pour soulever la terre.

28. Cet Être qui est lui-même le corps du sacrifice, déguisé sous l’apparence d’un sanglier, armé de défenses terribles, suivant avec l’odorat la trace de la terre, et reportant des yeux amis sur les Brâhmanes qui chantaient, plongea au fond des eaux.

29. Les flancs déchirés par l’impétuosité de la chute de ce corps semblable à une montagne de diamant, l’Océan, étendant les longs bras de ses vagues, gémit, semblable à un malade, et s’écria : Ô Seigneur du sacrifice, aie pitié de moi !

30. Celui dont la forme est le sacrifice qui se célèbre aux trois moments consacrés, séparant les ondes avec ses sabots, semblables à des flèches au large fer, pour atteindre les limites de l’océan sans rivages, vit au fond de l’Abîme la terre que jadis, au moment où il allait s’endormir sur les eaux, il avait lui-même renfermée dans son sein avec les vies qu’elle contenait ; ayant relevé la terre en la fixant [sur une de ses défenses], il remonta tout brillant de l’Abîme.

31. Là, au moment où le premier des Dâityas s’avançait contre lui, la massue levée, pour s’opposer à sa marche, le Dieu, dont la violente colère ressemblait au Tchakra enflammé, tua, en se jouant au ; sein des eaux, le géant à la vigueur indomptable, comme le Roi des animaux tue un éléphant ; ses joues et son boutoir étaient souillés du sang du Dâitya, de même que le Roi des éléphants qui déchire la terre est souillé d’un limon [rougeâtre].

32. Ayant reconnu cet Être, bleu comme le Tamâla, qui se jouant comme fait un éléphant, soulevait la terre sur l’extrémité de ses dents blanches, les sages ayant Viriñtchi à leur tête célébrèrent, les mains jointes, le souverain Seigneur dans des hymnes sacrés.

33. Les Rǐchis dirent : Victoire ! Victoire à toi, ô Être invincible, à toi, l’auteur des sacrifices ! Adoration à toi qui secoues ton corps qui est le triple Vêda ! Adoration à toi qui, pour accomplir ton œuvre, as pris ce corps de sanglier dans les poils duquel les eaux ont été absorbées comme dans des cavernes !

34. Sans doute elle est difficile à voir pour les méchants ta forme, ô Être divin qui es le sacrifice même ; dans ta peau sont les hymnes du Vêda, l’herbe sainte est dans tes poils, le beurre clarifié dans tes yeux, les fonctions des quatre prêtres officiants dans tes pieds.

35. La longue cuiller est dans ton boutoir, les Sruvas (cuillers doubles) sont dans tes narines, le vase dans ton ventre, les coupes dans la cavité de tes oreilles, le vase qui contient la part du Brâhmane dans ta gueule, les bouchées que l’on prend dans ton gosier ; ta nourriture, ô Être divin, c’est l’Agnihôtra.

36. Le sacrifice préparatoire de la Dîkchâ, la succession des cérémonies et les offrandes forment ton cou ; tes défenses sont le sacrifice qui suit la Dîkchâ, et le sacrifice qui termine la cérémonie ; ta langue est le prêtre officiant ; ta tête, ô toi qui es le sacrifice, est le feu de l’assemblée et le feu de la maison ; les autels sont les cinq souffles de vie qui t’animent.

37. Le jus du Sôma est ta semence ; les [trois] moments du jour auxquels se font les ablutions, sont tes [trois] âges ; les diverses parties qui constituent la cérémonie sont les éléments dont se compose ton corps, ô Être divin ; tous les sacrifices qui se prolongent en sont les jointures ; tu es le sacrifice sans le Sôma et avec le Sôma ; la célébration est le lien qui t’attache [comme victime].

38. Adoration, adoration à toi dont la réunion des Mantras et des Divinités forme la substance ; à toi qui es l’ensemble de tous les sacrifices, qui en es la célébration, qui es la science produite par l’empire qu’on obtient sur soi-même, à l’aide de la dévotion qui naît du détachement ! Adoration au précepteur de la science !

39. Bhagavat, ô toi qui supportes le monde ! La terre soutenue sur l’extrémité de ta défense resplendit avec ses montagnes, comme brille un lotus avec ses feuilles, sur la dent du Roi des éléphants qui ressort de l’eau.

40. [L’éclat de] ta forme composée de la réunion des trois Vêdas, [et la beauté de] ton corps de sanglier, sont rehaussés par le globe de la terre porté sur ta dent, comme la splendeur du Roi des monts Kulâtchalas l’est par la masse épaisse de nuages que soutient sa tête.

41. Fixe-la, pour donner une habitation aux êtres mobiles et immobiles, cette terre, ton épouse, la mère des êtres dont tu es le père ; aussi nous joignons-nous, pour l’adorer, à toi qui as déposé en elle ton énergie, comme le feu que l’on cache dans le bois de l’Araṇi.

42. Quel autre que toi, ô souverain Seigneur, eût eu la confiance de pouvoir retirer la terre du fond de l’Abîme ? Mais ce n’est pas une merveille pour toi, l’asile de toutes les merveilles, pour toi qui as créé à l’aide de Mâyâ cet univers si étonnamment merveilleux.

43. Pour nous qui persistons dans la science, la vérité et les mortifications, aspergés par les gouttes de l’eau bienheureuse qui s’échappe des extrémités de ta crinière, au moment où tu agites ton corps qui est formé par les Vêdas, nous nous trouvons, ô Seigneur, parfaitement purifiés.

44. Certes il a perdu l’intelligence celui qui espère atteindre la limite de tes œuvres, ô toi dont les œuvres n’ont pas de limite, toi par qui l’univers entier est le jouet de l’erreur où le jette ton alliance avec les qualités de ta mystérieuse Mâyâ ; consens donc de toi-même, ô Bhagavat, à faire le bonheur du monde.

45. Mâitrêya dit : Ainsi célébré par les solitaires qui récitent le Vêda, le Dieu protecteur fixa la terre sur l’océan dont il avait fendu les flots avec ses sabots.

46. Le bienheureux Vichvaksêna, le chef des créatures, Hari, se retira aussitôt qu’il eut déposé sur les eaux la terre qu’il avait relevée de l’Abîme en se jouant.

47. Celui qui écoute ou qui récite avec dévotion cette belle et ravissante histoire de Hari, de ce Dieu dont la contemplation enlève [loin du monde], et dont on a tant d’actions merveilleuses à raconter, voit bien vite Djanârdana se plaire au sein de son cœur.

48. Quand le maître de toutes les bénédictions est satisfait, comment ces avantages, qui sont en eux-mêmes si peu de chose, seraient-ils difficiles à obtenir ? Mais l’Être suprême reposant dans l’asile le plus secret de ceux qui lui rendent un culte exclusif, leur accorde lui-même la possession de sa demeure excellente.

49. Est-il au monde un être, si ce n’est un animal grossier, qui connaissant la valeur des objets que poursuit l’homme, pourrait, après avoir prêté l’oreille aux anciens récits se détourner du nectar des histoires de Bhagavat qui anéantit l’existence ?


FIN DU TREIZIÈME CHAPITRE, AYANT POUR TITRE :
SOULÈVEMENT DE LA TERRE,
DANS LE DIALOGUE DE VIDURA ET DE MÂITRÊYA, AU TROISIÈME LIVRE DU GRAND PURÂṆA,
LE BIENHEUREUX BHÂGAVATA,
RECUEIL INSPIRÉ PAR BRAHMÂ ET COMPOSÉ PAR VYÂSA.